1Le Laboratoire d’Anthropologie de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRScNB) s’est constitué des collections ostéologiques humaines identifiées. Ces collections (Identified Skeletal Collection ou ISC) sont un matériel de référence essentiel pour les anthropobiologistes (Tobias 1991 ; Perréard Lopreno, Eades 2003 ; Cunha, Ferreira 2022, Polet, Beauthier 2022). Elles permettent, en effet, de mettre au point et de tester de nouvelles méthodes anthropologiques ainsi que de mieux connaître l’influence de facteurs mésologiques sur le phénotype et l’état sanitaire (Orban et al. 2011). Elles sont ainsi à l’origine de multiples recherches portant notamment sur le dimorphisme sexuel, l’observation des phénomènes de sénescence, les comparaisons entre populations, etc.

2L’établissement et l’enrichissement de ce type de collections sous-tendent de nombreux questionnements, tant d’un point de vue légal qu’éthique ou déontologique. Pour argumenter le débat, il nous a semblé intéressant de présenter la problématique afférente à la constitution d’ISC en Belgique. Afin de comprendre la complexité de la situation belge, nous avons trouvé opportun de débuter notre article par une brève présentation du pays et de son organisation. Nous dressons ensuite un état des lieux de la législation belge à propos du statut des restes humains et de la constitution de collections ostéologiques. Nous développons enfin les démarches administratives, l’historique et les difficultés rencontrées lors de la constitution de deux ISC conservées à l’IRScNB : les séries de Schoten et de Châtelet.

La Belgique : structure, niveaux de pouvoir et compétences1

3Le Royaume de Belgique est, depuis 1993, un État fédéral composé d’entités fédérées : les Communautés et les Régions. Dès 1970, le pays a été divisé en trois Communautés linguistiques : la Communauté française de langue officielle française, la Communauté flamande de langue officielle néerlandaise et la Communauté germanophone de langue officielle allemande. On dénombre aussi, depuis 1980, trois Régions territoriales : la Région wallonne, la Région Bruxelles-Capitale et la Région flamande (fig. 28). Le pays comporte également 10 provinces (5 provinces flamandes et 5 provinces wallonnes) et 589 communes (19 communes de Bruxelles, 262 communes wallonnes et 308 communes flamandes).

Fig. 28. Carte de Belgique avec les différentes Régions et la localisation des communes de Schoten et de Châtelet, dessin : A.-M. Wittek (ADIA), (DAO A. Dagand).

4La Belgique est organisée en trois niveaux de pouvoir. Le premier est occupé par l’État fédéral, les Communautés et les Régions qui sont tous trois égaux en droit, le deuxième par les provinces qui sont subordonnées à toutes les autorités du premier niveau, le troisième par les communes qui sont soumises aux hiérarchies supérieures.

5La juridiction belge est complexe (SPF Justice 2009)2. La justice est du ressort de l’État fédéral mais les entités fédérées ont également des compétences législatives et exécutives. Au niveau fédéral, l’initiative législative est prise par le gouvernement ou les parlementaires. Les lois sont valables pour toute la Belgique. Elles sont publiées au Moniteur belge qui est le journal officiel de l’État belge. Les Régions sont principalement compétentes en matière d’économie régionale. Les Communautés gèrent la culture, l’enseignement et les matières dites « personnalisables » (politique de santé et aide aux personnes). Afin d’exercer ces compétences, chaque Communauté et chaque Région disposent d’un parlement et d’un gouvernement3. Ainsi, les Communautés et les Régions peuvent élaborer des lois, appelées « décrets » (« ordonnances » dans la Région de Bruxelles-Capitale) et veiller à leur exécution. Elles garantissent également l’application des lois fédérales. Les conseils provinciaux et communaux édictent également des règlements dans les domaines relevant de leurs compétences, comme la sécurité publique et la gestion des cimetières. La députation permanente d’une province et le collège des bourgmestre et échevins d’une commune exécutent ces divers règlements (ainsi que, dans les limites de leurs attributions, les normes supérieures telles que les lois, décrets et ordonnances).

Les collections de squelettes humains et la législation belge

6En Belgique, un squelette humain ressort du domaine archéologique si le délai post-mortem dépasse 30 ans. En effet, après cette période, il y a prescription de l’action publique, c’est-à-dire des poursuites pénales entamées à la suite d’une infraction (un crime non correctionnalisable, dans les cas qui nous concernent) (articles 21 à 25 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale ; Beernaert et al. 2014).

7La Belgique a ratifié le 24 juillet 1996 la Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel de l’UNESCO (1972) mais les restes humains ne sont pas cités dans les définitions du patrimoine culturel et naturel (Article 1 et 2). Ils figurent néanmoins dans la Convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique de 2001 (UNESCO 2001) ! La Belgique a aussi ratifié la Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique (plus connue sous le nom de Convention de La Valette ou Traité de Malte) dont le but est de protéger le patrimoine archéologique en tant que source de la mémoire collective européenne et comme instrument d’étude historique et scientifique (Conseil de l’Europe 1992). Cette convention ne s’est malheureusement pas penchée sur le statut des restes humains.

8Il n’existe aucune loi belge sur la propriété des vestiges humains archéologiques (Quintelier et al. 2011). En Belgique, l’archéologie est régionalisée depuis 1989. Chaque Région (wallonne, bruxelloise ou flamande) possède ainsi son code régissant les pratiques archéologiques mais les restes humains n’y sont mentionnés que dans un document rédigé pour la Flandre par l’Agence du Patrimoine Immobilier (Agenschap Onroerend Erfgoed) (Ervynck 2018)4. Dans la pratique, ils sont assimilés aux autres objets découverts lors de fouilles. En Région wallonne, par exemple, ceux-ci sont définis dans l’article 232 du Code wallon de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme, du Patrimoine et de l’Énergie (CWATUPE) comme suit : « On entend par biens archéologiques tout vestige matériel, y compris paléontologique ou sa trace, situé sous ou au-dessus du sol, envisagé comme un témoignage de l’activité de l’homme ou de son environnement, d’époques ou de civilisations révolues, indépendamment de sa valeur artistique ».

9Aucune règle stricte n’est préconisée quant à la manipulation des vestiges humains en contexte de fouilles et d’étude en laboratoire (Quintelier et al. 2011). Le devenir des ossements après la fouille ou leur étude n’est pas non plus précisé. En principe, ce sont les titulaires de droits matériels qui se chargent de leur conservation, préservation et mise à disposition pour des recherches scientifiques5. Actuellement, ces titulaires les déposent généralement dans l’un des dépôts de patrimoine immobilier agréés appartenant à l’une des trois Régions en fonction de leur lieu de découverte. Les restes humains sont parfois ré-inhumés ou incinérés s’ils sont jugés de peu d’intérêt archéologique. Avant la régionalisation du Service national des Fouille en 1989, des squelettes provenant de toute la Belgique étaient régulièrement intégrés dans les collections de l’IRScNB. Les acquisitions actuelles sont plutôt fonction du potentiel scientifique de la collection ou de son adéquation aux thèmes de recherches menées par les anthropologues de l’IRScNB.

10Il n’existe pas non plus de réelle réflexion éthique vis-à-vis du défunt lui-même, mais seulement des codes de déontologie à l’égard des professionnels qui vont les exhumer, les étudier et les conserver (Vanderbiest 2014). Ces codes s’inspirent, entre autres, des publications de Quigley (Quigley 2001), d’Ardagna et al. (Ardagna et al. 2006), de Lohman et Goodnow (Lohman, Goodnow 2006) et de Cassman et al. (Cassman et al. 2007). Si les restes humains sont conservés dans un musée et surtout s’ils généralement destinés à être exposés, le Code de déontologie de l’ICOM6 sera généralement appliqué (les points 2.5, 3.7, 4.3 et 4.4 de ce Code concernent les restes humains). Un numéro du périodique belge La Vie des Musées a été consacré à la problématique de l’exposition de restes humains (Brilot 2011). Par ailleurs, deux projets d’inventorisation de collections de restes humains incluant les aspects législatifs et éthiques ont débuté récemment en Belgique. Le premier se nomme HOME (Human Remains Origin(s) Multidisciplinary Evaluation). Il est financé par la Politique Scientifique fédérale Belge (BELSPO) et concerne les vestiges humains historiques d’origines géographiques diverses hébergés dans les collections publiques, universitaires et privées belges (Tilleux, Chapman 2021). Un accent particulier est mis sur les collections coloniales et les éventuelles demandes de rapatriement. Le second s’appelle MEMOR. Il est financé par l’Agenschap Onroerend Erfgoed et s’intéresse aux restes humains archéologiques découverts en Flandre7.

11Le statut juridique de squelettes provenant de cimetières récents ou toujours en activité n’est également pas défini. Ils ne sont protégés que par une loi du Code pénal régissant l’interdiction de la profanation de sépulture (article 453 du Code pénal belge8 ; Van Bol 2003 : 232). D’autre part, l’article 340 du Code pénal sanctionne d’une peine correctionnelle ceux qui ont recelé ou caché un cadavre mais il est précisé qu’il s’agit d’une personne homicidée ou morte des suites de coups ou blessures (Kuty 2009 : 474).

12Depuis le 1^er janvier 2002, la matière relative aux funérailles et sépultures a été régionalisée9 mais ce sont les communes en tant que responsables des cimetières qui se positionnent comme elles l’entendent (dans le respect des lois communales) par rapport à une demande de prélèvement de restes humains pour des objectifs scientifiques. Il est en effet précisé dans le Code wallon de la Démocratie locale et de la Décentralisation que les autorités communales ont à veiller à ce qu’aucune exhumation n’ait lieu dans un cimetière sans l’autorisation du Bourgmestre (article L1232-5).

La collection de Schoten

13Schoten10 est une commune néerlandophone située en Région flamande dans la province d’Anvers (fig. 28). Actuellement, elle compte plus de 33 000 habitants. L’entité ne possède qu’un seul cimetière en fonction (depuis le 29 juin 1931). Il est situé rue Hendrik Conscience (fig. 29a).

Fig. 29a. Localisation de l’ancien cimetière de Schoten qui entourait l’église Sainte Cordula et du nouveau cimetière en utilisation depuis 1931 (DAO A. Dagand).

Constitution

14Dès 1944, François Twiesselmann (1910-1999), chef de la Section d’Anthropologie et de Préhistoire au Musée royal d’Histoire naturelle de Belgique (actuellement IRScNB), avait établi les premiers contacts qui ont abouti à la donation des squelettes. La correspondance de François Twiesselmann révèle que le contact avec la commune de Schoten s’est établi par le biais du bourgmestre de l’époque : Joseph Ullens de Schooten (1892-1969) – ceci, grâce à son frère, le Père Raoul Ullens de Schooten (1884-1963) qui était religieux dans un couvent situé à proximité du Musée et que Twiesselmann connaissait (Orban et al. 2011).

15Les fiches d’exploration de l’IRScNB indiquent que le prélèvement des squelettes eut lieu les 14, 15 et 16 octobre 1946. Celui-ci fut possible suite à la désaffection de l’ancien cimetière qui entourait l’église paroissiale de Sainte Cordula (fig. 29b). Une partie des tombes fut transférée dans le nouveau cimetière entre 1931 et 1952 (Chabot, Van Camp 2000). L’IRScNB a pu prélever des individus qui n’étaient pas destinés à être déménagés. L’identité des défunts n’a pas été relevée (il s’agissait peut-être d’une condition de la donation). Pour chaque individu, les informations recueillies étaient le numéro officiel de la tombe, le sexe, la date de naissance et l’année de décès. Ces données furent reprises sur une étiquette placée à côté de ces ossements (fig. 30).

Fig. 29b. Vue de l’arrière de l’église Sainte Cordula de Schoten avec l’ancien cimetière attenant qui vient d'être vidé (circa 1940-1950), (Photo : Beeldbank Schoten, n^o AA0157FOT).

Fig. 30. Exemple d’une étiquette d’identification placée à côté des ossements de Schoten (Photo : E. Dewamme, IRScNB).

16Le transport des squelettes à l’IRScNB s’est effectué le 18 octobre 1946. Ils y ont été numérotés, inventoriés et traités à la gomme-laque pour les consolider (Orban, Vandoorne 2006). La collection de Schoten est répertoriée dans l’Inventaire Général des Collections de l’IRScNB, sous le numéro d’ordre I.G. 15.299, en date du 30 octobre 1946.

17Les squelettes sont conservés dans le conservatoire 12A de l’IRScNB (fig. 31a). Pour des raisons de gain de place et de rationalisation de l’espace, ils sont rangés suivant le type d’os (fig. 31b, 31c).

Fig. 31a. Travées du conservatoire 12A de l’IRScNB où sont entreposés les ossements de Schoten (Photo : J. Rans, IRScNB).

Fig. 31b. Tiroir contenant les crânes des individus 725 à 733 (Photo : J. Rans, IRScNB).

Fig. 31c. Tiroir contenant les os coxaux des individus 684 à 713 (Photo : J. Rans, IRScNB).

Composition et utilisation comme échantillon de référence

18La série de Schoten est constituée de 51 squelettes. Presque tous les individus (46/51) ont été inhumés en 1931. Ils représentent 37 % des 137 personnes décédées à Schoten cette année-là (Orban et al. 2011). La collection se répartit en 27 hommes et 24 femmes, nés entre 1837 et 1916, la plupart dans un rayon de 50 km autour de Schoten. La distribution de leur âge au décès (fig. 32) est particulière, avec une surreprésentation d’individus très vieux : onze sujets sont plus âgés que 80 ans (27 % de l’échantillon), six ont entre 21 et 40 ans et trois seulement ont moins de 20 ans.

19Une étude du contexte biodémographique, environnemental, social et historique de la population de Schoten entre 1830 et 1930 a été réalisée par Eldridge (Eldridge 2007). Sur base des actes de décès (registres consultés au Palais de Justice d’Anvers), elle a aussi pu :

• identifier 39 des 51 individus (16 femmes et 24 hommes) ;

• détecter une erreur d’inventaire concernant l’âge au décès (l’individu de la tombe 764 serait né en 1892 et non en 1872 ; fig. 30) ;

• retrouver la profession de 12 hommes parmi lesquels il y a un docker, un forgeron, un marin et un plombier (les femmes sont malheureusement toutes renseignées comme « sans profession ») ;

• connaître la cause de décès de 3 individus (uniquement si la mort a été violente).

Fig. 32. Distribution de l’âge au décès dans les séries de Schoten et Châtelet (DAO A. Dagand).

20Depuis sa constitution, la collection de Schoten a servi de référence dans différents types d’études portant entre autres sur le dimorphisme sexuel, les comparaisons entre populations, l’attribution taxinomique d’un fossile humain supposé paléolithique, la reconstitution de la stature, la méthodologie anthropométrique, l’ostéobiographie et l’observation des phénomènes de sénescence (les principaux travaux sur la collection sont repris dans Orban et al. 2011 ; à cela s’ajoutent les études de Lefèvre et al. 2005 ; Bouchez et al. 2010 ; Bertrand et al. 2019 ; Beauthier et al. 2020 ; Villotte et al. 2021 ; Boucherie et al. 2021 ; Boucherie et al. 2022).

Limites, difficultés rencontrées et espoirs

21Pour toute utile et utilisée qu’elle soit, la collection de Schoten a cependant des limites :

• les ossements ont été traités à la gomme-laque. Ce consolidant peut poser problème pour les analyses chimiques (analyses isotopiques, moléculaires, etc.) ;

• la collection ne comprend pas de juvéniles ;

• l’effectif de Schoten est petit. Or, certaines analyses statistiques, surtout multivariées, exigent des effectifs conséquents ;

• le faible effectif est particulièrement marqué au niveau de la denture car les individus sont très âgés et donc en majorité édentés (33 % seulement du total de dents possibles sont présentes).

22Twiesselmann avait prévu de recevoir d’autres squelettes dans les années suivantes mais cela ne s’est pas fait ainsi que l’atteste le rapport annuel de la section d’Anthropologie de 1947 : « Malheureusement le projet qui vise à nous doter d’une collection de squelettes humains, d’âge et de sexe connus, n’a pas trouvé de voie de réalisation au cours de cette année. La collection de squelettes humains que nous avons pu récolter l’année dernière n’a pu être accrue cette année. ».

23Notons qu’au moment de la donation, Joseph Ullens de Schooten était Bourgmestre intérimaire, poste qu’il a occupé de 1944 à 1947 en remplacement d’Antoon Wolfs. Ce dernier fut Bourgmestre de 1941 à 1965, fonction qu’il cumula avec celle de Secrétaire général pendant la deuxième guerre mondiale jusqu’en 1944 (Baetens 1982 : 46)11. Il est donc probable qu’Antoon Wolfs, moins sensible que son remplaçant aux problématiques anthropologiques, n’ait pas donné suite aux demandes d’autres prélèvements de squelettes.

24L’ancien cimetière de Schoten étant vidé depuis 1952, le seul espoir serait de prélever des squelettes dans le cimetière actuel. Ils pourraient provenir de tombes abandonnées ou arrivées à terme (cf infra § « Constitution »). L’administration communale de Schoten, contactée en 2004, n’a retrouvé aucune mention de la donation des 51 squelettes en 1946 dans les comptes rendus échevinaux de l’époque (Orban et al. 2011). Nous pouvons donc difficilement nous baser sur de précédents accords pour appuyer une nouvelle demande. De plus, le bourgmestre actuel appartient à un parti séparatiste (sa revendication principale est l’indépendance de la Flandre) et il est peu probable qu’il accède à une requête venant de médecins légistes rattachés à une université de la Communauté française et d’anthropologues faisant partie d’un Établissement Scientifique Fédéral.

La collection de Châtelet

25Châtelet est une commune francophone située en Région wallonne dans la province de Hainaut (fig. 30). Sa population actuelle s’élève à environ 36 000 habitants. L’entité possède six cimetières : ceux de la Floche, de Taillis-Pré, du Centre, de Châtelet, de Bouffioulx (« nouveau » et « milieu ») et de Bouffioulx (« ancien »).

Constitution

26Les démarches auprès de la commune de Châtelet ont débuté le 21 décembre 2003. L’un d’entre nous (J.-P. Beauthier) a adressé une lettre officielle à l’administration communale pour demander l’autorisation de prélever dans un but scientifique des squelettes humains dans les cimetières de la commune. L’IRScNB y était mentionné comme lieu de dépôt. Le Collège échevinal a donné son accord le 2 avril 2004 et nous a exemptés de la redevance d’exhumation le 26 avril 2004.

27Les exhumations ont concerné les cimetières de Taillis-Pré et de Châtelet. Les individus prélevés provenaient de sépultures désaffectées ou dont la concession est arrivée à terme12. Un procès-verbal d’abandon sous forme d’affichette (fig. 33) a été placée par les autorités communales pendant une durée d’un an à l’entrée du cimetière et devant la sépulture concernée (articles L1232-8 et L1232-12 du Code wallon de la Démocratie locale et de la Décentralisation). Au terme de cette période, si les proches ne s’étaient pas manifestés et si aucune remise en état n’avait été effectuée, il fut mis fin à la concession conformément aux articles précités. Dans ce cas, les monuments ont été démolis ou réaffectés et les défunts, qui devaient normalement être transférés dans un ossuaire, ont pu être prélevés.

28Les restes humains ont été exhumés entre le 13 février 2006 et le 15 mai 2009 avec l’aide du personnel affecté aux cimetières de la commune et de membres du Disaster Victim Identification13 (fig. 34). Ils ont ensuite été acheminés dans leur cercueil en corbillard14 par une entreprise de pompes funèbres jusque dans leurs locaux. Là, les ossements ont été dégagés manuellement (élimination des restes de vêtement, de tissus mous conservés et des matières en décomposition) et nettoyés à l’eau et au Dettol® (savon liquide antibactérien fabriquée par l’entreprise Reckitt Benckiser dont l’ingrédient actif est le chloroxylénol) (fig. 35a). Les ongles et cheveux ont également été prélevés. Après séchage à l’air libre, les ossements ont été marqués à l’encre de Chine (fig. 35b) puis transportés à l’IRScNB. Chaque individu y a été conditionné dans une boîte en bois (fig. 36) et stocké dans le conservatoire 12A. Les démarches d’octroi d’un numéro à l’Inventaire Général des Collections de l’IRScNB sont en cours.

Fig. 33. Exemple d’affichette constatant l’abandon de sépulture et placée par les autorités communales pendant une durée d’un an (Photo : C. Polet, IRScNB).

Fig. 34. Exhumation au cimetière de Châtelet en juillet 2006 (Photo : C. Polet, IRScNB).

Fig. 35a. Nettoyage des ossements de Châtelet par Noémie Gryspeirt aux pompes funèbres Fontaine, Gilly. (Photo : C. Polet, IRScNB).

Fig. 35b. Marquage des ossements de Châtelet par Noémie Gryspeirt aux pompes funèbres Fontaine, Gilly (Photo : C. Polet, IRScNB).

Fig. 36. Tiroir contenant l’individu 1 de Châtelet (Photo : J. Rans, IRScNB).

Composition et utilisation comme échantillon de référence

29La série est constituée de 13 squelettes. Elle comporte 6 hommes et 7 femmes, nés entre 1795 et 1877, décédés entre 1870 et 1963. La distribution de leur âge au décès (fig. 32) montre une absence d’individus plus jeunes que 40 ans.

30Jennifer Eldridge a consulté les actes de décès de la commune de Châtelet. Elle a ainsi pu confirmer les identités relevées sur les pierres tombales et identifier 11 des 13 individus (5 femmes et 6 hommes). Elle a aussi retrouvé la profession de 4 hommes : un potier puis cafetier, un cordonnier, un capitaine d’infanterie et un « propriétaire ». Les femmes sont toutes renseignées comme « sans profession » à l’exception d’une qui était rentière. Étant donné que certains défunts proviennent d’un même caveau familial, leurs liens de parenté sont également connus.

31Bien que constituée récemment et étant de très faible effectif, la collection de Châtelet a déjà fait l’objet de diverses études. Elle a été intégrée dans l’élaboration de méthodes d’estimation de l’âge au décès basées sur les sutures crâniennes (Beauthier et al. 2008a ; 2008b ; 2010) et des méthodes d’estimation du sexe à partir de mesures du labyrinthe osseux et de la base du crâne (Boucherie et al. 2021 ; Boucherie et al. 2022). Les individus de profession connue ont servi d’échantillon de référence pour une étude portant sur les enthésopathies et la reconstitution des gestes répétés dans une population mérovingienne (Limbourg 2014). Des prélèvements osseux ont été réalisés sur les fémurs de 3 individus de Châtelet décédés au xx^e siècle et ont été utilisés pour mettre au point une méthode de datation d’individus récents par Résonance Magnétique Nucléaire des solides (Urzel 2014). Une étude portant sur l’importance du vêtement en archéothanathologie s’est basée sur les photographies des défunts dans leur cercueil (Bouquin 2019).

32D’autres recherches sont en cours comme celle de :

• Enrico Muccino (Université de Milan) portant sur les caractères non-métriques du crâne et de la colonne cervicale ;

• Eva-Maria Geigl (Université Paris Diderot) menée sur la préservation différentielle de l’ADN ancien en fonction du type d’os échantillonné.

Limites, difficultés rencontrées et espoirs

33Les limites énoncées pour la série de Schoten sont valables pour celle de Châtelet si l’on excepte le fait que les ossements n’ont pas été consolidés (ce qui explique son utilisation dans des recherches basées sur des analyses chimiques).

34Le Chef fossoyeur des cimetières de Châtelet avec qui nous avions débuté les exhumations est parti à la retraite en 2007. Son successeur a toujours fait preuve de moins d’enthousiasme envers notre projet et malgré notre insistance, aucun prélèvement de squelettes n’a pu être réalisé depuis mai 2009. Cette situation serait, selon lui, due au fait que son personnel, en sous-effectif, est surchargé de travail. Les vidages de tombes et caveaux devraient néanmoins se poursuivre étant donné le manque de place dans certains cimetières de l’entité comme ceux du Centre et de la Floche (Gilles 2014). Interrogé à ce propos en mai 2014, le Chef fossoyeur nous a parlé d’une firme privée qui devrait se charger de cette tâche. Nous avons émis le souhait d’être présents lorsque cette firme interviendrait mais actuellement (avril 2015), elle n’a toujours pas débuté le travail.

35Le projet pourrait être relancé dans une autre commune mais, cela pourrait prendre quelques années avant qu’il ne débute concrètement. En effet, une série d’éléments indispensables nécessitent beaucoup de temps comme l’autorisation communale, la collaboration de pompes funèbres locales, l’attente qu’il soit mis fin aux concessions et surtout la coopération des fossoyeurs.

Conclusion

36Cette contribution a mis en évidence le vide juridique belge à propos du statut des vestiges humains. Dans le système complexe qu’est la Belgique fédérale, aucune loi, aucun décret ne réglemente leur acquisition ni la manière dont ils doivent être traités (scientifiquement et éthiquement) ou conservés.

37En Belgique, le prélèvement de squelettes dans un cimetière récent ou toujours en activité peut être autorisé par les autorités communales. C’est par le biais de cette procédure que le Laboratoire d’Anthropologie de l’IRScNB a acquis les individus de Schoten en 1946 et de Châtelet entre 2006 et 2009. Ceux-ci constituent des séries ostéologiques identifiées (Identified Skeletal Collection ou ISC) car certaines informations les concernant sont connues avec certitude comme leur sexe, leur date ainsi que leur lieu de naissance et de décès, la cause de leur décès, leur profession et des liens familiaux. De par leur valeur et leur potentiel anthropologiques, ces deux collections ont très rapidement servi de référence dans de nombreuses recherches nationales et internationales dont certaines sont en cours.

38Il est toutefois regrettable que leurs effectifs n’aient pu être augmentés. À Schoten, cet arrêt est très probablement à imputer au changement d’autorité communale à la fin de la deuxième Guerre mondiale et il y a très peu d’espoir d’y reprendre des prélèvements. À Châtelet, la situation serait plutôt liée au manque de disponibilité et de bon vouloir du personnel du cimetière mais il est encore possible d’espérer une reprise des exhumations.