1Le port antique de Marseille s’est révélé archéologiquement au cours du XX^e siècle1. Bien que ne concernant qu’une petite partie du complexe portuaire antique, les données recueillies en de nombreux points, mais principalement sur les sites de la Bourse, de Villeneuve-Bargemon, de Jules-Verne et des Docks romains (fig. 1 à 3), ont alors été si nombreuses2 et de natures si variées qu’il reste difficile de saisir cette réalité portuaire dans sa globalité et qu’une synthèse s’impose3. Dans celle qui est proposée ci-dessous nous étudierons d’abord le site naturel dans lequel s’installent les marins phocéens. Nous nous pencherons ensuite sur l’exploitation de ce cadre lorsque la ville est une cité grecque indépendante puis lorsqu’elle devient romaine.

Fig. 1 - Localisation des fouilles archéologiques ayant livré des contextes portuaires

1. Le site naturel

2« Je doneray (aux Marseillais) pour devise celle du diamant que l’on polit ». C’est ainsi que s’exprime au XVII^e siècle Nicolas Arnoul, l’agent de Colbert chargé, malgré les réticences locales, de creuser le port de Marseille pour lui permettre de jouer le rôle commercial en Méditerranée ambitionné par Louis XIV4. Lorsque Nicolas Arnoul écrit ses mots, l’espace qu’il estime toujours sous-exploité par la population marseillaise et qu’il doit aménager est un complexe naturel encore proche de celui qu’ont investi les Phocéens vingt-quatre siècles plus tôt.

Fig. 2 - Le complexe portuaire antique

3Jusqu’au milieu du XIX^e siècle en effet, le complexe portuaire de Marseille est composé de trois espaces naturels principaux5 (fig. 2 et 3). Pour un marin souhaitant aborder la ville, la rade et ses îles constituent un premier port que l’on qualifiera volontiers d’« extérieur ». Celui-ci s’oppose à la calanque originale du Lacydon dont l’actuel Vieux-Port est l’héritier et que l’on désignera par « port intérieur » ou plus simplement par « port » dans la mesure où c’est cet espace qui est essentiellement aménagé à l’aide d’infrastructures portuaires. Enfin, ces deux plans d’eau sont reliés par une passe sinueuse, véritable cordon ombilical, au rôle primordial mais peu considéré par ceux qui ont écrit sur le port de Marseille et sur lesquels il conviendra de s’attarder ici.

1.1 La rade de Marseille et ses îles

4La rade de Marseille s’ouvre entre les caps de Marseilleveyre au sud et de La Couronne au nord. Elle est exposée aux vents dominants qui sont le mistral (l’antique melamborée, vent du nord, froid, sec et brutal mais apportant le beau temps) et le marin (vent du sud, chaud, humide, nébuleux apportant tempêtes et mauvaise visibilité). Cette baie est parsemée de plusieurs îles. Au sud, l’archipel de Marseilleveyre est composé de quatre îles (Riou, Jarre, Plane et Maïre) entourées de nombreux îlots comme Tiboulen ou Jarron, de récifs comme les Grand et Petit Congloué, ou de hauts-fonds comme le Plateau des Chèvres. Riou se voit et se reconnaît de très loin au sud et désigne ainsi pour les marins l’arrivée au port de Marseille (Corré 2009, 114). Maïre et le cap de Marseilleveyre jouent le même rôle pour les marins venant du nord. Cet archipel est donc primordial pour le positionnement du pilote par rapport à Marseille. L’angle formé par ce cap de Marseilleveyre au sein de la côte provençale et la présence de ces deux îles hautes génèrent cependant des problèmes de visibilité pour des bateaux faisant routes inverses comme le montre le naufrage du Liban en 1903. Ce risque devait être encore plus marqué à l’époque de la propulsion à la voile qui nécessitait un temps de manœuvre plus important qu’un navire à moteur. Par son orientation, le cap de Marseilleveyre marque également une rupture nette dans le profil de la côte et sépare deux espaces maritimes aux conditions de navigation bien distinctes et potentiellement brutalement différentes. Enfin, la multiplicité des rochers dans un espace aussi crucial pour l’arrivée sur Marseille rend cette zone des îles de Marseilleveyre encore plus délicate à aborder. Il n’est pas étonnant dès lors de trouver trace de nombreux naufrages dans ce secteur, les épaves antiques les plus fameuses à Marseille étant ainsi celles de Grand Congloué 1 et 2, Petit Congloué, Tiboulen de Maïre ou Plane.

5Pour qui approchait de Marseille depuis le large, le sec de Planier constituait, à 15 km (environ 8 miles nautiques) de l’entrée de la calanque, le principal danger. Cet îlot, peu visible car émergeant peu de la surface, a causé de nombreux naufrages dès l’Antiquité et l’épave Planier III en est la plus connue.

6Au nord, enfin, la rade est délimitée par l’actuelle Côte bleue qui s’étire en s’abaissant jusqu’au cap Couronne et qui procure quelques abris comme ceux de Carry ou d’Ensuès. Le cap Couronne fait séparation avec le golfe du Lion et sa première composante, à savoir la zone de Fos et des embouchures du Rhône. Le secteur de ce cap Couronne est primordial tant pour l’accès qu’il donne à l’étang de Berre, au Rhône, au Languedoc et à l’Espagne que pour ses carrières de pierre qui, plus accessibles par mer que par terre, y ont été exploitées pour construire et reconstruire sans cesse la ville de Marseille (Pédini 2009).

7Ayant passé ce premier danger de Marseilleveyre, de Planier ou du cap Couronne, le marin pénètre dans la rade et voit se dresser au cœur de celle-ci un deuxième archipel au rôle protecteur plus marqué. Cet archipel porte le nom médiéval du Frioul, qui désigne le passage entre ses deux principales îles : Pomègues et Ratonneau. La troisième île, plus petite, est celle d’If. D’autres îlots, comme Tiboulen, parsèment ses abords mais ils sont moins nombreux qu’à Marseilleveyre. Les îles de Pomègues et Ratonneau sont allongées et orientées est-ouest. Elles s’opposent donc à la fois au mistral et au marin, d’où l’intérêt de leur « frioul » qui procure un plan d’eau protégé de ces deux vents et qui est relativement aisément accessible dans l’urgence. Ces îles offrent également plusieurs criques protégées comme celle dite de la « quarantaine » à Pomègues6 ou celle de Saint-Estève à Ratonneau. Ainsi dessinées et placées, ces îles servent d’avant-port pour Marseille. Elles permettent de s’y réfugier en cas d’urgence mais aussi d’y attendre les conditions optimales avant de s’élancer en toute sécurité vers le sud-est (Italie et Corse), vers le sud (Sardaigne et Afrique du Nord) ou vers le nord-ouest (Golfe du Lion et Espagne). Ces trois îles ont toutefois un revers négatif. Outre le risque de naufrage qu’elles ne peuvent éviter de générer (épaves de Pomègues ou de Pointe de la Luque par exemple), elles sont à double tranchant. Qu’elles échappent à la possession des Marseillais pour entrer dans l’escarcelle d’ennemis et elles peuvent fortement contrarier l’activité et la survie de la cité. C’est peut-être d’ailleurs dans ces îles que Brutus abrite sa flotte au moment du siège de 49 av. J.-C. selon Jules-Raymond de Soliers7. C’est du moins le cas en 1401 avec le pirate Diego de Barras8 et c’est ce que craignent les Marseillais encore en 1472 quand ils coulent volontairement une barque pour condamner une anse à Ratonneau (celle de Saint-Estève ?)9.

8Le troisième archipel, bien plus petit, est celui d’Endoume avec ses îlots de Gaby, d’Endoume ou de Malmousque. Proche de la côte et hors de la route maritime dessinée par les éléments naturels, le rôle qu’il joue au sein du complexe portuaire est moindre par exemple que le haut-fonds du Canoubier situé en plein dans cette route maritime et qui devait être connu de tout marin souhaitant aborder le port intérieur sous peine de s’y échouer.

9La connaissance de la rade et de ses dangers était donc primordiale pour tout marin souhaitant se rendre à Marseille. Elle l’était d’autant plus que la calanque du Lacydon est cachée depuis la rade par le promontoire du Pharo et que ce n’est qu’en naviguant près ce dernier, dans des eaux peu profondes et jonchées de rochers, que se dévoile une passe dérobée, entre deux falaises de roche friable.

1.2 La passe

10La passe d’entrée du port, appelée Gargate au Moyen Âge, est un atout essentiel dans le complexe portuaire marseillais (Corré 2009, 36 et 151-153). Elle se dessine, sinueuse, entre le promontoire du Pharo et celui de Saint-Jean, ce qui fait que son extrémité maritime est orientée nord-sud alors que son extrémité donnant sur la calanque est orientée est-ouest. Elle était auparavant parsemée de rochers et de hauts-fonds qui ont disparu aujourd’hui mais dont on trouve mention dans les archives depuis le Moyen Âge (Corré 2009, 151-153 et 204-207). Le dessin de cette passe et ses récifs rendaient certes l’entrée dans cette calanque délicate mais ils offraient de fait une double protection. La houle ne pénétrait quasiment jamais dans la calanque et toute entrée humaine par cette passe est facilement contrôlable depuis les deux promontoires, en plus d’être périlleuse pour qui s’y risquerait sans en connaître les secrets. Les instructions nautiques de l’époque moderne dévoilent en effet les amers utilisés pour emprunter cette passe et en éviter les écueils (Michelot 1703, 138-139). Seuls les marins expérimentés et connus des Marseillais pouvaient ainsi franchir ce goulet naturel.

1.3 La calanque

Fig. 3 - La calanque du Lacydon en 600 av. J.-C.

11La calanque du Lacydon s’ouvrait ensuite (fig. 3). Cette cuvette était de forme grossièrement rectangulaire mais présentait à l’est un retour vers le nord formant une « corne » (fig. 3a). Ce rivage oriental est initialement marécageux du fait de la convergence de plusieurs torrents : celui issu de la colline Saint-Charles au nord-est (fig. 3b), celui empruntant le vallon de la Canebière à l’est (fig. 3c) et celui, appelé La Fogaresse au Moyen Âge, émanant du paléovallon de la rue Paradis au sud (fig. 3d).

12Cette physionomie de cuvette est créée au nord par une enfilade de plusieurs collines depuis le promontoire de Saint-Jean jusqu’à la colline de Saint-Charles (Saint-Jean (fig. 3e), Saint-Laurent (fig. 3f), Moulins (fig. 3g), Roquebarbe (fig. 3h), Carmes (fig. 3i) et Saint-Charles), à l’est par cette même colline de Saint-Charles et le plateau de Saint-Michel, au sud par la colline de la Garde (fig. 3j), par une colline aujourd’hui effacée par le fort Saint-Nicolas et qui s’appelait au Moyen Âge Podium Aureum (fig. 3k) et par le promontoire du Pharo (fig. 3m).

13Grâce à l’alignement des cinq collines qui la dominent au nord, la calanque est protégée du mistral, surtout au pied de ces collines, sur sa rive nord. Ce rivage nord présente une bande littorale peu large avec des reliefs vite abrupts. Les collines au sud, culminant à 150 m, protègent aussi la calanque du vent marin. Le rivage sud de la calanque semble globalement plus progressif et offre une plage plus large qu’au nord mais plus exposée au mistral (Millet, Blanc, Morhange 2000). C’est cependant un plan d’eau parfaitement calme qui s’offre au navigateur.

14L’eau douce est abondante dans la calanque ce qui est un atout supplémentaire considérable pour des escales marines. Elle dévale en torrents depuis les multiples collines et alimente des sources présentes sur ses rivages nord, est et sud. Le nom même de Lacydon semble émaner de l’une de ces sources.

1.4 Intérêt de ce complexe dans le cadre de la navigation ancienne et dans le cadre géographique antique

15Les qualités portuaires naturelles de ce complexe prennent toute leur valeur si l’on élargit les contextes de considération.

16Pour être plus clair, si l’on se place sur un plan purement nautique, ce complexe se situe à la limite entre deux grands littoraux. À l’est, la côte provençale est rocheuse, élevée, visible de loin et pourvue d’abris naturels. À l’ouest, la côte du Golfe du Lion est sableuse, basse, piégeuse avec des bancs de sable mouvants et particulièrement dangereuse par temps de marin car invisible pour des bateaux poussés vers la côte. Marseille offre donc soit une étape confortable et nécessaire entre ces deux littoraux soit un refuge d’urgence facile d’accès.

17Si l’on se place sur un plan de stratégie économique ou commerciale, la proximité de Marseille avec l’embouchure du Rhône et le rôle moteur du mistral pour la navigation vers le sud insèrent idéalement Marseille au cœur des échanges entre le monde méditerranéen et l’Europe occidentale continentale. Situé sur une route maritime est-ouest reliant les péninsules italienne et ibérique et offrant une option sécurisée par rapport à la route directe passant par les bouches de Bonifacio, le port de Marseille n’est pas dénué d’intérêt économique pour le commerce maritime ancien.

18On comprend mieux dès lors l’affirmation de Nicolas Arnoul. C’est véritablement un port naturel idéal, ressemblant qui plus est à leur mère patrie et sur une des routes possibles pour le royaume attractif de Tartessos (Bats 2012), qu’acquièrent les marins phocéens en 600 av. J.-C.

2. La période grecque

19Durant cinq cent cinquante ans environ, la ville qu’ils fondent, Massalia, est une cité maritime grecque autonome majeure dans la Méditerranée occidentale. Les aménagements portuaires réalisés pour optimiser ce cadre naturel sont donc à la charge de la cité seule et à la mesure de ses besoins et de son économie. Touchant essentiellement les plages de la rive nord du Lacydon, les aménagements semblent plutôt ponctuels.

2.1 L’installation dans la calanque (VI^e s. av. J.-C.) (fig. 4)

Fig. 4 - Les aménagements portuaires connus pour le VI^e s. av. J.-C.

20Le premier aménagement portuaire révélé par l’archéologie date du premier quart du VI^e s. av. J.-C. Il s’agit d’une jetée dont on a découvert le musoir place Villeneuve-Bargemon (fig. 4a)10. Ce dernier consistait en une plateforme de 8 x 7 m reliée au rivage par une chaussée plus étroite de 2,5 m de large mais dont on n’a malheureusement pas l’ancrage terrestre en raison des limites de la fouille. Le pied de cette plateforme était jonché de débris d’amphores et de céramique importée.

21Ce secteur, sous l’acropole de la cité, est d’ailleurs particulièrement concerné au VI^e siècle par l’activité portuaire. Une plage a en effet été détectée par l’équipe de F. Benoit au sud du musée des Docks (CAG 13/3, 354-358*42) (fig. 4b) alors qu’un quai de la fin du VI^e siècle a été mis en évidence, une cinquantaine de mètres plus à l’est sous la place Jules-Verne (fig. 4c)11. Dans ce secteur de la mairie ont été également mises au jour trois épaves de bateaux archaïques. La barque Jules-Verne 9 (JV9) (fig. 4d), longue de 10 m environ, a été utilisée pour la pêche au corail alors que le voilier Jules-Verne 7 (JV7) (fig. 4e), long de 15 m, était plus adapté à la pratique du commerce maritime régional. Ces deux bateaux vraisemblablement construits dans la calanque même du Lacydon sont contemporains de la « deuxième fondation » de Marseille liée à l’arrivée massive vers 540 av. J.-C. d’exilés phocéens fuyant la menace perse en Ionie. Ils sont abandonnés côte à côte à une quarantaine de mètres du quai archaïque - mais à une vingtaine de mètres du rivage présumé ? – à la fin du VI^e siècle. La troisième épave appelée Villeneuve-Bargemon 1 ou César 1 (fig. 4f) est, elle, plutôt à relier à la jetée archaïque, dans l’axe et à 25 m de laquelle elle a été retrouvée. Ne concernant qu’un vestige long de 6 m et large de 1 m, cette épave a pu toutefois être identifiée comme celle d’une barque du type de JV9 mais présentant une construction à tenons et mortaises comme JV7. Cette barque a été abandonnée également à la fin du VI^e s. av. J.-C. L’ensemble de ces trois épaves témoigne de l’évolution des techniques de la construction navale (passage de la construction à ligatures à celle des tenons et mortaises chevillés) (Pomey 1995, 478-479 ; Pomey 1999a ; CAG 13/3, 364-371*52 et 376-378*57).

22À la même époque, vers 500 av. J.-C., dans le secteur de la corne du port12 qui est un simple fond de calanque, une plateforme est aménagée (fig. 4g), potentiellement pour décharger les blocs de calcaire dit « de Saint-Victor » provenant très vraisemblablement de la rive sud de la calanque (carrière de la Corderie ?) et servant à construire la première muraille connue dans cette zone.

23Dans plusieurs secteurs, autour du port, des niveaux littoraux ont pu être détectés par F. Benoit pour une époque grecque relativement haute mais imprécise. Ils livrent ainsi des pointillés du rivage marin pour cette période archaïque (fig. 4i) (CAG 13/3, 326*23-24, 343-346*35-37 et 404-410*66) qui présentait notamment une grande échancrure entre l’Hôtel de Ville et la rue de la République (fig. 4h) (CAG 13/3, 379-388*58, 404-410*66 et 554*114 ; Sillano, Weydert 2010). Sur la rive sud plusieurs contextes de plage ont pu être détectés (fig. 4j) (Bien, Richier 2006 ; CAG 13/3, 606*180, 656-657*191 et 666-667*195).

2.2 La période classique (V ^e – IV ^e s. av. J.-C.) (fig. 5)

Fig. 5 - Les aménagements portuaires connus pour la période des V ^e et IV ^e s. av. J.-C.

24Riches en mobilier, les fouilles des places Jules-Verne et Villeneuve-Bargemon ont livré des phases bien datées chronologiquement et il est ainsi possible de constater pour la période classique une succession rapide de plages qui scellent les aménagements portuaires antérieurs. Ainsi, chose rarissime en archéologie, une grande zone dédiée à la construction navale a été mise en évidence sur trois fouilles autour de la mairie : à l’espace Villeneuve-Bargemon pour la fin VI^e et le V ^e siècle (fig. 5a), à la place Villeneuve-Bargemon pour la période courant de la fin du VI^e au courant du IV ^e siècle (fig. 5b) et à la place Jules-Verne, une fois que le quai archaïque est « absorbé » par une plage, pour le IV ^e siècle (fig. 5c).

25L’envasement qui semble particulièrement intense sur cette rive nord à l’époque classique génère alors plusieurs aménagements littoraux de la part des Massaliotes. Au niveau de l’espace Villeneuve-Bargemon, un empierrement orienté est-ouest (fig. 5d) obture au début du V ^e siècle l’anse détectée vers Saint-Jaume. Atténuant la sinuosité du rivage et procurant de la surface gagnée sur la mer, cet empierrement rend ce secteur plus apte à recevoir des activités artisanales non portuaires. Plus à l’est deux quais semblent se succéder rapidement au IV ^e siècle, sous la rue de la République (fig. 5e) (CAG 13/3, 554-555*114).

26Des aménagements de berge ont également été vus dans la corne du port (fig. 5f) mais leur datation, (période classique et/ou hellénistique ?) n’a pas pu être précisée (ibid., 542).

2.3 La période hellénistique (III^e-I^er s. av. J.-C.) (fig. 6)

Fig. 6 - Les aménagements portuaires connus pour la période du III^e au I^er s. av. J.-C.

27Au III^e siècle, sur les plages ayant recouvert le chantier de construction navale, des neoria, ces cales couvertes protégeant le plus souvent des navires de guerre, sont érigés place Villeneuve-Bargemon (fig. 6a) alors que des cales de halage découvertes, elles, sont agencées place Jules-Verne (fig. 6b). À la même époque, d’autres cales de halage découvertes sont utilisées sur la rive nord au niveau des Docks (fig. 6c) (ibid., 356-358*42), sur la rive sud (fig. 6d) (ibid., 606*180) et, chose plus étrange, sur la façade maritime et non abritée de la ville, au pied de l’actuelle Major (fig. 6e) (Weydert 2010 et 2011)13.

28Le I^er s. av. J.-C. est très peu conservé dans les fouilles archéologiques en raison des remaniements importants qui ont eu lieu à l’époque dite « romaine » de Marseille. Il est possible de noter cependant que les cales de halage place Jules Verne et les neoria de la place Villeneuve-Bargemon disparaissent sous des remblais sur lesquels sont construits des bâtiments aux fonctions indéterminées. Un petit quai bordé de pieux semble tout de même nouvellement construit entre deux de ces bâtiments sous la place Jules-Verne. Si les neoria sont enfouis place Villeneuve-Bargemon, ils ne disparaissent pas pour autant de la ville car le récit du siège de César dans le Bellum civile évoque une attaque romaine du côté des navalia marseillais (fig. 6f). Sur le site de la Bourse (fig. 6g), un alignement de blocs en calcaire, correspondant peut-être à un quai « primitif », voisine tout aussi hypothétiquement avec une potentielle jetée s’appuyant sur des poteaux14.

3. La période romaine

3.1 L’entrée sous la gouvernance romaine

29La tradition historique a longtemps fait résonner la défaite de Marseille devant César comme un clap de fin avec la perte de son équipement maritime, de ses dépendances, de son autonomie, de son trésor et de sa vitalité économique. Certes, le récit du siège de César indique que les Romains prennent aux Marseillais leur trésor, leurs armes, leurs machines de guerre et vraisemblablement leurs vaisseaux de guerre15. La question de la perte de leur territoire est plus complexe et débattue car elle n’est pas mentionnée dans les sources antiques mais elle est déduite notamment de la fondation et de l’étendue de la colonie d’Arles (entre 46 et 44 av. J.-C.) (Bats 1986, 32). Il faut souligner cependant que, juste après la mort de César et malgré l’acharnement d’Antoine, Cicéron, ardent défenseur de Marseille, obtient que le Sénat restitue aux Marseillais ce que les Romains avaient gagné par la guerre16. Strabon précise également que César et les chefs d’État qui lui ont succédé17 ont fait montre de mesure à l’égard de Marseille et lui ont conservé l’autonomie dont elle jouissait initialement et l’indépendance vis-à-vis des préfets romains pour elle et ses villes sujettes. Il n’est pas question ici de développer cette question compliquée de l’autonomie de Marseille vis-à-vis de Rome18 mais simplement de rappeler que la question de la propriété de la Fosse Marienne, génératrice de nombreux profits pour les Marseillais comme le rappelle Strabon, peut se poser. Les fouilles sous-marines actuelles dans le golfe de Fos (Marty et al. 2009 ; Fontaine et al. 2019) mais aussi devant les Saintes-Maries-de-la-Mer permettront peut-être prochainement de renouveler les connaissances sur les embouchures du Rhône dans l’Antiquité et sur le rôle joué par les Marseillais dans ce secteur.

3.2 Le Haut-Empire (I^er-II^e s. apr. J.-C.) (fig. 7)

Fig. 7 - Les aménagements portuaires connus pour la période des I^er et II^e s. apr. J.-C.

30Pour les structures portuaires à Marseille même en cette fin de période républicaine et début de période impériale, la situation est assez floue et aucune évidence archéologique ne s’impose. Ceci est probablement dû au réaménagement de fond opéré au cours du I^er s. apr. J.-C. qui a gommé les niveaux de sol immédiatement antérieurs. On observe cependant une tendance à contrôler l’eau coulant vers la calanque. Sur la rive sud, un aqueduc canalise ainsi une source primitive descendant vers le plan d’eau (fig. 7a) alors que, tout au fond de la corne du port, c’est un bassin de décantation qui est aménagé (« bassin nord ») (fig. 7b) (CAG 13/3, 607-609*183).

31Bien qu’il soit toujours délicat d’avancer une date ou une période chronologique pour les aménagements portuaires ou littoraux repérés par l’archéologie, la période augustéenne semble aussi potentiellement marquée par une volonté d’aménager l’ensemble de la rive. Au milieu de la rive sud, au 23 quai de Rive-Neuve, une anse est ainsi asséchée (fig. 7c) (CAG 13/3, 606*180). Plus à l’ouest sur cette même rive sud, au Fort Ganteaume, ont été mis en évidence de puissants remblais marins (fig. 7d) livrant de la céramique ayant séjourné dans l’eau et courant du V ^e au I^er s. av. J.-C. (CAG 13/3, 666-667*195). Il s’agit peut-être là du résultat d’un dragage portuaire du I^er s. apr. J.-C. qui irait dans le sens de ce qui a été mis au jour sur la place Jules-Verne.

32Cette dernière fouille a en effet attesté pour la fin de l’époque augustéenne un fort aménagement du rivage s’opérant en trois phases (CAG 13/3, 373-372*52 ; Hesnard 2004a ; 2004b et 2006, Corré 2009 ; 2016 ; 2018 et 2021). Tout d’abord un dragage est réalisé pour approfondir la rive nord de près de 2 mètres. Il permet d’ériger à l’est de l’embouchure d’un ruisseau deux quais, l’un constitué d’une maçonnerie délimitée par une muraille de bois (fig. 7e) et l’autre d’un mur en petit appareil sur une fondation en béton de pouzzolane (fig. 7f). Ces quais contiennent les terres sur lesquelles sont ensuite construits deux entrepôts contigus (fig. 7g), dont l’un est « à dolia ». Ce quai en petit appareil est retrouvé plus à l’est au niveau de l’Hôtel de Ville (fig. 7h) et dans un contexte également d’entrepôt à dolia (CAG 13/3, 372-373*56). Peut-être se poursuivait-il encore plus loin vers l’est car la fouille de la place Villeneuve-Bargemon un peu au nord-est de cette découverte montre un espace complètement gagné par le terrestre et occupé dès les premières décennies du I^er siècle par de vastes thermes qui semblent immédiatement au contact de la mer dans la mesure où ils se prolongeaient encore au sud de la fouille. Sur le site des Docks, un autre entrepôt à dolia devant lequel se dressait un appontement (fig. 7i) découvert par F. Benoit est érigé sur une plage à quelques mètres du rivage (Gantès, Minaglou 1995 ; CAG 13/3, 347-358*41-42).

33Revenons à la place Jules-Verne, à l’ouest du ruisseau cette fois, il n’y a pas de quai mais une plage de laquelle part une jetée en bois (appontement) (fig. 7j) longue d’une trentaine de mètres qui va chercher de la profondeur pour, selon toute vraisemblance, permettre l’accès à des navires de trop fort tonnage pour aborder la plage ou le quai des entrepôts.

34D’autres lieux, en plus de ceux du Fort Ganteaume et de Jules-Verne, semblent attester une opération de dragage de grande envergure. Sont potentiellement des dépotoirs de dragage postérieurs à la période hellénistique, l’anse du Pharo (fig. 7k) et celle des Catalans (fig. 7m). L’anse du Pharo a en effet révélé en 2013 (Branger, Ximénès 2016) un ensemble mobilier céramique cohérent par sa datation (période hellénistique) mais très hétérogène par sa nature (productions massaliètes et importées, variété des objets) qui pourrait s’apparenter à un rejet de dragage postérieur au II^e s. av. J.-C. La certitude est, quant à elle, de mise pour l’anse des Catalans où les fouilles sous-marines et l’étude des archives ont montré l’existence d’une tradition de rejet des boues de curage de l’Antiquité à l’époque Moderne (CAG 13/3, 674-675*206 ; Long, Drap, Giustiniani 2006 ; Long, 2007 ; Long, Hermary 2007 ; Corré 2009, 202-212 ; 2018, 35 ; à paraître).

35Le troisième quart du I^er s. apr. J.-C. semble une période majeure pour les aménagements portuaires à Marseille. Au sud de la colline Saint-Laurent, vers l’ancienne rue Mayousse, un mur de quai en pierre de taille (fig. 7n) a été découvert par F. Benoit (CAG 13/3, 324-325*21). Il date du début de la seconde moitié du I^er s. apr. J.-C. et respecte la même orientation que le mur de quai en pouzzolane de Jules-Verne et de l’hôtel de Ville, bien que la crique mise en évidence par les sondages XVI et XVII de F. Benoit (CAG 13/3, 343-346*35-37) vienne interrompre ce « lissage » du trait de côte.

36À l’opposé du port, la corne du Lacydon est, elle aussi, figée par un mur de quai en pierre de taille (fig. 7p) que l’on peut dater de 70 apr. J.-C. environ. Cette construction s’est effectuée grâce à un batardeau étanche qui a permis l’épuisement et la conservation au sec de ce secteur malgré un contexte peu propice à cela (Guéry 1992 ; CAG 13/3, 548-549*112). Il semblerait que les vases retirées lors de ce dragage aient été déversées immédiatement sur le rivage oriental de cette corne du port pour constituer un terre-plein sur lequel on construira quelques décennies plus tard.

37C’est également à ce moment qu’un quai en pierre de taille (fig. 7q) est érigé au niveau de la rue de la République (CAG 13/3, 554-555*114 ; Sillano, Weydert 2010) et que l’on place celui dit « de la Samaritaine » (fig. 7r), lui aussi en pierre de taille (CAG 13/3, 411-414*72).

38L’activité portuaire ne semble pas faiblir car dès les années 80 apr. J.-C. sont utilisés des chalands à clapet (ou « maries-salopes ») que l’on a identifiés tout d’abord et à tort à des bateaux dragues19. Un bateau de ce type a été découvert abandonné vers 90 apr. J.-C. à l’ouest de l’appontement (épave JV5) (fig. 7s). Deux autres bateaux de ce type sont abandonnés plus tard, au début du II^e siècle, de l’autre côté de l’appontement et servent à y fonder une extension (fig. 7t). En ce début de II^e siècle également, au niveau de la corne du port, un entrepôt à dolia (fig. 7u) est construit sur le terre-plein constitué des vases produites par le dragage des années 70 (CAG 13/3, 549*112). Il vient enrichir le nombre d’entrepôts de ce type détectés à Marseille. À proximité de cet horreum, dans un terrain nécessitant d’importants aménagements de stabilisation, un grand bassin de décantation (fig. 7v) est creusé, habillé de pierres de taille et équipé d’un exutoire pour déverser un trop plein d’eau dans le port. Dans le même temps, la voie entrant dans la ville est revêtue de grandes dalles de pierre froide.

39Dans la seconde moitié du II^e siècle, le quai de la place Jules-Verne est envasé et une nouvelle plage se forme au-dessus mais l’appontement est toujours en usage et l’entrepôt perd ses dolia mais garde sa fonction de stockage.

40Dans ce contexte de la fin du Haut-Empire, certains bateaux sont abandonnés dans le port. Ainsi en est-il d’un navire de charge de plus de 20 m de long (fig. 7w) qui s’est envasé devant les entrepôts à dolia (Gassend 1981) de la corne du port, d’un navire quasiment identique découvert à quelques mètres de là sous la Samaritaine (fig. 7x) (CAG 13/3, 412-413*72) et potentiellement d’une autre épave détectée entre 1892 et 1902 par le topographe Lan (fig. 7y) (Vasseur 1911 et 1914). Il semblerait qu’une autre épave ait été repérée sur le site de la Bourse un peu plus au sud que l’épave fouillée en 1974 mais qu’elle n’ait pu donner lieu à une quelconque excavation20.

41Ce Haut-Empire, auquel il faut peut-être rajouter l’aménagement de salines (fig. 7z), difficiles à dater, au niveau de la place Général-de-Gaulle21, voit donc l’outillage portuaire de Marseille être considérablement modifié par des travaux de très grande envergure, de grande facture, relativement proches dans le temps et venant en plus de travaux d’urbanisme conséquents. Il semble pourtant difficile d’imaginer la ville qui a perdu son trésor en 49 av. J.-C. et au moins une partie de son territoire ou de ses dépendances, être en mesure de financer de tels travaux. D’où vient donc l’argent qui permet de tels travaux ? Est-ce celui du richissime médecin Crinas connu pour son évergétisme pour la réfection des murailles de la ville (Pline , HN, XXIX, 5) ? Faut-il, dans une autre hypothèse, envisager que la prise en charge financière de cette métamorphose soit le fait de l’Etat romain22 ?

3.3 L’Antiquité tardive (III^e-milieu V ^e siècle) (fig. 8)

42L’activité portuaire marseillaise semble toujours dynamique. Les entrepôts à dolia disparaissent progressivement du paysage pour être transformés en simples entrepôts (Jules-Verne) ou après avoir été détruits (Docks, Bourse)23. Certes, l’envasement du port perdure mais cela peut signifier une activité urbaine en amont relativement intense, d’autant plus que les moyens pour lutter contre ce comblement sont déployés puisque des traces de curage sont détectés au III^e siècle à Jules-Verne, qu’un nouvel appontement (fig. 8a) à l’ouest du précédent (fig. 7j) y est implanté et que des témoignages directs de la perception de taxes importantes (le 40^e des Gaules et le vectigal) y sont multiples24. La barque JV8 (fig. 8b) montre aussi qu’il existe une activité de pêche ou de servitude portuaire. L’activité humaine se déplace peut-être simplement ou se concentre sur d’autres objets. Le grand bassin carré de la Bourse par exemple est abandonné au début du III^e siècle. (avant 230) et se comble progressivement. Quant à l’entrepôt à dolia des Docks, il est détruit de manière violente au milieu du III^e siècle.

Fig. 8 - Les aménagements portuaires connus pour la période du III^e à mi-V ^e siècle

43Après le siège de Constantin, au IV ^e siècle, sur le site Jules-Verne, un nouveau curage est opéré et un navire de charge de moyenne dimension (JV1-2) (fig. 8c) est abandonné. Dans la corne du port, deux escaliers (fig. 8d) et une petite plate-forme (fig. 8e) de débarquement sont aménagés, probablement car le plan d’eau s’envase. La situation est complexe cependant car si à Jules-Verne, les appontements sont abandonnés à la fin du IV ^e siècle, de manière à peu près contemporaine à la fin des thermes de Villeneuve-Bargemon, dès la première moitié du V ^e siècle, dans un processus répondant à une démarche inverse, on y surélève le quai et son niveau de circulation (fig. 8f).

3.4 La fin de l’Antiquité (milieu V ^e-VI^e siècle) (fig. 9 et 10)

44Quelques décennies plus tard, une fortification (avant-mur) est érigée sur ce récent niveau de circulation et le grand bassin carré, nouvellement désenseveli et équipé d’une roue à aube, est réutilisé dans le cadre d’une activité artisanale de broyage de minéraux et de céréales (CAG 13/3, 552*112).

Fig. 9 - Les aménagements portuaires connus pour la période de mi-V ^e à la fin du VI^e siècle

45À Jules-Verne, le rivage se comble progressivement au V ^e siècle et le trait de côte recule vers le sud. Il semble reculer aussi sous l’actuel pavillon Bargemon de l’Hôtel-de-Ville (CAG 13/3, 372-373*56), dans la corne du port et au niveau du bassin de Carénage. Est-ce la déliquescence de l’Empire et une absence de moyens financiers dévolus à Marseille qui font que la lutte contre l’envasement du port est en train d’être perdue ? Toujours est-il qu’une double tentative de réédification d’un quai au niveau de la corne du port mais plus en aval s’effectue au début du VI^e siècle (fig. 9a) puis dans la deuxième moitié du VI^e siècle (fig. 9b) avec les « moyens du bord » à savoir des blocs de remploi25. On cherche là l’utilité plus que l’esthétique mais c’est peine perdue. L’habitat qui s’était déjà développé à Jules-Verne et à la Bourse dès le VI^e siècle peut s’étendre sur l’ensemble de la « corne » du port qui disparaît sous les comblements vers 600. Pour les archéologues et les historiens, le port est dès lors à aller chercher soit plus au centre de la calanque26 (dans des secteurs urbains profondément aménagés depuis ce qui ne laisse pas beaucoup d’espoir de découverte archéologique conséquente) soit dans les archives. C’est ainsi que l’on a trouvé trace et mention des salines mérovingiennes dans l’angle sud-est de la calanque (fig. 10)27.

Fig. 10 - Les aménagements portuaires connus pour le début du VII^e siècle

Perspectives

46Depuis 2018, M. Pawlowicz consacre son doctorat à la période romaine de la corne du port28. Souhaitons que le contexte actuel, plutôt favorable à ces études portuaires grâce notamment à la dynamique générée par la rénovation du musée d’Histoire de Marseille en 2013 et la requalification du site Bourse – Port antique (inauguré en septembre 2019), permettra dans un avenir proche de publier de manière plus détaillée cette question portuaire.