1Cet ouvrage est avant tout le fruit de notre rencontre. Celle-ci a eu lieu en 2011 dans le cadre des groupes de travail sur l’évaluation, la sélection et la conservation sélective des données scientifiques de l’archéologie (biens archéologiques mobiliers et documentation archéologique afférente), lancés par la sous-direction de l’Archéologie, ministère de la Culture.

2Le cahier des charges succinct, sinon laconique, de la commande était destiné à anticiper l’évolution des dispositions réglementaires en cours. Il portait les termes sélection et conservation sélective susceptibles d’inquiéter bon nombre de chercheurs et de confronter les gestionnaires des éléments du patrimoine archéologique à des choix difficiles. Les premiers échanges se sont avérés pour le moins complexes, parfois houleux, les chercheurs craignant de voir disparaître le matériau sur lequel reposent leurs travaux, les gestionnaires appréhendant pour leur part de devoir faire seuls ces sélections. La question de la conservation sélective des vestiges anthropobiologiques mis au jour en contexte archéologique n’échappe pas à ces difficultés ; s’y ajoute même une question complexe et délicate à traiter, celle du statut de ces restes au regard notamment des différentes réglementations. Ce statut qui d’ailleurs, reste une préoccupation partagée autant par les personnes en charge de la conservation des données scientifiques de l’archéologie que par les acteurs de leur valorisation.

3Le choix de constituer un groupe de travail ne négligeant aucun de ces aspects a été matérialisé par une direction en binôme où chacun de nous deux a pu investir ses compétences : parfaite connaissance des vestiges anthropobiologiques, de la typologie des collections et des ostéothèques (avec notamment la mise en place de l’ostéothèque d’Aix-les-Milles, cogérée par le service régional de l’Archéologie de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Aix Marseille Université et le CNRS) pour l’un, connaissance de l’ensemble de la chaîne opératoire de l’archéologie, vision globale de la gestion des données scientifiques de l’archéologie et expérience en gestion d’équipes et de projets pour l’autre.

4Cette fructueuse association s’est consolidée par des collaborations scientifiques telles que la présidence d’une session consacrée aux « nouvelles perspectives du patrimoine biologique et paléobiologique de l’anthropologie » du colloque du groupement des anthropologistes de langue française (GALF) organisé en octobre 2013 à la faculté de Médecine de Marseille. La richesse des échanges au cours de cette session réunissant autour d’un même objet archéologues, anthropologues, juristes et éthiciens est restituée dans le présent ouvrage. D’autres auteurs ont été sollicités en complément pour apporter leur contribution à cet ouvrage, conçu pour aborder les ensembles anthropobiologiques selon trois thèmes : la législation, l’intérêt scientifique de leur étude et l’éthique, en France et à l’étranger.

5Les vestiges anthropobiologiques mis au jour en contexte archéologique ont, malgré eux, une place à part parmi les vestiges archéologiques exhumés : qu’ils soient conservés ou exposés, ils sont à l’origine de multiples questionnements éthiques et scientifiques où l’intérêt patrimonial disparaît souvent des débats. La diversité de ces restes, leurs différentes modalités d’exploitation, de conservation ou de valorisation (scientifique, muséale, pédagogique), génèrent des problèmes bien spécifiques, notamment à travers la question récurrente du statut juridique des ensembles anthropobiologiques. Ces préoccupations ont d’ailleurs été illustrées par la mise en place d’un cadre législatif sur le statut des biens archéologiques mobiliers (article 20 de la loi n^o 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine).

6Si les considérations juridiques semblent bien établies pour le matériel entré dans les collections des musées – une enquête a d’ailleurs procédé au recensement des collections anthropologiques patrimonialisées dans les établissements publics français – hors de ce contexte bien spécifique, la conservation et la valorisation des vestiges anthropobiologiques s’opèrent encore dans un cadre aux contours flous. D’ailleurs, les récentes réflexions sur la conservation raisonnée ainsi que l’expérience des gestionnaires de mobilier ostéo-archéologiques révèlent de multiples pratiques assorties parfois de décisions radicales (ré-inhumations mal encadrées ou au contraire conservation systématique).

7L’évolution des considérations éthiques comme celles de l’anthropologie biologique ou de l’archéothanatologie montrent que, en France, si les différentes pratiques en matière de conservation de ces ensembles ne nuisent généralement pas au développement de la discipline, elles s’opèrent dans un cadre mal défini à la merci de décisions juridiques parfois peu adaptées. La prise en compte croissante dans la communauté scientifique de ces enjeux juridiques et éthiques ainsi que de la volonté d’anticiper sur d’éventuelles législations plus restrictives, comme c’est le cas dans d’autres pays européens, sont à l’origine d’une évolution sensible des comportements vis-à-vis de la valorisation scientifique des restes humains patrimonialisés.

8Conçu pour donner des clés de réflexion et un aperçu des évolutions en cours ces dernières années, l’ouvrage tente de cerner davantage la pluralité et le potentiel scientifique des vestiges anthropobiologiques conservés et de souligner la manière dont sont appréhendés, dans chaque discipline, les aspects éthiques, juridiques voire sociaux dont l’importance est grandissante. Bien évidemment, les directives données à chacun des auteurs visaient à traiter au mieux des aspects scientifiques, juridiques ou éthiques propres à leur discipline, mais nous les avons laissés libres d’exprimer des opinions plus personnelles sur ces questions.

9Après une entrée en matière d’Alain Froment soulignant l’aspect universel des ensembles anthropologiques et les responsabilités scientifiques des acteurs de la conservation vis-à-vis des générations futures, la discussion autour des grands thèmes évoqués s’articule en quatre chapitres, tous structurés de la même manière : chacun est introduit par une présentation de la thématique, suivie de différents sous-chapitres pouvant être lus indépendamment les uns des autres. En fonction de ses centres d’intérêt, le lecteur peut de ce fait entrer dans l’ouvrage par le texte qu’il souhaite, des renvois croisés entre les sous-chapitres mettent en relation l’ensemble des contributions pour une lecture dynamique et cohérente.

10Le premier chapitre renseigne, entre autres, sur la diversité des ensembles actuellement conservés et leurs enjeux scientifiques. Une attention particulière est portée aux techniques d’analyse notamment de l’ADN ancien et à leur incidence sur la conservation des vestiges. Cette question est aujourd’hui plus que jamais au cœur de l’évolution des préoccupations qui concernent la préservation du patrimoine bio-archéologique et leur inestimable valeur scientifique.

11Le deuxième chapitre porte sur les questionnements autour du statut de ce matériel en s’attachant au régime juridique des vestiges humains patrimonialisés ou non. Une approche épistémologique de la représentation des restes humains en fonction de leur nature ou du contexte de leur valorisation/exposition/exploitation y est proposée. L’ensemble des textes témoigne de l’état des réflexions émanant des divers spécialistes autour des vestiges anthropologiques humains, sujet qui n’est pas abordé spécifiquement dans la loi n^o 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. À travers les contributions, ce chapitre traduit aussi en quelque sorte les demandes, les attentes voire les craintes envers une législation spécifique aux vestiges anthropobiologiques.

12Le troisième chapitre traite de la conservation et de la valorisation des vestiges anthropobiologiques, dans le cadre de prescriptions d’archéologie préventive comme dans celui de travaux conduits sur la longue durée. Les interrogations concernant des pratiques mal encadrées ou des procédures de sélection raisonnée des restes conservés dans les structures de conservation sont abordées. De plus, les nouveaux enjeux des fouilles d’ensembles ostéo-archéologiques modernes « de plus en plus contemporains » sont évoqués.

13Enfin, le quatrième chapitre rend compte des expériences et des approches concernant les vestiges anthropobiologiques hors des frontières hexagonales. Certaines expériences de modification du statut des restes humains (notamment dans le cadre archéologique), d’antagonisme entre les acteurs de l’anthropologie et/ou entre les autorités judiciaires ou encore des particularités juridiques ayant une incidence sur les modes de collecte et de conservation viennent enrichir les réflexions conduites en France.

14Dans la conclusion, les enjeux de valorisation de ce témoin biologique unique des populations anciennes sont rappelés, ainsi que la nécessité de le conserver et de le valoriser sur le long terme. Des orientations ont été dégagées, afin de tenter de concilier les points de vue éthiques et scientifiques dans une équation étudier, conserver et transmettre commune à l’ensemble du matériel issu des fouilles archéologiques, mais à laquelle s’ajoute une dimension éthique dont nous nous sommes efforcés de déterminer la place.

15En filigrane des objectifs et des orientations du présent ouvrage, nous avons tâché de ne jamais sombrer dans les travers des réflexions « globalisantes » fréquemment rencontrées autours des questionnements suscités par les vestiges anthropobiologiques. Chaque vestige est immuablement lié à un contexte d’acquisition, une chronologique, voire à une histoire scientifique ou patrimoniale très complexe. Outre des spécificités paléobiologiques propres, les réflexions éthiques, scientifiques ou juridiques doivent prendre en compte chacun des contextes liés.