Zola, avis de décès

1Le Théâtre de la Renaissance, à Oullins, accueillait du 20 au 22 mars le collectif OS’O, pour une adaptation sur scène de l’imposant roman d’Émile Zola L’Assommoir, prenant le parti de le traiter sur un mode comique. L’histoire, les six personnages la racontent. Plus Gervaise Macquart s’enfonce dans la misère, plus ils boivent, plus ils se retrouvent eux-mêmes complètement dépravés. Ces six personnages, sans être en quête d’auteur, sont en revanche de toute évidence en quête de scénariste.

Au Théâtre de la Renaissance, Zola est re-mort

2On ne sait pas exactement ce qu’il y a entre les atomes. Alors, on ne peut pas faire autrement que de supposer l’existence d’un vide absolu. C’est ce vide absolu dont je crois bien avoir fait moi-même, ce samedi 23 mars à vingt heures, l’expérience. Les rares moments drôles de cette pièce – qui se veut donc drôle, je crois –, le très bon jeu de Baptiste Girard, les jolies couleurs des vêtements des comédiens, tout cela, ne nous y trompons pas, ne doit pas faire oublier que la mise en scène de L’Assommoir par David Czesienski, est avant tout une très mauvaise idée. Rien n’y est dit, rien ne justifie ce traitement-là, si déplacé – c’est tout de même sacrément marrant, la reproduction de la misère, vous ne trouvez pas ? C’est Zola au pays du théâtre de boulevard : à tout moment pouvait surgir du néant intersidéral de cette pièce Anne Roumanoff ou Christian Clavier. Et c’est long, c’est très long, c’est très très long. On s’ennuie, c’est terrible : deux heures douze, c’est le temps exact qu’a eu Zola pour se retourner, autant de fois que nécessaire, dans sa tombe. Sur scène, on voit des amis qui racontent l’histoire de Gervaise Macquart, etc., je ne vous la refais pas. Ils vident bouteille après bouteille, inspirant alors ma propre envie d’aller boire un ou deux verres à la sortie, comme pour essayer d’oublier ce massacre. Mais comme vous pouvez le constater, ça n’a pas marché, je ne l’ai pas totalement oublié.

On sort

3Bien. Changeons donc de sujet. Comme je dois bien écrire sur autre chose que sur du vide, ma première idée a été de sauter sur l’occasion pour dire que ma tante vend une Opel Zafira diesel 170 chevaux, 23 812 kilomètres au compteur, prix négociable. Mais, n’entretenant de bonnes relations ni avec ma tante, ni avec son Opel Zafira, je me suis vite retrouvé bloqué, terriblement bloqué, devant l’aporie de ma réflexion.

4Connaissez-vous les piverts, ces petits oiseaux malicieux qui font toc-toc avec leur bec contre les arbres ? Savez-vous pourquoi les piverts font toc-toc avec leur bec contre les arbres ? S’ils ont juste l’air stupides, vus de loin, ne les jugeons pas trop promptement. Voilà un spectacle bien plus passionnant que celui que propose L’Assommoir, de David Czesienski. Si les piverts tapent avec leur bec sur du bois, c’est en réalité pour déceler un écho dans un arbre, qui indiquerait qu’une portion de l’arbre en question est creuse – un peu comme la mise en scène de David Czesienski –, et que, par conséquent, elle est susceptible d’abriter un ver. Une fois l’espace creux repéré, c’est en tapant plus fort que le pivert parvient à casser le bois pour pénétrer à l’intérieur de l’arbre. Il déroule ensuite son énorme langue, car sa langue – le saviez-vous ? – est si longue qu’elle est enroulée tout autour de sa tête. Elle possède de tout petits crans, lui permettant ainsi d’accrocher le ver pour l’extirper de l’arbre et finalement le déguster. C’est un processus qui, sans aucun doute, suscite chez l’observateur un intérêt infiniment plus grand que celui produit par L’Assommoir, de David Czesienski.

Naturalisme

5Mais poursuivons, car nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Connaissez‑vous les lémuriens de Madagascar ? Vous avez peut-être entendu parler du Aye-Aye, ce petit lémurien nocturne plein de vie. Il faut dire qu’il a une tête particulièrement marquante, originale et inoubliable ; tout le contraire, en somme, de L’Assommoir, de David Czesienski.

6Ne seriez-vous pas fascinés d’apprendre que le Aye-Aye fait exactement la même chose que le pivert, mais avec des moyens différents ? Ce n’est pas à l’aide d’un bec, mais d’un long doigt crochu qu’il tape contre un arbre pour repérer un creux trahissant la présence d’un ver. C’est avec ses dents qu’il casse le bois mort pour ensuite aller chercher le ver, ver qu’il va chercher non avec sa langue, mais avec son doigt qui, je le répète, est long et crochu. Il faut bien manger. C’est pour cette raison que nous pardonnerons aux comédiens le naufrage que se révèle être L’Assommoir de David Czesienski, naufrage dont ils ne sont en aucun cas eux-mêmes responsables. Là où je veux en venir, c’est que l’on remarque ainsi que le pivert et le lémurien font une chose tout à fait similaire ; mais bien qu’elles aient eu à satisfaire un même besoin (trouver des vers pour se nourrir), ces deux espèces n’ont pas évolué de manière convergente. Nous avons un oiseau, d’une part, qui n’a ni doigts, ni dents, et un singe, d’autre part, qui n’a, lui, pas de bec. En revanche, l’oiseau a un bec, le singe a des doigts et des dents. Cet exemple nous permet ainsi de démontrer que leurs histoires respectives les prédisposent à évoluer de manière différente. Autrement dit, en fonction de leurs différences évolutives, deux espèces sont amenées à développer des moyens distincts d’adaptation au même problème. N’est-ce pas étonnant ? Moralité : sortons tous en vitesse du théâtre, et allons joyeusement découvrir les mille et-un secrets que recèle notre fascinante nature.