1En 1966, l’action de la fondation Ford en Europe et dans le monde a déjà quelque ancienneté. Nouvelle venue dans le panorama de la philanthropie américaine à vocation internationale, elle n’investit le champ mondial qu’après la Seconde Guerre mondiale, au cœur de la guerre froide1. La commission chargée de définir ses activités à l’international est composée de la fine fleur des hauts responsables de la diplomatie – pas seulement culturelle – états-unienne outre, bien sûr, des représentants de nouveaux think tanks comme la Rand Corporation, et d’universitaires2.

2La fondation Ford (FF), connue pour son programme des sciences du comportement (behavioral sciences), inventé d’ailleurs par un ancien fellow de la fondation Rockefeller (Bernard Berelson), prend officieusement le relais de cette dernière en Europe occidentale dans un programme de développement qui concerne, au delà des behavioral sciences l’ensemble des sciences sociales : économie, sociologie, sciences politiques, relations internationales, etc. Son rôle est bien connu dans les financements octroyés à la 6^e section de l’EPHE, à la London School of Economics, ou encore à la Freie Universität Berlin, fondée dans la partie occidentale de l’ancienne capitale en 1948 (1,3 million de dollars). Alors que la fondation Rockefeller (RF dorénavant) s’oriente à partir de 1959 vers les pays en voie de développement, la FF poursuit pour un temps sa politique d’internationalisation du savoir scientifique dans un cadre européen et mondial. Les intentions purement scientifiques se recoupent, tant il est vrai qu’il existe des passerelles entre les deux fondations3. À la différence pourtant de la première, la FF est imprégnée de l’atmosphère de la guerre froide et, sans entrer dans le discours à la saveur conspirationniste qui consiste à ne faire d’elle qu’une branche obéissante d’une politique définie par les sphères gouvernementales, une pure annexe de la diplomatie et des services secrets états-uniens4, il est certain que son projet internationaliste avait de nettes intentions politiques qui, bien qu’elles n’aient pas été selon nous premières, guidaient in fine l’action mondiale de la fondation.

3Il s’agit ici de saisir la politique de la FF à un moment précis où le modèle politique américain est contesté. La guerre du Viêt-Nam suscite une fièvre de manifestations contre les États-Unis partout chez ses partenaires de l’OTAN. Plus encore, les enquêtes menées par le Congrès américain et dans la presse s’apprêtent à rendre publique l’action de la CIA derrière un certain nombre d’initiatives de la diplomatie publique ou l’action de fondations-paravents de la centrale de renseignements en faveur d’actions culturelles et universitaires. C’est en 1966 que le New York Times révèle que le Congrès pour la liberté de la culture (l’un des principaux acteurs intellectuels transnationaux de la guerre froide) était financé par la CIA5. L’une des conséquences en est la baisse du flux d’étudiants européens voulant se rendre aux États-Unis. Cette année-là donc, la FF s’interroge sur son action. L’occasion lui en est donnée par le projet de création d’un centre d’études avancées du monde atlantique et européen. Le lieu où il doit être fondé suscite une enquête préalable, confiée à Robert Taylor Cole, professeur de sciences politiques à l’université Duke dont il est le recteur depuis 1960. La mission se révèle cependant bien plus ample : il s’agit d’un véritable audit sur les sciences sociales en Europe. Le rapport envoyé à Stone s’appuie sur pas moins de 86 entretiens réalisés durant l’été 1966 dans toute l’Europe, à l’exception de la Hollande et de la Scandinavie6. Le rapport doit être analysé, à plus de cinquante années de distance, à la lumière de trois points fondamentaux qui constituent des interrogations essentielles pour qui travaille sur le rôle des fondations philanthropiques, des sciences et du monde académique, aussi bien dans le contexte de la guerre froide que dans celui des circulations culturelles transnationales :

1. Le premier est la politisation forte des enjeux scientifiques et universitaires dans le cadre de la communauté atlantique et de la guerre froide parvenue à un tournant – celui de la remise en cause du géant américain aussi bien par, entre autres, la nouvelle génération née peu après la guerre en Europe que par la politique menée par les États-Unis dans le monde.
2. Le second pose la question des États-Unis comme modèle normatif et prescripteur, dans le domaine particulier des sciences sociales.
3. Le troisième et dernier point est stimulé par des travaux récents qui font l’hypothèse d’une lutte d’influence entre les sciences sociales et une discipline relativement nouvelle qui tenterait de s’imposer en opposition avec les premières, les relations internationales7.

4Dans un premier temps je reviendrai sur la nouvelle stratégie de la FF en Europe avant d’analyser plus en détail les attendus du rapport rédigé par R. T. Cole et ce qu’il faut retenir de la vision d’un acteur majeur de la circulation culturelle transnationale sur la définition et le développement des sciences sociales en Europe.

Le retour des fondamentaux : les buts de la fondation Ford en Europe au mitan des années 1960

Une première analyse critique de la situation

5Une longue lettre écrite le 11 avril 1966 par le spécialiste de sciences politiques et de l’Italie à l’université de Yale, Joseph La Palombara, ancien fellow de la fondation Fulbright, adressée à James Huntley, l’un des nouveaux responsables de l’action internationale de la FF, porte sur le cas du Centre bolonais de la School of Advanced International Studies (SAIS) sise à Washington (Johns Hopkins University8). Offrant une explication à la remise en cause de la politique étrangère et du modèle américains en Europe et dans le monde, mais aussi dans certains milieux universitaires aux États-Unis, La Palombara propose de reformuler les bases de l’action de la FF. Le Centre bolonais n’a pas su choisir, est-il souligné, entre deux fonctions (et deux identités), celle d’un institut atlantiste dont les buts sont davantage politiques et à court terme – formation d’une élite administrative, diplomatique et, le cas échéant, économique dans le but de renforcer les échanges et la cohésion au sein d’une communauté euro-américaine en construction – et celle d’un institut universitaire de formation et de recherche plus détaché des contingences, plus exigeant quant au choix des candidats et des enseignants. On touche le cœur de l’ambiguïté de la diplomatie culturelle états-unienne : les objectifs culturels et scientifiques, voire sociaux, pâtissent nettement des présupposés politiques qui les guident. En ces temps troublés, il convient désormais de mieux choisir. J. La Palombara qui revient sur l’exemple du Centre bolonais précise clairement :

6Tous doivent comprendre que le Centre n’est pas une simple extension du programme d’information ou de propagande des États-Unis, et que le Centre n’est pas soutenu comme un complément de la politique étrangère américaine. Il est vital que tous les protagonistes envisagent le Centre comme un instrument d’amélioration de la formation et de la recherche et du potentiel des institutions universitaires américaines et européennes.

7Pour la FF, qui s’apprête à être le bailleur de fonds exclusif du Congrès pour la liberté de la culture et à venir en aide au Centre bolonais, il est nécessaire de prendre quelque peu ses distances vis-à-vis du gouvernement américain, au moins en apparence, et revenir à ses fondamentaux : une politique philanthropique qui se focalise, dans le domaine des sciences sociales, sur la formation et la recherche.

Une task force pour réfléchir sur les orientations nouvelles de la fondation Ford

8Stanley Gordon (FF) et Joseph La Palombara sont chargés de rédiger un petit mémorandum à l’intention de Shepard Stone, qui dirige le programme « International Affairs », en vue d’une rencontre importante entre représentants du monde universitaire, du monde diplomatique et les responsables de la Ford, en présence du doyen de la SAIS de Washington, le 25 mai 19669. La stratégie de la FF et les réalisations de celle-ci ont été rappelées. Le programme « International Training and Research » (ITR) s’était donné pour but de renforcer l’étude de l’Europe occidentale par les universités américaines et pour cela a été mis en place en 1964 un programme de fellowships pour diplômés dans le but de renforcer la collaboration de chaque côté de l’Atlantique mais aussi d’encourager les Européens à dépasser les études purement nationales. Lors de la réunion du 25 mai, Shepard Stone prend soin de faire la liste de toutes les aides proposées10. De ces exemples, le mémorandum tire deux « crédos » (« We believe ») utiles à rappeler devant les participants à la réunion du 25 :

1. Il existe une réelle communauté de chercheurs, scientifiques, universitaires dans les pays occidentaux, noyau d’une future communauté à l’échelle du monde.
2. Les sciences sociales doivent être renforcées partout et les États-Unis ont un rôle à jouer en ce sens.

9Bien sûr le contexte de la construction européenne et de son accélération apparaît en toile de fond des intentions de la FF, mais lorsque le mémorandum évoque la nécessité de tenir compte « des susceptibilités européennes actuelles », qu’il faut convaincre les Européens qu’il ne s’agit pas de renforcer l’impérialisme culturel des États-Unis et qu’enfin, il faut se distancier du contexte politique, on ne peut pas ne pas comprendre que c’est précisément ce contexte politique qui commande la stratégie : la contestation de la gauche radicale européenne mais aussi la fronde gaullienne contre les États-Unis, les doutes et les craintes sur la politique étrangère allemande et italienne. Enfin, les « susceptibilités européennes » telles que déjà J. La Palombara les entendait, concernent une façon maladroite de vouloir introduire les méthodes et les thèmes de recherche d’outre-Atlantique. L’universitaire de Yale l’a écrit : ce ne sont pas seulement les institutions universitaires européennes dont le potentiel scientifique et formateur doit s’améliorer mais aussi celles des États-Unis. Autrement dit, il s’agit de faire preuve de plus de modestie et de moins d’arrogance. C’est également l’avis convergent des universitaires conviés à la réunion. Robert Bowie (Harvard) demande à ce que soit respecté le désir des nations à vouloir être européennes et qu’on tienne compte de leur méfiance à l’égard des ambitions atlantistes des États-Unis. J. La Palombara, dans la logique de son mémorandum, et en écho à ce que suggéraient des universitaires européens, ne cache pas son scepticisme quant à la mise en place d’un centre d’études européennes et atlantiques, idée émise par une commission des études atlantiques pour parfaire la formation des classes dirigeantes américaines et ouest-européennes, et dont le siège serait en Europe, afin de permettre l’immersion des Américains au sein de la société européenne. Nombre d’Européens diraient qu’il suit de trop près les considérations politiques nationales américaines, objecte J. La Palombara. Son collègue de Yale, Eugene Rostow, affirme même que les États-Unis ne sont pas plus avancés que les Européens sur aucun domaine – sous-entendu des sciences sociales. Même Thomas Fina, du Département d’État, mais ancien du Centre bolonais, déplore qu’on n’ait pas assez pensé, aux États-Unis, à ce que ces derniers pourraient gagner des Européens. Et Wilcox, qui a compris l’air du temps, affirme que la SAIS de la capitale émilienne est le produit d’un mélange des méthodes européennes et américaines – ce qui n’est pas tout à fait exact quand on connaît les intentions de départ11.

10En bref, l’heure est au mea culpa et tous revendiquent désormais le renoncement à l’unilatéralisme au profit d’un bilatéralisme, voire d’un multilatéralisme dans le domaine de la formation et de la recherche en sciences sociales. La FF, en lançant, à Rome, le Comité bilatéral pour les sciences politiques et sociales (COSPOS) avec une composition de sa direction respectant la stricte égalité entre Américains et Italiens, et surtout, en dehors de toute diplomatie publique officielle, a su tenir compte de la leçon12.

Le rapport Robert T. Cole : un regard américain doublement orienté

L’orientation générale et les premières conclusions

11Au-delà de la mission d’évaluation du Centre bolonais qui, en fin de compte, n’occupe qu’un tiers du rapport, R.T. Cole se voit donner pour objectif de faire un audit complet : sur la formation universitaire et la recherche en Europe dans le domaine des relations internationales et des area studies européennes et atlantiques ; sur les études post-licence et les recherches universitaires des universités américaines travaillant dans les mêmes domaines en Europe ; sur la coopération transatlantique dans ces domaines et dans celui des sciences sociales en général. Tout au long de son rapport, s’esquissent des choix et des orientations précises dans l’évaluation des différentes institutions visitées. Ainsi, l’expression « Atlantic studies » est bannie de son vocabulaire sous la pression de professeurs européens rencontrés à Royaumont. Dans le cadre de la création du Centre d’études européennes et atlantiques, projet qui est à l’origine même du rapport, R. T. Cole préfère laisser l’initiative aux Européens, par crainte non formulée mais sous-entendue, que la nouvelle institution soit accusée d’être un think tank piloté des États-Unis dans une optique purement atlantiste. Le rapport insiste également sur l’objectif d’étudier les sciences sociales avec un regard particulier sur les affaires internationales. Celles-ci enfin se focalisent surtout sur les études européennes. R. T. Cole en fait un instrument de mesure des universités et autres centres de recherche visités : que proposent-ils de nouveau en la matière ? Dans l’esprit de R. T. Cole, et sans aucun doute des commanditaires du rapport, les études européennes doivent être le prélude à une relance de l’intégration européenne, selon le modèle, une nouvelle fois, des think tanks : faire travailler ensemble des chercheurs, lancer des thèses, organiser des programmes permettraient aux politiques de bénéficier d’une base de travail pour débloquer la construction de l’Europe alors que de Gaulle continue d’exclure la Grande-Bretagne et toute perspective fédéraliste.

12La conclusion du rapport ne pousse pas à l’optimisme. L’Europe, selon R. T. Cole, continue de manquer de spécialistes de sciences sociales et la formation de ces derniers reste à améliorer. La recherche dans ce domaine, comme Cleon Swayzee l’avait décrite deux ans auparavant dans un précédent rapport, est trop descriptive, pas assez analytique, manquant d’études comparées, malgré les progrès constatés en Grande-Bretagne (Social Science Research Council), en Allemagne (Freie Universität Berlin), à Genève (Institut des études internationales). Ailleurs, on remarque, toujours selon R. T. Cole, un manque criant de compétences. Le rapport établit un tableau d’honneur des cursus universitaires en Europe dans le domaine des sciences sociales. Les études d’économie en Europe bénéficient d’une très bonne évaluation quand les sciences politiques se situent au bas de la hiérarchie, la sociologie occupant une position intermédiaire. Si l’on considère désormais les pays eux-mêmes, l’Italie « est celle qui offre probablement le moins pour le chemin qui mène au processus de reconnaissance et aux ajustements nécessaires aux sciences sociales ». Tout se passe en fin de compte comme si les efforts consentis par les fondations philanthropiques en Europe, peu après la guerre, pour développer les disciplines nouvelles et singulièrement les sciences politiques n’avaient pas (encore ?) porté leurs fruits, malgré par exemple l’Institut d’études politiques de Paris. Comme si la situation d’avant-guerre, avec de fortes écoles de recherche en économie (Suède, Autriche, LSE à Londres), source de recrutement pour les universités américaines, était restée figée. Le rapporteur insiste sur ce qui apparaît comme une greffe manquée des sciences sociales et politiques en Europe.

Les nécessités du moment : la construction européenne et le développement des sciences sociales

13Si l’on entre dans le détail du rapport, à savoir l’analyse prise séparément de chaque institution visitée, la Grande-Bretagne et l’Allemagne sont les mieux cotées. Le rapport R. T. Cole loue les recherches fondées sur des enquêtes au Nuffield College, le caractère interdisciplinaire expérimenté au Saint Antony’s College (les deux à Oxford), à l’université du Sussex et dans l’ensemble des redbrick universities. En Allemagne, il y a l’équivalent du think tank américain versé dans les relations internationales, la Rand Corporation, à Ebenhausen. En France, le point positif est l’introduction des sciences sociales dans le cursus universitaire à la fin de la décennie 1950 (anthropologie, sociologie, sciences politiques). Les autres institutions souffrent des mêmes maux : manque de ressources humaines, pénurie de moyens, manque de contact avec l’extérieur. Quelle que soit la pertinence d’une analyse plutôt négative, l’intention est avant tout de justifier à la fois le maintien de liens forts – intellectuels, scientifiques et sans doute politiques – de part et d’autre de l’Atlantique et la poursuite d’une politique de subvention aux organismes de recherche européens, à une époque où les moyens financiers tendent à délaisser un continent, désormais économiquement très solide, pour se déverser vers les nouveaux points fragiles du globe – i. e. où la situation économique et politique accroît les risques de dérive vers le communisme ou équivalent – en particulier l’Amérique centrale et méridionale et l’Asie du Sud-Est. Le constat pessimiste est une exhortation à ne pas se détourner trop vite de l’Europe. Les intentions philanthropiques rejoignent les intentions politiques suivant une ligne philo-européenne réaffirmée.

14Le rapport R. T. Cole l’affirme : priorité doit être donnée aux sciences sociales, prérequis nécessaire à tout développement de la recherche en relations internationales. Il faut, comme l’indiquent ses collègues américains du Comité pour les politiques comparées et du Conseil de recherche en sciences sociales, renforcer la légitimité de ces dernières. D’où une fois encore l’importance de maintenir des liens forts avec les institutions européennes dans le but de créer une communauté plus large et diversifiée de chercheurs dans ce domaine. Est alors justifié et approuvé le soutien de la FF au Centre de sociologie européenne (créé par Aron en 1960 à Paris), de l’Institut d’études avancées à Vienne ou du COSPOS en Italie. Autrement dit, comme l’a déjà indiqué J. La Palombara lors de la réunion du 25 mai, le développement des sciences sociales est supérieur en importance à celui des études atlantiques. La volonté d’apolitisme revendiquée que révèle cette dernière expression confirme la rivalité entre les deux champs du savoir : sciences sociales et relations internationales13.

15Pour développer davantage les sciences sociales en Europe, le rapport R. T. Cole propose de sélectionner de jeunes chercheurs, assistants d’université, qu’il faudrait envoyer un an dans des cursus post-licence aux États-Unis, d’aider ces mêmes jeunes chercheurs à partir pour une période donnée hors de leurs frontières, dissuader les universités américaines de capter de façon permanente les chercheurs les plus prometteurs, encourager les contacts (par exemple entre Nuffield, l’IEP de Paris et Princeton), pousser la création d’associations de sciences sociales, comme cela s’est fait pour les sciences politiques par exemple ou pour les spécialistes de l’Asie du Sud, développer les études conjointes et comparatives, à l’exemple des travaux de psychologie sur les résolutions de conflits.

16Le rôle des États-Unis n’est alors peut être plus aussi central qu’au début de la diplomatie culturelle de guerre froide – le rapport pousse ainsi les chercheurs américains mais aussi européens à s’immerger plus profondément dans la culture européenne – et l’invitation à partir étudier aux États-Unis reste, si l’on suit le raisonnement de R.T. Cole, l’une des clés pour réussir le développement des sciences sociales en Europe. Une fois encore les États-Unis offrent un modèle prescripteur, la destination de choix de tout chercheur désireux de se former en sciences sociales. Le Comité sur les études américaines et européennes est, enfin, l’un des piliers de la politique de développement des sciences sociales. Le terme atlantique, on l’a vu, est écarté, mais la maîtrise d’ouvrage reste américaine, financement oblige, et le choix du siège relève une nouvelle fois de critères aussi bien scientifiques que politiques. Paris est ainsi écarté, en raison notamment de l’hostilité politique de la France gaullienne à l’égard d’un atlantisme trop marqué, au profit soit de Genève, soit de Bonn-Cologne. L’argument n’est évidemment pas ouvertement politique : les trois villes envisagées offrent des équipements universitaires dignes de ce nom et la présence d’un ou deux centres de grande envergure, mais il n’est pas exempt de toute considération géopolitique. Le centre lui-même ne vit finalement pas le jour.

17Malgré les protestations des universitaires et responsables de la diplomatie culturelle au Département d’État, et la teneur et le ton du rapport de R. T. Cole qui constitue une base nouvelle pour la politique à venir de la FF en Europe, le monde académique et politique états-unien n’a pas abandonné ses intentions prescriptives et normatives dans le domaine des sciences sociales. Area studies, interdisciplinarité, application pratique des recherches scientifiques dans le cadre géopolitique contemporain (crise de l’atlantisme et impasses de la construction européenne) sont l’aune à laquelle sont évaluées les institutions universitaires de l’Europe occidentale. Une nouvelle fois, les préoccupations géopolitiques et scientifiques sont étroitement liées : resserrer les liens de part et d’autre de l’Atlantique, encourager les échanges et la coopération étroite, même si c’est, désormais, sur un strict pied d’égalité, entre les universitaires américains et ceux du pays partenaire, comme dans le cas du COSPOS, voici quelques éléments de réponse à la crise des relations entre États-Unis et Europe. À cela se mêlent des stratégies sans doute internes au milieu académique nord-américain dans le cadre d’une rivalité et d’une lutte d’influence entre les sciences sociales et les relations internationales.