L’association nationale des anciennes déportées et internées de la résistance (ADIR)
p. 183-185
Texte intégral
1Alors que s’éloigne inéluctablement notre douloureux passé, nous sommes encore quelques compagnes à pouvoir rappeler ce que fut l’Association nationale des anciennes Déportées et Internées de la Résistance et je suis particulièrement sensible à l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui d’évoquer l’action, ou plutôt les actions, dans lesquelles les membres de cette association s’étaient engagées.
2En septembre 1944, le territoire de la France n’étant pas entièrement libéré, une Amicale des Prisonnières de la Résistance s’est mise en place sous l’impulsion de l’une d’entre elles, Irène Delmas, qui avait lancé un appel à la radio à celles qui, dispersées dans toute la France, retrouvaient la liberté. Le 14 octobre, 360 d’entre elles se sont réunies dans les locaux parisiens du 6, rue Guynemer. Ces locaux, Irène Delmas les avait obtenus après de multiples démarches et en surmontant bien des difficultés. Mais ainsi se réalisait le vœu d’entretenir les liens extraordinaires que nous avions tissés dans les prisons, seules nos voix portant alors cette promesse de cellules en cellules. Très vite, rue Guynemer, des compagnes pleines d’ardeur et de générosité ont transformé un foyer de l’amitié en un remarquable centre d’accueil pour celles dont elles espéraient intensément le retour de déportation. Une équipe très efficace a mis en place un centre social préparant l’hébergement de plus de 150 personnes et un service médical nécessaire à des survivantes dont l’état de santé serait certainement précaire. Dès le début, une cantine fut ouverte et des couturières bénévoles se sont activées à préparer un vestiaire. Des sections reliées à Paris se sont constituées à Lyon, Marseille, Nice, Clermont-Ferrand et dans bien d’autres lieux.
3Au début de 1945, Irène Delmas, qui deviendra pour nous toutes Maryka, s’est rendue en Suisse afin de recueillir des fonds pour soutenir l’association. Elle y a fait une rencontre exceptionnelle avec Geneviève de Gaulle qui, libérée du camp de Ravensbrück en février 1945 dans le cadre de tentatives de négociations entre Himmler, les Alliés et la Croix-Rouge1, organisait des conférences pour informer le public suisse des tragiques réalités du monde concentrationnaire et de l’état de délabrement physique des compagnes qu’elle avait quittées dans le camp. Miraculeusement réunies, nos amies ont reçu un accueil attentif et favorable de la part de nombreux organismes promettant de prodiguer les soins nécessaires aux déportées survivantes. Au printemps 1945, survint enfin l’ouverture des camps et le retour des compagnes attendues depuis de longs mois dans l’angoisse. Ainsi, rue Guynemer, un accompagnement chaleureux a permis à beaucoup d’entre nous de retrouver un peu de vie et de supporter l’annonce de deuils familiaux dus à l’Occupation.
4C’est alors que l’Amicale des Prisonnières s’est transformée en Association nationale des anciennes Déportées et Internées de la Résistance ou ADIR2. Elle a tenu sa première assemblée générale le 4 novembre 1945. En juin 1946, paraissait le premier numéro de notre journal Voix et Visages3. Les numéros suivants ont réservé une place importante aux « In memoriam » rendant ainsi hommage à nos camarades résistantes mortes en Allemagne. Ceci était primordial pour nous toutes. Puis, au cours des années qui se sont écoulées, le souvenir des unes et des autres a aussi été perpétué lors de leur disparition. Petit par son format, extrêmement intéressant par son contenu et par son rôle essentiel de mémoire, Voix et Visages a toujours suscité un vif intérêt auprès de nos adhérentes dont il était le lien indispensable, mais aussi auprès de fidèles amis. Toute la vie de l’ADIR était relatée dans ses pages, tout ce qui nous tenait particulièrement à cœur, comme : l’important travail concernant la reconnaissance et les droits à réparation des victimes d’expériences pseudo-médicales, dont Anise Postel-Vinay nous tenait au courant ; les rapports de Geneviève de Gaulle Anthonioz sur les procès des criminels nazis ; les recherches rigoureuses effectuées par Germaine Tillion pour réaliser ses trois livres sur Ravensbrück ; une étude importante de la déportation dans les prisons et forteresses allemandes (Anrath en est un exemple) dans lesquelles de nombreuses camarades avaient été emprisonnées, souvent dès les premiers temps de l’Occupation et qui, elles aussi, étaient entrées dans l’univers « de la Nuit et du Brouillard » ; des recherches sur les nombreux Kommandos, ces petites structures qui couvraient l’Allemagne, dans lesquelles les déportées s’épuisaient dans des travaux souvent démentiels et d’où beaucoup subirent l’ultime torture des « Marches de la Mort » ; la défense pour l’obtention du titre de déportée auquel l’ADIR a contribué ; et bien d’autres informations essentielles touchant à l’univers concentrationnaire, sur l’existence des chambres à gaz, celle de Ravensbrück en particulier.
5La collection de Voix et Visages représente une partie de nos archives qui comportent de multiples documents et objets divers. Bien des écrits ont permis la transmission de la Mémoire, et plusieurs d’entre nous se sont engagées pleinement dans le Concours national de la Résistance et de la Déportation, intermédiaire primordial de nos témoignages.
6En portant chacune à notre manière le drapeau de l’ADIR, en sauvegardant cette union faite de sollicitude et d’une exceptionnelle amitié tout en maintenant l’esprit de résistance, nous avons poursuivi notre engagement de déportées et d’internées, fidèles au souvenir de nos disparues pour qu’elles ne soient jamais les oubliées de l’histoire. Nous ne nous sommes pas résignées, comme le craignait notre compagne Denyse Clairoin, qui s’interrogeait la veille de sa mort à Mauthausen en mars 1945 :
Et si nous revenons un jour,
Comme un troupeau de spectres hâves,
Affamées de joie et d’amour,
Serons-nous de tristes épaves
Qu’on enfouit dans un sable lourd…4
Notes de bas de page
1 de Gaulle Geneviève, La Traversée de la nuit, Paris, Éditions du Seuil, 1998.
2 L’ADIR est parfois nommée ANADIR.
3 La totalité du titre Voix et Visages a été numérisée par la BDIC à l’occasion du 70e anniversaire de l’ADIR et est disponible en ligne à l’adresse http://argonnaute.parisnanterre.fr/resource/a011446470693cPoMQe.
4 Clairoin Denyse, « L’Appel », in Anthologie des écrivains français morts à la guerre : 1939- 1945, Paris, Albin Michel, 1960, p. 146.
Auteur
Une ancienne résistante, membre de Défense de la France et du Réseau Mithridate. Déportée le 15 août 1944 de Paris à Ravensbrück, elle est ensuite affectée aux Kommandos de Torgau, Abteroda et Markleeberg. Très investie dans la création du Concours de la Résistance et dans l’ADIR, Jacqueline Fleury en sera la dernière présidente de 2002 à 2005. Elle a publié ses mémoires, Une famille du refus, mais toujours l’espérance, 1914-1918 et 1939-1945 (Versailles, Chez l’auteure, 2013).
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