Aménager le territoire pour réparer les injustices sociales
p. 227-256
Texte intégral
1Aménager le territoire, c’est mettre l’organisation des lieux en cohérence avec un choix de société. L’opération fait intervenir plusieurs acteurs, mais c’est la puissance publique dans ses différentes déclinaisons – l’Etat et les collectivités territoriales – qui est le plus directement concernée car elle détient une autorité sur l’espace. Il appartient en effet à l’Etat de fixer les règles qui encadrent les activités des entreprises, y compris d’abord pour leur installation à tel ou tel endroit, et de garantir aux populations l’accès aux services. Pour des raisons de cohésion territoriale, il est également impératif d’empêcher des écarts excessifs, et donc potentiellement dangereux sur le plan politique, dans les niveaux de vie moyens entre les régions d’un pays.
2Cette action volontaire sur le territoire doit être évaluée selon les résultats obtenus sur les deux objectifs affichés : l’efficacité économique et la justice sociale. Ces deux points eux-mêmes requièrent d’être explicités. S’agissant de l’efficacité économique, le problème posé est celui de l’efficience territoriale et peut se formuler de la manière suivante : comment se rapprocher de la configuration territoriale qui permette le meilleur usage des moyens mis en œuvre pour augmenter la richesse produite. S’agissant de la justice sociale, objectif officiel toujours proclamé sinon toujours réellement suivi, la question est de savoir quelle organisation de l’espace est la plus propice à la distribution juste de la richesse produite.
3L’aménagement du territoire peut être vu comme l’application spatiale du principe rawlsien de réparation. Sa mise en oeuvre géographique consiste, pour corriger une injustice, à agir directement sur l’espace pour agir indirectement sur la société, et cette action consiste en une discrimination positive à base territoriale.
L’Etat, un aménageur fragilisé par le néolibéralisme
4L’Etat est par définition une puissance territoriale, mais son action sur les lieux a longtemps concerné l’exercice de ses fonctions régaliennes davantage que la sphère économique proprement dite, celle-ci n’étant impactée qu’indirectement. On n’imagine pas un territoire étatique sans routes, ni villes dotées de fonctions administratives, ni frontières défendues par des garnisons militaires. Ainsi, Rome a-t-elle construit un Empire en traçant des routes. Ainsi également, en France, les routes royales ont-elles été l’instrument du centralisme : mettre en communication rapide la capitale (Paris ou Versailles) avec les provinces, pour y envoyer les ordres ou pour en faire venir les impôts. Cet héritage du tracé des routes royales devenues ensuite routes nationales a pesé dans l’organisation du territoire français : même logique stellaire quand fut dessiné en 1842 le réseau ferré et même, beaucoup plus tard avec les premières autoroutes et les premières lignes aériennes intérieures qui reliaient Paris à la province. De même, la centralisation a-t-elle bridé le développement des grandes villes de province. En revanche, si les villes moyennes sont nombreuses en France et assez bien pourvues en services, c’est que le maillage départemental impliquait d’avoir dans chaque département une ville chef-lieu, destinée à exercer des fonctions de pouvoir et recevant les services aux personnes correspondant à son niveau dans la hiérarchie urbaine induite par la hiérarchie administrative. Félix Damette1 a mis en évidence le rôle de ces villes dont l’essor doit beaucoup à l’Etat, parmi lesquelles il faut compter les villes militaires, nombreuses dans les régions frontalières. La présence de nombreux fonctionnaires dans de telles villes entraîne l’injection d’une masse salariale conséquente dans l’économie locale et a donc des effets puissants sur la demande en logements et en services comme sur les consommations quotidiennes. Toutefois, l’objectif de l’Etat ne relève pas ici de la justice sociale ou spatiale, ni même de l’économie, mais de l’exercice du pouvoir.
5En engageant certains grands travaux, l’Etat a montré pourtant de bonne heure son intérêt pour la production et les échanges. Conçu par l’ingénieur Riquet et achevé en 1681, le canal du Midi, dit encore des deux Mers puisqu’il relie l’Atlantique, via la Garonne, à la Méditerranée, est, en France, un exemple de son implication directe dans un aménagement sans lien direct avec sa souveraineté. On peut aussi mentionner, toujours en France, le plan Freycinet2 de 1879 dans un objectif de relance économique et concernant les canaux (d’où le bien connu gabarit Freycinet), les ports et les chemins de fer. Il est à l’origine des lignes d’intérêt local desservant les sous-préfectures, vite rendues obsolètes par les progrès de l’automobile, mais témoignant de préoccupations récurrentes par la suite : le désenclavement et l’accessibilité. L’Etat est également intervenu dans les pays de dimension continentale impliquant des infrastructures de transport de grande ampleur : aux Etats-Unis pour soutenir les entreprises de chemin de fer qui concrétisaient la marche vers l’Ouest et faisaient en 1869 la jonction entre les deux Océans, en Russie, pour le Transsibérien lancé à l’initiative du tsar Alexandre III.
6C’est néanmoins plus tard, dans la décennie 1930, avec le New Deal du Président Roosevelt, que l’Etat a lancé des aménagements dans un but qui associait explicitement l’économie et la sphère sociale. La Grande Dépression faisait des ravages et les millions d’Américains réduits à la misère mettaient en évidence les effets sociaux dévastateurs du libre marché. L’Etat trouvait alors une légitimité à agir pour combattre la crise, non pas seulement en portant assistance aux chômeurs, mais en agissant dans une Nouvelle Donne qui rompait avec le libre jeu du capitalisme. Les grands travaux en furent une des pièces importantes, l’aménagement du bassin de la Tennesse sous la responsabilité de la Tennesse Valley Authority en constituant l’opération restée emblématique. Les Etats-Unis ont ici montré une voie suivie après eux par de nombreux Etats, notamment en Europe. On passait du modèle libéral classique impliquant l’intervention minimum de l’Etat à une nouvelle forme de capitalisme où, tout en gardant la fonction de dire les normes du jeu économique, l’Etat devient acteur, investisseur, aménageur et régulateur.
7Que peut-il faire en faveur de la justice spatiale ? Répartir équitablement sur le territoire les équipements collectifs à l’usage des populations, intervenir aussi comme investisseur car il possède des entreprises en propre ainsi que des participations dans des firmes associant le capital public et le capital privé, d’où découle selon les cas un pouvoir de décision ou un pouvoir d’influence, créer un contexte géographique favorable aux activités des entreprises entièrement privées, tant par les infrastructures matérielles que par les avantages financiers, notamment fiscaux, qui peuvent leur être accordés. De forte utilité peuvent être également les opérations de prestige qui ne prétendent pas avoir de conséquences économiques immédiates, mais qui améliorent l’image de marque d’un lieu et qui, à une époque où le marketing territorial fait feu de tout bois, peuvent avoir des effets bénéfiques à long terme pour les populations. Telles sont, en France, la création d’une annexe du Centre Pompidou à Metz, et plus encore l’installation du Louvre Lens au cœur de l’ancien bassin houiller du Nord. Sur cette terre sinistrée, le Louvre a une signification double. Il valorise le territoire et le rend plus attractif pour les visiteurs de l’extérieur et peut-être à terme pour les entreprises, mais aussi il valorise les gens du lieu en affichant que la culture artistique s’adresse à tout le monde.
8Le problème majeur est peut-être ailleurs aujourd’hui. Il réside dans la capacité effective de l’Etat à agir pour l’organisation de son territoire alors que le contexte de la mondialisation donne aux entreprises multinationales le pouvoir d’aménager l’espace selon leurs intérêts et de penser leur stratégie à l’échelle internationale. L’Etat paraît mener un combat inégal, où il ne contrôle qu’une petite partie du champ de bataille et ne dispose pas des armes les plus efficaces. Fait troublant, il est noté par des officines privées, les agences de notation, autoproclamées juges de ses résultats économiques et assez puissantes pour que leurs avis orientent les marchés financiers et modifient à la hausse ou à la baisse les conditions de financement des Etats, et ce quels que soient les errements avérés des appréciations qu’elles ont portées antérieurement. On voit même les Etats renoncer à leur fonction de souveraineté qu’est la justice et accepter l’arbitrage privé dans les différends qui les opposent à des firmes3. Dans ce nouveau rapport de forces, aménager le territoire, est-ce encore orienter les décisions du secteur privé en fonction d’un bien commun décidé démocratiquement, ou est-ce devenu ajuster le territoire aux exigences des intérêts privés pour que le pays reçoive quelques miettes des richesses produites sur son sol ? Et ces exigences ne concernent pas seulement le territoire. Il faut, certes, prévoir les systèmes de circulation et les équipements collectifs, mais il faut aussi garantir les autres conditions du profit, sociales et politiques celles-ci : une imposition attractive, des salaires « raisonnables » et le maintien de la paix sociale. Entrés dans une logique concurrentielle pour attirer les investissements productifs, où l’emportent les territoires les mieux disants pour ce qui est des infrastructures physiques offertes aux entreprises et les moins disants pour ce qui est des conditions sociales faites aux salariés, les Etats se livrent une guerre fiscale ruineuse pour leurs finances, de même qu’à une échelle inférieure les unités administratives régionales et locales.
9La question doit donc être reformulée. Il s’est d’abord agi, au cours des Trente Glorieuses, de savoir comment l’Etat aménageur devait intervenir pour exercer efficacement son rôle de garant du bien commun dans une perspective de développement et le contexte porteur d’une forte croissance. Il s’est ensuite agi de se demander si l’Etat-providence en crise avait encore les moyens de financer ses opérations propres et les incitations destinées à orienter le capital privé. Il s’agit désormais, le néolibéralisme prônant « la généralisation des principes de concurrence et de marché à toutes les sphères de la vie publique et privée4 », de savoir si l’Etat a fait sienne la logique du marché et met son action en conformité avec elle – les partenariats public-privé et la privatisation de certains services publics donneraient à le penser – ou s’il conserve une marge d’autonomie au service d’un projet de société différent. La question renvoie donc au rapport des forces socio-politiques et à la capacité que les nouvelles relations entre la puissance publique et les intérêts privés ont ou n’ont pas à laisser ouverte la possibilité d’un progrès de la justice.
L’accessibilité géographique des services publics
10Rendre les services publics accessibles à tous relève de la responsabilité de l’Etat et des collectivités territoriales. C’est donc un problème d’aménagement du territoire.
11L’isonomie territoriale, c’est-à-dire la stricte égalité de tous les points d’un espace, n’est que rarement possible. La tarification des services permet toutefois de s’en rapprocher. Ainsi en est-il des services postaux intérieurs, pour lesquels le même prix appliqué à l’expédition d’un courrier, quelle que soit la distance à parcourir, crée une sorte d’indifférenciation spatiale. De même, le prix identique d’un transport urbain collectif à l’intérieur d’une zone permet-il de traiter à l’identique les usagers, qu’ils parcourent quelques centaines de mètres ou plusieurs kilomètres. Néanmoins, même dans ces deux exemples, il serait inexact de parler stricto sensu d’isonomie car, au-delà des tarifs, il faut dans le premier cas tenir compte de la répartition des bureaux de poste, et dans le second cas du temps de transport. D’une façon plus générale, permettre au mieux l’accès aux moyens de transport et de communication, c’est-à-dire désenclaver (le terme est souvent utilisé à tort, mais il représente une réalité !) et réduire le plus possible la distance que doivent parcourir les habitants les plus mal desservis pour atteindre les axes modernes de circulation (échangeurs autoroutiers et gare TGV), c’est faire œuvre de justice spatiale.
12La réalité de la distance empêchant l’égalité de traitement des usagers, il faut raisonner en termes de maximin, sauf que, dans le cas présent, maximiser le minimum d’accessibilité consiste à minimiser la distance maximum que l’usager le moins bien desservi aura à parcourir, de sorte que le maximin s’exprime en minimax, la minimisation du maximum. Un système géométrique du type du modèle imaginé par Christaller serait la bonne solution : sans être tous traités à l’identique, les points sont hiérarchisés d’une façon qui est la même sur tout le territoire. La distribution régulière des villes selon leur rang dans le système urbain et l’emboîtement sur le mode fractal des villes de rang inférieur dans la trame formée par les villes de rang supérieur donnerait, de fait, un espace mathématique garant de l’égalité de traitement. Pas de totale égalité devant les services car le citadin reste favorisé par rapport au rural et l’habitant d’une métropole favorisé par rapport à l’habitant d’une petite ville, mais minimisation des distances maximum. La réalité est évidemment moins simple. Elle oppose au modèle la rugosité du milieu naturel, la diversité du peuplement et les héritages historiques. Surtout, la distance à considérer n’est pas seulement, ni même prioritairement, la distance kilométrique. Plus importantes sont la distance-temps5 pour mesurer l’éloignement et, souvent liée à elle, la distance-coût. Ces façons de mesurer donnent des combinaisons multiples : on peut être près d’un service en distance kilométrique et en distance-coût, mais en être éloigné en distance-temps, à quoi s’ajoute éventuellement la fréquence insuffisante du transport collectif, comme on peut être à une distance kilométrique importante, mais à une faible distance-temps si on est desservi par une voie rapide, sous réserve de supporter une distance-coût élevée.
13La difficulté d’arbitrer entre les différentes façons de mesurer la distance est mineure par rapport à un autre arbitrage. On a raisonné ci-dessus au problème toutes choses étant égales par ailleurs. Or, les choses ne sont pas égales, c’est-à-dire les choix de résidence que font les usagers et leurs niveaux de revenus. Il est évident que tous n’ont pas des goûts identiques et que chacun mesure à sa façon les avantages et les inconvénients que comporte tout lieu de résidence. Tel souhaite trouver à proximité de chez lui les services tertiaires et les équipements culturels : il vivra en ville, quitte à s’accommoder d’un logement exigu. Tel autre acceptera la contrainte d’en être éloigné parce qu’il préfère disposer d’une maison individuelle et d’un jardin. Tel autre encore, cas fréquent, modifiera ses priorités au fur et à mesure que son style de vie change avec les années : un petit studio proche de l’animation du centre-ville quand on est jeune adulte, une maison en grande banlieue ou au-delà quand les enfants sont encore petits, un retour près du centre, si possible, quand les enfants ont grandi. Ce constat que tous n’ont pas les mêmes priorités et que les besoins de chacun varient au cours de sa vie est somme toute banal. Il doit être pourtant rappelé car il conduit à examiner d’une façon très ouverte la question de l’équité dans la répartition géographique des services. Ce qui importe, c’est la liberté que chacun a ou n’a pas de choisir. Beaucoup qui sont à l’étroit dans les quartiers centraux aimeraient offrir à leurs enfants quelques verdures où jouer. D’autres qui résident en zone périurbaine s’épuisent dans les transports quotidiens et y dépensent une partie de l’argent économisé par le choix contraint de l’éloignement. Faire œuvre de justice spatiale sans discernement pourrait donc entrer en concurrence avec d’autres formes de justice, formes sociales, elles, et non moins importantes. Si pour des raisons qui leur sont propres et qui ne sont pas contraintes – le goût de vivre entre gens du même monde et la jouissance d’un environnement agréable sans avoir à le partager avec des populations plus modestes qu’ils jugent indésirables – des résidents aisés choisissent de vivre loin des concentrations urbaines, il est clair que serait totalement injuste une politique tenant compte seulement de leur éloignement et finançant pour eux des équipements coûteux aux dépens d’autres budgets destinés ailleurs au plus grand nombre. La justice spatiale n’est qu’une composante de la justice sociale, à prendre en considération sans l’exonérer des arbitrages nécessaires avec les autres données du problème : le registre sur lequel raisonner et agir n’est pas le spatial seul, mais le socio-spatial6.
14Bien des services publics pourraient illustrer la question ici abordée. On en évoquera deux pour l’importance qu’ils ont dans la vie quotidienne et en conséquence la forte résonance qu’ils ont dans la vie politique française : les services d’éducation et les services de santé.
L’école garantit-elle l’égalité des chances ?
15Le service d’éducation est celui qui est le plus directement concerné par l’idée d’égalité des chances contenue dans le principe rawlsien d’accès ouvert aux fonctions et aux positions sociales. Or, en France, il existe en la matière de fortes inégalités territoriales, identifiables à plusieurs échelles, d’abord entre les régions, ensuite entre la ville et le milieu rural, enfin, dans les villes, entre les quartiers.
16D’une région à l’autre, le système scolaire est plus ou moins performant7. Plusieurs indicateurs convergents montrent que les élèves obtiennent des résultats sensiblement supérieurs dans certaines régions que dans d’autres. Un peu plus d’un enfant sur dix (11,4 %) entre en classe de sixième avec un retard, mais c’est davantage dans les académies de Lille, d’Amiens, de Créteil, de Reims, de Limoges, de Montpellier et d’Aix-Marseille, alors que c’est moins dans celles de Paris, de Versailles, de Rouen, de Rennes, de Nantes, de Bordeaux, de Nancy, de Besançon et de Grenoble. Certaines de ces inégalités se retrouvent dans les difficultés de lecture mesurées chez les jeunes de 17 ans ou plus parmi lesquels presque 1 sur 10 souffre de ce handicap8 : 9,6 % en moyenne pour la métropole, mais 17,6 % dans le département de l’Aisne et 14,9 % dans la Somme9. On pourrait ajouter que l’académie d’Amiens enregistre de médiocres résultats au baccalauréat, que les décrochages scolaires y sont plus élevés qu’ailleurs et que les jeunes sortis du système scolaire sans diplôme y sont particulièrement nombreux. Bien des facteurs expliquent ces résultats, et notamment la structure sociale liée au profil productif des régions et à leur histoire économique, faisant que certains enfants ne trouvent pas dans leur entourage familial l’environnement culturel qui favoriserait leur réussite. De plus, la décentralisation ayant dévolu aux régions la responsabilité des lycées, aux départements celle des collèges et aux communes celle des écoles10, des inégalités fortes existent entre les établissements selon les choix budgétaires décidés par les collectivités territoriales. Toutefois, il ne faut pas négliger le facteur spatial, c’est-à-dire la densité et la distribution géographique de la population, qui induit une inégalité de service entre la ville et la campagne. En milieu rural, le choix est souvent entre la classe unique et le ramassage scolaire. Beaucoup d’élus préfèrent la première solution parce que le maintien d’une école est le signe tangible que leur village ne se meurt pas. Est-ce la meilleure solution ? On peut en discuter, mais il est vrai que fréquenter l’école sur place présente un avantage pour les très jeunes enfants. Les petites écoles rurales expliquent que certains espaces à faible densité démographique aient, en France, des classes à effectifs plus réduits que les territoires plus densément peuplés et a fortiori les agglomérations urbaines : dans l’enseignement primaire, le minimum est de 14,9 élèves par classe en Lozère et le maximum de 25,3 dans l’Essonne. Cela ne traduit pas un meilleur encadrement, mais plutôt l’impossibilité d’utiliser au mieux les personnels compte tenu du faible nombre d’usagers. Au-delà du primaire, le ramassage scolaire s’impose : comme toujours, la question se pose en termes d’accessibilité. La question ne se réduit d’ailleurs pas à l’alternative présence/absence ou proximité/éloignement. Il faut aussi considérer la qualité du service offert et voir si l’offre est à proportion des besoins, c’est-à-dire, par application du principe de réparation, si une discrimination positive est appliquée en faveur des populations défavorisées.
17L’échelle urbaine montre, elle aussi, que tel n’est pas le cas. Reposant sur des principes d’égalité, l’école républicaine a été le vecteur de la promotion sociale de millions de jeunes. Pendant longtemps, elle a constitué un puissant outil d’intégration pour les enfants issus des vagues d’immigration. Mais ce n’est plus vrai aujourd’hui : il y a inégalité de l’offre, ce dont l’opinion a bien conscience, à voir l’intérêt porté par les lecteurs aux classements des établissements publiés dans la presse et l’ingéniosité des parents des milieux favorisés pour contourner la carte scolaire. L’expérience des zones d’éducation prioritaire – les ZEP – mérite attention11. L’idée en était simple et juste : donner davantage de moyens aux écoles et collèges accueillant des enfants issus de milieux défavorisés qui ne trouvent pas dans leur famille un soutien efficace à leur cursus. Les résultats ont été variables, positifs en de nombreux cas, beaucoup moins convaincants dans d’autres. Force a été de constater des points préoccupants, et tout d’abord la réticence de certains établissements ou de certains parents à bénéficier du dispositif, par crainte de la stigmatisation qu’il peut entraîner. Être classé ZEP, c’est recevoir plus, mais c’est aussi courir le risque d’être montré du doigt par ceux qui ne sont pas classés ZEP et d’être a priori considéré comme médiocre. L’établissement ZEP qui devrait attirer par les moyens supplémentaires dont il dispose devient alors un repoussoir. Par ailleurs, il faut se demander si les établissements scolaires situés dans les quartiers défavorisés reçoivent réellement davantage que ceux des quartiers aisés. En fait, il n’en est rien. A considérer non pas l’enveloppe supplémentaire qui leur est allouée, mais la totalité des dépenses publiques faites dans les établissements, le résultat est inverse. La cause se trouve dans l’affectation des personnels. Comme dans tous les métiers, globalement, le savoir-faire des professionnels de l’éducation s’améliore avec l’expérience acquise. Or, les enseignants pourvus d’une certaine ancienneté et donc plus expérimentés, peuvent plus facilement que leurs collègues débutants prétendre à une nomination dans un bon lycée, c’est-à-dire un établissement où la clientèle scolaire dispose d’un capital culturel déjà acquis à la maison. En revanche, les professeurs débutants – il en est d’excellents, mais le fait est qu’ils manquent d’expérience – sont envoyés dans les quartiers difficiles. Or, les rémunérations dans la fonction publique française dépendent très largement de l’ancienneté, de sorte que la masse salariale affectée aux établissements des quartiers favorisés est beaucoup plus élevée que celle qui va aux établissements des quartiers défavorisés. Les financements ZEP sont loin de compenser. Il n’y a donc pas réparation, au contraire. Au lieu de donner plus à ceux qui ont moins, on donne plus à ceux qui ont déjà plus !
Les inégalités territoriales de la couverture médicale
18L’inégalité d’accès aux soins figure aussi parmi les problèmes que les usagers ressentent le plus nettement comme une injustice. Le territoire français12 présente une opposition entre une moitié Nord, en pénurie de praticiens par rapport à la moyenne nationale (297,8 médecins pour 100 000 habitants en métropole), Ile-de-France et Alsace mises à part, et une moitié Sud, mieux dotée, avec, dans les Midis un encadrement particulièrement élevé, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur détenant le record (356,5 contre 231,2 en Picardie). Pour ce qui est des généralistes, la moyenne nationale est de 134,5 médecins pour 100 000 habitants, avec un écart qui confirme la distinction Nord-Sud (à noter que l’Ile-de-France avec 132,7 et l’Alsace avec 139,3 sont alors dans les valeurs caractéristiques de la moitié Nord), les extrêmes étant de 111,6 dans la région Centre et de 157,4 en Provence-Alpes-Côte d’Azur. La répartition par âges de la population et donc l’inégale fréquence du recours à la médecine ne l’expliquent pas à elles seules car le contraste reste fort quand on rapporte les données non pas aux effectifs bruts de population, mais à leurs besoins estimés. Les écarts entre les départements sont évidemment plus forts : 200,3 généralistes à Paris pour 100 000 habitants, le chiffre le plus élevé, et 98,1 seulement dans l’Eure. Le problème n’épargne donc pas des territoires par ailleurs prospères et proches des grandes agglomérations. C’est le problème des déserts médicaux, tout-de-même paradoxal dans un pays aussi administré que la France. Les raisons en sont multiples. Certaines tiennent aux médecins et aux conditions d’exercice de leur métier : préférence des praticiens pour le Sud, crainte de l’isolement en cas d’installation à la campagne, horaires de travail excessifs prévisibles dans les régions déficitaires. D’autres tiennent au malthusianisme dans le recrutement. Les pressions exercées par la profession n’y sont pas étrangères, mais, bien qu’il ne puisse pas décider seul dans une profession exercée majoritairement à titre libéral, la responsabilité de l’Etat est tout de même engagée car c’est lui qui forme les praticiens dans ses facultés et ses hôpitaux. Or, alors que les besoins étaient connus et que la simple comparaison de la pyramide des âges des médecins en activité et de celle de la population permettait d’en mesurer l’évolution, un sévère numerus clausus a longtemps été maintenu dans l’admission aux études médicales, sur des critères d’ailleurs discutables, alors que d’autres cursus accueillaient en masse des étudiants pour qui les débouchés professionnels étaient des plus incertains… Le résultat est que dans toutes les régions françaises, si la densité médicale augmente légèrement pour les médecins spécialistes, elle baisse très sensiblement pour les médecins généralistes. Comment remédier à la situation préoccupante d’aujourd’hui. Aider les jeunes médecins à créer des cabinets de groupe comprenant autour d’eux d’autres personnels de santé (infirmier, kinésithérapeute) est une piste intéressante qui permet une pratique du métier plus attractive. C’est l’objet des maisons de santé et de la mise en réseau13 des professionnels concernés. Mais, l’expérience montre que ce n’est pas suffisant. Des incitations financières, de l’Etat et des collectivités territoriales, n’ont pas permis non plus de modifier très sensiblement la donne. Faire appel aux praticiens étrangers (certains sont venus de Roumanie) est une solution très ambiguë car elle aggrave la pénurie de médecins dans les pays d’origine, lesquels ont financé leur formation et sont appauvris par cette fuite des cerveaux : faire la justice spatiale en un lieu en aggravant l’injustice spatiale ailleurs, c’est contraire à la justice.
19Sans porter atteinte au principe de la médecine libérale à laquelle les patients sont très attachés, on peut se demander si ne serait pas légitime une politique plus audacieuse comportant certaines obligations de service pour les médecins après qu’ils ont profité d’études supérieures financées par l’Etat.
20Comme dans bien d’autres domaines, il faut tenir compte que la dispersion géographique des services publics devient contre-productive si elle empêche les économies d’échelle. En matière de santé publique, la fermeture de petits hôpitaux est toujours cause d’émotion dans la population, et plus encore quand il s’agit de petites maternités à cause de la dimension affective attachée à ces établissements. Mais souvent, la revendication porte au moins autant sur l’emploi que sur le service attendu. Dans beaucoup de petites villes, l’emploi public tient en effet une place majeure dans l’économie locale, l’hôpital ou un autre service public étant parfois le premier employeur. Il est donc bien vrai qu’une fermeture porte un coup très dur à la ville où elle se produit. Les élus s’en inquiètent légitimement et relaient les réclamations de leurs administrés. Qu’il faille le cas échéant relancer l’activité du lieu est certain, mais ce doit être dans la reconversion et non le maintien d’un service au seul motif qu’il compte beaucoup d’emplois. La crainte de voir s’aggraver le chômage fait perdre de vue le point principal : quel dispositif adopter qui soit le plus efficient, c’est-à-dire efficace à un coût raisonnable, pour assurer un service de qualité accessible à tous les usagers. Le saupoudrage n’est pas une solution. Il est de toutes les façons financièrement impossible pour les équipements très coûteux comme les plateaux techniques des hôpitaux. Par ailleurs, le trop petit nombre d’actes médicaux pratiqués est un facteur de risque pour les patients, les médecins ne pouvant pas acquérir l’expérience assurée par la répétition fréquente des gestes opératoires.
Le bon sens et l’innovation au service de la justice
21S’il est impossible d’installer tout partout, on peut concevoir en revanche pour certains services des antennes multi-fonctions assurant par exemple la poste, les services fiscaux, la sécurité sociale et d’autres. Malgré le faible nombre de personnes desservies, le personnel n’est pas sous-utilisé puisque chaque usager fait appel à lui à plusieurs titres, d’autant qu’est concevable une ouverture à temps partiel dans le cas d’effectifs de population très réduits. L’aménagement du territoire, c’est aussi l’aménagement du temps. Cela suppose une certaine souplesse des personnels appelés à des tâches variées et en des lieux différents selon les jours et les heures. D’autres façons de faire sont expérimentées. Est ainsi relancé le système ancien de l’agence postale consistant à confier à un commerçant les opérations simples de guichet. Proximité du service pour les usagers à un coût bien moindre que le maintien d’un bureau, complément d’activité et de revenu pour le commerçant qui lui évite de fermer boutique : solution simple et économique où tout le monde est gagnant.
22Les progrès techniques réalisés dans les moyens de communications permettent eux aussi de produire de l’équité territoriale en supprimant l’effet de lieu. Plutôt que d’aider l’usager à se déplacer jusqu’au service, il s’agit de faire que le service aille chez l’usager. Comme l’avait fait la radio, mais mieux, la télévision permet de profiter d’un spectacle en en étant éloigné. En matière de diffusion culturelle, cet outil remarquable fait pénétrer dans chaque foyer le cinéma, le théâtre, le débat d’idées, les concerts et l’opéra. Comment profiter de Mozart ou de Verdi quand on habite loin de la capitale et des quelques grandes villes qui comptent une scène d’art lyrique ? Cette pratique culturelle restée longtemps élitiste demeure un peu intimidante pour le profane, trop vite porté à croire que ce n’est pas pour lui. Mais si l’opéra vient à domicile, pourquoi ne pas se laisser tenter, puis, pour certains, y prendre goût ? On a ici une illustration de ce que peut être l’application du maximin en matière de diffusion culturelle. Il y a évidemment inégalité de traitement entre le spectateur qui assiste directement à la représentation et le téléspectateur assis devant son écran. Mais, diffuser la représentation, c’est maximiser le plaisir de ceux qui ne peuvent pas être présents dans la salle. Quand les spectacles bénéficient de subventions – ce qui est généralement le cas pour les opéras – prévoir que, grâce à la transmission télévisuelle, l’argent public ne serve pas seulement aux quelques-uns qui trouvent une place dans la salle parce qu’ils habitent la grande ville, qu’ils ont les moyens financiers de payer leur place et qu’il ont la culture artistique pour les motiver, mais aussi à ceux qui, loin de la grande ville et peut-être contraints par un budget modeste sont peu accoutumés à l’art lyrique, c’est faire œuvre de justice spatiale.
23Les nouvelles technologies de l’information et de la communication – NTIC – ont fait franchir un pas supplémentaire à cette suppression de l’effet de lieu : télétravail, courrier électronique et, sans doute plus important pour la justice, accès à l’information. Le réseau internet est devenu pour tous, qu’ils résident en ville près des bibliothèques ou dans des campagnes reculées, un remarquable moyen de connaissance. La possibilité de se connecter à la toile dans de bonnes conditions techniques est, de ce fait, devenu un élément discriminant. Comme on a parlé de fracture numérique pour désigner l’inégalité entre les personnes selon qu’elles maîtrisent ou non l’outil informatique, on peut dire que la qualité de la couverture numérique selon les lieux est une des composantes de la fracture territoriale. Au fur et à mesure que cette couverture s’étend et s’améliore, le territoire gagne en homogénéité. Pour nombre d’activités économiques, c’est la possibilité d’une répartition géographique moins sélective, et pour les personnes, le rapprochement des conditions de vie des citadins et des ruraux. Au moins dans les pays hautement développés, le progrès technique fait ainsi perdre de son sens à la distinction traditionnelle entre l’urbain et le rural. En France, le confirme la forte croissance démographique des communes périurbaines multipolarisées.
Les politiques régionales
24Outre les dépenses consenties volontairement dans les régions pauvres du territoire national, régions sous-industrialisées et régions déprimées, les Etats interviennent en y attirant les investissements privés. Les modalités varient selon les cas et peuvent comporter des dispositions compliquées, mais le principe de base reste simple : la discrimination positive à base territoriale. Quand une région est pauvre par manque d’investissements productifs, d’où un marché du travail difficile, le chômage, le départ des actifs à la recherche d’un emploi, chaque symptôme réagit sur les autres et les aggrave dans un processus cumulatif. Or, si les investissements font défaut, c’est parce que les perspectives de leur rentabilité sont inférieures à ce que l’on peut espérer ailleurs. La structure économique n’est ni assez étoffée ni assez diversifiée pour que les entreprises trouvent sur place un environnement porteur fait de partenaires solides. Dans ces conditions, améliorer les communications, les systèmes de transport, la fourniture d’énergie, la formation professionnelle, peut ne pas être suffisant. Pour sortir du cercle vicieux d’une faiblesse économique qui s’auto-entretient, il faut soutenir l’investissement productif privé par des aides publiques : s’il apparaît nécessaire dans un souci de justice et de cohésion nationale qu’une région pauvre se développe, et si les conditions locales renchérissent l’investissement et augmentent le risque couru par l’investisseur, il est normal que la collectivité nationale, en clair l’Etat, prenne à sa charge la dépense et le risque supplémentaires. Des avantages spécifiques (primes et avantages fiscaux) s’appliquent alors aux investissements réalisés dans un périmètre géographique défini. Ces aides peuvent être modulées selon les lieux de la région aidée et selon les branches d’activité. Des poches de pauvreté aiguë méritent éventuellement un soutien plus conséquent. Des industries de main-d’œuvre peuvent être davantage encouragées que d’autres dont l’impact sur le marché du travail serait moindre, ou alors des industries lourdes pour leurs effets d’entraînement attendus sur l’ensemble de l’économie régionale.
25Les opérations d’aménagement ont fait l’objet de nombreuses publications qu’il serait vain de reprendre ici, une fois posé ce qui fait l’objet du présent propos : l’application géographique du principe de réparation. En France, c’est la Datar, Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale, qui a représenté le volontarisme d’Etat favorisé par la forte croissance des Trente Glorieuses quand le Général de Gaulle la créa en 1963. En tant qu’organisme interministériel, elle a conçu et mis en œuvre une politique audacieuse, notamment en faveur de la France de l’Ouest, à l’époque sous-industrialisée, et des régions de vieille industrie sur le déclin. Ses missions se sont élargies ensuite, comme le montrent ses appellations successives14, la dernière soulignant l’objectif de justice spatiale. L’Italie, elle, avait dès 1950 créé la Caisse du Midi15 chargée de concevoir et de piloter les programmes de développement dans le Sud de la péninsule. Il faut dire que les inégalités territoriales avaient pris en Italie une gravité exceptionnelle en Europe16 : au Nord, une des régions les plus riches du Vieux Continent (le triangle Turin – Milan – Gênes était et reste le cœur de l’Italie industrielle), terminaison de la Dorsale européenne et comptant avec Milan une métropole de niveau international, au Sud un Midi sous-développé, sans industrie significative, avec une agriculture peu productive, frappé par un chômage massif, d’où les jeunes partaient pour trouver du travail dans le Nord. La grande ville du Sud, Naples, donnait à voir le souvenir d’un brillant passé plutôt que des activités modernes et porteuses d’avenir. Il s’est agi de réaliser l’infrastructure de base, de bonifier l’espace agricole et, surtout, d’attirer les industriels.
26Comme le montrent ces deux exemples, l’idée d’aménagement du territoire est souvent associée à l’échelle régionale. En fait, et quels que soient les noms donnés aux interventions des pouvoirs publics, beaucoup d’entre elles concernent le territoire à d’autres échelles. Telle est en France la politique de la ville appliquant aux quartiers défavorisés des mesures relevant de la discrimination positive. Et il faut aussi considérer, dans le cas de l’Union Européenne, que les politiques régionales pilotées par les Etats interfèrent avec la politique de cohésion conduite au moyen des fonds structurels, notamment par le Fonds Europén de Développement Régional – FEDER – ce qui fait dire au Parlement de Strasbourg que « ceci pose le problème de la complémentarité ou des contradictions entre les politiques européennes et régionales d’aide aux régions défavorisées », d’autant plus que, ajoute-t-il, « une région peut se trouver en position favorable au niveau européen et défavorable au niveau national ou bien l’inverse17 ». Passer de l’échelle locale à l’échelle régionale, de celle-ci à l’échelle nationale et de cette dernière à l’échelle européenne doit logiquement permettre d’arbitrer de façon plus équitable entre les lieux, et à travers eux, entre les hommes, et donc de se rapprocher de la justice spatiale. Dans une perspective universaliste, l’échelle mondiale serait évidemment la plus pertinente. Si cette assertion paraît difficile sur le plan pratique, du moins peut-elle dire la nécessité d’agir sur des thèmes précis et quantifiables à l’échelle de la planète, mais à l’échelle de l’Europe, on voit déjà que la chose est complexe et politiquement sensible quand un élargissement oblige à la solidarité avec un nouveau venu, au risque de réduire les prestations versées aux territoires plus anciennement membres.
Les pièges de l’aménagement
27Aucune action humaine n’est a priori exempte du risque d’erreur, et l’aménagement n’échappe pas à la règle : des investissements lourds qui se révèlent non rentables, des équipements sous-utilisés, des prévisions de croissance qui sont démenties par les faits, un chômage qui persiste. Quand ils sont directement visibles, l’opinion publique est très sensible aux gaspillages des deniers publics. Les Italiens nomment ainsi cathédrales dans le désert les infrastructures surdimensionnées ou inefficaces réalisées dans le Mezzogiorno, et qui rouillent avec le temps sans avoir réellement servi. Au Brésil, de même, on dénonce les éléphants blancs, c’est-à-dire les constructions faites dans un souci de prestige plus que de rentabilité économique ou d’utilité sociale. Devant les déceptions, il est toutefois utile de se demander quel serait l’état du territoire aidé s’il n’avait pas reçu l’aide, ce qui ne dispense pas d’un examen critique de ce qui n’a pas tenu ses promesses. Ces erreurs se paient cher. Non seulement l’argent gaspillé aurait pu être utilisé à meilleur escient, mais la maintenance d’un équipement inadapté peut se révéler ruineuse, compromettant d’autres travaux qui, eux, seraient utiles. L’Espagne est une malheureuse illustration de tels gaspillages. La période de forte croissance a vu naître des constructions par milliers, restées vides quand la crise a mis ensuite à la rue beaucoup d’Espagnols qui avaient perdu leur emploi et incapables dès lors de rembourser leurs prêts immobiliers. La décentralisation aidant, les provinces avaient dans le même temps acquis une grande autonomie de décision, et beaucoup d’entre elles, affichant des ambitions démesurées, se sont dotées d’infrastructures dépassant leurs besoins effectifs. Un résultat parmi d’autres de cette mégalomanie : le nombre très excessif d’aéroports calibrés pour le trafic international et dont certains, plusieurs années après leur inauguration, attendent toujours leur premier avion !
Où intervenir ?
28Plus directement liée à l’objectif de justice, la question se pose de choisir où intervenir. La logique plaiderait apparemment pour donner la priorité aux territoires les plus défavorisés. Mais, précisément parce qu’ils sont défavorisés et que les populations en sont parties, ces territoires sont aussi parfois les moins peuplés. Faudrait-il alors, au nom de l’équité territoriale, s’occuper en priorité de zones où, en valeurs absolues, les personnes défavorisées sont moins nombreuses que dans certaines zones que, au vu des valeurs moyennes, on tient pour favorisées et qui, en valeur absolue, compte davantage de pauvres ? Certainement pas ! Là encore, l’idée de justice spatiale qui incorpore la donne du territoire dans l’idée de justice sociale ne doit pas, en étant mal comprise, donner la priorité aux lieux sur les hommes.
29Le choix des localisations doit viser l’efficacité systémique de l’organisation spatiale et non pas l’uniformité territoriale. Deux échelles géographiques, liées l’une à l’autre, sont ici à considérer, d’une part celle du territoire national pour identifier les régions qui méritent priorité dans l’intervention de l’Etat, d’autre part, à l’intérieur de ces régions, celle des lieux précis où implanter les équipements productifs. Sur ce dernier point, les choix de localisation dépendent des secteurs économiques visés car la concentration géographique sera nécessairement plus marquée pour les industries dites lourdes que pour les industries de transformation ; dans les deux cas, les retombées attendues pour la région dépendent de la capacité de l’environnement économique à fixer les effets multiplicateurs, cette capacité dépendant elle-même du profil productif et de la capacité d’absorption du marché solvable. Si des mesures d’accompagnement dans le domaine économique et social sont prises en même temps que sont réalisées les implantations industrielles, on peut espérer que se produise un processus de diffusion spatiale et que les effets d’entraînement profitent à la région, déclenchant un véritable développement au bénéfice de la population. En revanche, s’il n’y a pas de mesures d’accompagnement, on peut craindre que les effets multiplicateurs soient pour l’essentiel délocalisés et servent finalement surtout la région émettrice des investissements.
30Mais, auparavant, il faut choisir la ou les régions où intervenir, et pour cela bien distinguer ce qui concerne la production de richesse et ce qui concerne la consommation de richesse. Selon les études de la Datar18, les écarts de richesse entre les régions de la France métropolitaine se sont réduits au cours de la décennie 2000. Le revenu disponible brut (RDB), c’est-à-dire calculé après transferts et prélèvements, reste plus élevé en Ile-de-France qu’en province, mais sa valeur indiciaire de 120 en 2008 (France = indice 100) a baissé par rapport à son niveau de 2001. Il en est de même, pour des variations il est vrai minimes, de Rhône-Alpes et de l’Alsace, les deux régions qui, en 2001, étaient elles aussi au-dessus de l’indice national. Si trois régions ont vu leur indice baisser dans la période (Provence – Alpes – Côte d’Azur, Franche-Comté et Haute-Normandie) et si quatre sont restées à un niveau inchangé (Centre, Bretagne, Lorraine et Picardie), les douze autres ont amélioré leur score et se sont rapprochées de la moyenne, celles qui en étaient le plus loin ayant connu la hausse la plus marquée (Corse et Nord – Pas-de-Calais)19. La conclusion est claire : les niveaux de revenus moyens régionaux sont de plus en plus proches. Qu’une telle tendance se produise dans une conjoncture de crise économique sévère montre l’efficacité des mécanismes redistributeurs. Elle va dans le sens de Laurent Davezies qui voit dans l’intervention des pouvoirs publics un puissant amortisseur de crise20, ce qui ne manque pas d’inquiéter pour la suite puisque, nous dit le même auteur, l’épuisement des finances publiques va réduire la capacité d’agir de l’Etat et annonce, l’amortisseur ne jouant plus son rôle, une aggravation des difficultés. Ces données conduisent à discuter l’échelle à laquelle serait valide l’opinion de Philippe Subra pour qui « l’inégalité croissante des revenus entre classes sociales a son pendant géographique : l’inégalité des territoires21 ». La fracture territoriale paraît, en fait, plus accusée à l’échelle des agglomérations urbaines qu’à l’échelle des régions, au moins pour ce qui concerne les niveaux de revenus.
31Cette convergence des niveaux moyens de revenus observée entre les régions françaises dans les années 2000 est allé de pair avec une inégalité de plus en plus marquée de leur part dans le PIB. L’Ile-de-France surtout et, loin derrière elle, les régions Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur y jouent un rôle croissant parce qu’elles concentrent les activités de forte valeur ajoutée. L’Ile-de-France est la région où les activités assurent la part la plus élevée du revenu disponible, plus de 90 % contre moins de 75 % dans le Limousin, et c’est la seule où les prélèvements sur la richesse produite dépassent les prestations versées aux habitants. En France, l’image d’une capitale se nourrissant de l’exploitation de la province était devenue un classique depuis que Jean-François Gravier avait dénoncé Paris et le désert français. Cette représentation est devenue tout à fait erronée, à supposer qu’elle ait été exacte quand elle avait été formulée en 1947. Le centralisme a peut-être dépassé les limites du nécessaire, ce dont a pris acte la politique de décentralisation initiée en 1981, au point de devenir contre-productif en certains domaines. Mais, le fait est là : Paris et sa région produisent beaucoup de richesse, ne la consomment pas toute entière et permettent ainsi qu’une partie de cette richesse produite sur son sol soit redistribuée dans les régions moins productives. Bien loin d’asphyxier la province, Paris lui donne les moyens de vivre. La redistribution – retraites, prestations sociales et minima sociaux – va des territoires qui produisent la richesse vers les territoires où habitent beaucoup de prestataires et elle bénéficient à toutes les autres régions22. Laurent Davezies a proposé une analyse serrée de ces transferts finançant une « économie résidentielle23 ».
32Ces évolutions contraires, convergence des niveaux de revenus et divergence dans la production du PIB, montrent la complexité croissante des pratiques spatiales liées à la mobilité pour d’autres motifs que le travail : migrations de loisirs et changement de domicile à la retraite. Elles montrent aussi l’efficacité de l’action redistributrice de l’Etat. Ces évolutions et ces résultats mettent à dure épreuve l’idée d’équilibre du territoire qui avait un temps fait partie des thèmes de l’aménagement. On dénonçait alors volontiers les déséquilibres territoriaux comme autant d’injustices alors qu’ils prouvent que la justice spatiale n’est pas à attendre d’une uniformité du territoire, mais de sa différenciation et des usages multiples qu’il autorise. Demeure pourtant cette question qui vaut pour Paris à l’égard de la province comme de tout centre à l’égard de sa périphérie24 : aider la périphérie, est-ce seulement redistribuer de la richesse produite dans le centre, ou est-ce aussi aider à la production de richesse dans la périphérie ? Assistance ou d’effet d’entraînement ? La politique suivie en France et dans d’autres pays avait visé l’investissement productif dans les périphéries. Mais, à voir les évolutions de la distribution du PIB, la tendance à la concentration paraît reprendre. Le processus de métropolisation en est l’expression géographique. Or, la mondialisation de l’économie oblige les Etats à confirmer et non à combattre cette tendance. En France, Paris n’est plus en compétition avec Lyon, Marseille, Toulouse ou Strasbourg, comme on pouvait naguère se représenter la chose en ayant l’hexagone comme territoire de référence, mais avec Londres, New York, Tokyo et quelques autres métropoles. Rééquilibrer le territoire français comporterait dès lors le risque d’affaiblir Paris face aux villes mondiales, ce qui reviendrait à terme à affaiblir l’ensemble du territoire français. Chaque pays doit aujourd’hui se penser comme un élément d’un système mondial et ajuster en conséquence l’intervention souhaitable à l’intérieur de ses frontières. Reviennent alors évidemment deux interrogations déjà posées, bien dérangeantes. La première se rapporte aux moyens d’action que conservent les Etats dans leurs politiques territoriales, compte tenu d’une mondialisation largement pilotée par des intérêts privés. La seconde concerne les échelles géographiques, compte tenu des contradictions possibles entre la recherche de la justice dans le cadre national et la nécessaire justice dans le monde… Problème auquel John Rawls lui-même n’a pas donné une réponse très convaincante.
Ne pas tomber dans l’illusion du spatialisme
33Ce qui précède invite à la prudence sur le rôle à donner au territoire dans la recherche de la justice. On lui attribue parfois une place exagérée, aussi bien dans l’examen des faits sociaux que dans la formulation d’une politique. Ainsi, paraît très discutable l’opinion de Philippe Subra sur le fait que se produirait un « glissement progressif de la conflictualité […] du champ du social vers celui du territorial, ce qui se traduirait par de moins en moins de grèves, de plus en plus de conflits dont l’objet est le territoire25 ». Il est vrai que l’implication des citoyens dans les questions de l’aménagement, pour le meilleur (que ce champ de l’action publique ne soit pas confisqué par les technocrates va dans le sens de la démocratie) et pour le pire (les comportements nimby qui traduisent l’égoïsme territorial) est plus forte que naguère. Mais, les conflits sociaux classiques, du type conflits du travail, ont-ils baissé pour autant ? Rien n’est moins sûr. Si le nombre de grèves a globalement diminué parce que, dans le contexte de la crise, la peur de perdre son emploi pousse à la prudence, les grèves violentes se font moins rares tant dans les branches réellement en difficulté que dans les usines victimes des restructurations opérées par les groupes dont elles font partie. Ces conflits, en fait, paraissent plus territorialisés que territoriaux. Ils donnent, c’est vrai, une lisibilité plus grande au sort des régions dites sinistrées comme la Lorraine. Mais ils consistent d’abord en des revendications faites aux entreprises, et leur dimension géographique résulte précisément de la géographie des groupes industriels concernés. Chaque travailleur des firmes multinationales est aujourd’hui inséré à son insu dans un réseau où son sort se joue avec ou contre le sort d’autres travailleurs à des milliers de kilomètres. Agir dans son usine, c’est donc nécessairement agir dans sa région et aussi dans l’espace réticulaire de la firme. Pour autant, l’objet du conflit est-il alors le territoire ? Non, c’est l’emploi, dans une complexité territoriale qui conditionne l’emploi.
34De la même façon et s’agissant de l’aménagement, il ne faut pas tomber dans l’erreur du spatialisme, c’est-à-dire dans l’idée que le changement de l’espace suffirait à changer l’organisation sociale, ou du moins y contribuerait d’une façon déterminante. C’est l’erreur que certains utopistes du xixe siècle avaient commise, ce qui leur avait valu d’être moqués bien injustement par Engels car, finalement, s’autoproclamer avec Karl Marx détenteur d’un socialisme prétendument scientifique s’est avéré infiniment plus dangereux que les amusantes extravagances de Charles Fourier ! Il demeure vrai toutefois que penser un changement du territoire qui pourrait à lui seul entraîner un changement de la société est erroné. L’expérience de Brasilia26 l’a montré, de l’aveu même de ses concepteurs, l’urbaniste Lucio Costa et l’architecte Oscar Niemeyer. Ils voulaient faire de la nouvelle capitale du Brésil un lieu de communion sociale que tous les Brésiliens pourraient faire leur, quelle que soit leur condition. Oscar Niemeyer qui se présentait lui-même comme un ennemi du capitalisme et de l’angle droit a reconnu plus tard que ce fut une illusion : de fait, si la courbe a remplacé l’angle droit dans beaucoup de bâtiments laissés par lui à Brasilia, force est de constater que le capitalisme n’a en rien souffert de ses innovations architecturales et que la réalité a rattrapé l’utopie dans cette ville où, comme dans les autres, la ségrégation traduit l’inégalité des revenus.
35En matière de justice, l’action de l’Etat porte d’abord sur le social, restant entendu que les redistributions qu’il opère ont des effets spatiaux importants. Il joue un rôle redistributeur entre les territoires davantage par sa politique sociale que par son action explicitement territoriale. Il faut raisonner ici de nouveau en valeurs absolues et en valeurs relatives. Si en valeur absolue, elle compte peu de pauvres, telle région pauvre recevra peu au nom de la politique sociale, en tous les cas moins que telle autre, réputée riche mais comptant beaucoup de pauvres. Toutefois, rapportée à la production de richesse de l’endroit, le PIB local ou régional, les sommes reçues par la région pauvre représenteront beaucoup et auront un impact fort. C’est ainsi que vivent beaucoup de campagnes françaises, où les transferts sociaux maintiennent des populations âgées et/ou déshéritées dans des conditions de vie décentes alors que l’activité productive est des plus limitées. Au Brésil, la généralisation de la retraite agricole, versée aux bénéficiaires même en l’absence de cotisations préalables, puis la Bourse Famille27 ont eu un effet puissant dans le Nordeste, effet social en faisant vivre des millions de familles, effet économique en créant une demande solvable dont bénéficie toute la région.
36En un mot, l’Etat opère des transferts sociaux qui sont aussi des transferts géographiques. Mais, s’il ne faut pas attendre du changement spatial un effet décisif, croire que le spatial n’agirait en rien sur le social serait une autre illusion. Déterminant, certes non, mais facilitateur de certaines pratiques sociales, sans doute oui. Cela mérite d’être redit, le seul registre qui ait un sens pour la géographie est le socio-spatial, interférence du social et du spatial, ou pour mieux dire causalité du social sur le spatial et rétroaction du spatial sur le social.
37S’il fallait le montrer a contrario, l’Afrique du Sud en fournirait l’illustration. L’organisation du territoire y avait été conçue sous l’apartheid pour produire l’injustice28. Aussi, rompre avec le racisme d’Etat a impliqué de modifier radicalement le maillage politico-administratif du pays. La suppression des bantoustans a été le fait majeur d’une politique d’intégration menée de pair avec une plus grande équité territoriale : n’étant plus calés sur des limites séparant des groupes humains catalogués et hiérarchisés, les budgets allaient pouvoir distribuer la dépense publique d’une façon plus juste entre les résidents, et, de fait, les travaux réalisés dans les infrastructures ont amélioré l’accès de tous à la distribution de l’eau et de l’électricité. Mais un pays ne sort pas indemne d’une histoire telle que celle de l’Afrique du Sud. Si le pays a évité la guerre civile, l’abolition de l’apartheid n’a pas supprimé les profondes inégalités sociales ni cicatrisé toutes les blessures. Il y a le problème foncier, c’est-à-dire l’accaparement par une minorité de fermiers blancs des terres dont les Noirs avaient été spoliés. Il y a, malgré l’émergence d’une bourgeoisie noire, la pauvreté massive des gens de couleur. Il y a la persistance de l’injustice inscrite dans la répartition des hommes et l’usage inégal qu’ils peuvent faire des lieux. Les infrastructures physiques survivent aux régimes politiques, et la loi a beau établir l’égalité juridique de tous, ce qui est un préalable indispensable, les townships gardent leur fonction de maintenir les pauvres à distance des beaux quartiers. L’Afrique du Sud montre la nécessité d’agir sur les lieux pour produire la justice sociale, mais aussi comment le progrès est freiné par les héritages géographiques de l’ancien ordre des choses. Philippe Gervais-Lambony l’exprime d’une façon très claire en disant que « l’inertie de la forme spatiale est un blocage au changement29 ». Un jeu dialectique s’opère en fait entre les dispositions juridiques touchant les personnes, les mesures sociales touchant les conditions de vie et les mesures politiques touchant l’administration des territoires.
Aménager pour qui ?
38L’aménagement du territoire constitue pour les mafias une opportunité comme une autre : si l’argent de l’Etat vient en abondance, pourquoi hésiter à se servir quand on contrôle les circuits financiers, qu’on noyaute les commissions d’attribution des marchés, qu’on possède les entreprises de travaux publics, qu’on sait corrompre, qu’on n’hésite pas à menacer, voire pire quand c’est nécessaire ! Mais, ces faits nous intéressent moins ici que les processus plus subtils – certains relèvent eux aussi du code pénal – par lesquels des intérêts privés orientent à leur profit les politiques publiques, en déforment le sens et en détournent les budgets.
39Le Nordeste du Brésil offre en la matière un cas d’école30. Il connaît aujourd’hui un réel progrès économique et social, mais l’histoire passée de cette région31 où Josué de Castro voyait naguère une zone explosive32 mérite examen. On y voit l’enjeu du territoire dans la confrontation des classes sociales, le facteur des accidents naturels comme révélateurs des conflits sociaux latents et comme déclencheurs des crises, l’articulation des échelles géographiques régionale et nationale dans les alliances d’intérêts que fait naître une politique d’aménagement.
40La région nordestine connaît en fait une crise structurelle depuis plusieurs siècles. Terre des premières plantations profondément marquée par l’esclavage, le littoral reste aujourd’hui la zone de la canne à sucre. Mais, c’est dans le sertão semi-aride, cet autre Nordeste, celui de la caatinga33 et de l’élevage extensif que l’Etat est d’abord intervenu dans une opération d’aménagement du territoire avant la lettre. C’est par abus de langage que cet intérieur est qualifié de semi-aride car les précipitations n’y sont pas si médiocres que le qualificatif pourrait le faire croire. Mais, le gros handicap naturel réside dans les sécheresses qui, pour des raisons encore aujourd’hui mal connues, surviennent de façon récurrente. Tous les ans, il se trouve des villages en manque d’eau et qui doivent être secourus. Plus sérieuses sont, tous les quatre ou cinq ans, des pénuries plus marquées et plus étendues. Mais, les sécheresses très graves ont lieu à un rythme à peu près décennal, et une ou deux fois par siècle se produit une sécheresse catastrophique.
41Comment caractériser une seca dans le Nordeste intérieur. Du point de vue météorologique, c’est évidemment une insuffisance de précipitations, mais aussi une saison des pluies (elle commence habituellement en décembre) particulièrement courte, et plus grave encore un dérèglement du régime pluviométrique. Les pluies ne sont pas totalement absentes pendant la sécheresse, mais le peu d’eau qui tombe du ciel le fait d’une façon aléatoire et imprévisible qui n’est plus en cohérence avec le calendrier agricole. Du point de vue humain, c’est donc un désastre : perte des récoltes, amaigrissement et surmortalité du bétail, disette voire famine, survenue des maladies et des épidémies, surmortalité des hommes… schéma classique de crise de l’ancien régime démographique provoquée par la sous-production agricole. Les chemins du sertão sont alors parcourus de sinistrés, les flagelados, qui quittent leur région pour tenter leur chance dans les villes de la côte, Recife, Salvador et plus encore Fortaleza, car le Ceara, l’Etat dont cette ville est la capitale, est le plus exposé à l’accident climatique. C’est à la fin du xixe siècle que l’Etat fédéral a commencé son action en faveur de ce territoire, suite à la très grave sécheresse des années 1877-79. L’Etat a voulu soulager la misère, mais aussi garantir l’ordre public face à des troubles de plus en plus préoccupants. Que faire ? Une aide d’urgence, bien sûr, mais aussi une action structurelle pour donner à la région les moyens de résister mieux aux accidents climatiques. L’insuffisance et l’irrégularité des pluies étant les causes de la crise, l’Etat a engagé des travaux hydrauliques, fit creuser des puits et construire des barrages-réservoirs. Pour cela, les pouvoirs publics ont créé un organisme public – le Département national des travaux contre les sécheresses – ont tracé un polygone des sécheresses délimitant le territoire éligible aux aides, et ont installé lors des accidents climatiques des fronts de travail employant les sinistrés et leur fournissant temporairement de quoi subsister. Apparemment, le dispositif présente bien des mérites. Non seulement, ne pas se limiter à l’assistance humanitaire et construire des infrastructures destinées à durer devait permettre de se prémunir contre les dangers à venir, mais encore occuper sur les chantiers les personnes victimes de la crise, c’est expérimenter l’investissement-travail et éviter que les migrations de misère n’aillent grossir les favelas des agglomérations du littoral.
42Or, les résultats de cette politique ont été désastreux. On aurait pu croire qu’elle donnerait de quoi résister aux sécheresses ultérieures. Il n’en fut rien. A chaque fois que s’est reproduit l’accident climatique, le même scénario de crise sociale s’est répété, et à chaque fois fut réactivée la politique des fronts de travail. Alors que le Brésil était engagé dans la dynamique dite développementiste voulue par le président Juscelino Kubitschek, la grave sécheresse de 1958 conduisit à poser la vraie question : pourquoi une action d’aménagement très coûteuse pour l’Etat et qui, depuis trois quarts de siècle, portait sur la question de l’eau dans une région souffrant de sécheresses n’a-t-elle pas donné de bons résultats ?
43La réponse la plus argumentée à cette question vint de Celso Furtado dans le diagnostic qu’il fit de l’économie nordestine34. Elle tient à ce que l’intervention de l’Etat central avait été confisquée par l’oligarchie foncière détentrice des pouvoirs locaux. Au lieu de plaquer une réponse technique à une crise économique et sociale, il aurait fallu une réponse politique capable de faire que les travaux hydrauliques améliorent les conditions de vie des plus pauvres. Dans une société qui vit principalement de la terre, l’analyse correcte devait partir de la structure agraire qui oppose les latifondios et les minifondios. Inégalité considérable dans les surfaces qui assurent aux uns l’aisance matérielle et maintiennent les autres dans la pauvreté, sans parler des paysans sans terre, mais aussi productions différentes qui protègent les premiers des accidents climatiques alors qu’elles fragilisent les seconds. Les latifondistes pratiquent en effet l’élevage bovin. Le milieu naturel s’y prête, mais sous forme extensive car la médiocre couverture végétale ne permet qu’une charge animale réduite. Les minifondistes, eux, n’ont par définition que très peu de terres. Impossible pour eux de faire de l’élevage, si on excepte quelques chèvres ou quelques poules : outre la production d’un peu de coton destiné à la vente, ils font une polyculture vivrière dans le cadre d’une économie paysanne tournée vers la reproduction de la cellule familiale et non vers l’accumulation. Ils n’ont pas de réserves suffisantes pour tenir bon quand arrive la sécheresse, d’autant plus que celle-ci n’exclut pas la survenue inopinée de quelques pluies. Ces dernières incitent à tenter à chaque fois des semis, le plus souvent sans résultat car les pluies sont trop éphémères. Paradoxalement, le fait que les sécheresses comportent de courtes séquences de pluies ajoute donc à la vulnérabilité des petits paysans car, avec un calendrier agricole complètement perturbé, ils perdent non seulement leurs récoltes, mais encore plusieurs fois les semences. C’est l’inverse pour le latifondiste qui fait de la production animale. Avec la sécheresse, les bêtes maigrissent, mais, sauf dans le cas des très graves pénuries, elles ne meurent pas en masse et les quelques pluies intermittentes qui, pour un temps, font reverdir la caatinga leur permettent de tenir le coup. Les troupeaux traversent ainsi les périodes de sécheresse sans dommage irréversible. Ils se reconstituent ensuite.
44La concentration foncière et les spécialisations agricoles qui en découlent sont donc fondamentales pour comprendre les injustices du sertão nordestin et lire les relations homme/nature à travers le filtre de la structure sociale et de l’inégal accès des groupes sociaux aux ressources. Ce qui importe ici, ce sont les relations de pouvoir entre les partenaires sociaux. Parce qu’il a la terre, le latifondiste a aussi ses gens sur lesquels il exerce une autorité patenaliste et dont il peut contrôler les votes35. L’oligarchie foncière détenait ainsi les pouvoirs locaux et disposait d’une influence auprès du pouvoir fédéral. Elle a pu faire fonctionner à son profit le système d’aide mis en place par ce dernier. En contravention avec la loi qui prévoyait l’expropriation préalable des terrains d’assiette des barrages-réservoirs et l’usage de l’eau retenue pour l’irrigation, les grands propriétaires ont fait réaliser nombre de travaux sur leurs propres domaines. Pire, une fois les travaux achevés, ils interdisaient l’usage de l’eau aux petits paysans qui en auraient eu besoin pour irriguer leurs cultures, et conservaient l’eau stockée pour abreuver leurs bêtes36.
45Le résultat de ces opérations tient en quelques mots. Qui paie : l’Etat. Qui travaille : les pauvres. Qui gagne : les riches.
46Il y a eu clairement instrumentalisation du territoire : une classe sociale privilégiée a servi ses propres intérêts en les dissimulant derrière des intérêts régionaux. De cela, sans formuler la chose dans les termes des sciences sociales, le bon sens populaire avait conscience quand il parlait de l’industrie de la sécheresse pour dénoncer le profit que les grands propriétaires tiraient de l’événement. On mesure à travers cet exemple le danger contenu dans une discrimination positive à base territoriale sans prise en compte de la structure sociale et des relations de pouvoir existant dans le périmètre d’intervention.
47Il revint à l’économiste Celso Furtado de proposer un programme d’action, ce qui fut fait et institutionnalisé en 1960 avec la création de la Surintendance du Développement du Nordeste (SUDENE). Quatre orientations majeures furent retenues : 1) diversifier la production agricole de la zone littorale dont la monoculture de la canne empêchait la production vivrière, ce qui mettait les produits alimentaires, dans la région où le pouvoir d’achat des classes populaires était le plus bas, à des prix supérieurs à ceux observés dans le Brésil du Sudeste ; 2) revoir complètement la politique hydraulique menée dans l’intérieur pour donner la priorité à l’irrigation ; 3) ouvrir des fronts pionniers sur les marges Ouest (la Préamazonie) et Sud (le littoral sud de Bahia) de la région Nordeste pour y installer des petits paysans sans terre ; et 4) industrialiser, de façon à transformer en profondeur la structure économique régionale.
48Ces lignes d’action ne laissaient pas dans l’ombre les changements sociaux impératifs qui devaient aller de pair avec les aides étatiques et permettre à ces dernières de déclencher un développement au sens plein du mot. C’était d’abord la réforme agraire. Comment, en effet, réorienter la politique de l’eau sans modifier aussi en profondeur la propriété du sol et repenser les productions ? De même, dans la zone littorale, en finir avec la monoculture de la canne pour faire place à des produits alimentaires correspondant aux besoins de la population impliquait de remettre en cause les grandes propriétés et donc de bousculer les intérêts traditionnels, grandes familles et grandes compagnies. Quant à la politique d’industrialisation conduite à coup d’incitations fiscales, en attendre des effets d’entraînement capables de se diffuser dans la région et d’en transformer la structure économique n’était crédible que si une redistribution des revenus faisait apparaître sur le marché de nouveaux consommateurs, combinant une politique de la demande avec une politique de l’offre.
49L’aménagement du territoire pour plus de justice impliquait donc le changement économique, lequel impliquait le changement social, lequel impliquait un changement politique. L’expérience lancée en 1960 fut trop courte pour être jugée sur des résultats tangibles. Elle avorta avec le Coup d’Etat de 1964, quand les militaires s’installèrent à Brasilia pour vingt ans et donnèrent à l’aménagement une toute autre orientation. Sous couvert d’un attachement confirmé à la question nordestine, le nouveau pouvoir donna un nouveau contenu à l’aide apportée par l’Etat. Il maintint ou augmenta les avantages fiscaux accordés aux entreprises pour leurs investissements, mais il bloqua les perspectives de changement social. Ce fut alors une nouvelle instrumentalisation du territoire, moins par l’oligarchie locale que par les grandes firmes paulistes et étrangères, ou alors par une coalition des deux groupes, celui du lieu s’associant à celui qui venait d’ailleurs : au nom de la modernisation du Nordeste, on profitait des incitations fiscales pour des investissements réalisés dans la région, mais n’apportant guère à la population régionale. Ils créaient peu de postes de travail parce que les conditions de financement très avantageuses pour les équipements donnaient la priorité à la productivité sur le nombre d’emplois. Ils ne trouvaient pas sur place un milieu porteur pour diffuser la croissance et en faire un instrument de développement. S’ils engendraient des flux inter-entreprises, c’était surtout avec la région de São Paulo. En un mot, la politique d’aménagement consista à rendre la périphérie nordestine plus rentable pour les firmes du centre pauliste.
50Le Nordeste s’est effectivement transformé durant les deux décennies du régime militaire, mais le terme qui convient le mieux pour caractériser son changement est celui déjà utilisé à propos des transformations des structures agraires en Amérique latine37 : modernisation conservatrice. Il y a eu modernisation, mais cette modernisation a été conservatrice dans le sens qu’elle ne s’est pas opérée au bénéfice des plus pauvres. Elle a été le contraire du maximin, et sa mise en œuvre a été facilitée par le discours officiel qui a utilisé le territoire et son aménagement pour tromper sur le véritable projet du pouvoir de l’époque.
51Le cas ici mentionné l’a été pour sa forte valeur démonstrative. Il a valeur d’exemple. Sans que cela passe par des manipulations aussi grossières, la rhétorique régionaliste recouvre parfois (souvent ?) des objectifs qui ont peu à voir avec l’amélioration réelle du sort des populations dont elle prétend s’occuper, mais qui utilisent ces populations pour servir d’autres intérêts. On dit défendre un territoire, comme si ce dernier ne comportait pas en son sein des groupes sociaux aux intérêts contradictoires38. Il peut, c’est vrai, exister des revendications où convergent les aspirations. Ce n’est pas toujours vrai et l’apparent consensus peut devenir un leurre dont s’emparent ceux qui, dans la région, ont les moyens de s’exprimer : les dominants engagent alors les dominés dans un combat qui n’est pas le leur. La prudence est donc de mise, le risque étant qu’au nom d’une justice spatiale, on commette en réalité une injustice sociale.
Conclusion
52L’aménagement du territoire est donc bien une politique au sens plein du mot. A ce titre, il doit éviter toute dérive technocratique qui ferait de l’intervention sur l’espace une affaire de spécialistes et priverait les citoyens des choix essentiels. Ces choix, préalables aux décisions économiques et aux mesures techniques, relèvent d’un choix plus fondamental : veut-on ou non construire une société juste, et si tel est le cas, y a-t-il un consensus minimum – on retrouve l’idée rawlsienne de consensus par recoupement – sur le contenu de cette justice. Intervenir sur le territoire sans réfléchir en amont sur la finalité sociale à long terme de l’opération, c’est prendre le risque de consolider les intérêts en place plutôt que de faire progresser la justice, quel que soit le vocabulaire utilisé dans l’argumentaire pour faire admettre la chose par l’opinion publique. L’ordre à suivre, c’est avoir un projet de société, en faire découler un programme politique et déduire de ce dernier les mesures techniques qui mettent le territoire au service du projet initial, en donnant à l’espace tout son rôle, mais rien que son rôle.
Notes de bas de page
1 Damette Félix, La France en villes, Paris, La Documentation française, 1994, p. 271.
2 Du nom de Charles de Freycinet, ministre des Travaux Publics.
3 Ce point fait problème dans les discussions de l’accord de libre-échange entre l’Union Européenne et les Etats-Unis.
4 Morange Marianne et Fol Sylvie, « Ville, néolibéralisation et justice », in Justice Spatiale / Spatial Justice, n° 6, 2014.
5 C’est le sens de la déclaration du président François Hollande, alors candidat, disant qu’aucun Français ne doit se trouver à plus de trente minutes de soins d’urgence.
6 Merci à Boris Beaud et à Jean-Nicolas Fauchille de l’échange d’idées que j’ai eu avec eux sur ce problème.
7 MEN (Ministère de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche), Géographie de l’Ecole 2014 (rapport, édition électronique, les chiffres sont tirés du rapport 2014 et se rapportent à 2013).
8 Évaluation faite en 2013 lors des Journées Défense et Citoyenneté, qui chiffre par ailleurs à 4,1 % les jeunes qui rencontrent une difficulté particulièrement grave à cause d’un fort déficit de vocabulaire.
9 Les chiffres sont supérieurs dans les départements d’outre-mer.
10 Hormis le recrutement et le traitement des enseignants qui restent des fonctionnaires d’État, comme il a été dit dans le chapitre 5.
11 Créées en 1981 par le ministre Alain Savary, les zones d’éducation prioritaires ont été supprimées en 2006, remplacées par d’autres programmes censés viser les mêmes buts. On conserve ici, selon l’usage fréquent, le sigle ZEP pour désigner l’ensemble des dispositifs.
12 Rault Jean-François (dir) et Le Breton-Lerouvillois Gwénaëlle, Atlas de la démographie médicale en France, situation au 1er janvier 2014, Conseil National de l’Ordre des Médecins (atlas électronique).
13 L’article 84 de la loi du 4 mars 2002 définit ainsi les réseaux de santé : « les réseaux de santé ont pour objet de favoriser l’accès aux soins, la coordination, la continuité ou l’interdisciplinarité des prises en charge sanitaires, notamment de celles qui sont spécifiques à certaines populations, pathologies ou activités sanitaires. Ils assurent une prise en charge adaptée aux besoins de la personne tant sur le plan de l’éducation pour la santé, de la prévention, du diagnostic que des soins. Ils peuvent participer à des actions de santé publique. Ils procèdent à des actions d’évaluation afin de garantir la qualité de leurs services et prestations. Ils sont constitués entre les professionnels de santé libéraux, les médecins du travail, des établissements de santé, des centres de santé, des institutions sociales ou médico-sociales et des organisations à vocation sanitaire ou sociale, ainsi qu’avec des représentants des usagers. »
14 La Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR) a été créée en 1963. De 2005 à 2009, elle a été appelée Délégation Interministérielle à l’Aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT), puis en 2009 Délégation Interministérielle à l’Aménagement et à l’Attractivité Régionale (DATAR). En 2014, elle a été remplacée par un Commissariat Général à l’Égalité des Territoires (CGET).
15 La Cassa per il Mezzogiorno a fonctionné jusqu’en 1984, date de sa suppression. En 1986, une autre agence, l’Agencia per la promozione e lo sviluppo del Mezzogiorno, a été créée avec les mêmes fonctions. Cette agence a été à son tour supprimée en 1992. C’est depuis cette date le Ministère de l’Économie et des Finances qui s’occupe directement de l’action publique dans les territoires en difficulté.
16 Les raisons de ce contraste Nord/Sud et du déclin du Mezzogiorno ont été dites plus haut (chapitre 4). Sur l’Italie, voir Riviere Dominique, L’Italie. Des régions à l’Europe, Paris, Armand Colin, 2004.
17 Boulineau Emmanuelle et Bonerandi-Richard Emmanuelle, La Pauvreté en Europe, Une approche géographique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 35.
18 Datar, « Dynamiques, Interdépendance et cohésion des territoires », Rapport de l’Observatoire des territoires 2011, p. 13.
19 La comparaison porte sur l’évolution de l’écart à la moyenne du début de période (2001) en fin de période (2008). Elle informe donc sur l’évolution des inégalités régionales, c’est-à-dire sur l’enrichissement relatif ou la paupérisation relative d’une région par rapport aux autres, mais elle ne dit rien sur la variation absolue du niveau de richesse. Elle se limite ici aux régions de la France métropolitaine.
20 Davezies Laurent, La Crise qui vient (voir bibliographie).
21 Subra Philippe, Géopolitique de l’aménagement du territoire (voir bibliographie), p. 8.
22 Datar, « Dynamiques, Interdépendance et cohésion des territoires », op. cit., tableau 3, p. 63.
23 Davezies Laurent, La République et ses territoires, la circulation invisible des richesses, Paris, Éditions du Seuil, « La République des Idées », 2008.
24 Voir le chapitre 2.
25 Subra Philippe, Géopolitique de l’aménagement du territoire, op. cit., p. 41.
26 Brasilia a été inauguré en 1960, mais les travaux ont continué bien après cette date.
27 La Bolsa Familia est un système d’allocations familiales versées sous condition de ressources à plus de 12 millions de familles au Brésil et qui a été très efficace pour faire reculer la pauvreté.
28 Voir le chapitre 5.
29 Gervais-Lambony Philippe, Afrique du Sud entre héritages et émergence, Paris, La Documentation française, « Documentation photographique », n° 8088, juillet-août 2012.
30 Bret Bernard, Justice et Territoire. Essai d’interprétation du Nordeste du Brésil, Thèse d’Etat soutenue le 25 novembre 2000, Géographie, Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne, 2000, 2 tomes, p. 683 (dactyl).
31 Cette histoire a fait l’objet plus haut de plusieurs mentions.
32 De Castro Josué, Une zone explosive. Le Nordeste du Brésil, Paris, Éditions du Seuil, 1965, p. 257.
33 La caatinga est une brousse à épineux.
34 GTDN (Conselho do Desenvolvimento, Grupo de Trabalho para o Desenvolvimento do Nordeste), Uma politica de Desenvolvimento Econômico para o Nordeste, 1e éd. Rio de Janeiro, Departamento de Imprensa Nacional, 2e éd. Recife, Sudene, 1967, p. 92.
35 Ce clientélisme a été appelé coronelisme du nom, coronel, donné par déférence aux grands propriétaires en souvenir du grade qu’ils tenaient autrefois dans la garde nationale. Une analyse devenue classique du phénomène est due à Leal Victor Nunes, Coronelismo, enxada e voto (o municipio e o regime representativo no Brasil), São Paulo, Alfa-Omega, 4° éd. 1978 (1°éd. 1949), p. 276.
36 Sur le sujet, voir Callado Antônio, Os industriais da seca e os « galileus » de Pernambuco (aspectos da luta pela reforma agraria no Brasil), Rio de Janeiro, Civilizaçao brasileira, 1960, p. 171.
37 Voir le chapitre 3.
38 Le mouvement des bonnets rouges survenu en Bretagne en 2013 est significatif d’une telle confusion. Suffit-il de se mettre sans vergogne le bonnet phrygien sur la tête pour faire croire que les patrons, les ouvriers, les artisans et les agriculteurs ont les mêmes intérêts au motif qu’ils sont tous Bretons ?
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