Conclusions
p. 329-331
Texte intégral
1Le premier résultat de ce colloque est d’avoir contribué à faire émerger le modelage comme une question digne d’intérêt et qui, sous une apparence purement technique, engage une réflexion de fond sur notre conception de la coroplathie et de l’artisanat grecs. Il n’est donc pas question d’apporter des conclusions définitives en dressant ce bilan, mais de montrer en quoi ce domaine d’étude est riche de questionnements, de redécouvertes et de réexamens de documents souvent laissés de côté. Pour ce faire, je choisis quelques points qui me paraissent importants ou susceptibles de renouveler connaissances et problématiques sur le sujet.
1. Un colloque qui suscite des expérimentations
2Comme tout colloque, la rencontre d’Aix-en-Provence a provoqué des discussions et a fait naître des idées et des projets, notamment en ce qui concerne l’étude encore peu répandue des empreintes digitales sur les figurines1, ou la nécessité de compléter les bases de données disponibles sur la composition des pâtes.
3Mais trois contributions ont donné lieu à des créations faites tout exprès pour le colloque : Anastasia Gadolou a en effet réuni trois artisans potiers modernes pour essayer diverses techniques de reconstitution de la maquette de Nikoleika en Achaie : un film a montré comment le montage au colombin s’est imposé comme la seule possible pour obtenir un résultat conforme à l’objet antique. D’autre part, Jonathan Devogelaere, dans le sillage de ses travaux doctoraux, a fait fondre plusieurs coupelles de bronze pour essayer d’illustrer la manière dont les traces de cire permettent d’accéder aux techniques de mise en œuvre de ce matériau. Serena Raffiotta, enfin, a travaillé avec un artisan à la fabrication d’un Hadès « moderne ». Ces trois expériences inédites rappellent la place importante de l’expérimentation archéologique dans les études sur l’artisanat antique.
2. À la recherche du prototype
4Le prototype a été l’objet de plusieurs contributions et discussions. Pour les périodes hautes, Susan Langdon s’est interrogée sur l’invention du modèle dans un contexte d’expérimentations artisanales à Corinthe au VIIe siècle. Violaine Jeammet a montré les difficultés à identifier clairement des prototypes dans le matériel connu aujourd’hui, ce qui tient à notre méconnaissance du temps d’utilisation de ces œuvres, de leur devenir, des traitements de surface dont ils pouvaient être l’objet. Jaimee Uhlenbrock, en rappelant que Le Bernin cuisait ses modèles, a indiqué qu’une des voies possibles pour approfondir la réflexion pourrait bien être la comparaison avec d’autres époques.
5Sophie Descamps-Lequime a montré que même quand plusieurs œuvres semblaient bien découler d’un même prototype, des différences iconographiques ou stylistiques révélaient la part de liberté dans l’interprétation de ce que l’on pourrait supposer être un
6prototype commun simplifié. Dans son étude des vases plastiques en forme de tête, Elisabeth Trinkl a porté son attention sur les relations entre les créateurs des prototypes modelés et les ateliers de céramique attiques de la fin de l’archaïsme : les collaborations artisanales ont aussi été mises en lumière au travers de nombreuses communications.
3. Interactions artisanales
7C’est un « pôle » de questions que les participants ont souligné comme de plus en plus incontournable pour faire évoluer notre façon plutôt cloisonnée d’aborder l’artisanat grec. Si Éléonore Favier en a montré toute la richesse dans l’historiographie récente, cette question a trouvé un terrain de discussion concret dans plusieurs lots de documents.
8Antonella Pautasso, pour les périodes hautes en Crète, a souligné que les terres cuites modelées entretenaient des relations d’imitation avec des créations de bronze, mais aussi que certaines solutions techniques de la terre cuite adaptaient des techniques du céramiste ou du bronzier.
9Magali Ramon Ribaud, dans son étude sur les éléments plastiques des oenochoés corinthiennes, a mis en évidence l’inspiration plutôt éclectique d’une production de vases qui représentent le dernier sursaut corinthien pour s’adresser à une clientèle qui recherche aussi des vases de bronze.
10La place centrale du modeleur, le plastès, a été détaillée par Violaine Jeammet et Sophie Descamps-Lequime, respectivement dans ses rapports avec le coroplathe et le bronzier. Jonathan Devogelaere a fait un pas de côté pour envisager les modalités du travail de la cire en comparaison avec celui de l’argile.
4. Le modelage dans la chaîne de fabrication du moulage
11Le postulat qui a servi de fil directeur à l’organisation de ce colloque, à savoir que l’acte de modeler était à la base de la création des figurines, mais persistait encore dans les étapes ultérieures de la fabrication, s’est trouvé illustré et démontré de plusieurs façons.
Moulage et remodelage
12Même lorsque les figurines sont entièrement moulées, le modelage intervient de façon significative dans la chaîne de fabrication. À l’époque archaïque à Thasos, où l’on est passé du tournage au moulage sans qu’une véritable tradition de modelage se développe (remarque de Violaine Jeammet), les figurines moulées présentent bien souvent des traces d’intervention directe, surtout sur les exemplaires locaux où les artisans ont beaucoup de liberté (Stéphanie Huysecom-Haxhi). Les créateurs continuent à agir en modeleurs même s’ils utilisent des moules.
13Pour les périodes plus récentes, on retrouve ces mêmes pratiques de reprise des œuvres moulées au fur et à mesure de leur création. À Medma, il semble que l’organisation des ateliers soit originale et peu hiérarchisée, avec un artisan mouleur qui est aussi modeleur, comme le révèle le travail sur le moule et sur la pièce finie (Ágnes Bencze). À Métaponte, l’intervention du modelage sur les types moulés peut aller jusqu’à une modification du genre de la figurine (Eukene Bilbao Zubiri), comme à Medma ou à Kition (Pauline Maillard) du reste. À Thasos, Arthur Muller a bien montré l’importance du modelage pour la technique du moulage des documents d’époque classique et en a tiré des conclusions sur l’identité possible des différents modeleurs (enfants, potiers ou sculpteurs).
14Le colloque illustre donc à travers bon nombre de communications les pratiques artisanales que plusieurs auteurs qualifient de « bidouillage » ou de « bricolage », termes qui rendent compte de la réalité concrète de la documentation ; on regrettera que ces termes dénotent un rapport un peu désinvolte des coroplathes à leurs créations, quel qu’en soit le résultat, alors que ce qui ressort de ces contributions, c’est que le modelage est le geste même de l’artisan créateur, quelles que soient ses ambitions ou la modestie de ses productions.
Le modelage comme technique privilégiée
15Sans surprise, le modelage s’est avéré être la technique privilégiée ou largement attestée dans la fabrication des figurines archaïques de Corinthe (Susan Langdon, Sonia Klinger) et d’Argos (Anna Philippa-Touchais, Hélène Aurigny, Anna Banaka).
16Plusieurs contributions sur Chypre ont montré une persistance et une spécialisation régionale de la technique du modelage qui n’a jamais été supplantée par le moulage pourtant connu depuis le début de l’âge du fer ; le modelage se décline en tours de main qui correspondent à des styles bien affirmés à l’époque archaïque (Sabine Fourrier, Jan-Marc Henke). Cette technique est encore préférée pour le montage de grandes statuettes à Marion (Eustathios Raptou), même si elle est associée à d’autres techniques. Enfin, Pauline Maillard a établi pour les ateliers de Kition des choix artisanaux très intéressants : le nombre réduit de prototypes, le peu de création de nouveaux moules conduisent les artisans à retravailler les statuettes par le modelage, dans un processus plus long que le moulage. La fabrication de figurines de terre cuite participe de processus qui ne s’expliquent donc pas par la paresse supposée d’artisans cherchant le moindre effort, ni par leur manque de compétences.
Le modelage comme style
17Enfin, Jaimee Uhlenbrock qui a accepté à notre demande de faire une revue du modelage à l’époque hellénistique, a rappelé, entre autres choses, une dimension plus étonnante du modelage : Dorothy Thompson avait mis en évidence le « maniérisme coroplastique » d’une œuvre de l’agora où des éléments étaient ajoutés pour « faire modelé », à une époque où l’on recherche l’image de la main du créateur dans des pièces originales prisées des amateurs. Nul doute qu’une étude plus systématique du modelage aux époques classique, hellénistique et romaine apportera des points de vue et des corpus d’étude nouveaux.
5. Objets modelés et pratiques religieuses
18L’étude de la terre cuite dans l’histoire des sanctuaires est une tendance bien ancrée dans la recherche récente2 ; l’examen spécifique des documents modelés permet d’interroger plus précisément le rapport entre l’objet manufacturé et les pratiques de consécration locales. À Athènes, les figurines modelées donnent à voir un style bien caractérisé et une fonction presque exclusivement votive (Vassiliki Georgaka). À Sparte, la technique semble particulièrement appropriée pour rendre le caractère cru des personnages ithyphalliques que l’on trouve dans plusieurs sanctuaires (Adrien Delahaye, Aphrodite Vlachou).
19En Crète et à Corinthe également, les figurines modelées semblent correspondre à de nouvelles aspirations religieuse aux VIIIe et VIIe siècles.
20Le type argien de la Dame assise montre une particularité régionale bien répandue dans les sanctuaires de l’Argolide, mais avec des déclinaisons qui montrent l’appétence des dédicants pour des modèles toujours originaux (Hélène Aurigny) ; les figurines debout et trônantes (Anna Philippa-Touchais, Anna Banaka) correspondent à des évolutions des demandes des fidèles au cours du temps, ou à des adaptations à des pratiques locales qui forment parfois un ensemble disparate mais dont la fonction fondamentale est de constituer un témoin concret de l’hommage rendu à la divinité.
21En choisissant cette approche technique de la production des figurines de terre cuite, nous avons atteint plusieurs de nos objectifs : mettre en lumière une documentation méconnue et traditionnellement mise de côté ; comprendre le rôle du modelage à l’origine mais aussi à l’œuvre tout au long du processus de création des figurines et autres artefacts en argile ; renouveler et nourrir les problématiques actuelles de l’archéologie et de l’histoire du monde artisanal. Nous espérons que ce volume témoignera, aux yeux des lecteurs, du dynamisme de la recherche dans ce domaine et de la richesse des échanges qui ont eu lieu entre les contributeurs et qu’il ouvrira la voie à de nouvelles réflexions.
Notes de bas de page
Auteur
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Hélène Aurigny
Aix Marseille Univ, CNRS, CCJ, Aix-en-Provence, France, helene.aurigny[at]univ-amu.fr
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