Je suis comme on veut que je sois

1Je suis spécialisée en, sans que je sache au juste s’il s’agit d’une qualification qui compte vraiment sur le marché du travail mais, comme j’ai commencé à travailler alors que j’avais à peine, je dois reconnaître qu’aujourd’hui, après une période de, ma formation a été malgré tout assez diversifiée, remplie d’expériences de toutes sortes, comme par exemple. Mais comme j’ai entrepris de raconter l’ensemble de mon parcours, aussi bien mes années d’apprentissage que mes expériences professionnelles, et vu que les unes et les autres se sont entrecroisées plus souvent que je ne l’avais prévu et que, à maintes reprises, elles se sont confondues, je dois revenir au moment où.

2À cette époque, je fréquentais depuis un an un cours proposé par la région pour devenir, je me levais tous les matins pour aller de chez moi jusqu’à, qui se trouvait de l’autre côté de la, et je me souviens que déjà à cette époque, alors que je faisais mes études, je gardais toujours à portée de la main un exemplaire de, et tous les jours je repérais les différentes annonces pour. En outre, je m’étais inscrite sur les listes du bureau de placement de ma ville, dans la région de, et je passais un nombre incalculable de matinées et d’après-midi à faire la queue pour comprendre comment m’orienter d’un bureau à un autre et je demandais aux différents employés que je rencontrais quelle était la meilleure procédure administrative à suivre, quelle était la plus utile pour obtenir ; mais, sans que l’énergie que j’employais à chercher un travail y fût pour quelque chose, il arriva que précisément au moment où j’étais aux prises avec les dossiers les plus disparates, complètement désorientée, réussissant tout au plus à me frayer un chemin à tâtons, et ne comprenant même pas au bout du compte si tous ces efforts servaient à quelque chose et pourraient avoir à la longue quelque résultat, je tombai un jour sur une annonce qui disait « Cherche personnel pour » : c’est ainsi que, sans y réfléchir à deux fois, je contactai le numéro, et me présentai au.

3Ainsi commença mon premier travail, je signai un contrat en tant que : un contrat qui prévoyait. J’avais été embauchée par une sorte de société qui s’occupait de, même si – est-il nécessaire de préciser – je ne dépendais pas directement d’eux. Mon emploi, concrètement, consistait à, en fonction du programme qu’on m’avait confié ; dans cette société, au début – contrairement à notre accord initial – on ne m’attribuait pas plus de, ce qui, en comptant les journées, signifiait au total un nombre d’heures dérisoire de ; aussi, après plusieurs semaines où, en dépit de mes nombreuses requêtes, je n’avais pas obtenu de réponses, je me décidai à parler avec le : s’il augmentait mes heures, très bien, sinon.

4Mais cette bataille, comme tant d’autres, n’aboutit à rien, parce que, m’expliqua-t-on, si j’avais vraiment voulu m’occuper de, j’aurais dû acquérir une formation d’un autre type, par exemple en fréquentant un cours de, ou bien signer un contrat différent, qui aujourd’hui n’était plus disponible, et au bout de quelques mois, toujours affectée au même poste, je dus accepter de me transformer en, et cela parce que, d’après ce qu’on m’expliqua, les multinationales faisaient pression pour offrir leurs services à l’intérieur de la. C’est ainsi que je commençai à travailler en gagnant en moyenne un salaire mensuel de, qui allait d’un minimum de à un maximum de, en fonction des périodes de l’année.

5Cependant, parallèlement à mon travail, je m’étais inscrite à l’université : je ne sais pas si ce sont mes intérêts personnels qui ont prévalu ou bien une vision réaliste du monde du travail, mais j’avais fini par me décider pour la faculté de. Mes parents m’avaient fourni l’argent pour les droits d’inscription (ils m’avaient d’ailleurs financé, je dois le reconnaître, et continuaient aujourd’hui de financer une bonne partie du, sinon tout le), et bien que je sois devenue à tout point de vue une étudiante salariée, cela ne signifiait rien de plus que. Par conséquent, au début de l’année suivante, alors que je commençais à m’habituer au rythme de mes journées, je reçus un jour une lettre de la part de la, qui m’expliquait que, en raison d’une baisse de l’investissement perçu de la part de différentes entreprises partenaires et en raison du risque corollaire de baisse de la compétitivité des tarifs, la continuité de l’emploi ne pouvait plus être garantie aux salariés : ce qui signifiait. Ce fut un choc, même si, après un temps de découragement, après m’être demandé si en réalité ce n’était pas moi qui étais fautive, si ce n’étaient pas mes compétences qui étaient inadaptées, j’essayai de réagir et tentai de traiter avec eux, mais sans résultats ; et au bout du compte, je dus accepter leurs conditions également en raison du fait que, et tout ce que je réussis à obtenir fut. « Mais, me dit-on, de grâce, ne le répète pas à tes collègues ». Malgré le changement de fonction et de rétribution, le travail était en définitive toujours le même, les tâches avaient été légèrement modifiées, mais la pénibilité surtout avait augmenté en même temps que le stress dû au fait que je n’aimais pas mon travail, et que je savais bien que ce n’était pas le travail de ma vie, et je me rendais compte très souvent que je n’en possédais ni les compétences ni probablement cette motivation qui était justement invoquée à plusieurs niveaux comme qualité essentielle, pré-requis spécifique ; et d’un autre côté, lorsque je prenais en compte les clauses du contrat que j’avais réussi à négocier, force était de constater que je n’avais pas droit à l’indemnité maladie sauf dans les cas de, que je n’avais droit à aucun congé maternité, et pour ce qui était des congés payés et des cotisations, il était seulement prévu que. Mais à tout bien considérer, à force de serrer les dents, et motivée par la volonté de montrer à mes parents que je n’étais pas une incapable, je réussis quand même à résister jusqu’à la fin de l’année, au moment où, prenant acte du fait que je ne pouvais plus supporter la situation dans laquelle je me trouvais – sans doute par ma faute, influencée par les illusoires attentes que je m’étais créées, ou plus probablement incapable d’entrer en relation de façon concrète avec le monde du travail – je décidai de tout laisser tomber et d’en informer le : on discuta un peu, mais personne ne fut étonné de ma décision, on me fit un discours standard sur les potentialités et sur la détermination, on me dit enfin que, d’après eux, j’étais une personne du genre, en raison de quoi j’aurais dû être plus.

6Au cours de la même période, avec un effort supplémentaire de la part de mes parents, je réussis à obtenir mon diplôme de fin d’études : j’y avais mis plus de, mais c’était le temps effectif moyen qu’y avaient employé tous mes amis ; et quelques jours à peine après l’obtention du diplôme, je me hâtais de reproposer mon C.V. revu, corrigé et augmenté de l’indispensable mention concernant les compétences informatiques, aux agences d’intérim, en choisissant surtout celles qui. Diplôme ou pas, j’avais désormais opté pour les agences d’intérim, car à cette époque-là, c’est du moins la certitude que je m’étais forgée, elles offraient la possibilité réaliste, opérationnelle (comme on dit dans leur jargon) de trouver un travail, même si à partir du moment où on s’adresse à elles, on doit d’une façon ou d’une autre accepter toutes les offres qu’elles proposent, même en dehors de son domaine de compétences, on doit se montrer toujours conciliant et disponible, et on doit surtout être disposé à se déplacer d’un endroit à un autre, à se montrer assez souple pour passer d’un contrat de stagiaire à celui d’un emploi-formation en fonction du contexte du poste où l’on est placé, mais ce qui m’arrivait de plus en plus souvent, c’est que dès que je commençais à m’habituer à un travail, je me rendais compte que mon contrat était arrivé à échéance, et du jour au lendemain je me retrouvais à nouveau dans la condition de devoir attendre une autre offre de travail, qui pouvait ne pas arriver rapidement, si bien que dans ce laps de temps, entre un travail et un autre, je passais la plupart de mon temps à. La première année, j’ai changé jusqu’à, continuellement en proie à un stress indicible : je me retrouvais à chaque fois face à de nouveaux chefs, de nouveaux collègues, de nouveaux contextes de travail et, à chaque fois, je devais m’adapter, rester attentive, ne pas trop montrer les côtés les plus excessifs de mon caractère, parce que je savais qu’un seul coup de fil pouvait suffire à me faire perdre mon travail, ou pire, à me retrouver sans la moindre chance de m’en voir proposer d’autres.

7Quand j’en eus assez de cette situation, je laissai tout tomber et je trouvai un travail dans un, où je faisais un peu de tout, un endroit où, pour parler franchement – je m’en aperçus très vite – je me sentais exploitée plus encore que dans tous les précédents emplois que j’avais occupés, et là encore j’en vins à penser que c’étaient peut-être mes propres penchants masochistes qui me poussaient toujours à trouver des emplois qui ne me satisfaisaient pas et qui comme celui-ci étaient mal payés, ou encore une fois, si ce n’était pas moi qui rêvais d’un train de vie trop élevé, trop éloigné de ma propre réalité, comme si je m’inventais un rôle, une condition économique qu’en réalité je ne pouvais me permettre, qui n’était pas la mienne, et c’est ainsi en définitive – si je devais faire un bilan – que j’avais presque toujours accepté les conditions de travail que l’on m’avait offertes, mais que je m’étais sentie presque toujours une étrangère, et je finissais maintenant par considérer tout sous un nouvel angle : peut-être n’était-ce qu’un faux problème, pourquoi ne devrais-je pas me sentir étrangère dans mon travail ? Peut-être que justement travailler signifie se sentir étranger ; mais en même temps, ce qui m’inquiétait, c’est de me rendre compte qu’au lieu d’acquérir des compétences, mes capacités étaient réprimées au détriment de. Et à ce propos je pourrais vraiment donner mille exemples du comportement des différents employeurs à mon égard, comportement qui relevait peut-être de la bonne foi, mais peut-être aussi d’un jugement erroné quant à mes.

8Aujourd’hui, je suis au chômage, bien qu’il m’arrive de temps à autre de travailler dans les, où j’en vois de toutes les couleurs, depuis celle qui me renvoie parce que j’ai, à celle qui, pour économiser quelques euros sur ma paie, me remplace par une autre, qui par rapport à moi est ; et pendant ce temps, dans le reste du temps de ma vie, dans celui que je peux au moins décider de gérer comme je veux, ou du moins ai-je l’illusion de pouvoir le faire, disons que je suis en train de chercher un nouvel équilibre et pour l’instant en tout cas, j’ai pris une grande décision : je me déconnecte du reste du monde, et pendant un certain nombre d’heures par jour, je n’y suis pour personne, je fais semblant de ne plus exister, et si quelqu’un me cherche, il doit venir ici, c’est lui qui doit venir me trouver, et face à moi, les yeux dans les yeux, qu’il me dise enfin ce que je suis.