Empreintes et modelage de la cire : les traces de la céroplastie sur les bronzes antiques
p. 13-25
Résumés
Une grande partie de la production des bronzes antiques a été confectionnée grâce à la technique de la fonte en creux à la cire perdue, qu’elle soit par procédé direct ou indirect. Souvent associée à un noyau en argile, la cire est un matériau privilégié pour modeler assez facilement un prototype mais aussi parce qu’elle disparaît et laisse sa place au bronze en fusion. La cire permet également de réaliser de fins détails par le biais de divers traitements qui offrent de nombreux effets plastiques à la matière : ces traitements sont des ajouts ou des retraits de matière effectués à l’aide de divers outils. La technique de fabrication, la forme du modèle et les effets plastiques désirés par le « bronzier-modeleur » sont de fait, après la coulée, encore visibles à la surface du bronze mais aussi et surtout embellis par la couleur et l’éclat métallique de ce dernier.
Il est pourtant difficile de bien distinguer et d’interpréter les traitements plastiques employés sur le modèle en cire car leurs traces peuvent être effacées ou reprises au cours de nouveaux traitements de surface appliqués cette fois-ci sur le bronze, à l’image de la ciselure ou du polissage de finition. Le présent article s’attache par conséquent à montrer et à essayer de mieux comprendre les traces de modelage, empreintes et autres traitements plastiques qui ont été exécutés par l’artisan sur le modèle en cire à partir de l’étude de témoignages littéraires et de bronzes antiques et sur l’appui d’expérimentations archéologiques.
A large part of the production of antique bronzes was made using the technique of lost-wax casting, either by direct or indirect method. Often associated with a clay core, wax is a preferred material for modelling a prototype fairly easily but also because it disappears and gives way to molten bronze. Wax also makes it possible to achieve fine details through various treatments that give many plastic effects to the material: these treatments are additions or withdrawals of the material that are carried out using many tools. The manufacturing technique, the shape of the model and the plastic effects desired by the “bronze smelter-modeller” are in fact, after casting, still visible on the surface of the bronze but also and above all embellished by the colour and metallic brilliance of the latter.
However, it is difficult to distinguish and interpret the plastic treatments used on the wax model because their traces can be erased or repeated during new surface treatments applied this time on bronze, such as chasing or final polishing. Therefore, this article aims to show and try to better understand the traces of modelling, prints and other plastic treatments that were carried out by the craftsman on the wax model. This will be done with the support of the study of antique literary testimonies and bronzes and the achievement of archaeological experiments.
Entrées d’index
Mots-clés : cire, alliage cuivreux, bronze antique, métallurgie, fonte à la cire perdue, procédé direct, procédé indirect, archéologie expérimentale
Keywords : wax, copper alloy, antique bronze, metallurgy, lost-wax casting, direct method, indirect method, experimental archaeology
Remerciements
J’adresse tout d’abord mes remerciements aux organisatrices du colloque, Hélène Aurigny et Laura Rohaut, ainsi qu’aux membres du comité scientifique qui ont accepté ma contribution. Je tiens également à remercier tout particulièrement Laurent Inquimbert et son équipe qui m’ont de nouveau accueilli dans leur atelier et aidé pour réaliser ces expérimentations. J’exprime ma gratitude aux musées archéologiques de Délos, des Abruzzes et de Nice-Cimiez, ainsi qu’au DRASSM et aux écoles françaises d’Athènes et de Rome, qui m’ont permis d’étudier le mobilier. Je remercie enfin Eléonore pour ses conseils et relectures.
Texte intégral
Introduction
1En fonderie d’art, derrière l’alliage cuivreux qui est le matériau ultime du processus de fabrication viennent par ordre d’importance l’argile et la cire. L’argile parce qu’elle permet de réaliser le prototype grâce à ses propriétés de modelage mais aussi le noyau et le moule par ses propriétés réfractaires. La cire parce qu’elle permet de la même façon de modeler assez facilement un modèle et de réaliser à sa surface de fins et précis décors ou détails par le biais de divers traitements plastiques. La cire est enfin appréciée pour sa capacité à disparaître facilement du moule et laisser sa place au bronze en fusion. La technique de fabrication, la forme du modèle et les effets plastiques désirés par le πλάστης/plastès1, et plus précisément par le « bronzier-modeleur »2, sont de fait, après la coulée, encore visibles à la surface du bronze mais aussi et surtout embellis par la couleur et l’éclat métallique de ce dernier.
2Un type de fonte en particulier emploie la cire comme matériau de modelage : la fonte à la cire perdue. Elle peut être soit en fonte pleine, soit en fonte en creux. Pour cette dernière, deux procédés distincts existent : le procédé direct, sur positif, et le procédé indirect, sur négatif. Nous ne reviendrons pas ici sur les questions liées à la chronologie et la diffusion dans le bassin méditerranéen de ces procédés techniques antiques, celles-ci sont déjà abordées et expliquées dans d’autres communications de ce volume3. Rappelons seulement que le procédé direct serait le plus ancien des deux procédés et que l’utilisation du procédé indirect pour créer des statues en bronze est attestée dès la première moitié du Ve s. av. J.-C. par des découvertes archéologiques4, mais également par des sources iconographiques antiques5. Cependant, bien que primordiale dans le processus de fabrication, l’étape correspondant à l’application et au modelage de la cire n’est pas figurée ou évoquée dans ces derniers témoignages.
3L’enjeu de cette étude préliminaire, lié à une histoire des techniques de la céroplastie dans le processus de fabrication de bronzes par la fonte en creux à la cire perdue, est donc de s’employer à montrer et à mieux distinguer et interpréter les traces de modelage, empreintes et autres traitements plastiques qui ont été exécutés par le « bronzier-modeleur » sur le modèle en cire. Des traces spécifiques liées au modelage de la cire peuvent-elles par exemple indiquer et préciser l’un des deux procédés de fabrication de la fonte en creux à la cire perdue ? Quel est également le degré de précision des décors et détails réalisés sur la cire une fois rendus sur la pièce finale en bronze ?
4Ainsi, le présent article aborde deux points distincts développés dans les méthodes puis explicités dans les résultats et interprétations. Le premier point concerne les deux procédés de la fonte en creux à la cire perdue – le procédé direct et le procédé indirect. Les multiples étapes des processus de fabrication et les diverses traces liées aux actions et gestes effectués sont détaillés et mis en parallèle avec les témoignages littéraires ainsi qu’avec les bronzes antiques et les bronzes modernes issus des expérimentations. Le second point se concentre sur les traitements plastiques réalisés sur le modèle en cire, correspondant à des ajouts ou à des retraits de matière. Les bronzes antiques étudiés et les bronzes modernes expérimentés sont à cette occasion comparés et confrontés pour réaliser des déductions et des rapprochements sur le modelage et les traitements plastiques de la cire, ainsi que sur les outils employés au cours de l’Antiquité.
1. Matériels et sources littéraires
5Les problématiques de cette étude s’appuient sur trois témoignages issus de sources littéraires antiques6. Le premier est l’une des épigrammes du poète grec Posidippe sur les bronziers (andriantopoiika) – récemment redécouverte grâce au Papyrus de Milan – qui attire l’attention du lecteur sur l’importance du modelage dans l’art de la fonderie : « Ce bronze, Hécataios l’a modelé de telle sorte qu’il soit parfaitement semblable à Philitas, avec une exactitude qui va jusqu’au bout des ongles […] » (Posidippe, Papyrus de Milan, épigramme 63 A.-B.)7. Le deuxième est une métaphore qu’Ovide fait entre la chair ivoirine fraîchement humanisée de l’amoureuse de Pygmalion et le modelage de la cire par les pouces de l’artisan : « […] ainsi la cire de l’Hymette s’amollit au soleil ; ainsi, façonné par le pouce, elle prend les formes les plus variées et se prête à de nouveaux services, à force de servir » (Ovide, Met., X, 283-286). Le troisième et dernier témoignage est un passage de Pline l’Ancien concernant Lysistratus de Sicyone, l’inventeur du procédé indirect selon le naturaliste. Malgré la chronologie hasardeuse de l’auteur, ce passage apporte une précision technique : « [Lysistratus de Sicyone], le premier de tous, fit un portrait d’homme avec du plâtre, en prenant un moulage sur le visage même, puis imagina de verser de la cire dans ce moule de plâtre, cire sur laquelle il procédait à des retouches » (Pline, HN, XXXV, 44 (153)).
6Les bronzes sont ensuite les uniques vestiges de la fonte à la cire perdue antique – hors éléments architecturaux et mobilier liés à l’activité métallurgique même –, à l’exception cependant de quelques prototypes, moules de modèles et moulage en argile ou en plâtre mais n’ayant pas ou plus aucune trace de cire, comme le célèbre moule bivalve de pied de lit de Délos (fig. 1) ou les fragments de moulage de statues de Baïes8. Le mobilier archéologique spécifiquement étudié dans cet article sont les petits bronzes hellénistico-romains suivants : un buste-médaillon de Silène datant du dernier quart du IIe s. av. J.-C. (fig. 2) et une applique de coffre représentant un chien au repos (fig. 3) découverts dans une habitation délienne détruite en 69 av. J.-C.9 ; un buste-médaillon d’une créature dionysiaque ornant un lit funéraire découvert dans une tombe de la fin du Ier s. av. J.-C. à Amiternum10 (fig. 4) ; un plateau inférieur de porte-lampe sur pied découvert dans la cargaison de l’épave Fourmigue C à Golfe-Juan, navire qui serait parti de Grèce vers 70-60 av. J.-C.11 (fig. 5). Il faut par ailleurs être particulièrement attentif à l’arrière et aux zones moins visibles des bronzes étudiés, car les traces des traitements plastiques réalisées sur le modèle en cire sont souvent effacées ou reprises, au cours d’autres traitements de surface appliqués cette fois-ci sur l’alliage cuivreux, à l’image de la ciselure ou du polissage de finition.
Fig. 1 – Moule bivalve d’un pied de lit, faces internes, plâtre, H. 32 cm, boutique γ de la place aux boutiques de Délos

Musée archéologique de Délos, inv. E 352, b (© J. Devogelaere).
Fig. 2 – Silène, applique d’accoudoir de lit, faces externe et interne, alliage cuivreux, H. 6,8 cm, habitation VII de l’îlot des bronzes de Délos

Musée archéologique de Délos, inv. E 579 (© J. Devogelaere).
Fig. 3 – Chien, applique de coffre, faces externes et interne, alliage cuivreux, L. 11,5 cm, habitation VII de l’îlot des bronzes de Délos

Musée archéologique de Délos, inv. F 118 (© J. Devogelaere).
Fig. 4 – Créature dionysiaque ailée, applique d’accoudoir de lit, face externe et détail de l’arrière de l’aile gauche, alliage cuivreux, H. 11 cm, tombe d’Amiternum

Museo archeologico nazionale d’Abruzzo – Villa Frigerj, inv. 2721 (© J. Devogelaere).
Fig. 5 – Plateau inférieur de porte-lampe (type II), faces externe et interne, bronze, diam. 15 cm, épave Fourmigue C

Musée archéologique de Nice-Cimiez, inv. CIM-SMD-88-8-4-9 (© J. Devogelaere).
7Avec l’objectif de confectionner des prototypes en cire et de les fabriquer en bronze, des expérimentations ont enfin été réalisées afin de reproduire les techniques et gestes de la fonte en creux à la cire perdue, et d’observer et comparer les traitements plastiques d’un matériau à l’autre. Ces expérimentations ont été réalisées dans le courant des mois de février et mars 2019 dans l’atelier de fonderie de Laurent Inquimbert, fondeur d’art, qui a reçu en 2015 le titre de Meilleur Ouvrier de France dans la spécialité Fonderie d’Art – Cire perdue. Les éléments créés correspondent à des coupelles hémisphériques réalisées soit par procédé direct, soit par procédé indirect. La forme de la coupelle a été privilégiée car c’est une forme simple ayant de manière distincte une face externe convexe et un revers concave. Dans un premier temps, les coupelles ont été réalisées en cire avec ou sans traitement plastique (fig. 6 et 10.6), puis dans un second temps plusieurs d’entre elles ont été coulées en bronze (fig. 7 et 8) – un bronze à 10 % d’étain ayant par conséquent une couleur jaune rougeâtre12. Ces coupelles sont doublement numérotées : le premier numéro correspond au procédé de fabrication – n° 1 pour le procédé indirect et n° 2 pour le procédé direct ; le second numéro correspond aux traitements plastiques réalisés sur la cire – du n° 1 au n° 5 – ou directement sur le bronze – n° 6 (fig. 9).
Fig. 6 – Coupelles en cire réalisées par procédé indirect, faces externes et détail de l’empreinte digitale : coupelle aniconique (1.1) et coupelles décorées par retrait de matière (1.2 à 1.4) ou par ajout de matière (1.5)

(© J. Devogelaere).
Fig. 7 – Coupelles en bronze réalisées par procédé indirect, photos prises après polissage, faces externes et détail de l’empreinte digitale : coupelle aniconique (1.1) et coupelles décorées par retrait de matière (1.2 à 1.4) ou par ajout de matière (1.5)

(© J. Devogelaere).
Fig. 8 – Coupelle en bronze réalisée par procédé direct, photo prise après polissage, face externe : coupelle aniconique (2.1)

(© J. Devogelaere).
Fig. 9 – Numérotation des coupelles en fonction du procédé de fabrication et du traitement de surface

(© J. Devogelaere).
2. Méthodes
2.1. Les procédés de la fonte en creux à la cire perdue : procédé direct et procédé indirect
8Le procédé direct débute par le modelage ou le moulage d’un noyau en matériau réfractaire (argile sableuse ou plâtre mélangé d’éléments organiques), qui prend la forme générale de l’objet que l’artisan souhaite réaliser ; celui-ci est poncé pour rendre sa surface lisse. Sur ce noyau est appliquée ensuite une couche de cire plus ou moins épaisse qui forme en positif le modèle en cire. La cire est appliquée soit sous forme de plaques, soit sous forme de boulettes pressées. Au cours des expérimentations, le noyau a été modelé avec un mélange homogène d’argile, de sable et de jute finement coupé qui se rapproche des techniques traditionnelles des bronziers africains13. La couche de cire a quant à elle été formée en premier par une pellicule de cire de contact liquide appliquée au pinceau, puis par l’application successive de petits morceaux de cire à l’état solide, mais modelable, appliqués par pression à l’aide des pouces. La couche de cire a enfin été modelée pour former la coupelle (fig. 10). Le modèle final peut être éventuellement incisé pour créer des décors ou accentuer des détails.
Fig. 10 – Processus de la fonte en creux à la cire perdue par procédé direct

1. noyau hémisphérique modelé, face avant ; 2. noyau hémisphérique modelé, face arrière ; 3. noyau poncé ; 4. cire liquide appliquée sur le noyau ; 5. cire ajoutée par application de boulettes ; 6. coupelle en cire modelée
(© J. Devogelaere).
9La fonte en creux à la cire perdue par procédé indirect est plus complexe que celle par procédé direct car elle nécessite plus d’étapes dans le processus de fabrication, mais elle permet de réaliser des bronzes de meilleure facture et d’épaisseur plus fine.
10Le procédé indirect consiste dans un premier temps en la réalisation d’un prototype en argile de la pièce souhaitée ou à partir d’un modèle existant, en bronze, en terre cuite ou en marbre. Après un premier moulage, une copie en plâtre du prototype ou du modèle peut être tirée, à l’image des deux têtes humaines entourées de matrices et accrochées au-dessus du four sur la kylix du Peintre de la Fonderie ou encore des fragments découverts à Baïes14. Du prototype, du modèle ou de la copie, un moule en matériau réfractaire est confectionné en une, deux ou plusieurs parties suivant la complexité et les contre-dépouilles de la pièce, comme en témoigne sûrement le moule bivalve en plâtre mêlé de sable et de gravillons de Délos15, ainsi que la « cuirasse ridicule » moulant l’Hermès agoraios recouvert de poix mentionnée par Lucien16. Le moule sert à réaliser le modèle en cire17. Dans le cadre des expérimentations, à partir d’une coupelle en alliage cuivreux, nous avons réalisé un moule ouvert constitué d’une seule partie (fig. 11.1)18.
Fig. 11 – Processus de la fonte en creux à la cire perdue par procédé indirect

1. moule d’une coupelle ; 2. cire liquide appliquée dans les creux du moule ; 3. cire liquide remplissant le moule ; 4. couche de cire restant après évacuation du surplus ; 5. coupelle en cire moulée et son noyau
(© J. Devogelaere).
11Outre que la cire pouvait être appliquée sous la forme de plaques aux dimensions bien définies – épaisseur incluse – sur la matrice, à l’image du pilier hermaïque de Dionysos découvert dans l’épave de Mahdia ainsi que de celui conservé au musée J. Paul Getty19, celle-ci a également été utilisée dans l’Antiquité sous sa forme liquide pour recouvrir la paroi interne du moule. C’est ce que décrit Pline l’Ancien, dans le passage susmentionné20, au sujet de la technique employée par Lysistratus de Sicyone pour réaliser son modèle en cire à partir de l’empreinte produite par le moule. En effet, l’emploi par l’auteur du verbe infundere (« verser dans »21) implique clairement que la cire était liquide au moment de la verser dans le moule. C’est en suivant ces indications que nous avons réalisées lors des expérimentations les coupelles en cire (fig. 6). La paroi interne du moule, c’est-à-dire le négatif du modèle, a été ainsi recouverte d’une fine couche de cire liquide appliquée au pinceau pour prendre au mieux l’empreinte faite dans la matrice ; si le moule est en plusieurs parties, ces dernières sont en plus assemblées et maintenues serrées entre elles. De la cire liquide a été dans un second temps coulée à l’intérieur du moule puis évacuée rapidement pour recouvrir d’une couche homogène la paroi interne du moule – le point de fusion de la cire est à environ 63° C22. Cette action a dû être rapidement exécutée pour ne pas laisser à la cire le temps de refroidir et de se solidifier totalement ; le temps d’attente était ainsi maîtrisé par le « bronzier-modeleur » afin de définir l’épaisseur du bronze souhaité. Enfin, après refroidissement de la cire – qui peut être plongée dans l’eau pour accélérer son refroidissement car elle est imperméable et insoluble dans ce liquide23 –, un matériau réfractaire à base d’argile ou de plâtre est ajouté pour remplir entièrement le moule et former le noyau (fig. 11.2 à 11.5). Des fragments de noyau en plâtre renforcé par des matières organiques ont notamment été découverts à l’intérieur d’éléments de pied de lit en bronze à Lixus24. Les différentes parties du moule sont délicatement retirées suivant les contre-dépouilles de la pièce pour mettre à jour le modèle fait d’un noyau en matériau réfractaire recouvert d’une fine couche de cire. La paroi externe en cire peut être, comme dans le cas du procédé direct, enrichie d’incisions pour créer ou accentuer des détails, mais elle est aussi complétée d’éléments rapportés en cire pour apporter du relief, comme nous le détaillerons après. Ce travail supplémentaire montre qu’une même œuvre peut être réalisée en combinant les deux procédés : le modelage de la cire permis par le procédé direct peut ainsi compléter le modèle obtenu par le procédé indirect, tel que le faisait Lysistratus en procédant à des retouches sur son modèle en cire ou encore Hécataios qui retouche sa statue dans les moindres détails, « jusqu’au bout des ongles »25.
Fig. 12 – Assemblage des coupelles et éléments (pot de coulée, jet de coulée, tire-cire, évents) en cire pour permettre la coulée du bronze

(© J. Devogelaere).
12Les étapes de fabrication suivantes sont communes aux deux procédés de la fonte en creux à la cire perdue. Si le moule est fermé, une précision technique est toutefois à mentionner : des clous de distanciation sont piqués pour traverser la cire et se figer d’une part dans le noyau, et d’autre part dans le futur moule servant à la coulée26. Ces clous servent à maintenir en place le noyau après le décirage et ainsi conserver l’épaisseur de la pièce de bronze souhaitée, mais ils servent également de pont thermique pour faciliter la cuisson de ce même noyau.
13À présent, que cela soit pour un moule ouvert ou un moule fermé, des éléments en cire sont assemblés autour de la pièce pour permettre une bonne coulée de l’alliage cuivreux et la réalisation de la pièce en bronze : un jet de coulée et un pot de coulée sont ajoutés dans la partie supérieure, et des évents sont fixés à des endroits stratégiques pour l’évacuation de l’air et des gaz. Lors des expérimentations, toutes les coupelles ont été assemblées autour d’un maître-jet afin de ne réaliser qu’un seul moule pour la coulée, et des évents ont été placés dans les parties inférieures des coupelles pour faciliter et optimiser l’évacuation de l’air et des gaz (fig. 12). Une chape, qui forme le moule de coulée, recouvre enfin le modèle et tous les éléments de coulée en cire. Elle est en matériau réfractaire, comme le noyau ou les précédents moules, car elle doit résister à la haute température du four et à la pression du bronze en fusion. Le moule ainsi constitué est cuit, pot de coulée vers le bas pour effectuer en même temps le décirage. De ce fait, l’espace anciennement occupé par la cire est vide et sera rempli par le bronze en fusion lors de la coulée.
14Après la coulée et le refroidissement de l’alliage cuivreux, plusieurs travaux à froid sont enfin effectués pour finaliser le processus de fabrication, et ainsi mettre à jour la pièce en bronze et lui donner tout son éclat : le décochage, qui consiste à séparer le bronze de son moule par la destruction de ce dernier ; l’ébarbage, qui correspond aux retraits des excédents d’alliage sur la pièce, tel que les jets de coulée, les évents et les bavures ; la ciselure, qui sert à éliminer les imperfections et les défauts de coulée et à reprendre si besoin les décors incisés ; le polissage, qui permet de faire apparaître l’éclat métallique du bronze ; l’application de cire ou d’une patine, enfin, qui lustre, colore et/ou protège le bronze de la corrosion27. Au cours des expérimentations, nous avons intentionnellement conservé sur la coupelle 1.5 la trace d’un évent et d’une coulure de la cire, issue de la fixation de ce dernier à la coupelle, pour témoigner des possibles traces et défauts laissés par l’application de la cire liquide (fig. 7). Mais dans la pratique, que cela soit pour le bronzier antique ou moderne, cet excédent de matière trop visible aurait dû être ciselé et poli pour ne plus apparaître, comme cela a été fait sur les autres coupelles.
2.2. Les traitements plastiques : ajout de matière et retrait de matière
15À température ambiante, dans les environs de 20° C, la cire est malléable, ce qui permet sa déformation plastique28. La cire devient donc modelable au simple contact des mains du plastès, grâce à un léger réchauffement, telle la cire de l’Hymette mentionnée par Ovide29. Aussi bien par procédé direct que par procédé indirect, avant l’assemblage des éléments de coulée autour de la pièce en cire et de son recouvrement par une chape, le modèle en cire peut ainsi subir divers traitements de surface pour créer des décors ou des détails ; ceux-ci sont soit en relief en ajoutant de la cire, soit incisés en retirant de la matière. Les effets sur la matière peuvent également être voulus pour modifier localement la teinte de l’alliage, voire en changer la couleur. Des jeux de lumières se créent, en effet, grâce aux différences de réflexion de la lumière incidente et de la perception de l’œil face aux irrégularités présentes à la surface du bronze par les macro- et microreliefs30.
16L’adjonction d’éléments modelés secondaires en cire sur le modèle principal est nécessaire pour ajouter de la matière, donner du relief à des détails et ainsi jouer sur des effets d’ombre et de lumière. L’élément ajouté est assemblé au modèle principal soit par simple pression, soit par un supplément de cire liquide lissé permettant une jonction optimale entre les deux parties. Dans le cas du procédé indirect, la pièce en bronze peut par conséquent être plus complexe dans ses détails que le prototype en argile. Les sources littéraires antiques ont par exemple témoigné des retouches sur la cire faites par Lysistratus de Sicyone31. L’étude archéologique de Carol C. Mattusch sur les piliers hermaïques de Dionysos de Mahdia et du Getty a montré que Boéthos de Chalcédoine aurait complexifié le modèle en cire en retravaillant notamment le ruban entourant la tête du dieu32. Les recherches menées sur les bronzes de Riace ont également conduit à découvrir que les deux procédés semblent avoir été employés lors de l’insertion des lèvres en cuivre rouge dans le modèle principal en cire et avant l’application postérieure des moustaches et de la barbe modelées en cire33. Dans le cadre de cette étude, les expérimentations effectuées en rapport avec l’ajout d’éléments en cire concernent la coupelle 1.5 (fig. 6 et 9). Nous avons effectué à cette occasion deux pastillages34 différents. Le premier pastillage correspond à des fils de cire réalisés par roulage et appliqués verticalement sur la coupelle. Le second a été réalisé à l’aide de boulettes de cire appliquées par pression du pouce et partiellement superposées pour former un décor d’écailles.
17Concernant les traitements plastiques réalisés par retrait de matière sur le modèle en cire, ils ont plusieurs utilités décoratives et peuvent être exécutés par un grand nombre d’outils, qui sont généralement fabriqués par l’artisan lui-même, tels que les pointes, ciseaux et spatules, en bois ou en métal, mais également toutes autres sortes de matériaux réemployés permettant de créer une empreinte dans la matière. Les expérimentations ayant rapport à des retraits de matière sur les coupelles en cire concernent les coupelles 1.2, 1.3 et 1.4 (fig. 6 et 9). Sur la coupelle 1.2, nous avons réalisé trois différents types de retraits à l’aide d’une spatule en métal : de fines encoches en utilisant la spatule à chant, des encoches plus épaisses en employant la spatule à plat, et pour terminer, un lissage de la matière en appliquant de façon continue et dans des orientations différentes le plat de la spatule, sur quelques centimètres. Sur la coupelle 1.3, nous avons effectué quatre types de traits à l’aide de ciseaux en métal : des traits fins ou épais avec un profil en V en utilisant un ciseau à double biseau, et des traits fins ou épais avec un profil en U en utilisant deux gouges. Pour terminer, sur la coupelle 1.4, nous avons réalisé sur toute la surface de la paroi extérieure des stries épaisses à l’aide d’une spatule dentée en métal, utilisée à chant et de manière oblique.
3. Résultats et interprétations
18Finalement, est-ce que la cire a laissé des traces ? Si oui, est-ce que ces traces sont assez spécifiques pour en déduire le procédé de fabrication employé ? À partir des résultats des expérimentations, on observe bien des traces différentes au niveau de la paroi interne de la pièce suivant le procédé employé. La cire ne laisse pas les mêmes traces si elle est appliquée à l’état solide dans le cas du procédé direct ou lorsqu’elle est appliquée à l’état liquide dans le cas du procédé indirect. Ces traces sont par ailleurs visibles après coulée à l’arrière de la pièce en bronze. Dans le cas du procédé direct, étant appliquée sur le noyau en argile principalement par pression des pouces, la cire imprime les macro- et micro- irrégularités présentes à la surface du noyau (fig. 10.3 à 10.5). Le matériau réfractaire constituant le noyau est poreux et absorbe donc l’humidité, ce qui rend la surface de la cire granuleuse. Enfin, après séchage et cuisson, le noyau se dilate légèrement et forme des craquelures qui seront emplies par le bronze en fusion car elles forment des espaces vides35. Dans le cas du procédé indirect, lorsqu’elle est appliquée dans le moule à l’état liquide, la cire présente une surface ondulée à finition lisse sur sa paroi interne (fig. 11.4). Des coulures se forment quelquefois. Lors de l’ajout du noyau ou de la chape, qui sont appliqués sans trop forte pression, la cire a déjà refroidi et est solide, ce qui ne laisse que de très faibles traces à sa surface. En somme, à partir de ces observations, nous pouvons dire que lors d’une fabrication par procédé direct la paroi interne des bronzes a une surface granuleuse avec parfois de petites « feuilles » comme bavures (fig. 13), alors qu’elle a une surface principalement ondulée à finition lisse lors d’une fabrication par procédé indirect avec application de cire liquide (fig. 14). Il faut toutefois nuancer ces résultats car le noyau en matériau réfractaire peut, même par procédé indirect, présenter parfois une surface à l’allure sableuse lors de son bourrage à l’intérieur du moule36, ainsi que se craqueler et générer des bavures après coulée. Quand la cire est appliquée sous forme de plaques lors d’un procédé indirect, sa surface interne ne peut être par ailleurs totalement lisse, car elle conserve les traces laissées par l’artisan qui cherche à faire adhérer la cire dans les creux du moule.
Fig. 13 – Coupelle en bronze réalisée par procédé direct, photo prise après polissage, face interne et détail de la surface interne : surface granuleuse avec des petites « feuilles » (coupelle 2.1)

(© J. Devogelaere).
Fig. 14 – Coupelle en bronze réalisée par procédé indirect, photo prise après polissage, face interne : surface ondulée à finition lisse (coupelle 1.3)

(© J. Devogelaere).
19La paroi interne du buste-médaillon de Silène a par exemple une surface ondulée relativement lisse avec ce qui semble être une coulure dans la partie inférieure gauche (fig. 2). L’applique en bronze a dû être réalisée par la technique de la fonte en creux à la cire perdue par procédé indirect, plus précisément dans un moule fermé, et probablement avec l’application d’une cire liquide. Le plateau inférieur de porte-lampe de l’épave Fourmigue C semble avoir également été fabriqué par procédé indirect, mais dans un moule ouvert – donc sans noyau de coulée. En effet, n’étant pas une ronde-bosse, la pièce ne nécessite pas l’emploi d’un moule fermé. De plus, sa paroi interne est lisse et présente des traces de coulures de cire mais aussi des traces de lissage qui semblent avoir été faites avec le doigt (fig. 5 ; coulures et traces semi-circulaires dans la partie basse de l’objet). Le modèle en cire aurait donc été fait soit à l’aide d’une plaque de cire partiellement retouchée avec de la cire liquide, soit par le versement de la cire liquide retouchée ensuite par un lissage. Le lissage a peut-être permis de retirer un excédent de matière qui aurait alourdi et déformé la pièce en bronze.
20Les objectifs de cette recherche étaient également de définir et de matérialiser les traces des divers traitements plastiques effectués sur la cire et le rendu de celles-ci sur le bronze. Ces interrogations sont entre autres apparues à la suite d’une observation et d’une précision technique décrites par Claude Rolley dans son ouvrage Les bronzes grecs où l’auteur souligne que « […] l’importance du polissage et de la ciselure rendent souvent difficile d’apprécier, dans le détail gravé, ce qui vient du modèle de cire et ce qui a été fait entièrement après fonte », mais en ajoutant toutefois qu’ « en principe, des sillons qui montrent, avec une forte loupe, un profil en U ont été faits dans la cire […] »37.
21Tout d’abord, il est à mentionner un intéressant insuccès sur la coupelle 2.1, réalisée par procédé direct, qui a été causé par un défaut de coulée nommé une malvenue. Ce dernier a eu lieu sur une petite partie de la coupelle à cause probablement d’une température trop faible de l’alliage et/ou du moule mais aussi d’une épaisseur trop fine de la cire appliquée sur le noyau. Le bronze en fusion n’a en effet pu remplir cet espace trop restreint entre le noyau et la chape (fig. 13).
22Concernant le pastillage ou l’ajout d’éléments secondaires en cire pour enrichir le modèle, les expérimentations sur la coupelle 1.5 montrent que les éléments appliqués par simple pression ont été parfaitement reproduits en bronze (fig. 7). La simple pression d’un élément en cire peu proéminent est donc suffisante pour le maintenir sur le modèle principal et permettre sa reproduction en bronze. Le buste de Silène délien semble indiquer que des boudins de cire ont été appliqués par pression pour former les moustaches et les sept mèches de la barbe tombant sur son cou (fig. 2). En effet, si les mèches de la barbe avaient été présentes dans la matrice du moule, il y aurait eu sur la paroi interne du bronze des concavités correspondant aux négatifs des mèches – la cire n’aurait pas rempli l’intégralité des creux. En revanche, une concavité se distingue au niveau du négatif de la poitrine de Silène, ce qui laisse à penser que celle-ci était déjà modelée sur le prototype.
23Les éléments trop saillants seraient pour leur part fixés au modèle principal par un supplément de cire et/ou une légère fusion de la cire au point de contact. Au regard des observations faites sur la créature dionysiaque ailée d’Amiternum, après l’application des ailes en haut relief, il semblerait que le modeleur a ajouté de la cire à l’arrière de la pièce – la zone la moins visible – et l’a lissée pour faciliter l’assemblage et le maintien de l’aile à l’épaule. Il est encore possible de distinguer à l’arrière de l’aile gauche, non retravaillée après coulée, les traces de lissage et le geste de l’artisan, aidé sûrement d’une spatule (fig. 4). De la même manière, la couronne de lierre entourant le crâne du Silène délien serait due, à mon sens, à un ajout d’éléments secondaires (fig. 2). Outre que certaines feuilles de lierre saillantes engendreraient plusieurs contre-dépouilles au moule pour réussir une bonne empreinte, les éléments floraux ont probablement dû être appliqués à l’aide d’une spatule chauffée pour permettre une fusion localisée de la cire, et ainsi assurer une bonne fixation des détails rapportés.
24Les expérimentations d’ajouts d’éléments en cire montrent par ailleurs que toutes les traces de modelage effectuées sur la cire sont visibles sur la pièce en bronze, jusqu’à l’empreinte digitale. Lors du pastillage du décor d’écailles sur la coupelle 1.5, la pression du pouce exercée pour créer et faire adhérer les pastilles a marqué la cire d’empreintes digitales et ces marques sont présentes sur la coupelle en bronze (fig. 6 et 7).
25Pour terminer, les traitements plastiques par retrait de cire peuvent être privilégiés pour accentuer l’effet de profondeur ou d’ombrage d’un détail du modèle déjà en relief, tels que les encoches faites dans la barbe de Silène pour accentuer le relief et l’effet torsadé de ses mèches calamistrées, ainsi que les incisions marquant le contour de la barbe (fig. 2). Les encoches dans la barbe pourraient avoir été réalisées à l’aide d’une molette selon la linéarité du décor entre les mèches. Les incisions peuvent également former par opposition un nouveau décor en bas-relief grâce au creusement du contour de celui-ci, comme nous le distinguons sur les frises de rais-de-cœur ornant l’élément de porte-lampe découvert dans l’épave Fourmigue C (fig. 5). Ces incisions ont pu être effectuées sur le prototype en argile ou sur le modèle en cire pour composer des frises en bas-relief. Plus finement, le retrait de matière permet de créer des incisions – pouvant être de moins d’1 mm de profondeur – afin d’orner d’un décor gravé le modèle. Des « incisions mimétiques » sont réalisables pour préciser par une légère concavité des détails anatomiques ou de pilosité d’une figure modelée. On citera par exemple les poils couvrant le torse de Silène (fig. 2) ou le pelage du chien de Délos (fig. 3). Les expérimentations ont montré, à ce sujet, que l’utilisation d’une spatule dentée permettait de réaliser des incisions continues et ondulées, similaires au pelage du chien délien, alors qu’une pointe ou un ciseau biseauté serait destiné aux fines incisions individuelles, telles que celles formant la pilosité de Silène (fig. 6 et 9). Enfin, les incisions marquées dans la cire peuvent être des tracés préliminaires que le toreute reprend à froid sur l’alliage cuivreux pour accentuer le décor gravé.
26Même si elles sont d’une grande finesse sur la cire, ces fines incisions sont présentes à la surface du bronze comme l’atteste la coupelle 1.3 expérimentée (fig. 7). De plus, comme Claude Rolley l’avait déjà précisé, les incisions au profil en U dans le bronze sont généralement faites dans la cire38. Toutefois, il ne faut pas oublier qu’une incision avec un profil en U peut également être confectionnée à la surface du bronze à l’aide d’un ciselet à bout arrondi ou d’une gouge. Cette pratique de reprendre les finitions au ciseau mais aussi de créer des détails directement sculptés dans l’alliage est attestée à partir de l’époque hellénistique39. À l’image des lignes tracées sur la coupelle en bronze 1.6, les expérimentations ont en effet permis de pratiquer de la ciselure sur le bronze : un trait fin et un trait épais avec un profil en U ont été tracés à l’aide de deux ciselets, l’un à bout arrondi étroit et le second à bout arrondi plus large ; un dernier trait épais avec un profil en U a été dessiné à l’aide d’une gouge (fig. 9 et 15). Il est à noter que le ciselet ne retire pas de matière mais crée de fins renforcements dans la matière à la différence des ciseaux, tels que la gouge, qui retirent des copeaux de matière. De même, il faut bien garder à l’esprit qu’une incision réalisée dans le modèle en cire peut être reprise à froid dans le bronze. Une combinaison de plusieurs traitements plastiques sur la cire, puis sur le bronze, était incontestablement opérée par le « bronzier-modeleur » pour réaliser un bronze des plus aboutis.
Fig. 15 – Coupelle en bronze réalisée par procédé indirect et décorée de ciselures, photo prise après polissage, face externe et détails des ciselures : traces laissées par la gouge (à gauche) et traces laissées par le ciselet (à droite) (coupelle 1.6)

(© J. Devogelaere).
Conclusion et perspectives
27Cette étude préliminaire sur les procédés, techniques et gestes de fabrication de la fonte en creux à la cire perdue au cours de l’Antiquité a été organisée et mise en œuvre à l’occasion du colloque « Quand on a la terre sous l’ongle » : le modelage dans le monde grec antique. L’étude a montré qu’une grande diversité de traitements plastiques pouvait être effectuée sur le modèle en cire, certains correspondent à des ajouts d’éléments plastiques alors que d’autres apportent des précisions décoratives à l’aide d’outils. En effet, grâce à la malléabilité de la cire, les décors, détails et autres empreintes marqués à sa surface sont retranscrits sur le bronze par la technique de la fonte à la cire perdue. Les décors gravés, même les plus fins, sont visibles sur le bronze.
28Les résultats obtenus sont intéressants pour mieux appréhender et comprendre le modelage et les traitements plastiques effectués sur le modèle en cire ainsi que le rendu final sur le bronze, mais il est évident qu’il reste à approfondir ces recherches pour mieux interpréter encore les traces laissées par la céroplastie à partir des témoignages littéraires et iconographiques antiques, des observations sur le mobilier archéologique et des réflexions engendrées par les expérimentations. Un développement de l’étude, tant de manière diachronique que géographique, serait à mener sur un plus grand nombre de bronzes creux antiques pour reconnaître les traces présentes sur leurs parois internes, et ainsi tenter de préciser leur fabrication par procédé direct ou indirect. Sans oublier que les deux procédés ont pu être utilisés pour réaliser une même œuvre, à l’exemple des guerriers de Riace.
29Le « bronzier-modeleur » grec avait autant de connaissances sur les propriétés chimiques, physiques, mécaniques et optiques des métaux et alliages cuivreux, qu’une maîtrise du modelage de l’argile et de la cire pour réaliser des œuvres en bronze creux par la fonte à la cire perdue. Il employait aussi la cire comme traitement ultime, pour lustrer et protéger le bronze contre la corrosion. Il avait donc, outre de la terre, également de la cire sous l’ongle.
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Notes de bas de page
1Pour une étude sur le terme plastès : Robert 2003.
2Le terme « bronzier-modeleur » renvoie autant à une personne qu’à un duo, voire une équipe. Nous approuvons à ce sujet l’interprétation donnée par Arthur Muller lors des discussions à ce colloque concernant le couple de noms mentionnés dans la fabrication d’un bronze, tel que Rhoïkos et Théodoros : il pourrait s’agir d’un duo complémentaire composé d’un modeleur et d’un fondeur. Le modelage de l’argile et de la cire et la fonderie peuvent néanmoins être maîtrisés par une seule et même personne, comme peut-être Polyclète, ou être à l’inverse effectués par une équipe d’artisans plus nombreuse.
3Descamps-Lequime dans ce volume.
4Bol 1985, 124‑125 ; Rolley 1994, 68.
5Nous faisons référence ici à deux célèbres céramiques attiques à figures rouges du Staatliche Museen zu Berlin : l’œnochoé peinte d’une Athéna modelant une statue de cheval en argile (inv. F. 2415) ; la kylix du Peintre de la Fonderie (inv. F. 2294).
6Sauf exception mentionnée en note de bas de page, les traductions des textes antiques sont celles publiées dans Les Belles Lettres.
7Pour une étude plus précise des épigrammes sur les bronziers de Posidippe : Prioux 2008, 200‑252.
8Landwehr 1985.
9Siebert 1973, 559‑561 et 567.
10Pasqui 1907, 147.
11Baudoin, Liou, Long 1994, 90.
12Devogelaere 2018, 39 et 741‑742 ; 2019.
13La fonderie traditionnelle africaine serait une continuité de la fonderie antique. Le matériau réfractaire des bronziers africains est généralement un mélange de terre silico-argileuse avec un ajout d’éléments organiques, notamment du crottin de cheval, représentant environ 50 % du volume total. Le « banko » est le terme générique pour désigner ce matériau réfractaire (Morin, Morin-Hamon, Sainty 2018, 94 et 120). Pour une étude présentant la technique traditionnelle du moulage à la cire perdue des bronziers africains contemporains : Rama 1995, 362‑364.
14Pour les grands bronzes, le prototype ou la copie en plâtre est en plus découpé en plusieurs parties pour faciliter les autres étapes du processus de fabrication. Les éléments en bronze sont ensuite soudés entre eux pour reformer la statue comme le décrit l’une des scènes peintes sur la kylix du Peintre de la Fonderie. Une étude récente a également montré que le soudage par fusion au bronze liquide a été employé comme procédé de soudage dans la grande statuaire antique en bronze (Azéma et al. 2017).
15Le moule en plâtre n’a pas servi à couler directement des pieds de lit en bronze car aucune trace de métal en fusion n’est présente (Rolley 1983, 15). En revanche, étant réutilisable, le moule a dû servir soit à tirer des modèles en cire, soit à tirer des copies en plâtre.
16« Je [Hermagoras] me trouvais justement par la main des bronziers / Enduit de poix sur la poitrine et sur le dos, / Et une cuirasse ridicule autour de mon corps / Avait été modelée et suspendue par l’art qui reproduit / Pour prendre l’empreinte entière du bronze […] » (Lucien, JTr., 33, 14-18). La poix serait une substance permettant d’optimiser l’empreinte du modèle ainsi que de faciliter le démoulage du moule. Par ailleurs, un moule en plâtre de la partie arrière d’un buste d’une statue d’époque hellénistique a été découvert à Nea Paphos, Chypre (Lahusen, Formigli 2001, 485-486, fig. 21).
17Aux prémices de l’emploi du procédé indirect, c’est-à-dire au début du VIIe s. av. J.-C., dans une phase d’apprentissage et d’essais, les bronziers samiens auraient néanmoins tenté de fabriquer des protomés de griffon en coulant directement l’alliage dans les moules en plusieurs parties. Des ratés de coulées montrent en effet que l’alliage en fusion s’est introduit entre les jointures du moule (Rolley 1983, 15 ; Gehrig 2004, 121-128).
18Pour des raisons de gains de temps, le moule a été conçu en élastomère et non en plâtre. Cela ne remet cependant pas en cause les résultats des expérimentations car c’est avant tout la face interne du modèle en cire qui importe dans la partie de cette étude. C’est en effet cette face qui peut avoir des traces différentes suivant le procédé direct ou indirect employé, comme nous le verrons dans les résultats.
19Mattusch 1994, 444‑445, fig. 25 et 26.
20Pline, HN, XXXV, 44 (153).
21Ernout, Meillet, André 1994, 260‑261.
22Rama 1995, 236-238 ; Lecomte 2009, 262 ; Morin, Morin-Hamon, Sainty 2018, 94.
23Lecomte 2009, 262.
24Piccot-Boube 1960, 247‑249 ; Boube-Piccot 1975, 15 et 76, n°29, pl. 8.
25Posidippe, Papyrus de Milan, épigramme 63 A.-B.
26Par exemple, des moules de coulée en argile ayant conservé les clous de distanciation en fer ont été découverts dans un quartier artisanal de Lyon datant du Ier s. apr. J.-C. (Rabeisen 2015). Pour constater la marque caractéristique des clous de distanciation dans le bronze : Lahusen, Formigli 2001, 480-481, fig. 1-7.
27Concernant en particulier l’application de substances pour un entretien de surface et le patinage des bronzes : Mathis 2005 ; Descamps-Lequime 2006, 83‑85 ; Devogelaere 2018, 86‑112 ; 2019.
28Lecomte 2009, 262 ; Morin, Morin-Hamon, Sainty 2018, 94.
29Ovide, Met., X, 283-286.
30Coluzza, Formigli 2013 ; Formigli 2013b.
31Pline, HN, XXXV, 44 (153).
32Mattusch 1994, 441‑444.
33Formigli 2013a, 14‑16.
34Le pastillage est un procédé de décoration qui consiste à coller des ornements sur une surface à décorer.
35Dans la terminologie actuelle de la fonderie, ces défauts de coulée sont dénommés des « feuilles ».
36Rolley 1994, 68.
37Rolley 1983, 19.
38Rolley 1983, 19.
39Formigli 2013b, 73.
Auteur
-
Jonathan Devogelaere
Aix Marseille Univ, CNRS, CCJ, LabexMed, Aix-en-Provence, France, jonat_dev[at]hotmail.fr
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