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    Plan détaillé Texte intégral Euroméditerranée, compétitivité et revalorisation territoriale d’un littoral phocéen déclassé Marseille, ville culturelle et créative : équipements et événementialisation du front de mer phocéen Marseille, ville durable et Écocité : les paradoxes de l’OIN Euroméditerranée 2 Une communication urbaine marseillaise réussie en termes de compétitivité, tronquée en matière de faire-société et de mixité Conclusion Bibliographie Notes de bas de page Auteur

    Maritimité(s) en région Provence-Alpes-Côte d’Azur

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    Table des matières

    La revalorisation urbaine du front de mer marseillais

    Ville culturelle, écocité et marketing territorial

    Alexandre Grondeau

    p. 97-112

    Texte intégral Euroméditerranée, compétitivité et revalorisation territoriale d’un littoral phocéen déclassé Marseille en crise : déclassement du littoral urbain et portuaire Une opération d’intérêt national portée par la compétitivité territoriale et génératrice de transformation sociologique Marseille, ville culturelle et créative : équipements et événementialisation du front de mer phocéen Marseille, ville durable et Écocité : les paradoxes de l’OIN Euroméditerranée 2 Une communication urbaine marseillaise réussie en termes de compétitivité, tronquée en matière de faire-société et de mixité Conclusion Bibliographie Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Depuis plus d’un demi-siècle, l’aménagement et la requalification des fronts de mer urbains sont des enjeux politiques de grande envergure, vecteurs d’attractivité et de compétitivité territoriales. À Marseille, comme dans de nombreuses villes occidentales (Liverpool, Boston, Newcastle…), le littoral portuaire a été particulièrement marqué par les crises industrielles, économiques et géopolitiques concomitantes aux années 19701.

    2Pour requalifier et revaloriser des quartiers autrefois symboles du rayonnement et de la richesse de la ville2, puis synonymes de pauvreté, d’insalubrité et de déclassement3, les pouvoirs publics se sont appuyés sur d’importantes opérations d’aménagement du territoire qualifiées d’« intérêt national », telles qu’Euroméditerranée, dont l’objectif premier est la montée en gamme urbaine des quartiers littoraux grâce, notamment, à l’aménagement d’équipements culturels et créatifs, l’événementialisation des pratiques touristiques ou encore la prise en compte des principes de transition écologique dans les requalification et revalorisation urbaines locales.

    3Dans ce chapitre, nous proposons d’étudier les impacts urbains, sociaux et économiques de ces opérations de revalorisation du front de mer de la cité phocéenne. Nous le ferons grâce à l’étude de l’opération d’intérêt national (OIN) Euroméditerranée, l’aménagement d’équipements culturels du front de mer, l’organisation d’événements touristiques, la mise en place du label Ecocité intégrant les principes de transition écologique, et l’importance du marketing territorial et de la communication urbaine dans ces différents projets.

    Euroméditerranée, compétitivité et revalorisation territoriale d’un littoral phocéen déclassé

    Marseille en crise : déclassement du littoral urbain et portuaire

    4Depuis sa création en 600 av. J.‑C., à partir de l’union de Gyptis, princesse terrienne, et de Protis, navigateur phocéen, si l’on en croit la mythologie locale, la ville de Marseille a toujours entretenu un lien fort avec son port et la Méditerranée, qu’elle a matérialisé sous la forme de nombreux mythes marins4. Cet accès sur la mer a fait de Marseille une ville puissante, pour reprendre l’expression d’Élisée Reclus5 au xixe siècle. Véritable porte entre l’Europe et l’Afrique, entre l’Orient et l’Occident6, la cité phocéenne a pu assurer sa richesse et le développement de ses activités portuaires, directement reliées aux marchés locaux, grâce à la mer.

    5Fondé sur l’importation de matières premières issues pour grande partie de l’empire colonial français, transformées sur place (par les nombreuses savonneries, huileries, fabriques de cigarettes, raffineries de sucre locales…), le système industrialo-portuaire marseillais a longtemps participé au rayonnement et à la prospérité de la ville avant de connaître de sérieuses difficultés liées aux mutations géopolitiques et technologiques du xxe siècle7. La décolonisation, la désindustrialisation, les chocs pétroliers de 1973 et de 1979, la concurrence étrangère ont en effet engendré une crise systémique participant au déclassement et à la paupérisation du littoral portuaire phocéen, incluant Fos-sur-Mer, Martigues et Port‑de‑Bouc.

    6À Marseille, l’analyse des données statistiques de l’INSEE sur la période 1975-1999 permet de mesurer les impacts de ces différentes crises sur la démographie et l’emploi locaux. On constate ainsi sur cette période une baisse, conséquente, de la population marseillaise d’environ 120 000 habitants. Cette baisse importante s’accompagne d’un net recul du nombre d’emplois sur la période 1982‑1999 : c’est ainsi près de 150 000 emplois qui disparaissent. Cette chute est particulièrement marquée dans le secteur secondaire, notamment pour les activités du BTP, de distribution, de fabrication ou encore de transport, qui étaient caractéristiques du système industrialo-portuaire marseillais. Si ces baisses ne sont pas, dans leur totalité, imputables aux crises que nous avons évoquées, il n’en demeure pas moins que, dès le début des années 1990, le front de mer qui accueillait le complexe industrialo-portuaire apparaît comme sinistré.

    7À la même époque, la ville est de plus en plus fragmentée entre ses quartiers nord, populaires et cosmopolites, aux logements de plus en plus insalubres et aux taux de chômage et de pauvreté qui explosent, et ses quartiers sud, plus bourgeois, où la crise marque moins la matérialité urbaine et les niveaux de vie8. C’est à cette époque que, pour faire suite à une demande de la ville et de son maire, l’État français décide de lancer l’opération d’intérêt national (OIN) Euroméditerranée.

    Une opération d’intérêt national portée par la compétitivité territoriale et génératrice de transformation sociologique

    8L’OIN Euroméditerranée est une opération d’aménagement du territoire initiée par l’État français en 1995, qui la gère en collaboration avec les collectivités locales, qualifiée « d’intérêt national » et dont le montant des investissements effectués avoisine, en 2019, les 7 milliards d’euros (dont 1,2 milliard de fonds publics). S’étendant sur une partie du littoral portuaire phocéen sur plus de 300 hectares, du quartier d’Arenc au fort Saint-Jean, cet établissement public d’aménagement (EPAEM) a vocation à favoriser la création d’emplois, la compétitivité du territoire et la mixité sociale, à requalifier le territoire grâce à l’aménagement de grands équipements structurants, à faire émerger une véritable qualité de vie et d’urbanité, et à y optimiser les modes de transports locaux.

    9En 2007, devant ce qu’il considère être un succès, l’Établissement public d’aménagement Euroméditerranée (EPAEM) décide d’étendre le projet Euroméditerranée. La superficie passe alors à 480 hectares grâce à une extension située au nord du quartier d’Arenc baptisée Euroméditerranée 2 et rapidement labellisée par le ministère de l’Écologie « Écocité » dans le cadre de son plan « Ville durable ». Associée au développement durable, cette extension est mobilisée pour faire d’Euroméditerranée « un territoire d’innovation et d’expérimentation de l’aménagement urbain, (où l’on peut) tester, déployer et valoriser les services et technologies innovantes de la ville durable méditerranéenne9 ».

    10Dans l’esprit des aménageurs de l’époque, l’ambition de l’OIN est de doter Marseille d’une véritable skyline monumentale incarnée par le nouveau quartier d’affaires commercial de la Joliette, ses immeubles spectaculaires à l’instar des tours CMA-CGM et la Marseillaise, et ses galeries marchandes des Docks et des Terrasses du Port. Il s’agit également d’un point de vue économique de proposer l’aménagement d’équipements culturels et touristiques en front de mer comme le Mucem, le Silo et la Villa Méditerranée, et de revaloriser le quartier haussmannien en difficulté de la rue de la République.

    11À ces premières transformations morphologiques radicales s’ajoute une importante évolution d’un point de vue fonctionnel, puisque les initiateurs et les gestionnaires de l’OIN envisagent Euroméditerranée comme une nouvelle zone permettant à la métropole marseillaise de rattraper son retard, notamment en termes d’offre de bureaux, sur ses rivales lyonnaise ou lilloise. Sur le 1,2 million de mètres carrés de construction prévus, la moitié est ainsi réservée à l’immobilier d’entreprises, un tiers au logement et les 200 000 m2 restants aux commerces et aux équipements publics10. Au final, près de mille entreprises s’y sont implantées, créant dans l’OIN l’équivalent de 20 000 emplois.

    Fig. 1. Périmètre d’Euroméditerranée 1

    Source : CNRS-Telemme, conception : Alexandre Grondeau, réalisation : Patrick Penstch, 2021, CC-BY-SA 4.0.

    12Malgré cette priorité économique, les préoccupations en matière d’habitat n’en demeurent pas moins essentielles dans une zone qui a été durement touchée par la crise. Elle s’incarne dans la réhabilitation et la construction de 2 500 logements dans le quartier d’Arenc, qui s’étend sur 35 hectares. Caractérisé par des terrains industriels abandonnés, des bâtiments (anciennes usines, manufactures ou fabriques) et des infrastructures en friche et des logements pour beaucoup insalubres, l’aménagement du parc habité d’Arenc a eu pour vocation de créer dans le périmètre de l’EPAEM un quartier dense, pourvu d’une qualité de vie présentée comme remarquable et mixte d’un point de vue fonctionnel et social. C’est ainsi qu’il a été doté de l’Hôpital européen, du cinéma Multiplex, des archives et bibliothèque départementales Gaston-Defferre, en plus des logements annoncés, afin de créer les conditions d’émergence d’une véritable urbanité locale.

    Fig. 2. Périmètre d’Euroméditerranée 2

    Source : CNRS-Telemme, conception : Alexandre Grondeau, réalisation : Patrick Penstch, d’après Le Moniteur, 2021, CC-BY-SA 4.0.

    Marseille, ville culturelle et créative : équipements et événementialisation du front de mer phocéen

    13La requalification du littoral portuaire marseillais grâce à l’OIN Euroméditerranée va passer, outre les transformations que nous venons de présenter, par la création d’une nouvelle polarité, cette fois-ci culturelle, à vocation touristique, devant permettre à la cité phocéenne d’intégrer le top 20 des villes européennes les plus compétitives11. S’inscrivant dans la filiation des préceptes d’urbanisme associant ville culturelle et créative et ville compétitive12, Marseille souhaite allier sa revalorisation urbaine à une attractivité retrouvée, notamment grâce au tourisme. Dans l’esprit des aménageurs, et des acteurs économiques locaux (réunis dans l’association les Mécènes du Sud), les activités culturelles et créatives, les équipements qui les accueillent et les événements qui les valorisent, constituent ainsi un levier déterminant de la transformation de Marseille. Les édiles locaux rêvent de reproduire à Marseille la réussite territoriale de Barcelone et ne s’en cachent pas, mais là encore, à l’instar de l’OIN, c’est l’État français qui va être le premier investisseur du projet avec 160 millions d’euros dépensés sur les 660 nécessaires à la finalisation de l’opération13.

    14Considéré comme un moyen de rattraper le retard urbain et économique de la ville, l’aménagement du quartier culturel dénommé la Cité de la Méditerranée va concerner l’implantation d’un Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (le Mucem) réalisé par les architectes Rudy Ricciotti, Roland Carta et la scénographe Adeline Rispal ; d’un lieu spectaculaire à double vocation muséale et institutionnelle (en faveur de la coopération des pays méditerranéens), la Villa Méditerranée ; d’une salle de spectacle polyvalente de haute qualité localisée dans des bâtiments industriels requalifiés, le Silo ; d’un musée dédié au patrimoine artistique et culturel provençal et marseillais, situé dans l’ancienne station sanitaire de la direction du contrôle sanitaire aux frontières, le musée Regards de Provence…

    15La concentration de ces équipements culturels, à proximité du Fort Saint-Jean, du quartier originel phocéen du Panier, de la cathédrale de la Major restaurée, des galeries marchandes des Docks et des Terrasses du Port, et du nouveau quartier d’affaires, favorise la fréquentation touristique, donne au quartier un tout nouveau visage et permet à Marseille d’intégrer la carte touristique régionale.

    16Mais l’affirmation de cette nouvelle centralité urbaine culturelle et créative n’aurait pu se faire, ou elle ne se serait pas réalisée aussi vite, sans la désignation de la ville comme capitale européenne de la culture 2013, en septembre 2008. L’événement Marseille-Provence 2013 (MP13) achève de transformer l’image du front de mer marseillais puisqu’il va permettre à la ville d’accueillir plus de dix millions de touristes, et d’intégrer le Top 50 du New York Times des villes à visiter14. Avec cet événement, qui sera suivi dans la décennie 2010 par les labellisations Marseille capitale européenne du sport (2017) et Marseille capitale de l’Amour (2018), la cité phocéenne s’inscrit dans une stratégie d’attractivité et de compétitivité fondée sur la production de grands événements, en particulier culturels et créatifs. Cette stratégie accélère la transformation de l’image du front de mer marseillais et participe à sa mise en scène festive, ainsi qu’à sa marchandisation, permettant ainsi à la ville de se positionner dans la concurrence territoriale internationale, et se réalisant au détriment des populations locales les plus pauvres15.

    Marseille, ville durable et Écocité : les paradoxes de l’OIN Euroméditerranée 2

    17La transformation urbano-économique d’Euroméditerranée a été jugée suffisamment réussie pour que, en 2007, l’EPAEM annonce le lancement d’une extension de 170 hectares, livrable dans sa version finale en 2030 et situé au nord de l’OIN initiale. Sur ce périmètre comptant à l’époque quelque trois mille habitants, l’ambition des aménageurs est de reconstruire totalement cette partie de Marseille sur elle-même, afin de la transformer en une véritable portion de ville, smart et durable, accueillant 20 000 emplois et près de 30 000 habitants. L’innovation technologique et la transition écologique apparaissent au cœur du projet d’extension d’Euroméditerranée, plus encore que dans sa phase initiale présentée plus haut. Elles s’inscrivent directement dans la dynamique d’aménagement des smart cities et de l’avènement de la ville 2.0, définie en tant que plateforme d’innovation et d’expérimentation territoriale ouverte et participative16.

    18Pour ce faire, l’EPAEM prévoit de construire 14 000 logements neufs (et d’en réhabiliter 1 500), 500 000 m2 de bureaux et 160 000 m2 de commerces et d’équipements publics aux côtés des quatorze hectares d’espaces verts aménagés du parc des Aygalades et des quatre hectares du parc de Bougainville, et accompagnés d’une offre de transports publics et de transports doux améliorée. On y recense plusieurs projets spectaculaires d’écoquartiers, comme celui de l’îlot Les Fabriques (ex-écoquartier XXL, composé de 170 000 m2 de logements pour 20 000 m2 de commerces et 44 000 m2 de bureaux, le tout labellisé à haute performance énergétique, pour un prix estimé à 700 millions d’euros par son promoteur Bouygues), qui devrait être livré en 2027 dans la continuité de l’îlot démonstrateur Allard, connu également sous le nom de Smartseille et premier écoquartier aménagé d’Euroméditerranée 2.

    Fig. 3 et 4. Smartseille, écoquartier d’Euroméditerranée en 2022

    Source : CNRS-Telemme, Alexandre Grondeau, CC-BY-SA 4.0.

    19L’ensemble du projet d’extension de l’OIN, situé dans un autre des quartiers les plus pauvres de Marseille (et de France), se veut un projet plus qu’ambitieux dont l’aménagement a été évalué pour le moment à près de 900 millions d’euros pour des recettes commerciales estimées encore insuffisantes pour la Cour des comptes. Ainsi, l’organisme d’État écrit, dès 2008, que :

    La décision d’extension du périmètre résultant du décret no 2007-1798 du 20 décembre 2007, au motif que l’ancien périmètre d’Euroméditerranée n’offrait plus de disponibilités foncières dès 2010, est lourde de conséquences. La traduction financière et le suivi de cette décision, peu après la mise en œuvre du protocole physico-financier 2006-2012, devront être particulièrement rigoureux dans un contexte économique au surplus moins favorable17.

    20Cet avis a été confirmé par la première phase (2011-2020) et l’aménagement de la ZAC Littorale (54 hectares), qui a nécessité une rallonge supplémentaire de subventions publiques de près de 20 millions d’euros. Dans l’ensemble, les experts s’accordent pour estimer que l’extension Euroméditerranée 2 coûtera près de 2,5 fois plus que le projet initial (à surface de plancher égale) et, pour l’EPAEM et les acteurs publics, les choses sont claires : ces surcoûts seront assurés par les acteurs privés de l’opération.

    21Malgré cette fragilité budgétaire hypothétique, les acteurs locaux et nationaux ont très largement soutenu ce projet et lui ont permis d’obtenir le label d’Écocité en 2009 (aux côtés de treize autres parties d’agglomérations lauréates). Porté par l’EPAEM et soutenu par la Ville de Marseille et la métropole AMP, le label Écocité garantit la prise en compte environnementale et smart dans la future extension de l’OIN avec la réalisation d’un réseau smart grid, développé en partie grâce à la constitution de réseaux électriques intelligents, l’exploitation de big data, la réalisation d’un campus urbain connecté. L’innovation technologique, au service de l’économie d’énergie et de la préservation de l’environnement, s’impose ainsi comme le prisme à travers lequel est envisagé l’aménagement de l’extension Euroméditerranée 2.

    22Écoquartier de 58 000 m2 de plancher aménagés sur une parcelle de 2,7 hectares, accueillant 4 000 habitants et près de 2 000 emplois, selon son promoteur Eiffage, Smartseille incarne la continuité de l’idée des aménageurs d’Euroméditerranée désirant instituer à Marseille une urbanité à la jonction entre les exigences de durabilité territoriale et de qualité de vie. L’urbanité durable, aussi floue et non cadrée la notion soit-elle18, constitue l’objectif principal de cette opération d’aménagement recherchant mixité fonctionnelle et sociale (avec l’implantation de commerces, de bureaux, d’une crèche et de logements) dans ce nouveau type d’espace multi-usage qui a vocation à devenir un laboratoire urbain et faire rayonner la cité phocéenne. Ainsi, le quotidien Le Monde relève dans son édition du 17 février 2017 :

    Smartseille suscite une curiosité nationale et internationale : d’Avignon, de Loire-Atlantique, de Suède, de Grande-Bretagne, et même du Japon, plusieurs délégations d’élus, d’agents publics ou d’acteurs de l’urbanisme se sont récemment rendues sur le site de cette écocité en devenir, dans les quartiers nord de Marseille, pour la découvrir.

    23Cette ambition, aussi tournée vers la compétitivité et l’attractivité soit-elle, est actuellement fortement contestée par une partie de la population locale, et ce d’autant plus à la lumière des impacts sociaux de la première phase de l’OIN. Le projet d’Écocité apparaît pour ses opposants comme une vaste opération de green washing, où la cause environnementale est utilisée pour occulter les impacts sociaux de l’extension et améliorer son image19. Cette idée, loin d’être isolée, est élargie et partagée au sujet de l’instrumentalisation supposée de la notion de ville durable20. Plusieurs associations de résidents, dont le collectif On ne se laisse pas faire, se sont formées pour contester les transformations sociales qu’ils jugent correspondre à de la gentrification déguisée. Elles dénoncent la régénération urbaine à venir du quartier des Crottes et la mise en avant d’une opération d’aménagement concertée et participative alors que l’information sur les transformations à venir se diffuse très mal, et ce malgré l’organisation de plusieurs ateliers d’échanges avec les habitants.

    Une communication urbaine marseillaise réussie en termes de compétitivité, tronquée en matière de faire-société et de mixité

    24Dès le lancement d’Euroméditerranée, la dimension communicationnelle est au cœur du projet de l’OIN. L’objectif des gestionnaires du territoire est de changer autant la morphologie urbaine que l’image de la ville paupérisée et en crise, et pour ce faire la municipalité va reproduire des modèles néolibéraux de production de la ville. C’est ainsi que, à partir des années 1980, dans les pays développés marqués par la désindustrialisation et la nécessité de se réinventer d’un point de vue territorial, tout autant que par la concurrence métropolitaine internationale exacerbée, le projet urbain a été utilisé comme un support de définition d’une stratégie communicationnelle21. La mise en scène des grandes opérations d’aménagement passe alors par la construction de bâtiments spectaculaires permettant de transformer l’identité des lieux et d’en favoriser l’attractivité.

    25Sur le front de mer marseillais, l’affirmation d’une nouvelle identité est passée par la redéfinition de la skyline marseillaise et le projet de construction de plusieurs tours à haute qualité environnementale (HQE) et à la pointe technologique en matière de smart grid à l’instar de la tour CMA-CGM (2011), de la Marseillaise (2018), et des futures tours de la Porte bleue et du quartier d’Arenc (H99 et H56). Portées par des promoteurs et des architectes ambitieux, les nouvelles réalisations sont confiées à des architectes reconnus au niveau mondial (Jean Nouvel, Zaha Hadid…) qui permettent d’inscrire le nouveau quartier marseillais dans la compétition internationale. À l’instar de Barcelone, Marseille fonde ainsi une partie de sa compétitivité et de son attractivité sur son changement d’image, symbolisé par le côté spectaculaire et monumental de ses nouveaux bâtiments emblématiques.

    26Pour faciliter la venue des promoteurs comme Eiffage ou Bouygues, les documents et la réglementation (procédures OPAH, RHI, PRI…) sont orientés en vue de la reconquête urbaine qui passe, pour les gestionnaires du territoire, par une amélioration des conditions de vie, de logement, et une transformation de l’image de la ville22. L’innovation est un moyen de servir ce changement d’image. Elle se retrouve dans la prise en compte de l’environnement et des économies d’énergie, qui, ajoutée à la nécessité d’être identifié comme écoresponsable, sont dès l’origine intégrées au projet. L’idée affichée par la municipalité et les dirigeants de l’EPAEM, dans le publi-reportage Euroméditerranée : Cœur d’avenir, diffusé en 2015, est de pouvoir revendiquer une certaine durabilité des aménagements de l’OIN tout autant que sa rentabilité, puisque, selon la municipalité, un euro investi par les pouvoirs publics permettra de tripler la mise en matière de retombées économiques.

    27La monumentalisation du front de mer ne va pas se limiter à ces immeubles de bureaux et à la construction d’un classique quartier des affaires. Elle va être renforcée par la construction de la Cité de la Méditerranée et ses équipements publics culturels emblématiques : le Mucem et la Villa Méditerranée. Dès son ouverture, le Mucem est ainsi perçu et présenté comme un « phare dans l’Euroméditerranée23 » qui « dope Marseille24 » tout en s’imposant comme la « mémoire vive de la Méditerranée25 ». Avec la Villa Méditerranée, ils s’inscrivent de fait dans le plan municipal « Marseille Attractive » présenté en 2012 et renouvelant la volonté locale d’attirer grâce à Euroméditerranée de nouveaux investisseurs, de nouvelles entreprises et de nouveaux habitants.

    28Ces résultats positifs de la montée en gamme urbaine, culturelle, créative et écologique, en termes communicationnels, rencontrent néanmoins un certain nombre de limites d’un point de vue économique et sociétal. Un équipement comme la Villa Méditerranée, par exemple, ne va pas « trouver sa place » dans la Cité de la Méditerranée. Ni musée, ni lieu institutionnel, tels que les aménageurs l’avaient imaginé, la Villa va également se révéler un gouffre financier puisque son coût initialement prévu de 20 millions d’euros, sera évalué au final, selon la chambre régionale des comptes, à plus de 60 millions d’euros. Du côté des autres aménagements du front de mer de la Joliette, plusieurs critiques vont être émises contre la galerie marchande des Docks qui ne trouvent toujours pas sa clientèle, dix ans après sa requalification, ou de la pollution atmosphérique générée par les ferrys. Plusieurs plaintes ont en effet été déposées, et une pétition a recueilli plusieurs dizaines de milliers de signatures de Marseillais dénonçant les pollutions liées aux activités portuaires. Ces dernières représentent, pour l’année 2020, et selon AtmoSud, l’observatoire régional de surveillance de la qualité de l’air, plus de 30 % des émissions d’oxyde d’azote et de carbone. Dans le quartier du Panier, ce sont les riverains qui se plaignent de l’impact du tourisme de masse sur le quartier, et du développement d’une plateforme comme Airbnb qui modifie en profondeur la sociologie du quartier26.

    29En termes événementiels, les effets négatifs de l’opération capitale européenne de la culture sont à trouver du côté des populations des quartiers nord et des artistes locaux. Alors que la labellisation a été obtenue avec l’argument que les événements profitent aux quartiers populaires, et servent de levier pour les dynamiser, ceux-ci se sont retrouvés pour la plus grande partie exclus des festivités et des retombées économiques et sociales inhérentes. Même sentiment chez une majorité d’artistes locaux qui n’ont pas trouvé de place dans la programmation de l’année 2013, ce qui aura fait dire à certains opposants que MP13 plus qu’une capitale de la culture avait été une capitale de la rupture accentuant les fragmentations urbaines locales27.

    30Autre action contestée, la décision unilatérale de déplacer les festivals locaux historiques de la Fiesta des Suds et de Babel Med, qui se déroulaient habituellement dans la salle de concert emblématique du quartier de la Joliette, Les Docks des Suds. Ce dernier était désormais appréhendé par la municipalité Gaudin comme un nouveau quartier d’affaires et de logements à haute qualité environnementale ne correspondant pas au même standing que les deux festivals de musique dédiés aux musiques du monde.

    31L’ensemble de ces éléments fait dire aux détracteurs de l’ancienne municipalité qui a perdu les élections en 2020, après 25 ans passés à la tête de la ville, que, à travers cette phase 2 :

    En finir avec l’image de ville pauvre est un objectif cher à la municipalité Gaudin, dont la politique de « reconquête » avance délibérément contre les pratiques, usages et commerces des différentes communautés. Rationalité, ordre, esthétique, sécurité sont les principes d’un projet immobilier qui contribue à une production urbaine très éloignée de la réalité locale : on insère dans les quartiers des îlots résidentiels visant une clientèle aux revenus bien supérieurs à ceux des populations existantes28.

    32De son côté, dans sa thèse en aménagement et urbanisme portant sur la dimension durable d’Euroméditerranée, Zoe Hagel29 notait que, au niveau de l’OIN :

    La recherche appliquée et l’innovation scientifique (dont on peut se demander si elles s’inscrivent dans un schéma d’économie de la connaissance) semblent valorisées. Le recours au référentiel de la compétitivité, en tant que garantie de la qualité de l’action, est également marquant et rappelle le registre de la « ville néolibérale ».

    33Sept ans plus tard, il semble en effet que l’extension Euroméditerranée 2 se présente comme la réplique de la phase 1 de l’OIN, en plus innovante, plus coûteuse et plus favorable aux promoteurs : une montée en gamme urbaine, économique et esthétique, un changement de morphologie et d’image, voire de la sociologie locale.

    Conclusion

    34L’OIN Euroméditerranée a permis à Marseille, en vingt-cinq ans, de transformer une partie de son front de mer, marqué par la crise du système industrialo-portuaire local. Dans sa première phase, le vaste projet de revalorisation territoriale a mobilisé, notamment, des populations, des activités et des équipements créatifs et culturels, puis, il a affirmé le parti pris innovant de l’aménagement smart et durable d’une véritable Écocité sur le littoral marseillais. Partant de situations socio-urbaines particulièrement difficiles (pauvreté, chômage, pollutions, insalubrité), les importants aménagements locaux ont facilité la régénération d’une partie du tissu urbain alors frichisé pour en faire une nouvelle centralité marseillaise répondant aux critères de la ville compétitive et de l’attractivité territoriale.

    35Réussite manifeste d’un point de vue urbain et touristique, l’OIN Euroméditerranée doit néanmoins être également interrogée du point de vue des « perdants » de ces opérations d’aménagement : les populations locales qui font face à certaines nuisances touristiques, aux pollutions des ferrys, les Marseillais les plus précaires ne pouvant accéder aux immeubles smart et à haute qualité environnementale remplaçant les bâtiments insalubres et les friches industrielles ; les artistes locaux et populaires, et leurs publics, non intégrés à l’événementialisation culturelle de la cité phocéenne.

    36En instrumentalisant, notamment grâce au marketing territorial, les principes de rénovation urbaine, de culture pour tous, et de protection de l’environnement, les pouvoirs publics (locaux et nationaux) et les promoteurs immobiliers prennent le risque de se heurter à des oppositions citoyennes importantes, et de créer des conditions urbaines préinsurrectionnelles dans des quartiers censés devenir les symboles du renouveau de Marseille.

    Bibliographie

    Avitabile A., 2005, La mise en scène du projet urbain, Paris, L’Harmattan.

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    Vivant E., 2009, Qu’est-ce que la ville créative ?, Paris, Presses universitaires de France.

    Notes de bas de page

    1J. Viard, 1995.

    2J. Garnier, J.-B. Zimmerman, 2006.

    3X. Daumalin, O. Raveux, 2013.

    4M. Roncayolo, 1990 ; N. Maisetti, 2014.

    5E. Reclus, 1877.

    6J. Garnier, J.-B. Zimmerman, 2006.

    7M. Roncayolo, 1963 ; X. Daumalin, 2013, 2016, 2017 ; X. Daumalin, O. Raveux, 2013 ; M. Péraldi, C. Duport, M. Samson, 2015 ; F. Bartolotti, X. Daumalin, 2018.

    8J. Viard, 1995 ; B. Bertoncello, R. Rodrigues-Malta, 2003 ; P. Langevin, J.-C. Juan, 2007.

    9« Missions », www.euromediterranee.fr, consulté le 8 octobre 2022, <https://www.euromediterranee.fr/missions>.

    10B. Bertoncello, R. Rodrigues-Malta, J. Dubois, 2009

    11N. Maisetti, 2014.

    12R. Florida, 2002 ; E. Vivant, 2009.

    13Impact économique Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture, étude réalisée par la Chambre de commerce et d’industrie Marseille-Provence (CCIMP).

    14A. Grondeau, 2022 ; A. Grondeau, M. Vignau, 2022.

    15A. Grondeau, M. Vignau, 2019 ; M. Vignau 2019.

    16D. Kaplan, T. Marcou, 2009.

    17Voir le document officiel : Chambre régionale des comptes PACA, 2016, « Rapport d’observations définitives sur les comptes et la gestion de l’Établissement public d’aménagement Euroméditerranée (EPAEM) Bouches-du-Rhône à compter de l’exercice 2006 », <https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/2016-2188.pdf>.

    18M. Lecoquierre, 2018.

    19Voir le documentaire Antony Fayada, 2013, « Marseille, plus belle la ville », www.film-documentaire.fr, <http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/39777_1>.

    20V. Béal, 2011.

    21A. Avitabile, 2005.

    22Z. Hagel, 2013.

    23Le Monde, 3 juin 2013.

    24Le Monde, 8 novembre 2013.

    25La Marseillaise, 27 juin 2012.

    26A. Grondeau, 2022.

    27A. Grondeau, M. Vignau, 2019 ; 2021 ; 2022.

    28Mori Saskia, 2011, « Euromed dévore Marseille », CQFD, 93.

    29Z. Hagel, 2013.

    Auteur

    • Alexandre Grondeau

      Aix Marseille Université, CNRS, TELEMME, Aix-en-Provence, France

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    1J. Viard, 1995.

    2J. Garnier, J.-B. Zimmerman, 2006.

    3X. Daumalin, O. Raveux, 2013.

    4M. Roncayolo, 1990 ; N. Maisetti, 2014.

    5E. Reclus, 1877.

    6J. Garnier, J.-B. Zimmerman, 2006.

    7M. Roncayolo, 1963 ; X. Daumalin, 2013, 2016, 2017 ; X. Daumalin, O. Raveux, 2013 ; M. Péraldi, C. Duport, M. Samson, 2015 ; F. Bartolotti, X. Daumalin, 2018.

    8J. Viard, 1995 ; B. Bertoncello, R. Rodrigues-Malta, 2003 ; P. Langevin, J.-C. Juan, 2007.

    9« Missions », www.euromediterranee.fr, consulté le 8 octobre 2022, <https://www.euromediterranee.fr/missions>.

    10B. Bertoncello, R. Rodrigues-Malta, J. Dubois, 2009

    11N. Maisetti, 2014.

    12R. Florida, 2002 ; E. Vivant, 2009.

    13Impact économique Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture, étude réalisée par la Chambre de commerce et d’industrie Marseille-Provence (CCIMP).

    14A. Grondeau, 2022 ; A. Grondeau, M. Vignau, 2022.

    15A. Grondeau, M. Vignau, 2019 ; M. Vignau 2019.

    16D. Kaplan, T. Marcou, 2009.

    17Voir le document officiel : Chambre régionale des comptes PACA, 2016, « Rapport d’observations définitives sur les comptes et la gestion de l’Établissement public d’aménagement Euroméditerranée (EPAEM) Bouches-du-Rhône à compter de l’exercice 2006 », <https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/2016-2188.pdf>.

    18M. Lecoquierre, 2018.

    19Voir le documentaire Antony Fayada, 2013, « Marseille, plus belle la ville », www.film-documentaire.fr, <http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/39777_1>.

    20V. Béal, 2011.

    21A. Avitabile, 2005.

    22Z. Hagel, 2013.

    23Le Monde, 3 juin 2013.

    24Le Monde, 8 novembre 2013.

    25La Marseillaise, 27 juin 2012.

    26A. Grondeau, 2022.

    27A. Grondeau, M. Vignau, 2019 ; 2021 ; 2022.

    28Mori Saskia, 2011, « Euromed dévore Marseille », CQFD, 93.

    29Z. Hagel, 2013.

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    Bouffier, Sophie, et Samuel Robert, éditeurs. Maritimité(s) en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Presses universitaires de Provence, 2025, https://doi.org/10.4000/1447s.
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