1. Introduction

1Dans le monde en mouvement de l’archéologie nationale, le devenir des restes humains collectés lors des fouilles archéologiques a souvent été évoqué, plus sans doute que d’autres vestiges, considérés comme des sujets moins sensibles aux yeux de la société. Les réponses apportées à cette question que l’on juge délicate accordent une large part au ressenti réel ou imaginé des acteurs ou des spectateurs de l’exhumation de restes humains anciens. Chacun à sa manière essaie d’apporter la réponse ou de trouver le comportement qui lui semble le mieux adapté vis-à-vis de ces vestiges particuliers. Si, de son côté, l’archéologue aborde ce matériau de l’histoire de manière la plus neutre et matérialiste possible, estimant que la précision de son acte technique est en soi un traitement adapté, le profane, pas toujours au fait des objectifs et procédures de l’archéologie et parfois impressionné à la vue d’engins de terrassements, est susceptible en revanche de s’émouvoir du sort réservé à ces mêmes restes. Les archéologues le savent bien, malgré toutes les précautions prises, selon les cas, la fouille de sépultures se déroule dans la plus grande indifférence alors que dans d’autres en revanche, pour des raisons souvent difficiles à cerner, l’opération cristallise un ensemble d’émotions ou de revendications auxquelles les autorités locales cherchent, le plus souvent dans l’urgence, à apporter les réponses qui leurs semblent les plus appropriées – réinhumation, construction de mémorial, etc. – dans un cadre échappant largement à la réglementation de l’archéologie. En dehors de ces circonstances exceptionnelles, il peut arriver aussi que scientifiques et/ou autorités en charge de la gestion du patrimoine s’interrogent sur le bien fondé de conserver durablement telle ou telle série anthropologique.

2De ces interrogations et expériences diverses, il ressort du côté des acteurs scientifiques un consensus sur la nécessité d’une prise en charge « digne » de ces restes classés à juste titre dans les textes réglementant l’archéologie parmi les échantillons biologiques. Il ne fait pas débat non plus que ce matériel biologique un peu particulier constitue une source d’informations incomparable sur l’homme ancien qui doit être préservée et valorisée. Ces considérations se traduisent concrètement par l’intérêt que les institutions scientifiques et patrimoniales consacrent aux contextes funéraires. Il est rare en effet en France qu’un site menacé de destruction ne fasse pas l’objet de fouilles d’archéologie préventive. Des moyens, souvent importants, sont mobilisés pour caractériser les contextes d’ensevelissement des défunts, prélever, étudier et conserver les restes anthropologiques. Tout au long de la chaîne opératoire, des spécialistes sont à l’œuvre et livrent des travaux de haute tenue et l’on peut dire sans hésitation que, jamais dans l’histoire de notre discipline, les contextes sépulcraux n’ont été aussi bien décrits et étudiés. La difficulté surgit souvent après l’achèvement des opérations archéologiques. La conservation et la valorisation sur le long terme de ce matériau d’étude nécessite des moyens et des compétences qui, pour l’instant, font encore défaut dans de nombreuses régions. Face à ces disparités, la proposition de mesures propres à assurer la bonne conservation de séries anthropologiques dont le potentiel scientifique est confirmé s’avère une étape importante.

3Mais il ne faut pas se tromper, pour communs qu’ils soient, les restes humains ne sont pas pour autant surabondants dans nos réserves archéologiques ni sur les opérations de fouilles. L’effet de masse que ce matériau volumineux peut parfois suggérer est trompeur. Lorsque les archéologues ont la possibilité de confronter le nombre de sépultures exhumées aux données des archives, ils constatent souvent en effet que l’échantillon qu’ils ont pu constituer à grand peine est extrêmement faible – souvent moins de 1 % – au regard du nombre de décédés de la communauté en question dans la période concernée (Buchet, Séguy 2011 : 240-251 ; Richier, Bizot 2018). D’autre part, bien qu’aucun outil ne permette actuellement de l’évaluer, il est indéniable que la ressource archéologique s’épuise et, en cela, malgré les millions de défunts que la terre a reçu, les gisements funéraires ne font pas exception. Par exemple, les découvertes de sépultures collectives néolithiques, si fréquentes au xx^e siècle, sont désormais plus rares dans le sud de la France. Et il n’est pas exclu que certains contextes se raréfient dramatiquement avant même qu’archéologues et anthropologues aient explorés leurs potentiels. C’est le cas des cimetières d’époque Moderne encore rarement étudiés et pourtant sources d’informations dont la portée peut être réellement évaluée grâce aux données historiques auxquels ils sont associés. D’autres contextes, comme les cimetières ou les corps ensevelis des deux guerres mondiales, constituent un terrain d’explorations encore pionnières sur un sujet complexe où le statut, voire l’identité des défunts, imposent de prendre en considération de multiples paramètres culturels, scientifiques et administratifs. Dans ces cas, la connaissance archéologique objective participe parfois d’une réparation que la société doit au défunt, elle contribue également à mieux comprendre comment les contemporains des conflits pouvaient se comporter vis-à-vis des morts des différents camps.

4Il n’en demeure pas moins qu’à ce jour, chacun, individu ou institution, peut envisager la question du devenir des restes humains exhumés lors d’une fouille selon ses propres sensibilités ou besoins et, concrètement, les exemples ne manquent pas de décisions diamétralement opposées concernant la conservation de vestiges issus de contextes pourtant comparables. C’est l’un des points sur lesquels il conviendra que les autorités en charge du patrimoine tiennent un discours cohérent aussi bien vis à vis des opérateurs d’archéologie et de la recherche institutionnelle que des différents partenaires des projets de fouilles, aménageurs, élus, etc. Quoi qu’il en soit, dans le camp des autorités en charge de l’archéologie et des chercheurs, la pérennité de cette source d’informations, le respect de grands principes régissant la conservation des vestiges anthropologiques et la mise en place de protocoles adaptés apparaît comme une étape incontournable. Plus qu’une contrainte administrative, cette démarche est sans doute à même d’apporter des réponses rassurantes aux interrogations de la population. Mais elle ne suffit pas, l’enquête menée sur les réinhumations le prouve. Il faut en effet que, dans certaines situations particulièrement délicates, des solutions adaptées puissent être trouvées. Celles-ci ne devraient cependant pas déroger aux grands principes de pérennité du matériel et de dignité à son égard qui font consensus.