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    Plan détaillé Texte intégral Les protagonistes du drame désignés par eux-mêmes Historiens à la barre du xixe siècle à nos jours Au rendez-vous des Anglo-Saxons Retour en France en passant par l’Italie Au cœur de la mêlée, questions et bilans Un affrontement de classes Marginaux et clientèles Les négociants et leur nébuleuse… un retour en force ? Notes de bas de page

    Les sans-culottes marseillais

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre VII. Trois lectures, dont la mienne

    p. 195-221

    Texte intégral Les protagonistes du drame désignés par eux-mêmes Historiens à la barre du xixe siècle à nos jours Au rendez-vous des Anglo-Saxons Retour en France en passant par l’Italie Au cœur de la mêlée, questions et bilans Un affrontement de classes Marginaux et clientèles Les négociants et leur nébuleuse… un retour en force ? Notes de bas de page

    Texte intégral

    1En adoptant le terme de « lectures » pour ce tour d’horizon final, je me garde de recourir à celui de discours, qui pourrait renvoyer à une approche que je ne maîtrise pas et que j’apprécie sous la plume de Jacques Guilhaumou, dont j’ai tenté d’assimiler le travail pionnier sur Marseille républicaine (j’en reparlerai in fine). J’espère ne pas trop défigurer sa pensée, en proposant en première étape de l’enchaînement annoncé un commentaire sommaire de la lecture des événements marseillais de 91-93 telle que les acteurs et partenaires nous la délivrent au fil de leurs déclarations à chaud. Une seconde séquence donnera la parole à une sélection des commentateurs, chroniqueurs, érudits, historiens, essayistes qui depuis le lendemain des faits jusqu’à aujourd’hui ont apporté leur version. Je me suis réservé le privilège d’opiner en dernier dans ce débat.

    Les protagonistes du drame désignés par eux-mêmes

    2Entre 1789 et 1791, il y a déjà une image faite de Marseille et de ses affrontements violents et de son peuple : reçue à Paris, elle a fait l’objet de débats à l’Assemblée Nationale, où Mirabeau a dû monter au créneau pour plaider le dossier de la capitale phocéenne. Mais sur place elle n’est pas récusée par tous : le major de Beausset à qui cela ne portera pas chance a qualifié le club à son ouverture comme le « réceptacle de l’écume de la cité ». Nous avons suffisamment évoqué les commentaires de Blanc Gilly, patriote précocement repenti annonçant la venue de 500 brigands en juillet 1792 pour ne pas y revenir. Il colporte la représentation d’un ramassis cosmopolite de tonalité exotique. Dans les Nuits de Paris, Restif de la Bretonne qui relate le cauchemar des massacres de septembre 1792 a été éveillé par le cri « Vive la mort » dans lequel il a identifié une voix marseillaise. Les notables marseillais en conviennent, lorsqu’ils tentent de justifier l’une des expéditions sur Aix-en-Provence le 26 février 1792, alléguant l’excitation des « têtes ardentes » de leurs compatriotes.

    3Quand les tableaux de foule de ces premières années laissent entrevoir dans leurs aperçus assez indistincts des éléments populaires, les compagnons, les « prolétaires » sortis de la Butte des Carmes le 8 septembre 1792, les femmes aussi, véritables furies ou harengères signalées en ces jours, on peut dire que l’ethnotype du Marseillais est constitué. Au sortir de l’épisode des pendaisons et des exécutions nocturnes de l’automne à l’hiver 92-93, ce ne sont point les expéditions des armées marseillaises d’Arles, à Eyguières, à Salon, qui peuvent améliorer ce portrait charge. Les missionnaires patriotes qui s’en étaient venus depuis 1791 avec le projet d’établir pacifiquement l’ordre et la loi se voient débordés par l’émergence des troubles populaires dans l’espace provençal, et relayés par une génération de militants de nouvelle venue : les patriotes du 10 août et du 21 janvier, plaçant les anciens leaders comme Isoard en fâcheuse position, entre cette surenchère et la protestation dans une certaine mesure également populaire contre les excès de violence terroriste. Et s’il se trouve parfois un clubiste pour se féliciter de l’efficacité du nom de marseillais pour épouvanter les contre-révolutionnaires ou ceux qui seraient tentés de le devenir, le club jacobin partagé entre modérés et radicaux adopte un nouveau langage, que Jacques Guilhaumou désigne sans détours comme un discours de lutte de classes. Aligné sur les positions parisiennes de la Montagne après avoir désavoué Barbaroux et mené campagne contre les « appelants », le Club se réfère toujours dans sa profession de foi républicaine au peuple dont il aspire à être le guide « Notre club qui a toujours été et peut encore être le point central d’où sont sortis tous les traits de lumière et les élans du vrai patriotisme qui se sont répandus dans les sections… » Mais cette initiative lui échappe : à l’extérieur de la ville les dernières expéditions de l’armée marseillaise ont révélé un malentendu sanglant quand les Salonais ont répondu aux commissaires « nous n’avons aucune plainte à faire [contre l’aristocratie bourgeoise] nous ne voulons que la paix ». Mais en ville, d’une section populaire, la 13, émanait le 5 janvier 93 un autre son de cloche « le peuple commence à acquérir des lumières, il commence à comprendre que les ministres, que plusieurs des représentants de la nation qui sont bien nourris et bien vêtus se soucient fort peu de la misère du peuple qui est nu et meurt de faim… » Cette tonalité enragée, ou hébertiste selon que l’on voudra n’exprime qu’une des tendances du mouvement de contestation qui émane alors des sections. Elle est partagée par un certain nombre des dirigeants historiques du club, tel Pâris à qui il sera reproché d’avoir prêché la loi agraire au temps des sections. Les commissaires jacobins estiment s’être heurtés à Salon à « l’aristocratie des richesses [qui] règne dans cette ville, asile d’une infinité de ci-devant nobles et de ci-devant gens de robe qui depuis le 10 août ne pouvant plus conjurer ostensiblement conspirent dans l’ombre ».

    4Le spectre de l’aristocratie des richesses n’est en fait qu’une délocalisation dirait-on, de la situation marseillaise ou dans les sections « les patriotes du 10 août » sont nombreux et influents. Les dirigeants du club que J. Guilhaumou classe au rang des notables jacobins tentent alors quand ils proclament Marseille « Montagne de la République », ce qui peut apparaître comme une fuite en avant, de promouvoir le projet d’un pouvoir révolutionnaire régional qui les fera suspecter un instant de velléité fédéraliste, mais surtout ils adoptent un discours « classiste » qui désigne l’ennemi désormais : l’aristocratie des riches, qu’ils se proposent de réduire par un ensemble de mesures de taxation et de désarmement, malaisément opéré. La désignation passe-partout s’est désormais précisée : alors qu’à l’automne 92 la Société Populaire partagée entre modérés et jacobins avancés avait encore désigné comme aristocrates « tous les particuliers qui empiètent sur les propriétés » (26 octobre 1792), elle reçoit désormais l’appui des représentants en mission, Bayle et Boisset, qui dénoncent les « riches égoïstes et leur orgueilleuse opulence », et confirment la nécessité de combattre les sections aristocratiques (14 août). Dans cette dénonciation, ils ont un temps tenu à laisser la porte ouverte aux sectionnaires de bonne foi « dupes du stratagème des méchants » (28 avril), dénonçant la propagande des aristocrates auprès des ouvriers, mais l’attention se crispe sur les aristocrates déguisés, qui vont être désignés comme intrigants : le terme fait fortune, Jacques Guilhaumou en a donné une analyse lexicologique approfondie, que mérite son ambiguïté même puisque nous allons le voir « récupéré » sans tarder par le camp adverse. Auparavant, laissons une dernière fois ou presque la parole au Club ou ce qu’il en reste en fin mai dans le cadre de son comité central en exil à Salon. Il lance avant de se disperser un ultime appel contre les traîtres et les bourreaux du peuple : les sections sont dirigées par les marchands, des capitaines de vaisseaux et « toutes les personnes riches de la ville », aux fins d’anéantir la société populaire qui a eu le courage de dire que c’était aux riches à pourvoir aux besoins des femmes et des enfants de ceux qui vont verser leur sang au service de la patrie.

    5Qui sont les intrigants ? Il est passionnant de suivre la migration du terme d’un camp à l’autre. Dès octobre 92 les commissaires marseillais à Salon s’étaient dits victimes non seulement de l’aristocratie des richesses mais des intrigants. Que ceux-ci soient à l’œuvre dans les sections est évident en mars et avril, et les 11 et 13 mai le club lui-même dénonce leur présence en son sein « riches patriotes du 10 août et du 21 janvier [qui] ont à cœur d’annihiler notre société… dénoncent nos orateurs comme intrigants et se disent honnêtes gens », lorsque les sections lui demandent alors de suspendre ses séances, il réclame qu’on lui désigne ces intrigants qu’il est censé abriter… Tardive réaction, le 2 juin il sera supprimé après une complète palinodie. Mais il était dès lors largement abandonné pour les sections, et Isoard plus tard évoquera son combat solitaire dans les sections. Une section leader, la 10, avait cependant répondu auparavant le 18 avril à la demande de justification formulée par le club : on était bien conscient, disait-elle, qu’il y eut dans les sections à la fois des aristocrates et des intrigants, et qu’il convenait de surveiller les deux, mais surtout les seconds, car ils étaient plus dangereux que les aristocrates.

    6La campagne des sections dès lors bat son plein et le discours sectionnaire contre les intrigants s’affirme alors que la dénonciation des aristocrates s’efface. Elle va connaître son triomphe, si l’on peut dire, alors même que des intrigants triomphent dans les sections infiltrées.

    7Qu’il y ait eu un mouvement concerté pour infiltrer les sections et en faire basculer la majorité n’est pas contestable, et a été perçu dès lors comme on l’a vu dans le discours jacobin. Mais du côté même des sections, un témoignage vient dès le 1er avril de la section 3 où un membre de l’assemblée relève la grande affluence de citoyens qui se rendent aux sections, ajoutant en commentaire que cela ennuie les ennemis des sections qui se plaignent que ces « agitateurs mettent la révolution en pièces ». En mars, le club pressait ses membres d’assister aux assemblées sectionnaires pour contrecarrer l’influence des mauvais citoyens. On dispose du témoignage ultérieur d’un royaliste engagé dans les événements, le chevalier de Fontvielle qui a relaté dans ses mémoires comment à sa connaissance les événements se sont enchaînés. Tout commence quand les clubistes se sont divisés en deux factions, dont l’une a quitté le club pour les sections, au temps de l’attaque contre le maire Mouraille, à l’hiver 93. Les plus modérés et talentueux des clubistes s’étant reportés sur les sections, les honnêtes gens s’y portent en foule. Des négociants de haut vol, Samatan, Granier, Seimandy ont persuadé notre chevalier de les rejoindre, ce qu’il a fait dans la section 2, habile couverture à un moment où il craignait d’être arrêté comme suspect. Le caractère concerté de l’opération paraît confirmé par la réponse faite aux représentants en mission, Bayle et Boisset, qui demandaient aux sections d’exclure les nouveaux venus de leurs assemblées. La 10, en pointe, refuse de se plier à l’exigence d’une carte d’entrée, donnant comme argument qu’il n’est aucun caractère certain pour reconnaître le bon républicain et l’ennemi de la République.

    8Plus qu’un argument opportuniste (qu’elle est certainement) telle réponse me semble révélatrice d’un moment dans la montée du mouvement républicain, ses animateurs proclament qu’ils le sont, et même les seuls authentiques : ce dont conviennent sans discussion nos historiens actuels. Il n’en reste pas moins qu’à cette date, les désignations de référence alors cardinales s’effacent. Que deviennent les Sans-culottes ? Un orateur de la section 13 oppose dans son discours les Sans-culottes et les méchants, « monstres qui affichent le titre de Sans-culottes en même temps que ce sont des intrigants qui ne voient que leur intérêt personnel et leur cupidité ». Le Sans-culotte naïf se voit reléguer hors du jeu. Anticipant sur la fin de l’aventure nous ne le voyons revenir qu’in extremis, à l’agonie du fédéralisme marseillais, le 20 juillet quand 400 manifestants se regroupent devant le Comité Général des sections au cri de « nous sommes les Sans-culottes ».

    9Exit le Sans-culotte… mais qu’en est-il du patriote au sortir de l’affrontement entre patriotes de 89 et 92 ? Isoard l’avait pressenti dès le 20 décembre lors des attaques contre le maire. En juin, le comité central des sections vote que « le titre de patriote de 89 doit être regardé comme mauvais citoyen » (vieux style).

    10La parole est aux honnêtes gens. L’expression n’est pas nouvelle, pour avoir été couramment employée, dans une acception positive, ainsi par le maire Mouraille soucieux de prendre ses distances de sa compromission avec les frères Savon lorsqu’il affirmait en janvier 1793 défendre les honnêtes gens contre « la faction vivant de crime et de brigandage ». Mais le terme faisait également partie de la panoplie du vocabulaire de l’exécration chez les jacobins comme chez Bayle et Boisset, englobé dans le paquet modérés, aristocrates, riches égoïstes… honnêtes gens. Réhabilité quand s’efface la marque « patriote du 10 août », le 12 juin 93 le manifeste de Marseille aux républicains français s’adresse aux gens de bien contre les factieux. En face il ne reste que des fauteurs de trouble, agitateurs de l’ordre, ou simplement de mauvais citoyens quand les sections à leur tour sont désertées dans le cours du mois de juin 93, ou qu’on y demande le retrait de l’armée départementale marseillaise. On ne s’en tient toutefois pas là : de la dénonciation des intrigants, l’escalade des mots conduit à l’anathème porté contre les anarchistes, et au degré supérieur les brigands.

    11Le terme d’anarchiste qui s’enfle alors aux dimensions d’un leitmotiv n’est pas nouveau, tel qu’il se superpose à celui d’agitateur, imputation moins grave comme n’impliquant pas un système constitué. Guilhaumou et Scott sont d’accord pour faire remonter l’origine de l’escalade aux affaires de Salon où s’est aggravée l’image du commissaire marseillais ennemi déclaré des riches, terroriste en accord avec les pendeurs, un peu plus qu’un tigre de papier, qui détruit celle du missionnaire patriote apportant la paix. Une adresse de la section 24 reprend le réquisitoire contre ces commissaires, leurs pillages, leurs contributions arbitraires, l’apologie de la loi agraire faisant de tout propriétaire un suspect. C’est elle qui lance le terme de l’agitateur à face hideuse, sur lequel la 2 renchérit le 27 avril en déclarant « il est temps que l’anarchie de quelques buveurs de sang cesse, et que revienne le bon ordre ». Cette campagne s’inscrit dans tout un mouvement organisé dont le Journal de Marseille de Ferréol Beaugeard est l’organe, et qui inscrit la situation marseillaise dans le contexte parisien de la grande attaque contre Marat et sa « horde sanguinaire ».

    12Le 30 mai, à rebours de ce qui se prépare à Paris, les sections 7 et 12 se déchaînant contre Marat tout en affirmant « ni droite ni gauche » ont proclamé la fin du règne des brigands. Mouraille, rappellera-t-on, l’avait affirmé dès le mois de janvier : mais la rancune est longue et le souvenir des pillages et exactions des commissaires, amalgamé à celui des pendeurs est transféré au Club lui-même dont le portrait charge est dressé par la 1, le 2 mai qui le dit plein de criminels échappés de leur pays, cependant que le 3 juin on dresse sa fiche d’infamie « une minorité toujours active, surveillante et audacieuse ». On sait que la répression ne se limita pas au stade imprécatoire, et qu’après les mauvais garçons avérés, Savon et Seytres, les leaders jacobins comme Barthélémy et quelques autres payèrent de leur passage à la guillotine les « crimes » passés des « Marseillais », ce titre collectif jadis de gloire désormais d’exécration comme une motion de la section 13 l’avait proclamé dès le 7 novembre.

    13Au secours ! Les riches reviennent. Sur la lancée des âpres dénonciations de l’aristocratie de la richesse, le Club même divisé lançait encore en décembre 1792 une dénonciation contre les riches et les autorités constituées ; le 17 mars, les trois corps créaient un comité de secours pour taxer tous les citoyens aisés. Mais déjà les choses avaient bien changé, depuis l’hiver 93 où lors du renouvellement du bureau des assemblées beaucoup s’abstiennent « principalement les riches » nous dit-on. Nous avons vu plus haut comme ils ont révisé leur position, dénoncés pour leur propagande auprès des ouvriers, justifiant leur hostilité à la levée de l’armée de 6 000 hommes, dernier rêve des jacobins, par le fait que cela débaucherait les travailleurs du commerce. Mais toutes manœuvres deviennent superflues à partir du moment où les sections publient un « Éloge des riches nos frères » : ces négociants et gens aisés dont le commerce est nécessaire à la prospérité de la ville et qui s’affairent comme certains négociants à alimenter la cité menacée par la disette. Cette attitude se manifeste significativement par deux stratégies contradictoires ou complémentaires : le 26 mai l’industrieuse section 12 a demandé que les assemblées ne se prolongent pas au-delà de 10 heures « car le plus grand nombre sont obligés de se lever tôt ». Mais autre son de cloche : la section 18, prudence oblige, propose quand le climat commence à se gâter, de désarmer les ouvriers. Geste de défiance qui ne fait pas l’unanimité puisque des sections comme la 7 et la 16, de peuplement mitigé manifestent leur refus.

    14Et cependant, il faut bien faire un geste : le 8 juin le journal des Sections lance un appel dans la direction de ceux qui ne fréquentent plus les assemblées1. C’est à cette époque aussi qu’une section périphérique comme la 24 entreprend une campagne de sensibilisation des habitants du terroir, si traditionnellement négligés : mais il ne semble pas que la réponse des propriétaires ait été massive. En fait, en ces temps où les affrontements de classe se réveillent pour aboutir à la révolte de la section 11 et de ses voisines à la veille de la chute de la ville de Marseille, il est bien tard pour regagner les masses.

    15Et c’est ici que l’on se sent, non point gêné mais interpellé : dans cette cavalcade des désignations de nos Sans-culottes par eux-mêmes, où le statut social des participants finit toujours par se dévoiler, mais englobé dans le langage de l’exécration, direct ou enveloppé, aristocratie de la richesse, intrigants, anarchistes, brigands… l’on ne voit point apparaître le rêve et même la réalité d’une expérience vécue peut-être un temps, jusqu’à quel point ? Celle de la souveraineté naturelle dès le 29 mars, fut-elle rajustée en souveraineté relative, celle de la proclamation de la reprise de la parole, au nom du droit de résistance à l’oppresseur.

    16« La société républicaine est aujourd’hui confondue dans les sections » a-t-il été proclamé le 11 mai. Souveraineté, république indivisible, respect des personnes et des propriétés, sûreté, résistance à l’oppression : une certaine idée du peuple, réunion de citoyens dans ses assemblées permanentes a été proposée, fut-elle assez vite désavouée dans la pratique quotidienne.

    17À quelles réalités dans les pratiques et dans les têtes ont répondu ces affirmations, ces proclamations ? Avant de passer en revue ce qu’en ont écrit les historiens jusqu’à nous-mêmes, rappelons au moins quelques-unes des évaluations portées à chaud par des acteurs ou des témoins privilégiés au cœur de la crise.

    18Le 11 pluviôse an II, Moyse Bayle, représentant en mission, écrit à Barère au Comité de Salut Public « Il n’y a à Marseille que les négociants hommes de loi et une portion de citoyens égarés qui aient fait la contre-révolution. » Reprise mais a minima, de la dénonciation ciblée de Bayle et Boisset, comme de celle que portaient les jacobins de l’été 93.

    19Marc Antoine Julien, l’un de ceux qui raisonnent et analysent à distance obtempère « La masse même des patriotes du Midi n’est pas à la hauteur de la République, il faut porter la Lumière dans ces contrées trop éloignées du Centre ». À cette pédagogie rééducatrice, Fréron qui arrive avec ses gros sabots dans la « ville sans nom » reconquise ne croit pas : « Marseille est incurable à moins d’une déportation et d’une transfusion d’hommes du Nord ». Il n’en aura heureusement pas le loisir, ni des moyens à hauteur de ses ambitions.

    20La parole est désormais aux chroniqueurs du siècle suivant qui vont adopter un autre style.

    Historiens à la barre du xixe siècle à nos jours

    21Dans les écrits des historiens marseillais du xixe siècle, proches encore des faits et de la mémoire, on puise une information irremplaçable sans doute au niveau d’une chronique engagée quelles que soient ses prétentions, mais partiale partagée entre un orgueil municipal et l’âpre dénonciation des forfaits d’une révolution venue d’ailleurs, comme de ses relais locaux. Lourde (1839) ou Lautard (1844) constantes références, transmettent sans trop de nuances la condamnation transmise, les clichés reproduits depuis Blanc Gilly et les chroniqueurs locaux, contre-révolutionnaires. Chronique de violence populaire, avec ses martyrs, les pères Nuirate et Taxy, le curé Olive, et ses pendeurs, les frères Savon, avant le déferlement de la Terreur et des exécutions massives qui frappent la classe riche et éclairée, les négociants élite de la cité, fondements de sa prospérité. Le vieillard Samatan, qui a aidé de sa fortune les Marseillais monte à l’échafaud malgré son âge. À ce réquisitoire de la légende marseillaise, il y a des contreparties, l’éloge de ceux qui se tiennent bien, détenteurs de la tradition, des solidarités professionnelles, familiales et religieuses : ce sera le monde de la mer mais aussi les portefaix (avec quelques bémols). Dans le camp révolutionnaire, les équipes municipales, sujet sensible à Marseille, sont diversement jugées. Monsieur Martin accompagné de Madame est un personnage respectable qui se retire dans la dignité, à l’inverse, Mouraille l’astronome fourvoyé en politique n’échappe pas à une appréciation méprisante pour ses fréquentations plus que douteuses. Des héros se détachent, des jeunes, Rebecquy ou Barbaroux porte-parole emblématique qui a su galvaniser les « 500 Marseillais qui sachent mourir »… À côté des héros individuels, héros collectifs : civils ou militaires, les historiens républicains de la seconde partie ou de la fin du siècle ont à cœur en réhabilitant la mémoire des fédérés du 10 août, qui ont imposé à Paris la Marseillaise comme le chant national, de corriger l’image d’une bande de métèques basanés et violents.

    22Dans ce simple rappel, on sent que notre Sans-culotte dans ses sections peut avoir quelque peine à trouver sa juste place. On évoque plus volontiers le club de la rue Thubaneau, un mauvais lieu déjà serait-on tenté de dire, même si les chroniqueurs n’ignorent pas l’afflux qui se porte sur les sections à l’été 1792 et plus encore à la veille du soulèvement fédéraliste. Mais la problématique générale du Fédéralisme, que l’ouvrage de Wallon introduit dans l’historiographie de la Troisième République, va trouver à Marseille un commentateur érudit qu’il convient de saluer en la personne de Georges Guibal, représentatif d’une érudition universitaire digne de l’époque positiviste. Son récit événementiel porte son âge, il n’en a pas moins fourni une trame de référence, un canevas qu’on a pu discuter, ainsi sur une périodisation qui a l’audace de parler d’un fédéralisme jacobin : après s’en être offusqué on y revient aujourd’hui. Des premières années du xxe siècle aux années 1960, le chantier somnole, même si Pierre Guiral a fait soutenir en 1959 à l’une de ses élèves, Mademoiselle Genta, un mémoire – un « diplôme d’études supérieures » – sur les sections marseillaises. Travail estimé de ceux qui ont pu le consulter, mais encore l’esquisse d’une esquisse.

    23Lorsque je me suis attaqué au chantier du « Sans-culotte marseillais » dans l’idée d’en faire une thèse comme je l’ai relaté dans mon introduction, entre 1962 et 64, puis d’en faire progresser le chantier par mes recherches et celles de mes élèves dans les années suivantes (de 65 à 86), j’ai pu constater au fil de mes efforts inaboutis que le chantier s’était peuplé. Marseille est devenu dans les années 60 le lieu d’un grand rendez-vous, un peu comme Venise dans le conte de Voltaire, à cela près qu’on n’y venait pas pour le carnaval, mais plus sérieusement pour y faire des thèses, plus rapidement qu’en France, encore que celles que je vais évoquer soient le fruit de recherches très documentées.

    Au rendez-vous des Anglo-Saxons

    24J’ai eu l’occasion d’en utiliser certaines au fil de ces pages, si je les reprends ici ce n’est pas dans un seul souci historiographique et critique, mais pour les points de vue et interprétations que j’entends désormais confronter. La première vague fut anglo-saxonne, britannique avec William Scott, élève de Richard Cobb, américaine avec John Cameron et Michael Kennedy, le premier élève de G.V. Taylor à l’Université de North Carolina, le second formé à Cornell University. Alors, comme on l’a vu, maîtres et chercheurs français défendaient des chasses gardées, mais c’est sans gêne que Taylor ou Cobb émancipés eux-mêmes de la tutelle des maîtres, envoyaient leurs élèves à la conquête du vieux continent, au risque de les voir se marcher sur les pieds, comme on pourra en juger. Y avait-il l’arrière-pensée, consciente ou inconsciente, à défaut de s’attaquer à la citadelle parisienne d’Albert Soboul et à ses Sans-culottes de porter un coup d’estoc par une offensive en flanc à la lecture « jacobine » ou sociale dont on avait imposé le modèle ? Je n’ai pas connu Cameron et Kennedy, à peine entrevu Scott, chercheur secret. Les deux premiers ont dû communiquer puisque Cameron utilise les comptages de Kennedy, dont la thèse a été publiée en 1973 après avoir été achevée à peu près simultanément avec la sienne restée inédite en 1971. De son maître William Scott a hérité une solide aversion à l’égard de la quantification et des approches sociologisantes considérées comme une mode française, de même que le rejet des clichés reçus propres à alimenter une lecture classiste : qu’ils aient été mis en forme à Marseille par Bayle ou Boisset dénonçant l’aristocratie marchande, ou en écho à Paris par Danton pourfendant l’oligarchie mercantile. En même temps qu’il récuse les comptages et les listes, l’historien britannique effectue une tournée précise et complète des sections, au service d’une analyse fouillée de leur affrontement avec le club. Pour lui, le gonflement des effectifs des assemblées n’est pas une évidence générale, l’afflux des « nouveaux » patriotes de 1792 une illusion car ce sont les mêmes acteurs qui se retrouvent de bout en bout, jusqu’après la crise fédéraliste. L’accusation portée contre les riches ne lui semble pas pertinente car les négociants n’apparaissent qu’épisodiquement sans tenir un rôle marquant. Il le justifie sans éviter le piège de tomber dans un des clichés qu’il pourfend volontiers « Traditionnally the merchant of Marseille was not a political animal ». Pour lui c’est un recrutement inchangé d’éléments de la classe moyenne qui a prévalu où hommes de loi, pédagogues, bourgeois ont conservé une place distinguée, sans pour autant que soient exclus les gens humbles, maçons, tanneurs, portefaix. Cet impressionnisme voulu, d’autant plus paradoxal qu’il accompagne une foule de notations précises aboutit à un scepticisme à l’égard de toute conclusion comme à l’égard des sources, trop fragmentaires et discontinues pour qu’on en puisse faire un usage systématique.

    25Des méthodes quantitatives, Michael Kennedy et John Cameron n’ont pas dédaigné de faire usage, ils ont joué le jeu, surtout le premier de la collecte des sources sérielles et de leur exploitation précise, non exclusive d’une critique de leur validité et de leurs lacunes. Sur le recrutement du club nous sommes (je suis) redevables aux évaluations de M. Kennedy, auxquelles mes sondages complémentaires ne sauraient se substituer. Reste le différend sur le code de lecture, clef de l’exploitation de ces listes : un débat sur lequel je ne veux pas revenir pour l’avoir évoqué en lieu et place, mais où il me semble que Kennedy et Cameron (qui lui emboîte le pas) ont été victimes de leur docilité à l’égard du codage hérité (fut-ce avec des ajustements) de Crane Brinton. Chacun assume ici la responsabilité de son système de référence : chez Kennedy le souci d’une approche sociale subsiste, qui scande les étapes du recrutement du club, il ne minimise pas le rôle des poussées de fièvre du mouvement populaire même si, à la tête du club, il conclut dans le sens de la stabilité des leaders : « les mêmes qui dominaient avant la rébellion gardèrent la direction des affaires durant la Terreur ».

    26J’aurai moins d’indulgence à l’égard de John Cameron, avec qui je suis en posture d’entamer, après cinquante ans écoulés, un débat plus direct encore qu’avec les autres, puisque c’est du mouvement sectionnaire précisément qu’il entend partir aux origines du fédéralisme. Mais outre la codification sociale maladroite qu’il partage avec Kennedy, il pèche, me semble-t-il dans la constitution du corpus. Je ne saurais lui faire reproche de n’avoir pas mené l’enquête dont je présente avec scrupule les éléments rassemblés : mais il a associé à une liste des cadres officiels des sections, une sélection impressionniste d’éléments glanés sans système représentant la base, et donné l’ensemble comme représentatif du mouvement sectionnaire. De telles manipulations autorisent l’obtention de résultats aussi miraculeux que ceux qu’il avance dans sa comparaison de la sociologie du club et de celle des sections gratifiant une bourgeoisie composite d’un même score (53 ou 54 %) à une unité près, pour conclure sur la « remarkable similarity between the social composition of the sections and that of the club give the political interpretation preference over the social one ». J’ai apprécié dans le travail de J. Cameron la statistique des fédéralistes présentée avec un souci d’honnêteté scrupuleuse comme reflet d’une source, celle de la répression : on avance ici dans la clarté, et non dans le parti pris anti-classiste qui s’est dévoilé précédemment.

    27Les approches monographiques ponctuelles des chercheurs anglo-saxons des années 60-70 ont déblayé le terrain, me permettant à moi-même de baliser les points d’accord et de désaccord, que ce soit sur la place des affrontements de classe aux origines du fédéralisme, en passant à l’identification et l’importance respective des acteurs sociaux, pour évaluer le dynamisme, entre continuité et ruptures, du mouvement social. Une étape a été franchie depuis lors, où de nouveaux chercheurs d’outre-manche ou d’outre-atlantique ont été amenés à revisiter le chantier du fédéralisme marseillais à titre d’illustration dans le cadre d’approches synthétiques sur cette problématique générale. C’est qu’elle est revenue sur le devant de la scène, dans les années 1980 et 90, en reflet de l’intérêt porté alors dans un contexte historique voire politique au problème du ou des fédéralismes.

    28Parmi d’autres, en choix inévitablement sélectif, j’appelle à la barre Colin Lucas et Allan Forrest. Colin Lucas a travaillé sur le Sud-est en révolution, sans trop tomber dans le piège de Marseille, qu’il a fréquenté, il prend du champ dans sa contribution à l’ouvrage dirigé par Jean Nicolas sur « Mouvements populaires et conscience sociale » (1984-85) livrant une réflexion sur « Résistances populaires à la Révolution dans le Sud-est » qui s’ouvre habilement sur une citation de Carnot tirée des mémoires de Thibaudeau « Tu n’as pas idée de ce pays-là, il ne ressemble à aucun autre. Tout y est terroriste ou royaliste. À Dijon ou à Poitiers on raisonne, on s’explique, à Marseille on commence par le poignard ». Cette boutade était bien faite pour Thibaudeau qui quitta Marseille en 1814 par les toits de sa préfecture ! Colin Lucas redouble l’effet en abordant à partir du cliché de la violence marseillaise la revue des composantes du tempérament méridional. Accordant une grande attention au monde rural, il n’en dissocie pas les villes et parmi les points chauds – Nîmes, Avignon, Toulon – Marseille tient sa place, où le mouvement fédéraliste apparaît comme un moment de vérité. Colin Lucas n’est pas aussi « anticlassiste » que nombre d’historiens anglo-saxons : il reconnaît l’importance des clivages verticaux, qu’on pourrait désigner comme lutte des classes, il ne finasse pas pour exonérer l’aristocratie mercantile du grand port. Mais il invite utilement d’abord à affiner les approches sociales : l’artisanat n’est pas monolithique, au sortir du régime corporatif il y a les perdants et les gagnants, et des artisans pro ou contre-révolutionnaires il en rencontre à Marseille comme dans les villages. Puis il insiste aussi sur l’existence des clivages horizontaux, et de leur complément, les solidarités, qu’il décline en termes de solidarités de quartier, de solidarités familiales, de clientèles. Autant d’incitations que nous sommes prêts à suivre. Il invite à une mise en espace large des affrontements lorsqu’il évoque les groupes armés en 1792-1793 sortant des places fortes jacobines : comment ne pas penser aux armées marseillaises telles que Jacques Guilhaumou les a redécouvertes au fil des « promenades civiques » de ses héros ?

    29Mais plus encore, Colin Lucas esquisse une périodisation qui nous intéresse directement, s’interrogeant sur l’idée que mes recherches sur les mouvements populaires méridionaux m’avaient amené à formuler d’un « revirement » du jacobinisme à la réaction dans les campagnes, l’enrichissant de la problématique alors en vogue de l’anti-révolution, ou de la révolte primitive au service des actions jacobines, il place en 1792 le moment où la monarchie abattue, les jacobins ont pu évincer du pouvoir local les autorités modérées (ou contre-révolutionnaires). À Marseille, quand s’opère le tournant de l’automne 1792 et de l’hiver suivant, au temps des pendeurs et des frères Savon, voici le moment, pour reprendre une expression avancée alors (dans la Drôme non loin de là…) « d’arrêter la main du peuple » pour faire triompher la loi.

    30Est-ce là le tournant crucial pour les jacobins marseillais, victimes de leur succès qui ont pris le pouvoir dans les derniers mois de 1792 et les premiers de 1793, quand va se profiler l’émancipation du mouvement sectionnaire ?

    31L’argument se retrouve dans l’article qu’Allan Forrest, autre habitué des espaces méridionaux a rédigé sur « Fédéralisme » dans le Dictionnaire critique de la Révolution Française dirigé par François Furet et Mona Ozouf (1985) où l’auteur, après avoir tenté de démystifier le malentendu du Fédéralisme vu de Paris, se tourne vers le Fédéralisme de terrain, comme réaction de rejet dans des villes dont les jacobins ont eu le contrôle dans les années précédentes. Mûries sur fond d’affrontements inexpiables, les exactions des clubs se sont donc données libre cours là où les notables locaux avaient échoué à prendre une direction ferme : et ce serait bien le cas de Marseille à la fin de 1792. Allan Forrest évoque en complément le rôle traditionnel à Marseille d’une élite négociante et rentière, mais se garde d’apparaître « classiste » en évoquant le rôle de la boutique et des artisans qui eussent été, dit-il, Sans-culottes à Paris. On n’est pas forcé de le suivre lorsqu’il cite avec sympathie l’essai très américain d’Edouard Fox sur la déroute de « La France portuaire, maritime et commerçante ».

    Retour en France en passant par l’Italie

    32L’état des lieux dressé par C. Lucas et A. Forrest au fil des années 80 et encore en 89 pour le second, représente une étape dans les relectures successives auxquelles le site de référence marseillais se prête en fonction d’un contexte historiographique modifié dans lequel le primat du social s’efface devant une relecture au politique où les problèmes confrontés aux idées prennent une importance croissante : celui de la souveraineté populaire, de la démocratie représentative, à l’épreuve ou confisquée par les jacobins, confrontée à un sursaut de démocratie directe dans les sections… Lui-même interrogé par les chercheurs : promesse ou au moins esquisse, ou aventure exposée à être instrumentalisée au service des modérés et de la Contre-révolution ?

    33Les questionnements qui n’avaient pas échappé à C. Lucas et A. Forrest assument une importance accrue dans les écrits des auteurs italiens qui prennent alors le relais, dans leur style et à leur façon, en ces années où je commence à publier une amorce de synthèse en 1986 (M. Vovelle, Le Sans-culotte marseillais, Histoire et mesure) et où Jacques Guilhaumou produit ses premiers écrits sur le sujet. Les études des historiens italiens ne raisonnent pas pour autant dans le vague, étayées sur des recherches personnelles en d’autres sites, complétées par une incursion marseillaise. Haïm Burstin dans La politica alla prova (1989) s’interroge à partir de son expérience parisienne pour tenter d’identifier les sections comme points de rencontre et d’échange de quartier, réceptacle où se répercutent les moments de tension, les peurs mais aussi les solidarités qui permettent de les exorciser. Devenues des lieux privilégiés pour faire de la politique, elles n’échappent pas aux dérives : rivalités, corruption, accaparement d’autorité par un individu ou un groupe (il signale la belle citation de la section du Panthéon, au 15 ventôse an II, qui définit « l’intrigant »). Sans l’ignorer, il ne concentre pas son attention sur les valeurs et le discours sectionnaire, relevant son « hypersensibilité sur la souveraineté ». Paolo Viola a fait le pèlerinage de Marseille et visité ses archives, il a consacré au cas du grand port un chapitre, informé dans Il trono vuoto (1989) : il débute par le tableau d’une société où en l’absence d’une noblesse « debolissima » c’est la haute bourgeoisie qui domine, les négociants « vere padroni » ont un réseau de clientèle qui justifie la particulière « aridité démocratique » initiale. Les premières années semblent illustrer le succès d’une révolution bourgeoise réussie, mais la grande bourgeoisie écartée doit céder la place à un groupe dirigeant jacobin, qui n’échappe pas dans son expansionnisme à l’escalade de la violence et de la corruption, favorisées par la faiblesse d’un mouvement populaire très faible, où l’originalité du monde de la mer favorise le particularisme, et l’assujettissement à la bourgeoisie commerçante. Pour lui, les sections désertées par les travailleurs ne sont pas de véritables centres d’agrégation démocratique. L’hégémonie jacobine, avance-t-il avec prudence, a été remise en cause par un groupe dirigeant extrémiste « rigidement lié à l’autonomie souveraine de la base sectionnaire ». Le conflit entre le club et les sections tournant à l’avantage des secondes initie une escalade qui conduit au fédéralisme, un retour de la bourgeoisie qui conquiert les assemblées générales « sur l’onde de la mobilisation ultra révolutionnaire », profitant de l’inexpérience du personnel politique jacobin. Viola salue l’importante production idéologique du mouvement sectionnaire sur la souveraineté, absolue ou relative, et la résistance à l’oppression, mais le verdict final est sévère : « seules les sociétés populaires contrôlables et non les réactions exposées aux changements improvisés peuvent poser les bases d’une participation de masse révolutionnaire ». L’idée de souveraineté locale renvoie à un mode de pensée politique totalement dépassé, sinon ouvertement réactionnaire (le concept de société naturelle opposé à société artificielle). Paolo Viola y voit les limites du provincialisme idéologique… et dans cette aventure une utopie de militants de base enragés instrumentalisée par les modérés.

    34En 1992, Antonino di Francesco qui a mené des recherches sur Lyon, s’intéresse dans une optique comparative au cas marseillais qu’il a un peu prospecté directement, et surtout à partir des études récentes comme plus anciennes. Il y consacre plusieurs pages denses dans son essai Il governo senza testa (p. 297-302, 348-349) au fil d’une étude en parallèle Lyon-Marseille. Il a lu Cameron qu’il invite à redécouvrir sans le critiquer, mais il se réfère aussi aux résultats de mes recherches déjà publiées (article de 1986) sans toujours que je me reconnaisse pleinement dans l’interprétation qu’il en tire. S’il n’exploite pas les pistes offertes, en cette même année 1992 par Jacques Guilhaumou, mais déjà annoncées, il se réfère à Paolo Viola, avec qui il partage l’appréciation portée sur la signification du tournant du 10 août quand le peuple souverain est rentré dans l’exercice de son gouvernement. La défaite du club, privé d’appui populaire fait apparaître à travers l’irruption massive de participants aux sections une « nouvelle onde patriotique » par la participation en force de sujets potentiellement révolutionnaires. Mais que signifie pour lui ce retour de la démocratie directe à Marseille et dans le Midi ? Il l’envisage plutôt en termes de continuité que de rupture, en insistant sur l’importance de la crise économique et de subsistances, qui en 93 comme en 89 crée une solidarité entre le monde de l’échoppe et de la boutique et la classe marchande, « le commerce est leur aliment, de sa prospérité dépend leur bonheur particulier ». De cela découle « la nature populaire du fédéralisme » (p. 351) puisque 50 % des Marseillais accusés de fédéralisme appartiennent au monde du travail et du petit commerce… rappelle-t-il en me citant. C’est vrai que je l’ai écrit. Je n’ai pas conclu pour autant que le cataclysme marseillais était « porteur d’un programme politique alternatif », du moins en termes de progrès démocratique.

    35Jacques Guilhaumou, que j’ai réservé pour la fin, mais on le notera après avoir invoqué avec respect et une certaine appréhension la référence à ses approches, va-t-il apporter une touche définitive au débat ? Il affirme attendre de la présente recherche sinon une conclusion, du moins l’esquisse d’un rapprochement entre étude sociologique quantitative et analyse du discours. Je voudrais m’y efforcer, surmonter le sentiment de gêne que j’avais éprouvé de prime abord en découvrant en 1992 « Marseille républicaine » : pour parler très simplement de l’espace entre les deux républicanismes – celui de Monbrion et Isoard dans leurs promenades civiques de 1791 et 92 –, celui du fédéralisme jacobin au lendemain de la reconquête de la ville en septembre 1793 y restait pour moi entouré de mystère sur le pourquoi et le comment du tournant intermédiaire, du conflit jacobins-sectionnaires à travers celui des patriotes de 89 et de ceux de 92. Ceci malgré l’étude attentive que donne Jacques Guilhaumou du suivi de l’histoire des sections entre ces deux dates. Il est vrai que c’est dans cet intervalle chronologique qui s’inscrit mon enquête, avec toutes ses incertitudes et ses tâtonnements.

    36À partir de l’étude du discours et de ses thèmes fondamentaux souveraineté populaire, souveraineté relative, comme des affrontements et des tensions dont les mots d’ordre sont porteurs, Jacques Guilhaumou conclut à l’authenticité d’une expérience démocratique. Ses plus récentes contributions en trouvent confirmation, partielle mais non futile, dans la parole donnée aux femmes (section 4) au fort de l’explosion populaire. Exemple discutable mais qui illustre la difficulté majeure d’arrimer le discours sur les réalités, la réalité bête et brute de la participation et de ce qu’elle peut vouloir dire. De ceci, Guilhaumou est conscient, qui cherche des confirmations et des pistes dans un ouvrage récent, les pages de L’histoire universelle de Marseille de l’essayiste Alessi dell Umbria (2006). Non sans brillant, ce travail informé assez superficiellement des relectures critiques actuelles (le fédéralisme terme essentiellement polémique), abusant des recours à des notions aujourd’hui banalisées (la sociabilité méridionale étudiée par Maurice Agulhon) fait appel à des clichés anciens tels que celui de la solidarité propre aux milieux liés aux activités maritimes. Négociants, marins, portefaix et marins pêcheurs, mis dans le même sac reproduisent la vision mythique du monde de la mer, opposée à une analyse classiste de la « plèbe » marseillaise. L’identité marseillaise se trouve ainsi affirmée à peu de frais face au centralisme oppressif dont les jacobins ont été les agents.

    37Me voici entraîné sur une voie polémique, injustement sans doute. Imprudemment du moins, car c’est ici que l’on m’attend à l’issue de ce parcours historiographique. En associant lecture attentive et notations critiques ce sont des interrogations que j’ai entendu formuler sur des problèmes ouverts. En les reprenant dans l’ordre à partir des résultats et des hypothèses que j’ai pu formuler, voire réviser chemin faisant, c’est un bilan que je dépose, en m’offrant à mon tour à la critique.

    Au cœur de la mêlée, questions et bilans

    38C’est sans arrogance que j’assume enfin mes responsabilités. Elle ne serait pas de mise, car je ne délivre pas un verdict.

    39D’abord parce que j’ai changé comme on s’en aperçoit : changé au fil des ans – près de 50 ans depuis mes premières incursions, le défilé historiographique que je viens de brosser témoigne que le paysage s’est modifié profondément, sans pour autant que les problèmes de fond aient été résolus. Pour ma part, si je persiste et signe dans la conviction que l’aventure marseillaise est du ressort de l’histoire sociale, comme toute histoire aurait dit Ernest Labrousse, je ne m’enferme pas dans un cadre rigide. Le tableau à double entrée, croisant secteurs de production et rapports de production n’est pas à mettre au rebut comme un vieil outil fatigué, mais il se limite à un cadre général introduisant à une ventilation plus fine, à partir des réalités de la profession, en marche vers des subdivisions et des recompositions. On ne s’étonnera donc pas qu’en le conservant pour sa capacité d’autoriser des comparaisons entre différents corpus, je l’aie simplifié en l’adaptant aux réalités concrètes de terrain, comme l’ont fait d’autres chercheurs. Ce n’est pas sans risque d’arbitraire, comme on le verra à propos de l’échoppe et de la boutique : je les assume, comme j’assume le caractère globalisant des rubriques sous lesquelles j’ai tenté de faire apparaître des réalités précises : le monde de la mer, des navigants ne s’identifie pas complètement à celui des pêcheurs, les « transports » ce sont avant tout les portefaix mais on ne doit pas oublier les robeyrols, etc.

    40En même temps que j’ai changé dans mes méthodes et techniques, essayant de redonner vie à un ensemble de listings désormais fossiles qui risquaient de devenir un carcan, c’est ma lecture qui s’est transformée, au fil même du travail d’écriture de cet essai. À mesure que les résultats s’affinaient, des nuances voire des contradictions se faisaient jour, contraignant à réviser certaines normes trop rigides : ainsi pour la définition de la catégorie des « cadres » sortis de leur anémie par une perfusion d’urgence. Mais plus encore, la confrontation du corpus sectionnaire avec celui des jacobins m’est apparue comme une nécessité impérieuse à laquelle je n’ai pu donner qu’une réponse approximative, incertaine du fait de l’imprécision des données que nous possédons sur les clubistes. La comparaison avec les fédéralistes, également indispensable, a posé moins de problèmes de sources, à partir de travaux déjà réalisés, par mes élèves ou d’autres chercheurs. Cette escalade qui relance autant de problèmes qu’elle n’apporte de réponses (mais elle en apporte !) débouche sur la partie la plus problématique de cet essai, j’espère qu’elle porte témoignage de son caractère encore vivant.

    41Le mouvement sectionnaire est confirmé comme une aventure de masse : une large proportion des Marseillais adultes a, à quelque moment, mis les pieds dans la section. Cela, on le savait, comme on savait que dès 1790 les citoyens passifs y avaient eu accès à Marseille, même si les premières listes dont nous disposons sont celles des élections encore censitaires à la Législative. Mais cet engagement dans la vie citoyenne ne s’est pas fait d’un coup : un trend général se dessine, scandé de poussées spectaculaires à l’été 1792, moins marqué à l’hiver 92-93, mais à nouveau très sensible au printemps 93, même si nous avons le sentiment de n’enregistrer que ses premières phases. Si je rappelle au risque d’être répétitif cette évidence, dont je donnais l’esquisse dès 1972 sur un graphique de mon ouvrage La chute de la monarchie, c’est qu’elle apparaissait encore peu probante à des chercheurs comme M. Kennedy. L’alternance de séquences d’expansion brutale et d’autres de contraction est confirmée à l’échelle des 8 sections étudiées, même si devenu prudent je n’avance pas le terme de professionnalisation pour l’étiage de l’automne 1792 comme je l’avais fait prématurément.

    42La seconde mise au point qui s’impose concerne la qualité même de la participation. Le peuple, ou même la plèbe comme n’hésitent pas à écrire les commentateurs qui se défient de la quantification bête, entre-t-il vraiment dans le lot de ces sectionnaires et de quelle façon ? À cela deux réponses ont été données grâce à l’opportunité exploitée de reporter les effectifs sectionnaires à ceux de la population masculine adulte. La mesure de la ponction, en fonction de l’appartenance sociale essentiellement, mais aussi de l’âge ou des quartiers, marque de grands contrastes, puis des évolutions. Pour nous en tenir à l’essentiel, il semble que des tranches de la population, des groupes entiers n’aient eu qu’une participation limitée voire infime à la vie des sections. C’est le cas, sous réserve d’inventaire plus précis, de la majeure partie du salariat de l’artisanat ou de la manufacture concentrée ou dispersée, comme c’est le cas des paysans, des pêcheurs et marins. À l’inverse d’autres groupes sont surreprésentés à mesure que l’on s’élève dans l’échelle sociale.

    43Avant de les examiner, voici la seconde réponse à la question initiale : le décompte précis des présences, tel qu’il a été mené, offre à l’échelle individuelle des scores majoritairement bas, voire très bas, une à deux seulement dans un quart des cas, 2 à 8 dans 50 %, ce qui sur cent semaines dont moitié sous le régime de la permanence des sections, ne laisse à ceux que j’ai gratifiés de militants, voire de cadres qu’une proportion numériquement réduite (ce qui ne fait sans doute que renforcer l’importance de leur rôle). Est-ce là que se mesure la spécificité de la vie des sections, assemblées ouvertes, bien qu’on ait théoriquement une carte, avec tous les avantages que cela présente au niveau dirait-on aujourd’hui de la démocratie participative, mais à l’inverse l’instabilité, la perméabilité à des afflux étrangers, à des émotions passagères, comme certains le dénoncent à l’époque, repris aujourd’hui par quelques historiens ? Ce sont les jacobins marseillais qui tiennent ces arguments : la petite incursion que j’ai faite dans leurs rangs suggère qu’eux-mêmes ne sont pas beaucoup plus disciplinés.

    44En tout état de cause, cette faible persévérance n’est pas sans rapport avec un autre trait qui n’a rien de glorieux : le taux assez élevé de sectionnaires indéterminés, autour de 40 %. Ce taux s’est élevé du début à la fin de la période, des assemblées électorales encore traditionnelles aux séances surpeuplées des mobilisations collectives. On conçoit qu’il demeure un de nos sujets d’inquiétude, ou d’interrogation à tout le moins. Est-ce là que se concentre le « peuple », les sans état désigné à défaut d’être des sans noms ? La présomption que les éléments salariaux y dominent est forte mais non vérifiée. Mais que penser du niveau de leur prise de conscience politique, de leurs motivations entre l’enthousiasme et la peur ?

    45Ultime constat ou presque, dans cette rubrique : la grande fluidité de cette population. J’espère que l’on aura su décrypter sans trop de peine la représentation graphique à laquelle je tiens beaucoup qui tente de matérialiser les flux, mesurant persévérance, évasions, retours… Le bilan je crois en est clair : le stock initial s’est effrité au fil des mois quoiqu’il reste plus stable que celui des cohortes suivantes, volumineuse à l’été 92, mais fragile… tant et si bien que la génération des fédéralistes en devenir est une bigarrure d’apports successifs.

    46Ceci vaut de la masse sectionnaire dans son ensemble : qu’en est-il de ceux que nous avons distingués précisément pour leur persévérance sur une ou plusieurs séquences, militants et cadres ? Les courbes nous disent que les deux groupes prennent consistance à partir de juillet-août, ce qui est bien naturel puisque le statut implique une certaine continuité, mais qui se confirme dès lors, en contraste avec les oscillations marquées de la masse, quasi jusqu’à la chute finale de mai-juin 93. Ce que suggèrent les courbes sectionnaires est-il confirmé par le petit sondage que nous avons opéré in extremis chez les sectionnaires jacobins ? Il semble attester la constance ou l’obstination de quelques-uns, patriotes de 89 ou plutôt de 90, présents de bout en bout, alors que les patriotes de 92 ont une assiduité moindre, plus discontinue… Mais objectera-t-on à bon escient parce que dans ce corpus, les meilleurs ont été éliminés à cette date de l’an III.

    47Quittant l’abstraction des flux, pour parler plus prosaïquement d’allées et venues, d’entrées discrètes ou d’invasions comme les contemporains les ont dénoncées ou avouées, suivant leur camp, force est pour moi de constater que je n’ai pu la prendre sur le fait, en raison même de la nature de la source : c’est à l’intérieur de l’espace sectionnaire qu’ont pu être suivis les changements quantitatifs et qualitatifs de la participation. Mais les « intrigants » n’ont pas fait relever leur nom on s’en doute. Peut-être et même probablement se cachent-ils parmi les indéterminés, qui décidément ont bon dos.

    Un affrontement de classes

    48Il faut sauter le pas et désignant sinon par leur nom du moins par leur état les acteurs de la pièce, lui donner la signification d’affrontement social qu’elle revêt. Ce serait repousser le problème que de substituer à la lutte des classes une lutte des classes d’âge, si l’on peut dire, encore que j’ai attribué à cette dimension une importance qui pourra paraître démesurée, à la lecture de mes pyramides des âges multipliées, selon les états et les périodes. J’alléguerai pour ma défense que ce paramètre, pour n’être pas fondamental (il est en fait largement corrélé avec le statut social), ne doit pas être sous-estimé. On s’est trop longtemps reposé sur l’image du Sans-culotte de quarante ans, fort utile quand Albert Soboul en a fait un des éléments du portrait du Sans-culotte parisien : et Marseille apporte en gros, une confirmation attendue au cliché. Mais les jeunes sont bien présents dans les premiers épisodes de rue du mouvement populaire marseillais, à l’esplanade de la Tourette, ou à l’escalade du fort de Notre-Dame de la Garde : on les désigne comme des compagnons, ou même de jeunes bourgeois. C’est pour répondre au mystère (à peine) du creux marqué sur la pyramide des âges de sectionnaires que j’ai tenu à évoquer la ponction qui, dès 91 et surtout en 92 avec le départ des fédérés puis des volontaires, ne peut manquer d’être ressentie au niveau du militantisme sectionnaire. Le tournant de l’été 92 trop facilement lu en termes d’afflux d’un sang nouveau ne doit pas masquer la déperdition synchrone des jeunes partis vers d’autres horizons, revenus parfois, recyclés peut-être dans ces « armées marseillaises » qui courent la Provence, et dont le recrutement m’échappe. Ce sont d’autres jeunes qui se montrent dans les sections au printemps 93 : commis de négociants ou de marchands, pas tous très jeunes mais suffisamment pour faire baisser la moyenne d’âge, du moins si le retour concomitant d’une bande de vieux – négociants, propriétaires, petits bourgeois – ne rééquilibrait à l’autre extrémité la comptabilité des âges. Tant et si bien que le fédéralisme, dont la répression a pour cible privilégiée ceux qui n’ont pas eu le temps de prendre le large, émigrés qui ne sont point jeunes, apparaît – si l’on veut pousser la caricature – comme une affaire de seniors soucieux de reprendre leur place. Poussant l’ironie à son comble, j’ajouterai que les jacobins que j’ai entraperçus en l’an III, vieillis de deux ans, ne sont guère plus jeunes dans ce combat des chefs. L’image de Rebecquy, Barbaroux ou des juvéniles assaillants de Notre-dame de la Garde s’estompe, et malgré les commis des négociants, il n’y a aucune chance de faire de l’explosion démocratique de mai-juin 93 un soulèvement de la jeunesse contre les élites sclérosées des jacobins de 89-92, gérontocratie d’apparatchiks violents et corrompus.

    49Un affrontement social donc, en dernier recours, si je veux éviter le terme proscrit de luttes des classes. Mais elles sont bien là, point tout à fait dans l’ordre de bataille que l’on souhaiterait leur voir assigner pour mieux en rire.

    50Voici le bloc à la fois massif et multiforme de l’artisanat. Multiple par la diversité des métiers, massif par l’importance de gros bataillons, Michael Kennedy s’étonnait des 500 cordonniers que sa recherche des jacobins lui faisait rencontrer : j’en ai autant et plus à lui revendre, un peu moins de maçons et de tailleurs… Un problème, non le seul mais d’importance, est d’y distinguer maîtres et compagnons, difficile à établir d’après le recensement, les listes des sectionnaires. Est-ce pêcher par laxisme abusif si je crois légitime d’évoquer solidairement le bloc des centaines de cordonniers parmi lesquels, au milieu d’une foule d’indépendants dans leurs échoppes, il y a certes un certain nombre d’ateliers de diverses tailles. Cordonniers omniprésents ou presque, dirait-on des sections au club, avec on l’a vu une proportion estimable de sectionnaires de base et même de militants « patriotes de 89 » qui ne laisse carrière que très exceptionnellement à quelques cadres. C’est là un modèle qui s’applique par extension à la grande majorité des représentants de l’échoppe. Dans les activités que nous avons sommairement rangées sous la rubrique industrie, la distinction entre maîtres et ouvriers se creuse, on s’en doute : manufacturiers concentrés – tanneurs, savonniers, tonneliers – d’une part, maîtres fabricants-marchands, les chapeliers ou les bonnetiers, tiennent leur place parfois distinguée : on les retrouve dans le camp fédéraliste, mais aussi chez les jacobins – qu’on songe à Barthélemy, savonnier, l’une des premières victimes de la répression sectionnaire. Entre les deux groupes que l’on vient d’évoquer une surface de recouvrement certaine, ainsi par la cohabitation dans les quartiers besogneux des buttes nord, mais ce test même fait apparaître des différences – il y a des aires spécialisées d’urbanisation plus récente et plus lâche, ainsi dans la section 12 sur la rive nord ou la 6 en rive neuve, où s’installent les industries nouvelles en dehors de l’épicentre des buttes du port nord, il y a quand même des cordonniers un peu partout… ou presque, mais les occupés d’industrie ont leurs aires délimitées.

    51Malgré tout, le clivage véritable s’inscrit pour moi entre l’échoppe et la boutique, soit entre l’artisanat qui fabrique et qui vend, et le commerce de détail qui va des métiers de l’alimentation à ceux de l’habillement, du commerce de luxe aux petits métiers des fripiers et des revendeurs. À l’intérieur de cet ensemble toute une gamme d’échanges des plus modestes aux plus achalandés, par où l’on passe au statut de marchand spécialisé dans une branche (marchand d’huile…) ou non autrement spécifié, à celui de magasinier souvent opulent, autant d’échelons par lesquels on accède aux franges du négoce : autre nébuleuse qui constitue proprement l’élite de la société marseillaise.

    52Ai-je durci la frontière entre l’échoppe et la boutique que l’on associe fréquemment dans une solidarité mécanique ? Dire que ce sont les chiffres eux-mêmes qui ont dicté cette distinction est s’exposer au reproche d’idée préconçue. Elle s’autorise d’une réflexion sur les indices de richesse, là où on en dispose, sur la géographie aussi qui distingue les aires d’implantation du Marseille laborieux de celui où prévaut le commerce, sans qu’il y ait toutefois là aussi frontière tranchée : la section 7 par excellence entre la butte des Carmes et le cours accueille les deux sortes d’activité, et l’on pourrait évoquer la 3, vers la porte d’Aubagne, comme la 15, la 8 ou même la 4. Une micro géographie que nous ne reprendrons pas. Reste que la boutique, dans ses comportements sectionnaires, s’intègre plus aisément à la nébuleuse du négoce dont elle accompagne en retrait le retour aux affaires en 1793, gardant une position stable alors que la place de l’artisanat s’affaisse.

    53Ici s’inscrit ma divergence avec les chercheurs qui, ou bien englobent dans une solidarité abusive tout le Marseille laborieux, échoppe, boutique, négoce, monde de la mer, ainsi Antonino di Francesco, ou bien excipent d’une communauté maritime qui va des pêcheurs aux négociants, au souffle de la mer (Alessi dell Umbria). À cet œcuménisme je trouve, dans les comportements des groupes, plus d’une objection.

    54La première distingue les communautés que les chiffres de participation et les attitudes collectives rangent sans discussion dans le groupe des exclus ou plutôt des marginaux : avec des nuances que l’on va voir.

    Marginaux et clientèles

    55En premier les paysans, j’évite ruraux, car il y en a en ville (section 1) comme il y en a hors les murs en contact avec une urbanisation conquérante (section 21, porte de Castellane). Dans les sections que nous avons étudiées précisément à part cette dernière, les ruraux, et ce sont principalement des jardiniers, se distinguent si l’on peut dire par une abstention presque totale. Elle peut surprendre lorsqu’on se reporte aux premiers épisodes de la pré révolution et de la Révolution marseillaise où la ville a pu être envahie ou se sentir cernée par les paysans des alentours. C’est elle qui désormais projette ses antennes sur un terroir ou un espace plus lointain, quitte à ce que les sectionnaires fédéralistes s’inquiètent bien tard, en juin 93 de reconquérir par leur propagande ces frères silencieux… et si intéressants. La surprise est pour moi, dans l’incursion que j’ai faite chez les jacobins de l’an III de rencontrer en brumaire et vendémiaire de nouvelles recrues tardives chez les jardiniers de la section 21.

    56Deux mémoires de maîtrise remarquables auxquels je dois un tardif hommage, ceux de mesdemoiselles Zanzi et Perez, ont été consacrés l’un aux portefaix marseillais et l’autre au monde de la mer à la fin de l’Ancien Régime et sous la Révolution. Ces deux recherches répondaient à une même préoccupation : expertiser deux communautés délimitées, connues ou du moins réputées pour leur cohésion et leur comportement spécifique. Analysées dans leurs structures économiques et sociales, leurs traditions familiales et religieuses, leurs mentalités, ces communautés présentent des traits originaux que nous ne saurions reprendre ici sinon pour ce qu’ils apportent à notre propos. Il conviendra d’introduire au moins des distinctions dans l’ensemble hétérogène du monde de la mer, entre pêcheurs et navigants. Portefaix et pêcheurs ont pour trait commun d’être à la veille de la Révolution des communautés institutionnelles reconnues, la communauté des patrons pêcheurs par lettres patentes de 1778 a gardé son statut privilégié jusqu’en 1793, défendue à la Constituante par Mirabeau (« Si la bonne foi s’exilait de la terre, les prud’hommes en seraient encore l’image »). Ils avaient leur confrérie, leurs prud’hommes en chaperon, leur défilé et leurs fêtes, leurs assemblées générales et leurs élections. Démocratiques ? C’est à voir : des dynasties familiales pérennisaient le primat des patrons possesseurs de leur barque, les autres étant sous-traitées à des meneurs. Solidaire mais hiérarchisé et codifié, ce monde de grandes familles et de grande piété, du moins l’a-t-on dit et répété (beaucoup plus que chez les navigants avec lesquels ils se confondent partiellement), les pêcheurs ont vécu tant bien que mal la Révolution qui entrave leurs activités, attaque leurs privilèges : « les pêcheurs ne doivent point sortir avant le jour et sont tenus de rentrer avant la nuit (1793) sous peine d’être déclarés suspects, et de même s’ils s’éloignent trop ». Malgré le serment qu’ils prêtent alors de « maintenir la liberté, l’égalité de la République une et indivisible et remplir avec intégrité leur fonction », on ne doit point attendre des pêcheurs une grande assiduité aux séances de la section 17 qui abrite la grande majorité d’entre eux : s’ils y représentent le quart des présents soit une participation de 18 % des chefs de famille, sur 137 pêcheurs, 110 ne se sont présentés qu’une fois, 17 plus de 10, les poussées assez faibles ne s’inscrivant qu’à l’été 92… et en mai 93. Ils ne sont point pour autant fédéralistes actifs.

    57On ne saurait en dire tout à fait autant des navigants et capitaines marins puisque nous avons eu l’occasion d’arguer comment certains d’entre eux ont pu être impliqués dans la dernière lutte des sections fédéralistes contre la jacobine section 11 leur voisine. La justification en défense, présentant la canonnade inopportune comme l’acte isolé d’un capitaine marin est-elle convaincante ? Le suivi des séances de l’assemblée de la section 17 révèle au fil des semaines un haut degré d’abstention très souvent totale des capitaines marins, qui ne sortent de leur silence que bien tard le 10 mai 1793.

    58Absents plutôt qu’exclus les gens de mer ? Ce n'est pas le cas des portefaix, ce millier de chefs de famille pour une population totale de 2 888 qui doit représenter 3 % de la population. Il faudrait leur adjoindre les robeyrols, hommes de peine du port (425 chefs de famille) mais cela ne leur aurait pas plu, et d’ailleurs les robeyrols sont quasi absents de nos listes de sectionnaires (entre 0,3 et 1 %) alors que les portefaix tiennent leur place, modeste mais croissante au fil des séances suivies, passant tendanciellement de 3 à 5 % des sectionnaires : dans leur groupe 14 % de militants et 10,2 % de cadres, alors qu’un tiers seulement ne se sont présentés qu’une fois, reflètent d’un taux de participation soutenue (30 % des chefs de famille) voisin de la moyenne générale. Mais d’où sortent-ils ? Aristocratie du muscle ai-je risqué, ce qui est un peu forcé pour le premier terme : mais, dans la structure institutionnelle d’Ancien Régime, la communauté des gagne deniers qui est la leur rivalise de préséance avec celle des cordonniers. Le port du sac, leur instrument de travail par leurs dignitaires en guise de chaperons, leur chapelle à l’église des Grands Augustins les intronisent comme une communauté qui compte, avec son tribunal domestique, ses institutions charitables et un ciment fort de cohésion : l’hostilité aux robeyrols, leurs concurrents. C’est chez eux que l’on peut attendre une solidarité avec le monde du négoce : il y a des maîtres portefaix aisés (à l’examen quelques-uns…) ceux auxquels le négociant confie les clefs de son entrepôt, et qui sous-traite le labeur à son équipe, mais il y en a beaucoup qui s’entassent dans les garnis de la butte des Carmes (28 bouges dans la rue de l’Échelle) ; c’est dire que malgré une relative dispersion dans l’espace marseillais, une structure familiale organisée (80 % de mariés) et une forte endogamie, la communauté des portefaix, malgré la tradition véhiculée par l’érudition locale qui en fait avec les pêcheurs « le fond de la vieille population marseillaise », est loin d’être un bloc. C’est ce qui explique que leur participation attestée soit de nature ambiguë : bons serviteurs de l’ordre public en mars 1789, appelés comme supplétifs pour contrôler les désordres publics, leur chef Arnaud fait défection lorsqu’on l’appelle au secours en 1790. Le mafieux Lieutaud s’entoure de portefaix comme hommes de main, et nous avons évoqué le portrait des frères Savon, représentants emblématiques d’une certaine image du portefaix au service du jacobinisme corrompu. Doit-on s’en tenir à elle ? Les portefaix se mouillent très peu dans le fédéralisme, 40 sur 1 390 poursuivis (là-dessus 2 maîtres seulement), on les rencontre en plus grand nombre chez les jacobins jusqu’à hauteur de 10 % à l’occasion. Auraient-ils choisi leur camp ? Je partage la prudence de Colin Lucas… jacobins ici, contre-révolutionnaires ailleurs, les portefaix marseillais représentent néanmoins la seule forme d’un prolétariat organisé dans des structures anciennes.

    59Si nous leur avons réservé, comme aux pêcheurs, une place singulière, c’est qu’avec eux on peut affronter le délicat problème des clans, des clientèles, qui pourrait paraître aux origines d’une tradition marseillaise quasi municipale. S’agissant d’eux, il ne semble pas qu’une solidarité traditionnelle les ait classés durablement dans la mouvance de l’élite marchande, que nous abordons maintenant.

    Les négociants et leur nébuleuse… un retour en force ?

    60Cette dernière nébuleuse a pour axe, comme on s’y attend, le groupe des négociants, tel que nous l’avons suffisamment suivi à la piste pour n’avoir pas à nous étendre sur ce que nous savons : sa composition, les négociants proprement dits, les courtiers, les commissionnaires, les gros marchands… les moins gros et jusqu’à des magasiniers. Et bien sûr la cohorte des commis, commis de négociants, commis de marchand. Des uns aux autres la continuité va de soi. Entre les négociants et les bourgeois plus souvent dénommés désormais propriétaires, la continuité d’attitude est dans le prolongement de celle du statut social, de l’aisance, de la résidence dans les mêmes quartiers, et souvent des mêmes origines qui font des propriétaires des négociants retirés.

    61Il y aurait abus à amalgamer sans examen à cette nébuleuse, que la répression du fédéralisme désigne sans ambiguïté comme sa cible principale, les groupes que j’ai peiné à ventiler entre professions libérales et services, supérieurs, inférieurs, du public ou de la personne. Parce qu’ils tiennent dans nos statistiques une place beaucoup plus modeste que dans nos sociétés contemporaines on pourrait sous-estimer leur rôle comme les réajustements qui s’opèrent en ces années mêmes à l’intérieur de ces groupes : que les professions libérales – médecins, apothicaires, professeurs ou savants…, notaires – voient leur poids relatif amenuisé par la reconversion des juristes, des cadres d’Ancien Régime aux nouveaux, la progression d’administratifs, de cadres nouveaux liés ou non à la politique ne diminue pas globalement la place d’ensemble tenue par cette élite de la culture et d’une certaine aisance, traditionnellement impliquée dans les jeux du pouvoir et de la politique. Mais de quel côté penche-t-elle ? Si la vieille équipe du pouvoir municipal de l’Ancien Régime et des débuts de la Révolution a cédé la place, un relais est pris par les politiques et les nouveaux promus jacobins comme sectionnaires, comme dans le camp adverse des fédéralistes.

    62Plus encore que cette mise en place ultime des protagonistes et des associations qui se font et se défont entre eux, ce qui importe est bien de tenter de suivre en l’expliquant le jeu des antagonismes et des hégémonies successives. Au fil des flux et des reflux qui ont été constatés, les équilibres se sont modifiés, en passant des patriotes de 89 à ceux de 92 que la crise de l’été a promus sur la scène dans le cadre élargi des sections. Sur nos listes, le primat de l’échoppe consolidé de 1790 à 1791, reste inattaqué jusqu’en août 1792 à hauteur de quelque 40 % : c’est à partir de l’automne que commence un déclin continu qui va frayer la voie à ce que je n’hésite pas à qualifier comme plusieurs de nos auteurs de retour de l’oligarchie marchande. Voilà qui peut surprendre : des patriotes de 1792 au service des négociants et de leurs alliés, bénéficiant du ralliement du petit commerce, de la mobilisation d’un salariat particulier, la cohorte des commis et des auxiliaires ou dépendants du négoce ? Pour être crédible l’affirmation réclame plusieurs mises au point :

    • Sur le rôle direct des négociants. Plusieurs de nos auteurs, reprenant un argument traditionnel ont allégué que le négociant marseillais « n’est pas un animal politique » (Kennedy) avec arguments à l’appui. Mais l’implication visible en personne n’est point une condition nécessaire, quand tous les paramètres – l’implantation, les alliances, les comportements (l’émigration des uns, la présence renforcée des autres) – donnent quoi qu’on veuille raison à l’accusation portée tant par les jacobins locaux que par les représentants en mission et ceux qui à Paris, comme Danton ont relayé leur discours.
    • Sur la place, le rôle des jacobins en relation avec la mutation des rapports de force en jeu. Je n’ai pu faire l’économie, pour tenter d’élucider le tournant sectionnaire, de faire un tour au Club de la rue Thubaneau. Comment celui-ci initialement main dans la main avec les sections émergentes, réceptives longuement aux impulsions qui émanent de lui, en est venu à être mis en cause, attaqué de front au printemps 93 et finalement éliminé par le mouvement sectionnaire ? Au plan de la sociologie des deux groupes (malgré la difficulté déjà évoquée de comparer une structure associative fermée et une masse fluide), s’inscrit un moment où dans le club l’évolution « démocratique » des structures élitistes du début s’exprime en termes de renforcement de l’artisanat, et de la nébuleuse qu’il coordonne passant de 30 à 50 %, chiffres ronds : et ceci entre 92 et 93 déjà. Est-ce là ce qui correspond à la radicalisation invoquée à la fin de 92 et au début de 93, avec la dérive terroriste expansionniste, et pour tout dire avec des relents d’influence « enragée » chez une partie des cadres ? Mais où est « le peuple » qui dit-on déserte et/ou envahit (juillet-septembre) les sections, les délaisse à l’hiver 1793 quitte à y revenir au printemps…

    63Dans ce drôle de jeu les cadres jacobins, élites précocement sclérosées qu’évoque Jacques Guilhaumou se laissent entraîner voire compromettre par des éléments gauchistes, dans une escalade de violence à l’intérieur comme à l’extérieur, cependant que les sections s’ouvrent à des éléments nouveaux de recrutement bien ambigu : populaire ? Invérifiable dans la foule indistincte des grandes journées… Beaucoup moins chez les nouveaux venus par où s’opère la montée en force de la nébuleuse de l’aristocratie marchande et de ses dépendants. Mais alors qui sont les vrais patriotes de 92 ? On bute ici sur le problème du complot, ou du moins de la manipulation organisée : celui même que nous avons abordé avec les mots couverts de l’époque et leur escalade : étrangers, nouveaux venus, têtes nouvelles, intrigants, mauvais citoyens enfin, ceux qui passent de section en section pour y changer la majorité. J’ai dit les raisons de mon impuissance à les dépister nommément. Mais parmi les auteurs, enclins à regarder avec suspicion comme légende fabriquée tout ce qui flaire le complot, William Scott, le plus systématiquement critique valorise le témoignage sans ambiguïté du chevalier de Fontvielle qui décrit les procédures d’entrisme dans les assemblées sectionnaires par les « honnêtes gens » et leurs émissaires qui reprennent la parole et l’ascendant. Le basculement s’opère ainsi par degrés, par contamination, voire conquête de sections hésitantes ou partagées, à partir d’épicentres où la partie est plus précocement gagnée. Nous n’avons pas la chance de compter la section 10 dans le lot que nous avons suivi, mais la 1 et la 2 sont de bons échantillons, au même titre que la 7, la 21 alors que la 12 et surtout la 17 restent en marge, vouées à être englobées dans un consensus imposé. Il reste bien des questions. Et peut-être, parmi les plus fondamentales, quand et pourquoi s’est opéré le tournant ? Est-ce dès l’été 1792, où la dynamique marseillaise explosive à la veille et au temps des fédérés du 10 août, pourrait nous cacher derrière l’exubérance des sections envahies, la flambée de la peur des pendeurs, des frères Savon, en attendant l’affaire d’Eyguières et de Salon, et le rejet collectif d’un système jacobin qui s’enrage ? À ce titre, l’hiver 92-93 au temps de la difficile réélection de Mourraille serait peut-être le point d’inflexion le plus directement perceptible. Si le maire témoigne, nous dit-on, des ménagements à l’égard des négociants, c’est bien alors, sur nos listes que certains commencent à prendre la route de l’émigration, cependant que d’autres « surfent » comme on l’a étrangement écrit sur la vague d’un mouvement populaire désorienté qui autorise leur retour.

    64Dans tout ceci il n’a pas été beaucoup parlé de la prise des Tuileries, du jugement du roi, des girondins et des montagnards, de la campagne contre les « appelants », ni même d’événements plus ponctuels mais d’impact direct, comme la rumeur autour du séjour en prison de Philippe Égalité à Marseille. Non plus que je n’ai évoqué la situation économique et sociale, les subsistances et le commerce auxquels A. Di Fransesco porte une particulière attention.

    65Mais au vrai, je n’ai point évoqué non plus « Marseille républicaine », la souveraineté populaire, absolue ou relative… somme toute l’authenticité d’une expérience de démocratie directe où les mots en écho aux choses auraient témoigné d’une prise de conscience, et d’une transcription idéologique au niveau de la Nation, voire de l’universel de l’agitation des hommes dans leurs quartiers et dans leurs assemblées. Cette aventure n’aurait-elle été qu’une histoire marseillaise ?

    Notes de bas de page

    1 Voir ci-dessus, p. 177.

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    • Vidor, Gian Marco. (2015) Emotions and writing the history of death. An interview with Michel Vovelle, Régis Bertrand and Anne Carol. Mortality, 20. DOI: 10.1080/13576275.2014.984485

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    Vovelle, M. (2009). Chapitre VII. Trois lectures, dont la mienne. In Les sans-culottes marseillais (1‑). Presses universitaires de Provence. https://doi.org/10.4000/books.pup.975
    Vovelle, Michel. « Chapitre VII. Trois lectures, dont la mienne ». In Les sans-culottes marseillais. Aix-en-Provence: Presses universitaires de Provence, 2009. https://doi.org/10.4000/books.pup.975.
    Vovelle, Michel. « Chapitre VII. Trois lectures, dont la mienne ». Les sans-culottes marseillais, Presses universitaires de Provence, 2009, https://doi.org/10.4000/books.pup.975.

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    Format

    Vovelle, M. (2009). Les sans-culottes marseillais (1‑). Presses universitaires de Provence. https://doi.org/10.4000/books.pup.959
    Vovelle, Michel. Les sans-culottes marseillais. Aix-en-Provence: Presses universitaires de Provence, 2009. https://doi.org/10.4000/books.pup.959.
    Vovelle, Michel. Les sans-culottes marseillais. Presses universitaires de Provence, 2009, https://doi.org/10.4000/books.pup.959.
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