Simon Keay lors de la synthèse du colloque à Fréjus

1Le XII^e colloque historique de Fréjus s’est tenu du 16 au 17 novembre 2018 dans l’enceinte du théâtre intercommunal « le Forum » à Fréjus et a été organisé par la direction de l’Archéologie et du Patrimoine de la ville de Fréjus (DAPVF), en association avec le Centre Camille Jullian et la Société d’Histoire de Fréjus et sa Région (SHFR). Cette occasion nous a permis de réunir de nombreux chercheurs et spécialistes autour du sujet des ports romains de Méditerranée.

2Le contexte scientifique était particulièrement favorable à la thématique. En France, l’axe 13 de la programmation nationale du ministère de la Culture /CNRA de 2016 met l’accent sur l’importance de ce domaine dynamique croisant des approches historiques, archéologiques et paléo-environnementales. Les recherches sur les aménagements portuaires s’inscrivent au cœur de l’histoire des techniques et des interactions homme/milieu. Elles bénéficient d’une longue tradition de recherches en milieu humide et s’appuient fortement sur des équipes interdisciplinaires associant archéologues, historiens, géographes, géophysiciens et paléo-environnementalistes. Enfin, elles s’insèrent dans tout un réseau d’études internationales sur les ports méditerranéens.

3C’est dans ce cadre dynamique que furent préparés conjointement, de 2012 à 2014, deux colloques autour du même titre fédérateur « Les ports dans l’espace maritime antique », comme un ensemble rassemblant plusieurs problématiques autour des systèmes portuaires romains. Pour Fréjus, le thème retenu initialement était celui de l’architecture et topographie des ports, tandis que le colloque de Montpellier, porté par Corinne Sanchez et Marie-Pierre Jézégou, privilégiait l’approche géographique des systèmes portuaires fluvio-lagunaires. Pour des raisons indépendantes de notre volonté, seul le premier se tint effectivement en 2014 et fut publié en 20161.

4Les apports scientifiques de cette première manifestation ont été considérables, en particulier en ce qui concerne les ports de Narbonne qui étaient encore pratiquement inconnus du point de vue archéologique. Le PCR soutenu par la région Languedoc-Roussillon à partir de 2010 a permis d’élargir l’approche pluridisciplinaire et de mettre en place de nouveaux travaux de terrain. La belle publication de 2016 fait, en une dizaine d’articles, le point sur les découvertes du système portuaire, de l’entrée de la lagune jusqu’au port urbain, contribuant ainsi à éclairer l’histoire et l’évolution de l’un des plus importants ports de la Méditerranée antique. La seconde partie de cet ouvrage se veut une confrontation avec les données d’autres ports maritimes et fluvio-maritimes en Méditerranée occidentale. La troisième section propose plusieurs études géoarchéologiques mettant en évidence les contraintes liées au contexte hydrogéologique et les solutions trouvées pour y répondre.

5En France non méditerranéenne, les études sur les ports de l’arc atlantique, initiées par un colloque fondateur en 20082, ont été poursuivies en juin 2018 avec un nouveau colloque sur les ports romains en Atlantique et dans les eaux intérieures, dont les actes sont publiés dans une récente livraison de Gallia3. Il montre à son tour la dynamique d’une recherche s’exerçant en partie dans les zones soumises à des processus anthropiques ou naturels de destruction qui dégagent de nouveaux sites tout en les rendant vulnérables.

6Et l’on ne peut pas ne pas citer ici les autres projets de grande envergure, tel le Portuslimen Project financé par l’ERC et porté par Simon Keay et Pascal Arnaud, qui s’est achevé en 2019 par un grand colloque international. Outre les recherches menées à Portus même, il a fait l’objet de séminaires annuels qui ont vu se succéder les meilleurs spécialistes des études portuaires dans la Méditerranée romaine d’époque impériale. Après deux volumes fondamentaux sur Portus4, un troisième portant sur le système portuaire a été publié en 20205.

7Enfin, entre le colloque de Fréjus et l’édition de ces actes, a été lancé en 2020 un programme collectif de recherche consacré au « port romain de Fréjus » et portant, entre autres, sur la forme et la topographie du bassin, ses techniques de construction et son programme décoratif. Il est piloté par la direction de l’Archéologie et du Patrimoine de la ville de Fréjus et le Centre Camille Jullian (UMR 7299, Aix Marseille Univ, CNRS, Aix-en-Provence) dans le cadre d’une convention de partenariat et cofinancé par le ministère de la Culture (direction P. Excoffon, E. Botte, N. Carayon).

8C’est dans ce cadre fécond que s’est inscrit ce colloque. Les thèmes choisis pour la rencontre, repris dans ce volume, illustrent les choix initiaux ; ils abordent la question des techniques de construction des infrastructures portuaires, de leurs représentations mais également l’organisation topographique et fonctionnelle des ports, d’abord au travers d’exemples thématiques, puis par des études de cas entre Narbonnaise et Italie.

Les éléments structurels des ports antiques et leurs représentations

9Chris Brandon a accepté de donner un résumé en français des recherches du groupe ROMACONS (Roman Maritime Concrete Survey), publiées en 20146. Les nombreuses références à ce travail, que l’on trouve tout au long de ces actes, manifestent l’importance de cette question pour la compréhension des modes de construction et la mise en œuvre de ces techniques. C’est grâce à l’archéologie expérimentale pratiquée par le groupe ROMACONS qu’une partie des réponses a pu être donnée. Mais l’emploi de la pouzzolane n’a pas été le seul moyen utilisé pour fonder des quais et des ouvrages submergés. L’utilisation de navires qui ne sont plus aptes à naviguer se manifeste à mesure de l’avancée des recherches, comme le montrent Giulia Boetto et Irena Radić Rossi à partir de l’exemple de leurs fouilles en Dalmatie sur l’île de Pag. Ces recherches récentes ont également mis en évidence l’usage de caissons de bois remplis de pierres, une éloquente illustration de l’adaptation des Romains à l’utilisation des ressources locales.

10L’arrivée dans un port est toujours un des moments les plus difficiles pour les marins, qui doivent repérer les accès et éviter les écueils et autres secs qui se multiplient à l’approche de la côte. Les Anciens ont tenté de pallier les dangers en positionnant des amers et des phares sur les points remarquables de la côte. C’est ce que montre Jonatan Christiansen en examinant, dans une large perspective géographique et diachronique, les rares vestiges archéologiques de phares/tours à feu repérés sur les côtes méditerranéennes.

11Enfin, les agents des services portuaires, qu’il est difficile de saisir autrement que par les traces épigraphiques qu’ils ont laissées, sont examinés par Hélène Rougier qui confronte les données de plusieurs ports romains, Narbonne, Arles, Hispalis, Aquilée et Rome et ses ports, qui ont livré la plus vaste moisson de témoignages.

12L’iconographie portuaire est à son tour abordée par deux contributions richement illustrées. Xavier Lafon s’est intéressé à la représentation des ports, notamment sur les peintures et les mosaïques, et à leur rapport avec l’archéologie. Florian Grimaldi a consacré sa contribution à l’aspect monétaire de la même question. Tous deux mettent en évidence une extrême normalisation de cette iconographie, très codifiée et stéréotypée. Mais ces supports visuels constituent bien souvent l’unique référence comparative pour les archéologues, à l’image de la représentation portuaire de la villa San Marco à Stabies attribuée à Pouzzoles, comme l’illustrent plusieurs contributions de ce colloque.

Études de cas : Fréjus

13Si le lieu retenu pour ce colloque, tout comme le site le plus abondamment traité dans ces actes, est Fréjus, c’est que l’accumulation des opérations d’archéologie préventive menées ces quinze dernières années nous a incités à poser un premier bilan des travaux menés sur la ville. L’avancée de nos connaissances sur l’évolution de la morphologie littorale, alliant archéologie et géomorphologie, nous permet maintenant de replacer chaque opération archéologique par rapport à la position supposée du rivage et au bassin portuaire. Rappelons que l’incidence de l’évolution du littoral sur les aménagements portuaires (et inversement) de Forum Iulii avait été évoquée lors du précédent colloque de Montpellier.

14Depuis plusieurs années, les recherches archéologiques conduites à Fréjus, sont, à l’exception de celles menées sur la Butte Saint-Antoine, issues d’opérations préventives, c’est-à-dire qu’elles ont été réalisées au gré de différents projets d’aménagements urbains. C’est la direction de l’Archéologie et du Patrimoine de la ville de Fréjus, habilitée pour l’archéologie préventive, qui a mené l’essentiel de ces opérations.

15La contribution de Lucien Rivet fait état d’une fouille importante menée depuis 2009 sur le site de la Butte Saint-Antoine, dont la topographie évoque clairement son rôle central dans le fonctionnement du bassin portuaire. Trois phases d’occupation ont été mises en évidence et permettent, pour la première fois, de mettre clairement en lumière une occupation tardo-républicaine jusqu’à la construction, avant la fin du I^er s. av. J.-C., d’un vaste bâtiment d’un seul tenant, couvrant la plus grande partie de la surface du site et que l’auteur attribue à un prétoire dédié à l’administration du port, à sa gestion et à son contrôle.

16Pierre Excoffon présente les résultats d’une opération de sauvetage située à l’extrémité de la jetée dite méridionale du port romain. Tout comme la mise au jour en 1983 de façon fortuite d’éléments épars à l’extrémité du quai occidental, cette découverte a été l’occasion d’aborder la question de l’aménagement de l’accès au port, sa monumentalisation et son aspect pratique. L’aménagement de cette jetée intervient alors que le port est déjà en plein fonctionnement et paraît en lien direct avec l’évolution rapide du littoral. Une intervention réalisée suite à l’agrandissement d’une rue au contact du site de la Porte d’Orée a donné l’occasion à Sandrine Ardisson de rouvrir le dossier de cet ensemble thermal monumental édifié sur le bassin portuaire, en apportant un éclairage nouveau et des données inédites. Cette question du lien entre édifices balnéaires et milieu maritime est complétée également ici par une présentation des thermes littoraux du quartier de Villeneuve. Le thème des lieux d’économie et de stockage en milieu portuaire a été abordé à l’occasion d’une fouille préventive en 2014 à l’impasse Turcan et est présenté ici par Grégory Gaucher. Un bâtiment, interprété comme un entrepôt portuaire à dolia daté de la première moitié du I^er s. apr. J.-C., a été mis au jour au nord du bassin. Ce bâtiment est ensuite transformé dans le courant de la deuxième moitié du I^er siècle en boutiques implantées au débouché d’une porte de la ville donnant directement sur le bassin portuaire et interprétées comme des lieux de restauration. Enfin, Yvon Lemoine propose un inventaire des sculptures de représentations maritimes découvertes à Fréjus. Il en profite pour aborder en partie la question du programme décoratif du bassin portuaire, notamment en contextualisant la découverte de la sculpture de Triton au regard des découvertes récentes et de nombreuses comparaisons choisies dans le bassin méditerranéen.

Autres ports de Méditerranée en Narbonnaise et Italie

17Plusieurs communications concernent des sites également évoqués lors du colloque de 2014, notamment ceux de Narbonne, Fos ou encore Portus, mais ils sont ici envisagés sous un angle différent qui met moins l’accent sur les aspects paléo-environnementaux que sur les découvertes intervenues ces dernières années.

18La contribution de Xavier Corré sur Marseille fait le point sur l’organisation du port sur la longue durée. Sa riche synthèse inventorie l’ensemble des découvertes archéologiques relatives au port de Marseille, replacé dans la géographie antique aux différentes périodes de son évolution, de la fondation de la ville jusqu’à la fin de l’Antiquité.

19La reprise des travaux sur Fos, notamment grâce au PCR Fossae Marianae porté depuis 2016 par Souen Fontaine (DRASSM), a donné un nouveau souffle aux recherches sur ces aménagements. Avec Mourad El Amouri, Laurent Borel et Frédéric Marty, Souen Fontaine propose de comparer aux structures sur pilae, surtout connues en Italie centrale tyrrhénienne, un alignement de douze piliers découvert sur une centaine de mètres et d’envisager ainsi la restitution d’une jetée. Pour ce même site portuaire, la reprise de vieux dossiers comme celui des ‘navalia’ du Cavaou par Marie-Brigitte Carre et Kalliopi Baika, montre l’intérêt du réexamen des archives de fouille afin de porter un nouveau regard sur des bâtiments dont la fonction reste toutefois énigmatique en l’absence de nouvelles investigations de terrain.

20À Narbonne, les recherches récentes sont présentées par Corinne Sanchez et Guillaume Duperron. Il s’agit des sites de Saint-Martin à Gruissan, localisé à l’entrée de la lagune narbonnaise, et de Port-la-Nautique, situé en fond d’étang et proche de l’ancienne embouchure de l’Aude. Une réflexion autour de la fonction de ces sites au sein du système portuaire de Narbonne apporte des éléments primordiaux pour la compréhension du fonctionnement d’un port à l’époque romaine.

21Les ports maritimes de Rome sont évoqués dans trois contributions dont deux relatives à des fouilles récentes à Portus. L’étude d’Evelyne Bukowiecki et Milena Mimmo fait le point sur les structures, l’organisation et la chronologie des entrepôts de Trajan, sur le môle nord-sud et ses différentes extensions interprétées selon une logique fonctionnelle. Les fouilles menées en 2017-2018 sur le môle dît de la Lanterne sont présentées par Javier Bermejo Meléndez et son équipe. Les études archéologiques et paléo-environnementales apportent de précieuses informations sur les modes de construction de la jetée et sur sa dernière phase de fonctionnement au milieu du V ^e s. apr. J.-C. Les édifices de bains de la colonie portuaire d’Ostie sont présentés par Grégoire Poccardi, qui évoque leur implantation dans la ville et analyse également leur évolution au cours des siècles.

22Enfin, les découvertes de vestiges dans un état exceptionnel de conservation, réalisées à l’occasion de la construction du métro napolitain, ont permis de grandes avancées sur la connaissance du port antique de la ville. Daniela Giampaola et Vittoria Carsana proposent une synthèse depuis les premières traces de fréquentation au VIII^e s. av. J.-C. et présentent des données relatives aux périodes hellénistique et romaine, en particulier une rampe en blocs de tuf et des remarquables traces de curage pour la première époque.

23Nous ne voudrions pas clore cette présentation sans exprimer notre gratitude à toutes les personnes et institutions qui ont permis la réalisation du colloque de Fréjus et de ces actes. Le Comité scientifique commun aux deux colloques de Montpellier et Fréjus a réparti les interventions en fonction des thèmes retenus ; il était composé, outre les éditeurs du présent volume, de Pascal Arnaud, Xavier Lafon, Corinne Sanchez, Xavier Delestre, Henri Marchesi, Marie-Pierre Jézégou, Philippe Cantarel et Michel Pasqualini. Le comité d’organisation du colloque de Fréjus était constitué de Pierre Excoffon, Marie-Brigitte Carre, Daniel Hainaut, Jean-Christophe Sourisseau et Giulia Boetto.

24L’organisation du colloque et la prise en charge des intervenants ont été assurées principalement par la ville de Fréjus, que nous remercions ainsi que son Maire, David Rachline, pour avoir soutenu et encouragé cette manifestation, ainsi que le cofinancement de la publication de ces actes. C’est aussi la volonté de la municipalité de mettre en valeur ce patrimoine archéologique exceptionnel qui participe à l’envie de voir réaliser à Fréjus ce rassemblement de spécialistes de la problématique portuaire antique.

25Nous remercions l’équipe de la direction de l’Archéologie et du Patrimoine de la ville de Fréjus, qui s’est occupée, avec dévouement et talent, de l’organisation du colloque. Pascale Denis a assuré brillamment, comme toujours, le secrétariat du colloque et de la préparation des actes. La finalisation de plusieurs illustrations, plans et dessins, a été assurée par Joris Pâques et Grégory Gaucher.

26Merci aussi à Véronique Gémonet (CCJ) pour sa patience et son professionnalisme lors de la mise en page ; à Jean-Christophe Sourisseau, directeur du Centre Camille Jullian puis de l’Institut Arkaia et à Giulia Boetto, actuelle directrice du CCJ, institutions qui ont soutenu chaleureusement le colloque et la publication ; à l’équipe de la BiAMA, Sophie Bouffier et Emmanuel Botte, pour avoir accepté d’accueillir le volume dans la collection.

27La relecture a été réalisée par une partie du comité scientifique et en particulier par Xavier Lafon, auquel va toute notre gratitude. Colin Clement a assuré la révision des textes en anglais.

28Enfin, nous aimerions tant avoir encore la possibilité de remercier Simon Keay pour avoir accepté avec enthousiasme de participer à ce colloque, pour ses brillantes interventions, pour en avoir assuré la conclusion avec sa gentillesse, sa disponibilité, son intelligence habituelles. Bien que déjà malade, il nous a donné cette synthèse en guise de conclusion, qui met en évidence encore une fois, au-delà de son immense connaissance de la problématique portuaire antique, son engagement dans la recherche et son désir de partage. Simon nous a quittés le 7 avril 2021 alors que nous étions en train de corriger la première version de ce volume, nous laissant en état de sidération : ce livre lui est dédié et nous espérons qu’il en aurait été fier.