1L’ADIR a réuni un important fonds d’archives, rassemblant les traces de son activité durant 60 ans, complété par des documents produits en déportation et des témoignages inédits. Les seuls fonds privés comparables sur la déportation sont ceux de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants Patriotes et de l’Association des anciens de Buchenwald. Sur la déportation des femmes, le fonds de l’ADIR est un ensemble majeur, qui complète les archives et témoignages conservés aux Archives nationales, le fonds Tillion au Musée de Besançon et les dossiers nominaux conservés au Bureau des Archives des victimes de conflits contemporains (BAVCC, Caen). Mais l’originalité du fonds de l’ADIR réside dans son fichier d’adhérentes, recensant plus de 2 600 résistantes (dont plus de 80 % déportées) soit une proportion significative des rescapées comme de l’ensemble des déportées. Cet ensemble unique de données nominatives, entretenues de 1945 à 2005, permet d’embrasser dans sa globalité la déportation des femmes, produit de l’évolution des politiques de répression des occupants nazis entre 1940 et 1944 ; il complète utilement Le Livre-Mémorial des déportés de France par mesure de répression, et dans certains cas par mesure de persécution1. L’analyse de ce fichier permet enfin de brosser un tableau des résistantes déportées (et au-delà, des déportées de répression), montrant leurs origines, leurs engagements, leur parcours en déportation. L’étude ci-dessous tente de dresser une typologie de ce groupe de femmes, et propose des pistes de recherche.

Au cœur de l’association, le fichier des adhérentes

2L’ADIR, selon le vœu de ses fondatrices, ne devait accueillir que des résistantes ayant été internées et/ou déportées. L’admission était appuyée par deux marraines déjà membres, attestant du parcours résistant (ou du soutien à la Résistance) à l’origine de l’arrestation de la candidate par les autorités de Vichy ou par l’occupant. Les marraines garantissaient aussi le comportement en détention de la candidate, détention qui devait excéder trois mois. Le conseil d’administration validait, demandait un complément d’enquête ou rejetait la demande, acceptant parfois des exceptions : durée de détention inférieure à trois mois, femmes raflées ou otages déportées et cooptées pour bon comportement au camp. À l’inverse, des candidates furent refusées pour attitude en internement incompatible avec l’éthique de l’ADIR. Ce fut le cas pour quelques dizaines : des déportées de droit commun, de « fausses » résistantes et de « fausses » déportées vite repérées. Il y eut peu de radiations et un faible nombre de démissions : l’ADIR fut une association stable.

3L’ADIR combattit pour la reconnaissance du rôle des femmes dans la Résistance, ce fut le ciment de l’association. Mais les déportées, largement majoritaires dans l’association, en marquèrent l’identité au point que l’ADIR reste surtout perçue comme une organisation d’anciennes déportées. Elle se différencie toutefois de la deuxième association créée par des rescapées, l’Amicale de Ravensbrück, qui a accueilli toutes les déportées sans exclusive. De plus, l’ADIR est restée indépendante, ne s’affiliant à aucune fédération, pas même à l’Union Nationale des Anciens Déportés et Internés et Familles de disparus dont elle fut proche. Ainsi, en se créant comme association d’anciennes déportées, l’ADIR a contribué à constituer les déportées en un groupe historiquement déterminé, issu de la Résistance et conséquence des politiques de répression nazie. Les critères policiers, les présupposés idéologiques des forces de maintien de l’ordre nazi en France et leur escalade répressive sont à l’origine de leur histoire commune.

La constitution du fichier

4La demande d’adhésion faisait l’objet d’une fiche nominative qui, validée, rejoignait le fichier. Les fiches étaient remplies selon les indications des adhérentes et ne sont pas exemptes d’inexactitudes. Déportées2 et internées étaient classées indistinctement par ordre alphabétique de nom. La situation personnelle des femmes qui s’inscrivirent en 1945 différait peu de celle qui était la leur lors de leur arrestation. Mais les fiches sont, pour plus des deux tiers, parsemées de corrections, ce qui indique le suivi de l’adhérente lors de ses changements de situation ; les fiches corrigées sont celles des adhérentes proches ou des plus actives. Beaucoup de rescapées vécurent longtemps après leur retour, l’ADIR accompagnant avec attention leur vieillissement. Au-delà de l’enregistrement des situations personnelles des adhérentes, le fichier servait à la correspondance, à l’envoi du journal, au suivi de demandes de titres.

5Les fiches des internées sont lacunaires, celles-ci étaient donc en retrait dans une association où les déportées étaient majoritaires. La notion d’internées recouvre des réalités différentes : certaines furent relâchées faute de preuves ou après avoir purgé une peine, et revenaient parfois à la Résistance. Les plus nombreuses, incarcérées jusqu’à leur libération par la Résistance ou les Alliés, auraient probablement été déportées si l’occupant en avait eu le temps et les moyens. Quelques-unes se sont évadées en cours de transfert ou de déportation.

6Après élimination des doublons, on peut établir l’identité de 2 614 adhérentes, dont 1 813 pour la partie active du fichier, et 800 autres conservées à part, celles d’adhérentes de courte durée3. Sur 1 813 adhérentes, 1 589 furent déportées et 224 internées, ce qui fait un ratio de 87, 64 % de déportées. Les rescapées de l’ADIR représentent ainsi une proportion significative de l’ensemble des déportées de France, 6 000 depuis les zones nord et sud4, et 2 à 3 000 depuis les autres zones5. Les déportées du fichier central représenteraient ainsi entre 24 et 27 % du total des rescapées6, et de 17 à 20 % des femmes déportées depuis la France, hors déportation de persécution.

Rubriques du fichier et exploitation des données informatisées7

7Les fiches, comportant la photographie des membres à l’inscription, se composent de 27 rubriques, groupées en sept blocs : identité (date et lieu de naissance), statut matrimonial et/ou familial, profession (de l’adhérente et de son époux), coordonnées, parcours en détention et en déportation, reconnaissance après-guerre, marraines. Non exemptes d’approximations, ces rubriques, pour l’essentiel, s’avèrent toutefois utilisables, car elles sont renseignées au moins aux deux tiers. La date d’arrestation, les noms des marraines sont partout indiqués. Les numéros de matricules (ceux de Ravensbrück surtout), les noms de camps ou de Kommandos figurent sur plus de 80 % des fiches. Les dates et lieux d’internement, les dates de convoi et de retour sont en revanche plus disparates. Les dates, lieux de naissance et prénoms apparaissent le plus souvent, mais les changements successifs de noms, en fonction de l’évolution des situations matrimoniales, ont nécessité des recherches pour identifier clairement toutes les adhérentes. Leurs prénoms sont parfois erronés, remplacés par les pseudonymes de la clandestinité. Plus des deux tiers des femmes ont déclaré un emploi et leur statut marital. Le traitement des données, croisé avec d’autres sources comme les données du Mémorial ou avec des témoignages, permet de dégager des tendances fortes et d’esquisser une typologie d’ensemble des rescapées.

8Paradoxalement, la fiche révèle peu d’éléments sur le parcours en résistance8, hormis le nom des réseaux et mouvements des adhérentes et de leurs marraines. Le recensement de celles-ci indique le rayonnement de certaines adhérentes, marraines de dizaines de membres, dont la notoriété semble avoir été plus liée à la Résistance et la déportation qu’à la gestion de l’association après-guerre : Irène Delmas et Agnès Goetschel sont ainsi plus citées encore que Geneviève de Gaulle. Une cartographie de « familles9 » se dessine au travers du fichier, familles réelles ou formées par une mesure de répression : ainsi Léone Lesaffre et Jeannine Gautier furent arrêtées le 26 avril 1944, l’une au Mans et l’autre dans le département de la Seine, car elles étaient membres de Défense de la France, qui connut ce jour-là une attaque de la Sipo-SD10 sur tout le territoire11. Citons aussi l’opération de répression, le 3 juin 1944 à Longeville-lès-Saint-Avold en Moselle, lorsque des unités SS investirent le village à la recherche de 200 insoumis et déserteurs. Cette petite ville, passée de l’organisation de réseaux d’exfiltration de déserteurs à la constitution de maquis d’insoumis12, vit l’arrestation de plusieurs dizaines de civils, hommes et femmes. Y furent arrêtées trois futures adhérentes, Mesdames Kuchta, Malhomme et Sandre, qui n’ont pas de lien de parenté avéré et connurent des parcours divers13, l’une fut internée à Schirmeck et relâchée, l’autre fut déportée à Ravensbrück et la dernière fut libérée du camp de Sarrebruck, le 3 septembre 1944.

Origine des rescapéeS

9Parmi les adhérentes, 95 % ont déclaré leur lieu de naissance et 79 % leur lieu de vie lors de leur arrestation : 22 % des répondantes vivaient alors à Paris et dans l’ex-département de la Seine, 33 % si l’on ajoute la Seine-et-Oise et la Seine-et-Marne. C’est considérable, et représentatif du poids de la Résistance à Paris. Les deux tiers des répondantes étaient originaires de la totalité des autres départements, toutes zones confondues. Peu de rescapées vivaient en zone interdite14 à leur arrestation. De la zone annexée provenaient 7,45 % des adhérentes, pour beaucoup des Mosellanes. La Moselle, comptant deux fois plus d’adhérentes que le département du Rhône, occupe ainsi une place singulière qui pose la question de la spécificité de la répression en zone annexée, voire du refus de la germanisation forcée. Presque 24 % des adhérentes provenaient de la zone dite libre et 76 % des zones contrôlées directement, avec des statuts divers, par les autorités allemandes dès 1940. Le fichier signale la date de l’entrée en résistance, mais plus de 11 % des rescapées furent arrêtées avant novembre 1942, à peu près autant en 1943. Seule une faible minorité de futures déportées fut arrêtée en zone libre avant novembre 1942. La proximité avec l’occupant a pu être un facteur décisif dans l’entrée en résistance, ce qu’il reste à vérifier dans les témoignages disponibles.

10Les plus importants foyers de résistance sont bien représentés : Paris, le Puy-de-Dôme, le Rhône, la Loire inférieure et le Finistère. Mais si certaines grandes villes apparaissent souvent dans les fiches (Paris, Lyon, Nantes, Clermont-Ferrand, ou Toulouse), la grande majorité de ces femmes habitaient dans des communes de quelques milliers d’habitants, pour beaucoup dans ces zones rurales glorifiées par la propagande pétainiste (même si peu d’entre elles sont agricultrices) et dans des départements tôt dominés par les Allemands.

Nationalité

11Le fichier n’indique pas la nationalité des adhérentes et il est impossible de l’induire pour les 5,35 % de rescapées nées à l’étranger. Celles-ci étaient d’abord originaires des pays frontaliers : Belgique, Italie et Espagne, quelques autres étaient des anglo-saxonnes vivant en France. Un deuxième ensemble de femmes d’Europe centrale apparaît, composé surtout de Polonaises, de quelques Roumaines, de Hongroises et de Russes. Toutes ne furent pas déportées depuis la France et certaines rencontrèrent leurs futures camarades de l’ADIR dans les camps. Onze sont nées dans les anciens territoires français et les colonies et deux d’entre elles furent déportées depuis Tunis vers Ravensbrück via Berlin : Charlotte Bachelet, dite « Olive », membre du réseau Béranger, déportée le 30 janvier 1943, et Florette Leboff, épouse Méry, membre du réseau Tardy.

12Âge à la déportation

13À leur déportation, 64 % de ces femmes avaient plus de 30 ans. Elles étaient installées dans la vie, ce que confirment leurs situations matrimoniales et professionnelles. Cela invite à corriger l’image de la jeune fille intrépide, chère à une certaine iconographie de la Libération. La faible proportion de très jeunes filles interroge : d’après le fichier, le rôle du milieu familial fut important dans l’engagement de celles-ci dans la Résistance, l’influence de la mère ou des sœurs étant déterminante. Dans la déportation, leur très jeune âge et leur inexpérience étaient compensés par l’appui des mères et sœurs pour survivre. A contrario, la séparation et l’isolement furent fatals aux plus jeunes. La prédominance des femmes de 30 à 40 ans (presque une sur trois) nées entre 1904 et 1914, c’est-à-dire de la première génération de femmes bénéficiant massivement de l’accès à l’éducation, interroge sur la place de la formation, ou des études le cas échéant, dans le cheminement personnel vers la Résistance. La relation avec les maris a pu jouer dans l’engagement, une majorité de ces femmes étant mariées, et leurs maris étant pour certains résistants, mais il ne faut pas surévaluer ce facteur dans l’engagement des adhérentes. Moins de quinze rescapées avaient plus de 60 ans à leur déportation, ce qui s’explique surtout par les effroyables conditions de survie dans les camps, fatales aux plus âgées.

Statut marital et enfants

14Au moins 15,35 % des adhérentes étaient célibataires, elles étaient peut-être plus nombreuses car 4 % n’ont pas rempli cette rubrique : c’est deux fois plus que le taux moyen de femmes célibataires de l’époque. Les femmes mariées (ou qui l’avaient été) représentaient 80 % des rescapées. Le taux de divorce était important (8,5 % des femmes mariées) et celui du remariage en cas de veuvage ou de divorce assez faible. Le taux de personnes mariées était donc inférieur aux moyennes matrimoniales de l’époque, comme l’indique Fabienne Daguet, qui estime qu’« environ 90 % des hommes et des femmes nés dans la première moitié du siècle se sont mariés ; les générations de l’après-guerre sont encore dans ce cas15. » Or les années 1946 et 1947 connurent des records de mariages, dus à la régularisation d’unions empêchées par la guerre (prisonniers, déportés)16. Les femmes de l’ADIR avaient donc un comportement matrimonial différent de celui de leurs contemporaines : elles se mariaient moins, et divorçaient deux fois plus que les femmes de leur génération.

1547 % des adhérentes déclarent avoir eu au moins un enfant, mais les adhérentes des années 1970 n’ont peut-être pas déclaré d’enfants devenus adultes. Une faible majorité n’aurait donc pas eu d’enfants, ce qui est notable au vu du nombre de femmes mariées. Plus de 42 % des mères n’ont eu qu’un seul enfant, près de 30 % deux, près de 14 % en ont eu trois, moins de 7 % quatre, et près de 6 % plus de quatre. Dix femmes ont déclaré être mère célibataire, alors que 57,60 % des femmes mariées ont été des mères. Les femmes plus jeunes, nées entre 1915 et 1927, entrent dans la tranche d’âge concernée par la reprise de la natalité après 1945. Hervé Le Bras décrit celle-ci par l’évolution de l’indice conjoncturel de fécondité :

Faible avant-guerre, sa valeur descend encore durant les hostilités, puis s’élève brusquement en 1945 pour atteindre bientôt des valeurs proches de 3 enfants par femme en moyenne, soit 50 % de plus qu’auparavant. Jusqu’en 1948 on parle d’une récupération des naissances différées par la guerre17.

16Si ces rescapées, nées entre 1915 et 1927, ont eu un taux de fécondité plus élevé que celui de leurs camarades, le nombre de mères et le nombre d’enfants par mère de cette tranche d’âge restent toutefois inférieurs aux moyennes de l’époque : l’impact de la déportation est probablement en cause.

1718 % des mères sont entrées en résistance alors qu’elles avaient des enfants de moins de 10 ans, une sur trois si on ramène la proportion à celles qui étaient déjà mères au moment de leur arrestation : cela change la vision de l’engagement féminin dans la Résistance. L’impact de l’évolution des politiques de répression est tangible : 20 % de ces femmes semblent avoir été arrêtées par représailles. À l’inverse, 75 % se sont engagées sans avoir d’enfant. L’engagement a pu freiner ou retarder la maternité de certaines de ces femmes. Les plus jeunes, passée la crainte de ne pouvoir enfanter après le séjour au camp, devinrent mères dans une société où la maternité était vécue comme un aboutissement naturel non discutable.

Entourage familial en déportation

18Le fichier permet de retracer les parcours familiaux face à la répression, l’arrestation d’un membre d’une famille pouvant entraîner l’interpellation de ses proches, même non résistants. Figurent ainsi les couples de résistants, où les femmes assistèrent leurs maris et furent déportées en tant que femmes de résistant ou à la place de leur mari en fuite. Apparaissent aussi les victimes d’opérations de représailles, les raflées, les sœurs d’insoumis. Les parcours des adhérentes sont à resituer au sein d’affaires et de parcours collectifs : neuf adhérentes ont perdu des enfants (adolescents ou adultes) en déportation, sans avoir été déportées avec eux. 26 ont perdu leur mari en déportation ou des suites de celle-ci. Par recoupement avec d’autres sources, il a été possible d’établir que 30 autres adhérentes avaient perdu leur mari en déportation (ce qui ne figure pas sur leurs fiches), et des recherches complémentaires seraient nécessaires pour une trentaine d’autres. La perte d’un mari a pu être l’élément déclencheur de l’engagement, comme pour Jacqueline Péry d’Alincourt, dont l’époux prisonnier était mort en Stalag18.

19Les adhérentes ne précisent pas si elles ont été déportées avec une sœur, une fille ou leur mère. Or, l’importante proportion de mères, filles et sœurs arrêtées et déportées ensemble ou se retrouvant ensemble en déportation et devant leur survie au fait d’être restées groupées, constitue l’une des spécificités de la déportation des femmes depuis la France. En étudiant le fichier, on peut toutefois estimer à plus de 8 % les membres de l’ADIR déportées ainsi, ce qui confirme l’ampleur de ce phénomène, plus important chez les femmes. Ainsi Camille Barbier et sa fille Elisabeth, membres du réseau Vaneau, furent arrêtées le 18 juin 1943 et déportées à Ravensbrück, puis libérées le 9 avril 1945 par la Croix-Rouge à la frontière germano-suisse. Elles firent partie des 300 premières Françaises libérées contre des prisonniers allemands, le 11 avril 1945 à Paris. D’autres furent déportées séparément et se retrouvèrent au camp, pour ne plus se quitter, d’autres encore furent séparées et se retrouvèrent à leur retour en France. Mères et filles firent tout pour rester ensemble, mais certains parcours furent tragiques, comme celui de Germaine Bernit, résistante arrêtée avec sa mère Émilie, déportées le 30 juin 1944 à Ravensbrück où elles furent séparées, Germaine fut transférée dans le camp de Schönefeld tandis que sa mère fut gazée le 6 mars 1945 à Ravensbrück19. Une cinquantaine de sœurs se sont aussi épaulées dans les camps.

Emplois

20Avec 71 % de réponses, la rubrique « Emplois » nous renseigne sur le statut des adhérentes au moment de leur inscription. La forte proportion de professions médicales et sociales des membres pouvait être autant un effet de la déportation (l’acte de soigner pouvant être vécu comme une catharsis), que la marque d’un engagement social avant-guerre. Une grande stabilité professionnelle semble avoir marqué les carrières de ces femmes, à l’instar de leurs contemporaines. Le fichier suit les changements de statuts professionnels : des femmes actives avant-guerre se sont déclarées sans emploi à leur inscription ; inversement, des femmes sans emploi à leur adhésion ont repris plus tard une activité professionnelle. Pour rappel, les femmes représentaient en 1936 37,9 % de la population active20 et Françoise Thébaud évalue que 60 % des femmes étaient actives en 191721, proportion restée à peu près constante jusqu’en 1939.

21Près de 12 % des adhérentes se sont déclarées sans profession, ce qui représente probablement un minimum puisque beaucoup n’ont pas répondu à cette rubrique. Le fichier précise l’activité de 58 % des membres déportées, pourcentage également minimum pour les mêmes raisons. Même avec cette incertitude, les proportions, ramenées aux moyennes d’activités des femmes en 1936 et 1954, révèlent une surreprésentation des femmes actives par rapport à leurs contemporaines, pour la tranche d’âge des 25-54 ans (41 % en 1936, et 43 % en 1954). Elles semblent plus proches en revanche du taux d’activité moyen des 15-25 ans, relevé en 1936 (60 %)22.

22Plusieurs centaines d’activités professionnelles sont mentionnées, classées en trois grandes catégories : cadres et professions supérieures, regroupant presque 40 % des actives ; professions intermédiaires (commerçants et artisans) pour près de 20 % ; ouvrières et employées pour un peu plus de 40 %. La part des professions supérieures, presque égale au taux des ouvrières et employées, est importante pour une époque où la moyenne générale des femmes accédant à ces activités était moins élevée. Cela interroge sur les liens possibles entre engagement et études (ou formation professionnelle, voire niveau d’études). La part d’employées est tout aussi notable, elle comprend une majorité d’employées, de petites entreprises, des métiers de l’aiguille, des gens de maison, plutôt issues du milieu rural. Certaines professions (commerces de bouche, restaurants, hôtels) dans les villes occupées par les Allemands ont pu impliquer une confrontation directe avec l’occupant, peut-être à l’origine de leur engagement : leur nombre est non négligeable.

23Le premier groupe se composait de professions médicales et sociales, où les médecins, les infirmières diplômées et les assistantes sociales (11,30 % des actives pour ces dernières) étaient particulièrement nombreuses. Suit un ensemble d’enseignantes (professeurs, institutrices), représentant environ 13 % du groupe. Les cadres (ingénieures, cadres d’entreprise privée ou publique, entrepreneuses) représentaient près de 5 % des adhérentes actives. Les professions intellectuelles (chercheures, juristes, journalistes, libraires, bibliothécaires) regroupaient presque 6 % des membres actives. Enfin près de 3 % des actives travaillaient dans les métiers d’art (décoratrices, antiquaires, peintres). La plupart sont nées entre 1905 et 1910. Si les médecins étaient en général mariées avec des enfants, les assistantes sociales étaient majoritairement célibataires et sans enfant. Le statut social des médecins, évoluant davantage dans des milieux de notables urbains que les assistantes sociales, dont beaucoup vivaient leur engagement professionnel comme un sacerdoce, pourrait-il expliquer la différence de comportement face à la natalité de ces deux catégories ? Dans les deux cas, le choix professionnel semblait procéder d’un engagement militant dans la société de leur époque, et être l’aboutissement d’une forme d’affirmation professionnelle à des fins d’autonomie sociale revendiquée. De ce fait, il est possible que certaines aient vécu l’entrée en résistance comme une suite logique de leur engagement professionnel.

24Le deuxième groupe, représentant 20 % des actives, rassemblait tout d’abord des commerçantes, qui formaient à elles seules la majorité de ce groupe et presque 11 % des actives, cela en fait l’une des professions les plus représentées. Elles étaient surtout originaires de petites localités rurales, rarement de villes de plus de 10 000 habitants. Majoritairement nées entre 1900 et 1910, elles étaient mariées et sans enfant. Très visibles dans les mémoires et les représentations de la Résistance, les agricultrices représentent en revanche à peine 3 % des adhérentes, taux inférieur à celui des métiers de l’hôtellerie et de la restauration. Elles vivaient toutes dans des départements occupés par les Allemands dès 1940. Quelques garagistes, des employées d’agences immobilières, complètent cette catégorie.

25Avec 40 %, le troisième groupe réunissait des employées de diverses provenances professionnelles, surtout de petites entreprises (entreprises familiales, de comptabilité), ainsi que des vendeuses, des caissières, des serveuses. Ce groupe comportait une forte proportion d’employées de bureau, presque 9 % des actives, dont beaucoup provenaient de la fonction publique territoriale. Elles étaient jeunes, nées après 1920, le plus souvent mariées, avec peu d’enfants. Avec 14 % du total à elles seules, les secrétaires représentaient la profession la plus représentée. Nées après la guerre, elles étaient réparties de manière égale entre célibataires et femmes mariées, avec plus d’enfants que d’autres catégories et un taux de divorce plus élevé. Les métiers de l’aiguille en revanche, avec 6 %, étaient des métiers anciens (bonnetières, corsetières), confinés dans l’univers du foyer, et exercés par des femmes de plus de 40 ans à leur déportation, mariées et sans enfant ou avec un enfant unique. C’était également le cas des gens de maison ou des femmes de ménages, souvent raflées avec leurs patrons lors d’opérations d’arrestations, quelle qu’ait pu être leur implication réelle. Il n’y aurait eu que 2 % d’ouvrières d’usines à l’ADIR alors que celles-ci étaient plus de 2 millions en 193623. De ce que l’on sait de la résistance des femmes dans le Nord24 et de leur déportation25, leur proportion totale dans la Résistance fut bien plus importante et le fichier de l’ADIR serait ici moins représentatif. Le fichier indique que, dans le contexte de la Guerre froide, la plupart des adhérentes identifiées proches du PCF ou de ses organisations (FN, FTPF26) quittèrent l’ADIR, ce qui peut être une explication, même si les sympathisantes du PCF étaient loin d’être toutes des ouvrières. On s’attendrait à ce que ce groupe professionnel eut été très majoritaire, au vu de la structure salariale de l’époque, mais il était contrebalancé par les professions supérieures, particularité de l’ADIR à l’origine d’une image élitiste de l’association, dont on voit ici toutefois qu’elle est excessive, l’ADIR ayant un fort ancrage populaire.

Engagement et Résistance

26Plus de 69 % des adhérentes ont déclaré avoir appartenu à au moins une organisation de la Résistance, voire à plusieurs pour quelques dizaines d’entre elles. Près de 5 % ont déclaré avoir été isolées et 26 % n’ont rien déclaré. Parmi ces dernières se trouvaient d’autres résistantes isolées, membres de groupes indépendants27, des soutiens ou sympathisantes de la Résistance, des otages arrêtées à la place de parents ou raflées lors d’opérations de représailles. Ces membres « non-organisées » furent aussi les moins décorées et nombre d’entre elles étaient des mères de jeunes enfants. Cela invite à préciser la vision de la Résistance par l’ADIR, qui se définissait elle-même comme une association de résistantes mais qui s’est ouverte, au-delà des organisations reconnues, aux résistantes isolées comme aux femmes dont le comportement au camp justifiait l’adhésion.

27Les résistantes « organisées » étaient largement majoritaires, phénomène renforcé par le fait qu’elles étaient mieux connues, ayant laissé un plus grand nombre de témoignages et de récits, parfois publiés. On retrouve trace du parcours des autres dans les archives ou les études sur les opérations de répression. Les dates d’arrestation indiquent de plus une proportion minoritaire mais non négligeable de primo-résistantes, arrêtées bien avant 1943. 58 % des « organisées » auraient appartenu à un réseau, contre 38 % qui ont combattu dans un mouvement ou une organisation civile ou militaire de la résistance intérieure, tandis que 4 % auraient été actives dans les deux. Les résistantes de l’ADIR étaient donc majoritairement des combattantes de réseaux. La prépondérance des réseaux et la faible proportion de communistes parmi les membres ont conforté l’orientation gaulliste de l’association dès sa création, a fortiori après 1958. Le relevé des mouvements dans le fichier pourtant fait pourtant figurer les FTP à un niveau élevé, au même niveau que Défense de la France et au-dessus de Combat et Libération Nord. Franc-Tireur ou Libération Sud en sont quasi absents, comme les autres mouvements de zone sud. Bien que l’ADIR ait souvent été associée, à partir de 1958, à Geneviève de Gaulle et, par ricochet, à Défense de la France, les anciennes de Turma-Vengeance en fournirent le plus gros contingent. Plus de 106 réseaux de Français libres et de services britanniques sont représentés, et parmi ceux-ci les plus renommés – notamment Buckmaster, loin devant les autres, puis Shelburn, Navarre, Mithridate. Enfin 33 femmes étaient membres de maquis de 1944.

Déportation

28Les rescapées de l’ADIR figurent parmi les rares témoins des pires crimes perpétrés dans les camps de concentration nazis. Outre les quelques survivantes d’Auschwitz28 transférées à Ravensbrück, témoins de l’extermination des juifs29, les Françaises rescapées virent l’horreur des « transports noirs30 », aidèrent les Polonaises victimes d’expérimentations pseudo-scientifiques, virent les jeunes filles tsiganes stérilisées de force au Revier31. Elles virent la « tente », ce cloaque de toiles sans sanitaires entre des baraques, où ont agonisé d’innombrables juives hongroises. D’autres, dont Marie-José Chombart de Lauwe32, virent l’assassinat des enfants nés à Ravensbrück. Elles entendirent les exécutions derrière le crématoire33 et tentèrent de protéger les plus faibles des sélections pour la chambre à gaz34. Et plus que de « rescapées », il faudrait parler de « survivantes ». La prédominance des membres de grands convois à l’ADIR ne doit pas faire perdre de vue leur caractère de témoins exceptionnels.

29Moins de 7 % furent déportées avant 1943, moins de 12 % en 1943 et 81 % en 194435 : Rapprochées aux statistiques du Livre-Mémorial36, ces proportions sont bien conformes à l’évolution des politiques de répression. Après l’échec de la politique des otages, la déportation devint le pivot des politiques répressives à l’ouest, plus encore pour les femmes puisque celles-ci ne pouvaient être fusillées. D’autre part, la mise en place de la procédure NN37 permettait que des condamnations à mort de femmes, soient commuées en peine de détention dans les prisons allemandes. D’autres enfin furent envoyées en Shutzhaft38 dans le système concentrationnaire, d’où elles ne devaient pas ressortir vivantes. La proclamation de la guerre totale après la défaite de Stalingrad provoqua la dévolution massive de détenus des camps à l’effort de guerre, loués par la SS comme esclaves aux entreprises allemandes, travaillant jusqu’à leur mort. Ce tournant détermina la mise en place du dispositif répressif tel qu’il fut subi par la majorité des déportées depuis la France. Déjà, à l’été 1942, l’entreprise Siemens acceptait d’implanter une unité de production à proximité immédiate de Ravensbrück39. Entre décembre 1942 et novembre 1943, plusieurs camps satellites furent construits, pour les besoins de la Wehrmacht ou de la Luftwaffe, mais aussi pour ceux d’entreprises comme Heinkel ou IG Farben40.

30Avant leur déportation, 82 % des rescapées de l’ADIR connurent l’internement en prison ou dans un camp français. En dehors des femmes raflées dans les ultimes jours d’août et septembre 1944, les modalités de répression incluaient systématiquement l’incarcération pendant l’investigation, pendant l’instruction du procès, voire en zone annexée, comme outil d’application des peines après condamnation. La Gestapo réclama aussi des résistantes incarcérées par la police française (dont des femmes arrêtées dans le cadre de la répression anticommuniste)41, pour les envoyer en Shutzhaft. Sans surprise, les grandes prisons (Rennes, Montluc, Fort du Ha, Fresnes, La Santé) sont les plus citées, tandis que les camps de Compiègne et Romainville sont évoqués le plus souvent comme camps d’avant la déportation.

3185 % d’entre elles ont été envoyées ensuite directement dans le système concentrationnaire, et 15 % d’abord dans les prisons allemandes. Ces dernières étaient surtout les déportées de 1942 et 1943, provenant de la zone occupée et l’ex-zone dite libre après novembre 1942, dans le cadre des procédures NN, ou de leur reprise par la Sipo-SD. Certaines furent déportées avant leur jugement en Allemagne dans le périmètre pénitentiaire du tribunal, ce qui explique leur parcours après condamnation, dans d’autres prisons. L’évolution des fronts militaires en Allemagne fin 1944 explique les disparités dans les parcours – la moitié d’entre elles fut regroupée finalement à Ravensbrück, les autres furent transportées de prison en prison (c’est le cas de près de 6 % des rescapées), au gré des bombardements et malgré le chaos des moyens de transport. À l’inverse, des NN jugées et condamnées en France, comme Germaine Tillion ou Anise Postel-Vinay, furent envoyées directement à Ravensbrück dès 1943. Elles furent majoritairement utilisées comme main d’œuvre forcée, mais dans des conditions de sûreté encore renforcées. Près de 15 % des rescapées – trop âgées pour être transférées dans des Kommandos de travail, ou NN ne devant en aucun cas sortir du camp – ne connurent que Ravensbrück. 79 % des rescapées connurent plusieurs camps ou Kommandos42. Mauthausen fut la deuxième destination, avec 11 % des rescapées, ce qui rappelle le caractère profondément répressif de ces déportations, puisque l’ensemble des NN survivantes devait y être envoyées le 2 mars 1945 pour y être exterminées. Apprenant l’annonce de ce transfert, beaucoup s’étaient cachées pour y échapper43. Plus de 87 % des rescapées sont passées par Ravensbrück au cours de leur déportation : Ravensbrück apparaît bien comme une plaque tournante pour l’entrée des femmes dans le système concentrationnaire, et comme lieu d’aiguillage pour le travail forcé dans les camps. Le fichier de l’ADIR décrit une déportation de répression où le travail forcé en Kommando externe prédominait, malgré l’implantation de Siemens à Ravensbrück. Holleischen, Torgau, Leipzig, Abteroda et Marleeberg figurent parmi les affectations les plus fréquentes, ce qui renvoie notamment au parcours des « 57 000 », déportées le 15 août 1944, convoi composé de femmes plus jeunes, souvent internées peu de temps avant leur départ. On note enfin qu’Hanovre et Hambourg ont aussi fonctionné comme antichambres du mouroir de Bergen-Belsen pour des déportées exténuées44. Enfin plusieurs dizaines d’Alsaciennes furent déportées à Schirmeck.

Le poids des grands convois

32Deux grands convois, celui du 31 janvier 1944 dit « convoi des 27 000 », et celui du 15 août 1944, dit des « 57 000 », occupent une place prépondérante dans l’historiographie45 et dans l’écriture testimoniale. Ces deux convois regroupèrent à eux seuls près de 1 500 déportées (959 pour les « 27 000 » et 546 pour les « 57 000 »), sur un total d’environ 9 000 déportées depuis la France. L’ADIR comptait parmi ses membres 345 « 27 000 » et 146 « 57 000 », ce qui équivaut à 27 % des membres46. Elles étaient surreprésentées dans l’association par rapport à leur poids réel en déportation. C’est encore plus vrai pour les « 27 000 » dont les 345 rescapées représentaient 48,52 % de ce convoi47. Et c’est encore le cas des 146 membres du convoi des « 57 000 », représentant 39,45 % des rescapées de ce convoi48. Ces deux grands convois, utilisés pour le travail forcé en camp, ont connu un taux de mortalité moins élevé que d’autres convois, résultant de mesures plus disciplinaires. L’identification particulièrement forte des déportées à chacun de ces deux convois (convoi de Geneviève de Gaulle pour l’un, dernier convoi de Paris pour l’autre) a pu être un facteur de mobilisation pour adhérer à l’association. Cela donne une coloration particulière à l’association, avec une représentation de la déportation centrée sur le grand convoi en wagons à bestiaux et l’envoi en Kommandos de travail pour l’armée allemande.

Les NN

33Le nombre des NN et assimilées est difficile à appréhender dans ce fichier, même en faisant des recoupements. On peut l’estimer à 17 % des rescapées de l’ADIR, ce qui n’est pas négligeable, mais elles seraient toutefois moins nombreuses que leurs camarades des deux grands convois. Les NN ont été pour la plupart déportées avant 1944, en petits groupes après leur condamnation, ou dans des wagons de voyageurs lorsqu’elles étaient en attente de jugement. Elles firent l’objet d’une surveillance particulière durant tout leur parcours. Une étude comparée avec le Livre-Mémorial permettrait d’évaluer si leur nombre à l’ADIR correspond à leur proportion réelle dans la déportation. Souvent nommées dans Voix et Visages, leurs parcours fut pourtant moins structurant dans l’identité de l’ADIR que ceux des grands convois.

Retours

34L’historiographie récente a retenu les dates de libération du camp ou du Kommando, notamment les dates de libération par la Croix-Rouge, car ce sont les plus facilement identifiables. Pour la plupart, ces rescapées ont été libérées en avril et mai 1945, tandis que moins d’une centaine l’ont été avant cette date : des Lorraines ou Alsaciennes ayant purgé les peines prescrites par les tribunaux allemands, mais aussi une poignée de déportées revenues à Paris pour y être réinterrogées. On peut citer le cas particulier de Francine Sébastien, résistante à 17 ans, membre du réseau Marie Odile, et déportée avec sa mère le 31 janvier 1944, dans le convoi des « 27 000 ». Anise Postel-Vinay49 indique que Francine n’était pas sur les listes de ce convoi, n’a pas été immatriculée et fut séparée de sa mère dès l’arrivée au camp. Isolée au Bunker, elle fut transférée à la Gestapo à Berlin pour complément d’enquête, puis renvoyée en France pour être jugée. Condamnée à mort par un tribunal de la Luftwaffe, elle fut sauvée par l’intervention du consul Raoul Nordling.

Mémoire et reconnaissance

35Les rescapées de l’ADIR ont reçu de nombreuses décorations françaises et étrangères, notamment les décorations du monde résistant (peu obtinrent cependant la médaille de la Résistance50) mais aussi la Légion d’honneur : plus de 45 % des rescapées de l’ADIR ont en effet reçu la Légion d’honneur, le total des décorées s’élève à 52,75 %, ce qui en fait une proportion importante. Le fichier indique que les femmes décorées de la Légion d’honneur, l’ont été tardivement, souvent après les hommes dont les parcours étaient comparables, et que cette décoration n’a pas entraîné de promotion sociale ou politique. Les adhérentes membres de réseaux ou de mouvements furent quatre fois plus décorées que leurs camarades isolées dans la Résistance : 82 % des décorées étaient des résistantes « organisées », alors qu’elles représentaient 69 % des rescapées. Souvent oubliées après-guerre, nombre d’adhérentes durent manifestement la reconnaissance officielle de leurs mérites au lobbying efficace de l’association. La grande majorité d’entre elles fut décorée entre 1958 et 1977, avec un pic de 1960 à 1966 résultant probablement de l’effet du vingtième anniversaire de la guerre, sous la présidence attentive du général de Gaulle.

Déportées du Kommando de Beendorf libérées par la Croix-Rouge suédoise le 1^er mai 1945 et accueillies à Malmö, en Suède, pour y être soignées, avant leur retour en France. BDIC, Archives de l’ADIR, F delta res 797/IV/11, dossier 76, Dossier Nelly Huri.

Conclusion

36Le fichier des adhérentes de l’ADIR permet de brosser un portrait collectif des rescapées de la déportation de répression qui semble significatif au vu de l’importante proportion de survivantes regroupées dans l’association : des femmes dans la force de l’âge au moment des faits, bien établies, issues majoritairement de milieux populaires. Provenant de toutes les régions de France (pour beaucoup des régions rurales) et surtout des zones contrôlées dès 1940 par l’occupant, elles se distinguaient de leurs contemporaines par une plus forte proportion d’actives et par une importante minorité de professions supérieures, notamment médicales ou sociales. Au-delà des seules rescapées de l’ADIR, cet essai de typologie pourrait probablement s’étendre à l’ensemble des déportées de répression : Pierre-Emmanuel Dufayel trace des contours sociologiques comparables pour le convoi des « 27 000 »51. Le fichier permet aussi d’évaluer l’impact de la déportation sur les survivantes. La proportion de célibataires et de divorcées, deux fois plus élevée que la moyenne, ou le taux de natalité nettement en dessous de celui de l’après-guerre ne sont-ils pas des marqueurs des sévices endurés52 ? Par ailleurs, l’analyse du fichier des adhérentes de l’ADIR permet de dresser un portrait de l’association plus nuancé que celui qu’on lui attribue d’ordinaire dans le paysage des organisations de déportés : si on attendait à l’ADIR uniquement des membres de la Résistance organisée, on y découvre aussi toutes les composantes de l’univers résistant passé par la déportation. Enfin, apparaissent deux aspects distinctifs de l’identité d’après-guerre de ces femmes déportées : une grande détermination, que l’on retrouve dans l’engagement résistant et dans des itinéraires professionnels remarquables, et le refus, en tant que femmes, de subir le cours des événements, avec la volonté farouche d’en être actrices.