Les sculptures romaines maritimes de Forum lulii
(Fréjus, Var)
Roman maritime sculptures in Forum Iulii
p. 195-210
Résumés
À ce jour, la cité de Forum lulii a livré trois représentations sculptées en rapport avec la mer : une ronde-bosse du dieu Triton mêlant symbolisme augustéen et protection mythologique maritime ainsi que deux chapiteaux de pilastres sculptés de dauphins qui témoignent d’une mode stylistique.
Plusieurs découvertes architecturales monumentales en bordure du bassin portuaire témoignent d’une décoration marmoréenne somptueuse très partiellement connue. Une partie de l’élévation de grands monuments publics à qui appartenaient ces blocs colossaux peut ponctuellement être restitué en y appliquant des calculs métrologiques. En revanche, la sculpture du port antique n’est aujourd’hui connue qu’à travers une unique sculpture du dieu Triton dérivée d’un modèle hellénistique. La présente étude livre des propositions de mise en scène de la statue dans le paysage portuaire encore trop méconnu.
Currently the town of Forum lulii has given up three sculpted representations related to the sea: a statue of the god Triton, mixing Augustan symbolism and mythological maritime protection, as well as two pilaster capitals carved with dolphins in a stylised manner. Several discoveries of monumental architectural vestiges at the edge of the harbour basin are evidence of relatively little known, but luxurious marble decoration.
So far, three sculpted representations related to the sea have been discovered in Fréjus: a statue of the god Triton, mixing Augustan symbolism and more traditional, mythological maritime imagery, as well as two pilaster capitals with dolphins carved in a stylised manner. Several discoveries of monumental architectural remains at the edge of the harbour basin are evidence of its relatively little known, but luxurious marble decoration. Parts of the elevations of the large public monuments to which these colossal blocks belonged can be recreated here and there through the use of metrology. Nevertheless, the sculpture of the ancient port is currently only known through a single sculpture of the god Triton that is derived from a Hellenistic model. The present study proposes a setting for the statue within what is still a poorly understood harbour landscape.
Entrées d’index
Mots-clés : Fréjus (Forum lulii), port romain, sculpture, chapiteau, dieu Triton, dauphins
Keywords : Fréjus (Forum lulii), Roman port, sculpture, capital, Triton, dolphins
Texte intégral
1Le thiase maritime du dieu des océans Poséidon/Neptune compte de multiples membres : Triton, néréides, monstres marins ou encore dauphins. À Forum lulii, deux acteurs de ce cortège sont attestés dans la statuaire : le dieu Triton et les dauphins1.
1. Ronde-bosse de Triton (fig. 1)
Fig. 1 - Fréjus, Quartier des Horts, Ronde-bosse de Triton en grès local

© clichés C. Hussy, M. Olive, MCC/DRAC/SRA ; dessins Y. Lemoine.
1.1 Circonstance de la découverte
2Attesté à travers la littérature latine (Strabon, Géographie, IV, 1, 9 et 10 ; Pline l’Ancien, NH, III, 35 ; Tacite, Annales, IV, 5 ; Histoires, III, 43), le port de Forum lulii était une base navale de la flotte de Rome en Méditerranée occidentale jusqu’à la fin du IIe s. apr. J.-C. (Gébara, Morhange 2010, 17). Le port de Forum lulii constituait également une étape commerciale essentielle du trafic maritime entre l’Italie et la Gaule Narbonnaise. L’important flux marchand par voies terrestres et maritimes drainait vers le port de très nombreux usagers. Sa situation géographique privilégiée conjuguée à l’examen des vestiges archéologiques témoigne d’un bassin portuaire bordé de bâtiments, souvent difficilement interprétables, où pouvaient prendre place des œuvres symboliques visibles par tous. C’est précisément le cas pour une ronde-bosse en grès jaune permien2 représentant le dieu marin Triton (Roth-Congès 1983, 2 ; Février 1987, 101 ; Rivet et al. 2000, 312, 316, 407 ; Gassend, Lemoine, Gébara 2010, 122-152 ; NEsp. IV, Fréjus, n° 136) qui a été mise au jour en novembre 1983 en bordure du bassin portuaire romain de Fréjus, au lieu-dit Les Horts, à l’occasion d’une fouille de sauvetage menée par Chérine Gébara et Pascal Lecacheur. Deux blocs monumentaux de corniches modillonnaires en marbre blanc ont également été découverts à cette occasion (Gassend, Lemoine, Gébara 2010).
1.2 Description
3Seule la partie inférieure de la ronde-bosse est conservée au-dessous du nombril. Le bloc mesure 84 cm de hauteur, il est large de 70 cm et profond de 38 cm. Sa hauteur devait sans doute avoisiner 170 cm à l’origine. Des queues latérales disposées à l’origine de part et d’autre du bassin ne sont conservées que les mortaises massives (Hauteur 20 cm ; prof. max. 18 cm). L’épiderme du dieu est taillé à la gradine et l’utilisation du foret (diam 3 mm) est visible pour certains plis du pagne végétal.
4Les membres inférieurs sont couverts sur les faces avant et latérales par un pagne végétal constitué pour la partie inférieure d’algues en lanière et en feuilles à lobes trilobés pour la ceinture et la bande centrale. Le personnage est disposé sur une valve de coquille bombée, radiée de sillons. Le lit de pose est plat et ne présente aucun dispositif d’assemblage. Au bas des faces latérales, deux mortaises de grandes dimensions étaient destinées à y encastrer les deux queues pisciformes et spiralées, aujourd’hui disparues, du dieu marin. En outre, les vestiges arrachés de deux imposants étais structurels disposés de part et d’autre des hanches permet de restituer des queues déroulées en volutes de part et d’autre de Triton. La face arrière du bloc est traitée de deux manières. D’une part, les grands fessiers particulièrement cambrés arborent une anatomie humaine et sont taillés de la même manière que la face avant. Sous les fesses, on distingue une mortaise dans laquelle demeure le scellement en plomb du goujon métallique de section rectangulaire, aujourd’hui disparu. D’autre part, sous ce scellement, la surface est soigneusement dressée presque à l’équerre du lit de pose. Cette partie n’était pas faite pour être visible mais servait de lit d’assemblage à un support jointif maintenu à l’aide d’un puissant goujon. En fait, la sculpture a été taillée de manière homogène sur les faces avant et arrière, comme c’est le cas sur les sculptures destinées à orner les parties sommitales d’architecture afin d’être visibles sur toutes les faces, à l’exception du traitement de la partie inférieure de la face arrière qui garantissait la stabilité de la ronde-bosse accusant un léger surplomb.
1.3 La place de Triton dans l’espace portuaire
5Triton, fils du couple divin Neptune/Amphitrite, est un personnage hybride mi-homme, mi-animal marin : il est constitué d’un corps humain jusqu’à la taille puis de deux longues queues de poisson (Apollonios de Rhodes, Argonautiques, 4, 1610-1616). Triton est une divinité protectrice des marins en mer liée à d’anciennes croyances maritimes. Il avait pour demeure la mer tout entière. À la fois terrible et bienveillant, il souffle dans une conque qui mugit lors des événements climatiques en mer. Les marins le vénèrent surtout comme une divinité qui calme les flots déchaînés et qui intercède auprès de Neptune/Poséidon.
6Les représentations sculptées de Triton sont attestées dès l’époque hellénistique et prennent modèle sur les acrotères du phare d’Alexandrie construit par Sostratos de Cnide. Plus tard, à l’époque romaine, ce personnage mythologique s’intègre dans la scénographie mythologique portuaire de l’Empire. C’est dans cette tradition que la statue de Forum lulii participait à l’ornementation du port de la cité.
7De très nombreuses figures de Triton sont attestées à travers l’Empire sur de multiples supports (statuaire, architecture, pavement3, peinture, mobilier…) (LIMC VIII, s.v. « Tritones » (N. Icard-Gianolio)). Les comparaisons iconographiques avec l’exemplaire de Fréjus sont multiples et ont déjà été abordées (Gassend, Lemoine, Gébara 2010). L’étude d’A. Roth-Congès (1983) réalisée à l’occasion de la découverte de la sculpture de Triton considère qu’il s’agit d’acanthes et que leur style est datable « après 20 avant J.-C., avant 70 après J.-C., et peut-être plus précisément aux alentours du changement d’ère. » Il convient de nuancer cette datation puisque ces feuilles marines à lobes trilobés ne sauraient se rattacher à une typologie établie pour l’acanthe en architecture. Une datation au Ier siècle de notre ère est privilégiée et il faut donc plutôt y voir une liberté du sculpteur pour le pagne mêlant différentes espèces d’algues de formes linéaires et en acanthes. La combinaison mêlant le dieu marin Triton et des algues en forme d’acanthes est couramment rencontrée dans l’art hellénistique et romain comme la statue du Triton Grimani conservée à Berlin qui porte une ceinture à double rangée d’algues en feuille d’acanthe plate. C’est également le cas sur les bas-reliefs des cuves de sarcophages du museo provinciale campano de Capoue (LIMC VIII.1, 76, n° 32a) ou du musée du Louvre (LIMC VIII.1, 76, n° 30). Les jupes des Tritons en forme de feuilles d’acanthe allongées s’observent aussi sur les faces nord, sud et ouest de la frise du quadrifrons du cénotaphe des Iulii à Glanum (CAG 13/2, 283 ; Delestre, Salviat 2015, 131-152). La confusion descriptive (algues, acanthes, écailles) est courante à l’image du jeune géant battu par Doris sur la face nord des escaliers du Grand Autel de Zeus à Pergame (Queyrel 2005, fig. 58-59) ou sur le thiase marin de l’autel de Domitius Ahenobarbus à Rome (Coarelli 1968 ; Lattimore 1976, 16-18, fig. 4 ; Rolley 1999, 281-282).
8La visibilité de cet être à haute valeur symbolique était fondamentale pour les usagers des ports de l’Antiquité. Le Phare d’Alexandrie aux acrotères en forme de Tritons doit être considéré comme un modèle architectural qui a su savamment combiner l’efficacité d’un monument-signal à l’esthétisme de sculptures monumentales reconnues par la société de l’époque (Reddé 1979). En Méditerranée, la présence de représentations de Triton en bordure du bassin portuaire est révélatrice des croyances maritimes gréco-romaines. Dispensateur de protection à l’occasion des sorties en mer, cette divinité est reconnue à travers des épisodes mythologiques importants pour la société d’alors. Lors de la Gigantomachie, il bataille au côté de son père Poséidon et utilise sa conque pour mettre en déroute les Titans (Hésiode, Théogonie, 930-933). Jason et les Argonautes furent aiguillés par Triton, dieu du lac Tritonis en Libye, lors d’un épisode narré par Hérodote (Histoire, IV, 179). Avec le chant de sa conque, il accompagne le futur Auguste sur la mer lors de la bataille d’Actium (Properce, Élégies, IV, 6, 61-62). Omniprésent dans les sources littéraires (LIMC VIII, s.v. « Tritones » (N. Icard-Gianolio), 68-69) et l’imaginaire antique, la figure de Triton pouvait donc aussi bien prendre place sur tous types de monuments portuaires (phare, amer, portique, balustrade, fontaine…). Même si cette considération généraliste apparaît comme une évidence, de rares ports ont livré des indices iconographiques témoignant de la présence de statues de Tritons, en particulier à Alexandrie et Pouzzoles. C’est principalement à partir de ces sources imagées que l’on appréhende convenablement la disposition des statues de Triton. L’examen attentif de ces éléments apporte des pistes décisives pour la compréhension de la mise en place de la ronde-bosse découverte en bordure du bassin portuaire de Forum lulii.
1.3.1 Phare
9Les données iconographiques du Phare d’Alexandrie sont issues de plusieurs représentations sur des émissions monétaires frappées entre les règnes de Domitien et de Commode (Fragaki 2011, n° 52 à 78) (fig. 2a), les bouteilles en verre découvertes à Ptuj (Poetovio, Slovaquie) (fig. 2b) et Begram (Afghanistan) (Quet 1984, 807-809), sur l’intaille de Montpellier (Daumas, Matthieu 1987, 41-55 ; Fragaki 2011, n° 179) (fig. 2c) ou encore sur des sceaux en plomb. L’ordonnance architecturale est quant à elle connue également sur quelques mosaïques d’époque paléochrétienne, notamment celle de Qasr al-Lebya (Fragaki 2011, fig. 176), ou encore la Table de Peutinger. L’étude comparative permet de restituer l’élévation de l’édifice : une tour à trois étages en degrés (Reddé 1979, fig. 9). Le premier étage de plan carré est percé de fenêtres, le second est octogonal et le sommital ne peut être précisé, faute d’éléments concordants.
Fig. 2 - Représentations du phare d’Alexandrie - acrotères en forme de Tritons sonnant la conque

a : Monnaie en bronze, 144-145 apr. J.-C. (d’après Fragaki 2011, n° 71 ; règne d’Antonin le Pieux ; Bern, Bernisches Historisches Muséum, Münzen & Medaillen AG Basel, Liste 236, n° 46) ; b : bouteille en verre de Ptuj (d’après Fragaki 2011, fig.178b) ; c : intaille de Montpellier (d’après Fragaki 2011, fig.179) ; d : restitution du phare d’Alexandrie (d’après H. Thiersch, Pharos, Antike Islam und Occident, 1909 dans Hellmann 2002, fig.47).
10La prouesse originale du phare d’Alexandrie tient en un savant mélange d’architecture monumentale d’un phare conjuguée à des représentations mythologiques fondamentales, esthétiques et fonctionnelles. Ainsi, on y retrouvait une statue colossale sommitale (Fragaki 2011, 6-9) dont l’identité a changé au gré des destructions et des réfections : Ptolémée4, Zeus (Posidippe de Pella, Épigrammes, 115 ; Fragaki 2011, 6), Poséidon-Neptune5, Hélios (Fragaki 2011, 8-9). Elle était un repère visuel pour les marins qui approchaient Alexandrie6.
11Les acrotères, disposés aux angles de l’imposante tour rectangulaire, prenaient la forme de Tritons sonnant la conque. Représentées fortement débordantes sur le vide, ces figures mythologiques devaient fasciner les observateurs. Outre leur valeur esthétique, voire baroque, ces statues pouvaient également servir de signal sonore7.
1.3.2 Portique, colonnade
12L’installation scénique, mythologique et protectrice de statues de Tritons sur l’attique d’un portique du quai du port romain de Pouzzoles (Campanie, Italie) constitue un témoignage unique de ce type de disposition portuaire. Cette mise en scène est similaire sur plusieurs sources iconographiques qui montrent un groupe de trois ou plutôt quatre statues de Tritons sonnant la conque disposé au sommet de colonnes. Parmi les témoignages archéologiques qui l’attestent, on connaît :
un quadro provenant de la villa San Marco de Stabies et conservé au musée archéologique national de Naples8 (fig. 3a). Il montre une évocation du port de Pouzzoles au Ier s. apr. J.-C. et se rattache au quatrième style pompéien. Grouillant de détails, cette image montre une architecture portuaire dense où marins et pêcheurs s’affairent. Au centre de la scène se détache une jetée construite sur des piles encombrée de plusieurs statues juchées sur des colonnes ou un portique. On y distingue en particulier une ronde-bosse de Triton sonnant la conque disposée sur une frêle arcature.
Un dessin de G.P. Bellori réalisé d’après une gravure de P. S. Bartoli publiée en 1673 (Bellori 1673) (fig. 3b). Cette gravure avait été réalisée à partir d’une peinture murale datée du IIIe siècle figurant le port de Pouzzoles et découverte en 1668 sur la colline de l’Esquilin. Disparue peu après sa découverte, elle est connue à travers une série de dessins du XVIIe siècle qui se trouve conservée dans la collection royale du château de Windsor (Ostrow 1979, 87, note 11). L’imposante jetée occupe une place centrale dans le bassin portuaire. Les sculptures y trouvent une place prépondérante en couronnant deux colonnades-portiques à deux arcs et quatre colonnes monumentales. Un ensemble de quatre Tritons sonnant la conque, disposés au sommet d’une colonnade-portique, s’intercale entre deux séries de deux colonnes.
Plusieurs flacons en verre de type Isings 103 ont été découverts dans diverses cités littorales ou non (Merida, Prague [Italie], Pilkington [Afrique du Nord], Odemira, Rome, Ampurias et Populonia-Piombino...) (Ostrow 1979 ; Golvin 2008) (fig. 4a, b, c). Ils sont tous gravés de représentations des villes de Pouzzoles et de Baiae. Les détails architecturaux diffèrent peu d’un verre à l’autre et les découvertes lointaines les unes des autres font penser à des flacons souvenirs distribués entre la fin du IIIe et le début du IV e s. apr. J.-C. Confirmées sur plusieurs exemplaires (fiaschette de Prague9, Merida (Bejarano Osorio 2002) et au musée de Pilkington10), les pilae du port de Pouzzoles étaient surmontées de trois ou quatre statues colossales de Tritons sonnant la conque et aux queues ichtyoformes développées. L’architecture de ces quais montre des structures complexes, mêlant balustrades, portiques et colonnes dont l’attique était monumentalisé par d’imposantes statues.
Fig. 3

a : Possible vue du port de Pouzzoles au Ier s. apr. J.-C. provenant de la villa San Marco de Stabies et conservé au Musée archéologique national de Naples (MAN, inv. 9514) (© Prisma Archivo/ Alamy) ;
b : Dessin du port de Pouzzoles (?) d’après une peinture murale datée du IIIe siècle. Gravure de P. S. Bartoli dans G. P. Bellori, Ichnographia urbis Romae, 1734 (d’après Brandizzi Vittucci 2007, fig.1).
13Outre ces témoignages concordants permettant de confirmer la présence de statues de Tritons en bordure du port de Pouzzoles, il convient de compléter ce chapitre par la présentation du sarcophage de Iulius Philosyrius, découvert à Ostie11, qui atteste les statues de Tritons disposées sur l’attique d’un arc à triple baie en bordure d’un port (Alexandrie, Ostie ?) (fig. 4d). C. Picard écrivait à son propos : « ... remarquons les figurations “paysagistes” du fond du décor : tout à gauche, un palmier-dattier, le même arbre que sur la mosaïque de Gerasa représentant “Alexandrie”. Plus vers la droite, un fond de “fabriques architecturales”, fort analogue à ce qu’on voit sur un relief portuaire du Capitole, tours, arcs et arcades. La tour est trop schématique pour qu’on doive penser au Phare d’Alexandrie lui-même. Pourtant, ce n’est sans doute pas un hasard s’il y a, tout à côté, au-dessus de l’arc aux trois baies cintrées, deux Tritons sonnant de la conque, assurément fort propres à évoquer les plus célèbres : ceux de la Tour lumineuse de Sostratos. Ces Tritons tiennent ici des rames, comme le Ptolémée du faîte du Phare. Qui dira que de tels rappels auraient pu être fortuits ? À droite de la cuve, la tour éclairante sur laquelle flambe un feu est assez comparable à celle du relief Torlonia ; elle peut bien être inspirée du Phare d’Ostie. On aurait en tout cas, ainsi, encadré le médaillon du défunt, et les barques symboliques des pêcheurs d’éternité, Eros et Psyché, entre les aspects combinés d’Alexandrie et d’Ostie » (Picard 1952, 91-92, fig.1 4).
Fig. 4

a, b et c : Représentations du port de Pouzzoles gravées sur des flacons en verre. a : musée national de Prague, probablement découvert en Italie (d’après Picard 1959) ; b : Mérida (d’après Bejarano Osorio 2002, fig.5a) ; c : musée de Pilkington, sans doute découvert en Afrique du Nord (Tunisie ?) (d’après Bejarano Osorio 2002, fig.6c) ; d : sarcophage de Iulius Philosyrius (Visconti 1872, pl. IV,1).
1.3.3 Fontaines publiques
14Ces figures mythologiques aux jambes ichthyoformes peuplaient (mosaïques, enduits peints, sculptures et artefacts ouvragés) en particulier, mais pas exclusivement, les cités portuaires ou proches du littoral méditerranéen (Athènes, Corinthe, Ephèse, Herculanum, Ostie, Paestum, Rome...) (Picard 1952) (fig. 5a). Le plus riche ensemble de sculptures de Triton a été retrouvé à proximité de la fontaine monumentale de C. Laekanius Bassus à Ephèse. Celle-ci a livré cinq ronde-bosses en marbre blanc de Tritons (Ephèse, musée archéologique : Lattimore 1976, 60, fig. 40 a-b ; Aurenhammer 1990, n° 88 à 92 ; LIMC VIII, s.v. « Tritones », 77, n° 46b (N. Icard-Gianolio) ; fig. 5b). D’époque flavienne, ces statues participaient à la décoration scénique du monument des eaux. À Pergé en Pamphylie, la fontaine F2 (Dorl-Klingenschmid 2001, n° 86, 229-230), datée vers 198 apr. J.-C., présentait au niveau supérieur les représentations de Caracalla et Julia Soaemias, entourées en particulier de Triton, Hélios et Séléné (Lamare 2011, 32). À Paestum en Lucanie, des statuettes de Tritons datées du IIIe s. apr. J.-C. décoraient une fontaine implantée sur la via sacra (LIMC VIII, s.v. « Tritones », 77, n° 46 (N. Icard-Gianolio)).
Fig. 5

a : Rome, Acqua Marcia, statue de Triton (d’après LIMC, Tritones 45 - Glyptothèque de Copenhague, inv. 522) ;
b : Ephèse, fontaine de C. Laekanius Bassus, statues de Tritons (d’après Aurenhammer 1990, n° 88, 92).
1.4 La place de Triton en bordure du port de Fréjus
15La sculpture a été découverte dans le quartier des Horts associée avec deux corniches modillonnaires en marbre blanc. Lors de ce sondage archéologique, une structure maçonnée plane en blocage de moellons aurait été dégagée à proximité ; elle pourrait correspondre à l’extrémité du quai oriental. L’association de ces trois blocs sculptés a été proposée en 2010 et « permet d’envisager l’existence d’un grand monument, vraisemblablement un phare » (Gassend, Lemoine, Gébara 2010) (fig. 6). L’application métrologique des dimensions des corniches a permis de confirmer l’existence d’un monument marmoréen colossal en bordure du bassin portuaire. Toutefois, aucun indice ne confirme clairement l’appartenance de ces blocs à un même ensemble, même s’il est tentant de les associer. Dans cette perspective, la proposition d’une monument hybride, mêlant architecture en marbre blanc et sculptures en grès local, demeure une hypothèse12.
Fig. 6 - Proposition de restitution du monument au Triton

J.-M. Gassend dans Gassend, Lemoine, Gébara 2010, fig.17 détail.
16À l’occasion de la découverte du bloc sculpté en 1983, A. Roth-Congés écrivait : « cette disposition, et celle des queues disparues, désignent comme acrotère d’angle cette statue : elle se dressait au coin de la corniche d’un grand monument, appuyé à l’angle inférieur du toit, ses deux queues se déroulant de part et d’autre » (Roth-Congès 1983, 2). Il convient toutefois de nuancer cette démonstration. En effet, même si l’angle formé par la projection des mortaises des queues est de 30° déversé vers l’arrière, les vestiges des étais structurels des queues sont répartis presque à l’équerre de part et d’autre du bassin du personnage. Cela signifie que les enroulements ichtyoformes démarrent à 30° en arrière du pagne et tendraient à se déployer en volutes sur les bordures latérales dans l’axe du bassin. En outre, il est envisageable de proposer une largeur d’origine oscillant entre 1,50 m et 2 m en y incluant le développement spiralé des queues pisciformes. L’espace occupé par l’œuvre tendrait alors à être plutôt linéaire qu’angulaire, plutôt adapté à une disposition frontale liée à un portique-colonnade-arcade. Cette hypothèse apparaît conforme à une mise en scène portuaire romaine sans pour autant remettre en question son éventuelle place sur un monument élevée du bassin portuaire. Sa situation était centrale, dominatrice, du moins visible, par les marins et les usagers du port. La découverte de la ronde-bosse en bordure nord de l’embouchure du port romain tend à la restituer sur un monument élevé13 à l’emplacement et à la physionomie indéterminables en bordure du bassin portuaire. En somme, et même si une disposition à proximité de l’entrée du port conviendrait à la fonction symbolique de Triton, on connaît plusieurs importants massifs de maçonnerie14 qui parsèment les bordures du bassin et qui auraient pu servir d’emplacement de choix pour l’héberger sur leur couronnement. Faute d’éléments archéologiques déterminants sur le port de Fréjus et en se fondant sur les comparaisons iconographiques propres à la situation des statues de Triton, sur le port de Pouzzoles en particulier, le dossier demeure toujours ouvert même s’il est manifeste que l’image du fils de Neptune était disposée en hauteur sur une structure monumentale visible et identifiable par les Antiques au Ier s. apr. J.-C.
17Triton sonne la victoire d’Octave lors de la bataille d’Actium (Properce, Elégies, IV). Veillant sur le port de Fréjus qui avait reçu dès 31 av. J.-C. la flotte ennemie vaincue de Marc Antoine et Cléopâtre (Tacite, Annales, IV, 5 ; Rivet et al. 2000, 48), il y tenait une place prépondérante, mêlant symbolisme augustéen, mythologie et protection maritime, image fédératrice de l’Empire romain, maître des mers.
2. Dauphins
18L’apparition de motifs animaliers ou mythologiques au sein de la composition végétalisée des chapiteaux de colonnes ou de pilastres remonte à l’époque augustéenne précoce (Von Hesberg 1981, 55). La diffusion de ces cartons est particulièrement prisée à Rome au début du IIe s. apr. J.-C., et en particulier dans la décoration de la Villa Adriana (Ronczewski 1931, 415-419). On y voit des compositions raffinées de dauphins affrontés qui participent directement à l’ordonnance de l’ensemble de la corbeille. Cette mode iconographique s’est ponctuellement diffusée en Gaule (Arles, Fréjus, Lyon, Orcines, Périgueux, Saintes et Vienne).
19Deux représentations de dauphins sont attestées à Forum lulii et appartiennent à la décoration sculptée de chapiteaux de pilastre en marbre blanc.
2.1 Chapiteau de pilastre (fig. 7)
Fig. 7 - Fréjus, chapiteau de pilastre aux dauphins

Cliché A. Chené, CCJ-CNRS.
2.1.1 Circonstance de la découverte
20L’élément architectonique a été découvert lors des fouilles archéologiques entreprises entre 1979 et 1982 dans le cimetière médiéval, au nord-est du groupe épiscopal de Fréjus. L’œuvre, inscrite au musée archéologique en 1980, portait le numéro d’inventaire 80.11.3. Elle a aujourd’hui disparu.
2.1.2 Description
21Marbre blanc à grains fins.
22Hauteur 24 cm ; largeur 24 cm ; épaisseur 6 cm.
23Ce fragment de chapiteau de pilastre s’inscrit dans une série de supports décorés dont le registre supérieur de la corbeille est composé de dauphins affrontés de part et d’autre d’un motif central, ici une coquille. La plaque de marbre est brisée sur tous ses côtés à l’exception d’une infime portion de sa partie supérieure. Seul le cétacé de gauche est conservé. Au-dessus du corps cambré du mammifère, on distingue un bandeau concave lisse surmonté d’un listel à tresse qui permet de situer le fragment sur le registre supérieur du chapiteau de pilastre. Une restitution graphique a été proposée par L. Rivet en 2000 dans l’Atlas topographique des villes de Gaule méridionale (Rivet et al. 2000, 394, fig. 709-710). Le dauphin est intercalé entre la feuille d’acanthe de profil du registre des calices et l’abaque, en se substituant aux volutes. La queue recourbée de l’animal déborde légèrement sur le bandeau de l’abaque.
24Le dauphin est pourvu de deux nageoires pectorales palmiformes à triple rayons et à terminaison à courbe concave. L’emplacement anatomique des nageoires n’est pas conforme à la nature puisque l’une jaillit sous la naissance du rostre et l’autre du sommet du melon. La nageoire caudale trifide est rabattue entre l’arrière du dos et l’abaque. Le dauphin ne porte pas d’aileron dorsal, sans doute pour des raisons esthétiques, afin de ne pas déborder sur l’abaque. Le ressaut naturaliste entre le melon et le rostre est marqué. La gueule, à peine ouverte, est soulignée par une incision linéaire en creux. L’œil est formé d’un globe oculaire saillant encadré par un pentagone aux côtés concaves. Ce dernier se prolonge en une queue dont le style est strictement calqué sur celui des nageoires pectorales : triple rayons à cadre et terminaison de demi-cercle concave. Ce motif est communément interprété comme une représentation de la comète15, la stella crinita, hommage iconographique augustéen à la mort de Jules César.
2.1.3 Allégorie césarienne
25La comète visible sur l’œil du dauphin est un élément allégorique propre à la propagande augustéenne qui rappelle un passage de l’historien latin Suétone (Vie de César, LXXXVIII) rapportant la comète apparue dans le ciel de Rome à la mort de César alors qu’Octave faisait célébrer des jeux funèbres en l’honneur de son père adoptif :
Periit sexto et quinquagensimo aetatis anno atque in deorum numerum relatus est, non ore modo decernentium, sed et persuasione uolgi. Siquidem ludis, quos primos consecrato ei heres Augustus edebat, stella crinita per septem continuos dies fulsit exoriens circa undecimam horam, creditumque est animam esse Caesaris in caelum recepti ; et hac de causa simulacro eius in uertice additur stella.
« Il périt dans la cinquante-sixième année de son âge, et fut mis au nombre des dieux, non seulement par le décret qui ordonna son apothéose, mais aussi par la foule, persuadée de sa divinité. Pendant les premiers jeux que donna pour lui, après son apothéose, son héritier Auguste, une comète, qui se levait vers la onzième heure, brilla durant sept jours de suite, et l’on crut que c’était l’âme de César reçue dans le ciel. C’est pour cette raison qu’il est représenté avec une étoile au-dessus de la tête » (Traduction : T. Baudement, 1845).
2.1.4 Comparaisons iconographiques
26Les chapiteaux de pilastre sculptés de dauphins affrontés de part et d’autre d’une coquille surmontant une couronne de feuilles sont connus en Gaule depuis l’époque augustéenne et sont encore présents en Gaule Aquitaine au IIe s. apr. J.-C. (Par ex. à Périgueux dans Tardy 2005, 72, fig. 61). Durant le règne d’Auguste, en Gaule, on connaît sept exemplaires de chapiteaux de pilastre décorés de dauphins affrontés portant, selon toute vraisemblance, la stella crinita. Cette image est considérée comme un manifeste iconologique illustrant l’association symbolique du dauphin et de l’élément astral (Sauron 1994 ; Gros 2004), à l’origine de cette petite série provinciale à Aix-en-Provence 16 (fig. 8a), Arles17 (fig. 8b), Fréjus (NEsp. IV, Fréjus, n° 131*), Orcines (Tardy, Paillet 2012, 336, fig. 11) (fig. 8c) et Vienne18 (fig. 8d). Pour D. Tardy le dessin s’appauvrit sur l’exemplaire de Vienne et ne conserve que la queue de la comète, qui figure encore sur les chapiteaux en marbre du décor intérieur du temple de Mercure au sommet du puy de Dôme (Orcines) dans la première moitié du IIe s. apr. J.-C.
Fig. 8 - Chapiteaux de pilastres décorés de dauphins à la stella crinita. Comparaisons en Gaule Narbonnaise et Aquitaine.

a : Aix-en-Provence (cliché C. Durand, CCJ, CNRS) ; b : Arles (n° inv. CRY.52.00.11, Musée départemental Arles antique, cliché L. Roux) ; c : Orcines (d’après Tardy, Paillet 2011, fig.11) ; d : Vienne (cliché G. Réveillac, CCJ, CNRS).
27À Fréjus, la découverte à proximité du forum de la cité portuaire pourrait éventuellement témoigner de l’appartenance de ce chapiteau à un sanctuaire dynastique. Le chapiteau de pilastre est décoré d’un dauphin au dessin soigné qui l’inscrit par comparaison dans la série de la stella crinita de l’époque augustéenne.
2.2 Chapiteau de pilastre aux dauphins et trident (fig. 9)
Fig. 9 - Fréjus, chapiteau de pilastre avec dauphins et trident

Cliché C.Durand, CCJ, CNRS.
2.2.1 Circonstance de la découverte
28Ce bas-relief a été mis au jour sans localisation précise à Fréjus. Il fait partie du fonds ancien du musée archéologique et porte le numéro d’inventaire 43.71.
2.2.2 Description
29Marbre blanc opaque à grains fins de type Luni.
30Hauteur 22,6 cm ; longueur 22 cm ; épaisseur 5 cm.
31Ce fragment de plaquage de chapiteau de pilastre est brisé sur trois côtés. Le lit supérieur est préservé et conserve une mortaise axiale où venait s’insérer un crampon de fixation métallique dont les traces d’oxydation sont visibles. La face arrière présente une bande centrale en saillie encadrée par deux zones latérales démaigries. Cet aménagement permettait d’assurer l’assemblage de la plaque à son support architectural, ou le témoignage de l’ajustement du lapicide lors de l’incrustation du plaquage dans le bâti, ou encore traduit le vestige d’un remploi.
32La face principale du chapiteau est sculptée d’une scène en bas-relief représentant deux dauphins entrecroisés devant un trident dont le manche végétalisé marque l’axe de symétrie. Les deux animaux marins arborent un corps fuselé dont les queues recourbées encadrent la fourche du trident qui occupe la partie traditionnellement réservée à l’abaque. Des volutes courbes peu développées encadrent la scène.
33L’anatomie des dauphins, en particulier celle de leurs nageoires, interroge toujours les commentateurs. Ici, deux nageoires à la morphologie analogue pointent au sommet du melon pour l’une et à l’arrière du museau pour l’autre. S’agit-il des deux nageoires pectorales ou d’une nageoire pectorale et de l’aileron dorsal ? Aucun élément ne permet de répondre à cette question. Malgré l’abondance des représentations de ces cétacés dans l’art gréco-romain (sarcophages, mosaïques, artefacts historiés…), on peut constater une réelle méconnaissance de leur anatomie19 à travers la diffusion de cartons irréalistes et erronés.
2.2.3 Comparaisons iconographiques
34La figuration de paires de dauphins, animaux de Poséidon/Neptune, comme élément décoratif sur des chapiteaux de colonne ou de pilastre est largement attestée. Ces animaux remplacent alors les volutes et sont associés à des motifs végétaux (feuilles d’acanthe, rinceaux…). Les compositions les plus diffusées renvoient à un schéma stéréotypé : le registre inférieur porte des ornements végétaux, le registre supérieur reçoit les dauphins affrontés dont les queues se relèvent sur l’abaque.
Fig. 10 - Chapiteaux de pilastres décorés de dauphins. Comparaisons de Tivoli et des Gaules

a : Villa Adriana (d’après I marmi colorati della Roma imperiale, 2003, n° 193, 478) ;
b - c : Vienne (clichés P. Foliot, CCJ, CNRS) ;
d : Lyon (cliché J.-M. Degueule, Lyon MCGR) ;
e : Périgueux (d’après Tardy 2005).
35Outre de nombreux exemplaires italiens, dont ceux du Canope de la Villa Adriana (Adembri dans I marmi colorati della Roma imperiale, 479, n° 193-194 ; fig. 10a), la Gaule compte une courte série de chapiteaux de pilastre ornés de dauphins affrontés de part et d’autre d’un élément central (coquille, palmette, trident20…). En Narbonnaise à Arles (Sintès, Moutashar 1996, 48) (fig. 8b), Fréjus (NEsp. IV, Fréjus, n° 130, 65-66) et Vienne (NEsp. I, Vienne (Isère), 182-183, n° 429, 430, 431) (fig. 10b, c), en Lyonnaise à Lyon (NEsp. II, Lyon, 158, n° 466) (fig. 10d) et en Aquitaine à Périgueux (Mercklin 1962, 28-29, n° 533) (fig. 10e). L’originalité du chapiteau de Fréjus réside dans sa composition où les animaux marins sont entrecroisés à l’avant du motif axial, schéma qu’on retrouve sur deux exemplaires de l’aire vésuvienne (Musée archéologique national de Naples : Mercklin 1962, 214, n° 522 a-b) et au musée de Gubbio en Ombrie (Mercklin 1962, 212-213, n° 518).
Conclusion
36Forum lulii, cité portuaire ouverte sur la mer Méditerranée, n’a livré à ce jour que trois représentations sculptées en rapport avec la mer. Ce chiffre peut paraître faible d’autant plus lorsqu’on considère que les deux chapiteaux de pilastres sculptés de dauphins doivent être considérés comme une opportunité stylistique que l’on retrouve dans d’autres cités gauloises non littorales, entre l’époque augustéenne et le début du IIe s. apr. J.-C.
37Le port de guerre et de commerce du chef-lieu de la cité demeure encore aujourd’hui partiellement connu. Ainsi, outre ses limites, la distribution des bâtiments portuaires demeure hypothétique. Quelques découvertes architecturales en bordure du bassin témoignent d’une décoration marmoréenne monumentale : chapiteaux ioniques21 et composites (Rivet et al. 2000, 210-211), corniches modillionnaires (Gassend, Lemoine, Gébara 2010) ou encore fûts de colonnes. Ces éléments de taille colossale ne sont pas toujours clairement rattachés à un ensemble architectural mais attestent de la grandeur et de la richesse de la cité portuaire. Ces quelques rares occurrences permettent d’appréhender l’élévation de grands monuments publics. En revanche, la sculpture du port antique n’est aujourd’hui connue qu’à travers une unique ronde-bosse du dieu Triton mêlant symbolisme augustéen et protection mythologique maritime. Cette œuvre dérivée d’un modèle hellénistique est sculptée en grès local. Cet être hybride, à l’anatomie complexe et singulière, est réalisé de manière canonique par un lapicide œuvrant à Fréjus au Ier s. apr. J.-C.
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Notes de bas de page
1 Mes respectueux et amicaux remerciements à Dominique Tardy et Alain Badie (CNRS, Aix-Marseille Université, Institut de Recherche sur l’Architecture Antique) pour leurs précieux et savants conseils en matière d’ornementation architecturale.
2 « Dès l’Antiquité, le grès de la région de Fréjus a lui-même servi pour de la ronde-bosse, à preuve le Triton récemment mis à jour près du port » (Février 1987, 101).
3 Voir par exemple la maison d’Isguntus à Hippone dont le triclinium a livré un pavement sur lequel on distingue un Triton nageant devant une représentation de la ville d’Hippo Regius : LIMC VIII, s.v. « Tritones », 75, n° 28 (N. Icard-Gianolio).
4 Le monument est construit au début du IIIe s. av. J.-C. sous les règnes de Ptolémée I et II. Strabon, Géographie, XVII, 1, 6 ; Pline l’Ancien, NH, XXXVI, 83 ; Hellmann 2002, 52-53.
5 Un vase en verre découvert à Begram (Afghanistan) est gravé d’une représentation du phare d’Alexandrie couronné d’un personnage masculin barbu, nu, et portant sur son bras gauche une rame-gouvernail, symbole de l’Empire sur les mers, ce qui permettrait de l’identifier au dieu des océans : Lugli, Filibeck 1931, 39 ; Picard 1952, fig. 2 ; Fragaki 2011, 7-9, fig. 182.
6 Cf Fragaki 2011 pour la réflexion sur l’interprétation des éléments sommitaux : miroir, arme, horloge solaire.
7 “Tour élevée, flamme ou fumée, les jours de brume tout se rejoignait dans l’inefficacité. C’est alors que des signaux sonores pouvaient entrer en jeu. Cette supposition a été formulée en tenant compte, toujours sur le monument d’Alexandrie, de la présence de statues figurant des Tritons soufflants dans des conques, et qui n’étaient peut-être pas des ornements gratuits” (Bedon 1988, 63).
8 Inv. n° 9514 (NR 571) ; Barbet, Miniero 1999, 34, 37, fig. 23 (cf pour bibliographie antérieure).
9 La flasque est conservée au musée national de Prague et a été probablement découverte en Italie : Picard 1959 ; Ostrow 1979, 79, fig. 1.
10 Le flacon est conservé au Pilkington Glass Museum (Royaume-Uni) et provient probablement d’Afrique du Nord (Tunisie ?) : Ostrow 1979, 80, fig. 2.
11 Ancienne collection du Palazzo Vaccari-Bacchettoni à Rome, aujourd’hui conservé dans une collection privée : Reddé 1979, n° 31, fig. 3 ; Fähndrich 2005, n° 6, pl. 80. Cf bibliographie exhaustive dans http://arachne.uni-koeln.de/item/objekt/608905.
12 Ce mélange des matériaux est tout à fait envisageable, il est attesté localement à travers le programme scénographique du théâtre romain de Fréjus. Dans ce cas, les sculptures en grès ont été intégrées dans un édifice mêlant une décoration « conventionnelle » en marbre à des œuvres en grès élaborées sur place qui appartiennent au cycle décoratif traditionnel des théâtres.
13 Cf Gassend, Lemoine, Gébara 2010 : le monument supposé est appelé “le monument au Triton, M16”.
14 Rivet et al. 2000, 293-317 ; Gébara, Morhange 2010. D’après L. Rivet, “Cet élément de sculpture de même que le morceau de corniche découvert à la même occasion pourraient provenir d’un monument cultuel, non localisé et que rien ne permet d’associer aux “substructions” [...] car il pourrait tout aussi bien s’agir de blocs en cours de déplacement” (Rivet et al. 2000, 316). À l’extrémité de la jetée qui fait face aux Horts était aménagée une plate-forme ceinte d’une balustrade monumentale “sur laquelle se dressait très probablement un édifice destiné à signaler le nouvel accès au port” à la fin du Ier s. apr. J.-C. : Excoffon, Bonnet 2016, 349.
15 Le motif même d’un polygone à contours crantés rattaché à une queue crantée doit être précisé. Ainsi, on rappellera que de fréquentes représentations de dauphins (Avery 2009), en particulier sur des mosaïques et des sarcophages, sont pourvues d’écailles crantées dont le profil est voisin de celui de la stella crinita. Bien évidemment, dans ces cas, il faut y voir simplement la représentation graphique de la peau du mammifère.
16 Ce fragment en marbre blanc a été découvert à Aix-en-Provence, Z.A.C. Sextius Mirabeau, dans le noyau funéraire A de l’enclos 1. Il est conservé à la Direction Archéologie de la Ville d’Aix-en-Provence : CAG 13/4, 256*, fig. 467.
17 Cette œuvre en marbre jaune de Chemtou est conservée au Musée départemental Arles antique : Benoît 1953, 109 ; Sintès, Moutashar 1996, 48 ; Gros 2004, 90-95.
18 Ce chapiteau fragmentaire en marbre blanc, aujourd’hui au musée Saint-Pierre, provient de Vienne mais sans localisation précise : NEsp. I, Vienne (Isère), 2003 n° 430.
19 Hormis les dauphins sculptés en qualité d’attribut symbolique dont l’anatomie est conforme à la nature, en particulier sur les représentations de Vénus anadyomène comme les exemples locaux de Pourrières (CAG 83/2, 097, 27*, fig. 678) ou de Salon-de-Provence (CAG 13/1, 104, 21*).
20 Dans le répertoire des mosaïques, le motif du dauphin enroulé autour d’un trident est l’un des plus anciens. On connaît localement une mosaïque qui porte ce décor à la Gaillarde (Roquebrune-sur-Argens ; Lavagne 2000, n° 997, pl. CXXII) et qui pourrait appartenir à la villa maritime éponyme. Ce motif est connu à Délos et à Pompéi (Ibid, 361).
21 Voir la contribution de P. Excoffon dans le présent volume.
Auteur
-
Yvon Lemoine
Département du Var, Chercheur associé à Aix Marseille Univ, CNRS, CCJ, Aix-en-Provence, France
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