1Les textes antiques indiquent que des animaux étaient impliqués dans plusieurs actes religieux célébrés à différents moments des funérailles. Festus et Cicéron parlent du sacrifice d’une truie dont une part était donnée au mort, l’autre aux vivants et une troisième à Cérès afin de purifier la famille1. Également dans un but purificatoire, des offrandes, des munera de toute sorte, dont de la viande, étaient jetés ou déposés sur le bûcher. Ainsi, Enée sacrifia et brûla deux brebis de deux ans, deux porcs et deux taureaux lors des funérailles d’Anchise2. Régulus, d’après Pline le Jeune, fit quant à lui tuer autour du bûcher de son jeune fils ses animaux de compagnie (poney, chiens, oiseaux) en signe de douleur3. Le sacrifice d’animaux servait donc à purifier la famille, soulager la douleur mais également à apaiser les représentants du défunt, les Mânes. Pour cela, un repas, le silicernium, était partagé entre les vivants et le mort (Scheid 1984, 129-132). La part déposée dans la tombe était alors réservée aux Mânes et non aux défunts lui-même4. Ce repas pouvait être consommé au moment des funérailles ou lors de commémorations postérieures comme la fête des morts, les Parentalia. Il servait à apaiser les dieux Mânes mais il pouvait également être partagé pour honorer le tombeau et se souvenir du défunt comme le décrit si bien l’épitaphe versifiée africaine d’Aelia Secundala décédée à 75 ans à Satafis, en 2995. Une épitaphe néo-punique découverte à Uzappa indique qu’un agneau fut immolé sur la tombe de Ianuaria décédée à l’âge de 43 ans (Février 1965-1966, 223-226). Le terme employé ‘azram, appartient au vocabulaire sacrificiel punique révélant ainsi, qu’en pleine époque impériale, les pratiques sacrificielles puniques persistaient dans les milieux numides.

2Ces textes sont importants car ils permettent d’approcher le sens religieux de l’utilisation des animaux dans les rituels funéraires mais ils offrent peu d’informations sur les espèces et les morceaux choisis, leur traitement et leur place dans et autour de la tombe. D’ailleurs, même s’ils étaient plus explicites, il serait vain de rechercher l’illustration archéologique de ces textes écrits pour la plupart à Rome entre le i^er siècle av. J.-C. et le i^er siècle apr. J.-C. puisqu’une grande liberté était laissée aux familles quant au choix des victimes, des offrandes, des repas, qui dépendaient par ailleurs des contextes culturels, géographiques, sociaux et environnementaux des communautés (voir Lepetz 2012, fig. 1).

3On peut dès lors s’interroger sur les espèces et les morceaux choisis par les familles africaines romaines lors des cérémonies, chercher à savoir si des espèces étaient préférées à d’autres, tenter de déterminer à quelle étape des funérailles ces animaux étaient impliqués et dans quel but. Trois types de vestiges peuvent être sollicités : les animaux figurés sur les mensae, les ossements d’animaux6, le bestiaire en céramique découverts dans les nécropoles.

Les représentations animales sur les mensae monolithes

4Des animaux peuvent être peints ou sculptés sur les parois des mausolées et des hypogées ou sur les différents supports qui signalaient l’emplacement de la sépulture. Multiples et variés, parfois simples éléments décoratifs, ils ne peuvent être présentés dans cette étude. En revanche, les animaux figurés sur certaines tables en pierre disposées au pied des stèles interviennent, symboliquement certes, mais de manière certaine, dans les rituels funéraires. Ces mensae offrent une documentation particulièrement intéressante car les animaux ou les morceaux de viande déposés sur les tombes sont très rarement conservés du fait du caractère hypèthre de la tombe.

5Les mensae, maçonnées ou monolithes, sont présentes dans de nombreuses nécropoles africaines (fig. 1). Parmi la centaine de mensae en pierre recensées, des plats accueillent des animaux sur 27 d’entre elles. On les retrouve surtout dans les nécropoles de l’Aurès et ses environs mais quatre villes plus éloignées, Auzia, Rapidum, Zbara en Maurétanie césarienne et Henchir bou-Guerba en Afrique proconsulaire en livrent également. Les poissons sont les plus fréquemment représentés. Ils sont toujours entiers, donc non consommés, seuls7 ou par paire (fig. 2)8 et en trois exemplaires à Henchir bou-Guerba (Breil de Pontbriand 1902, pl. XLVII ; Gauckler 1903, 26-27). Sur cette dernière et sur une seconde d’Auzia, un oiseau non déplumé a été placé dans le même plat que celui des poissons (fig. 2). À Lambèse et Khenchela (Morizot 1997, 277), une volaille de type indéterminé apparaît seule dans un plat rectangulaire. Contrairement aux oiseaux, elle est déplumée avec la tête et les extrémités coupées. Enfin, des œufs, entre un et trois exemplaires, étaient également figurés dans des petites coupelles sur quatre mensae de Timgad et Tébessa. Ils sont entiers mais la représentation systématique de cuillères à cuilleron circulaire à leur côté indique qu’ils étaient symboliquement destinés à la consommation.

6Des poissons, des oiseaux et des œufs ont donc été représentés entiers sur ces mensae. La volaille est quant à elle déplumée avec les extrémités coupées. Une seule de ces mensae avec un poisson et deux œufs est encore associée à une stèle dont l’épitaphe précise le décès d’une jeune femme de 21 ans, Caecilia.

Fig. 1. Carte de répartition des nécropoles avec mensae et où des animaux y furent figurés (© S. de Larminat).

Fig. 2. Mensa découverte à Auzia avec deux poissons et un oiseau à huppe (peut-être une huppe fasciée ou un cochevis huppé) dans un plat (© Leclercq 1924, fig. 1152, p. 3220).

Des animaux dans les tombes

Offrandes carnées et restes d’animaux

7Les ossements découverts sur, autour ou dans les tombes proviennent pour partie des espèces recensées sur ces mensae. Au vu du nombre de sépultures fouillées depuis la fin du xix^e siècle, la documentation africaine est cependant peu abondante. En effet, pendant de nombreuses années, les os, humains et animaux, n’attiraient pas l’attention des chercheurs. Au mieux, la présence de faune était signalée mais l’espèce rarement identifiée, et de manière peu sûre. Si la documentation est rare pour les os déposés dans les inhumations, elle l’est encore plus pour ceux déposés dans les bûchers, l’étude des os brûlés n’ayant été réalisée que très rarement dans les nécropoles. Celle des tombes de la nécropole de Pupput offre donc des informations précieuses (Ben Abed et Griesheimer 2004).

8Généralement, les ossements sont mis au jour dans les niveaux de circulation, dans le comblement des fosses et auprès du défunt mais il est nécessaire de distinguer les ossements impliqués dans les pratiques rituelles, des ossements résiduels qui ne le sont pas.

Des restes en lien avec les pratiques funéraires

9Dans les sépultures primaires à inhumation, l’intentionnalité du dépôt est avérée lorsqu‘il est placé sur le corps ou à ses côtés avec ou non le reste du matériel. Il s’agit essentiellement de volaille (Gallus gallus) (Cassaigne 1910, 352 ; Gsell 1894, 380). À Pupput, elles étaient déposées aux pieds du défunt ou sur la partie supérieure du corps (fig. 3), même si dans de nombreux cas, il n’est pas sûr que l’oiseau ait été déposé entier9, alors qu’à Salakta, il est apparu au fond de certaines amphores prises dans la maçonnerie des tombes (Hannezo 1890-1891, 287). Un poisson non écaillé placé dans un plat en sigillée au sol d’un caveau de la nécropole occidentale de Tipasa (Lancel 1962-1965, 59), un volatile dans un petit tajine à Raqqada (Mahjoubi et al. 1970, 12), un quartier de viande, peut-être suspendu dans une petite cavité aménagée dans une tombe d’enfant de Cherchell (Leveau 1971-1974, 81), de la tête de porc (Sus domesticus) et des œufs à Pupput10 ont également été déposés intentionnellement auprès des défunts. Tous ces ossements ne présentent jamais de traces de brûlure. Ils étaient donc crus ou bien cuits selon un mode de cuisson qui n’endommageait pas la corticale (bouilli par exemple). Un cas particulier a été observé à Sétif : un gallinacé avec, contre son bec, un grand bronze du Haut-Empire a été déposé entier sous un amas de pierres, dans un angle de la fosse, au niveau de la tête du défunt (fig. 4 et 5). Mais cette dernière, ainsi qu’une grande partie de la cage thoracique n’ayant pas été retrouvées, R. Guéry, tout en s’étonnant de la bonne connexion anatomique du reste du corps, suppose que le corps a été placé dans la fosse après son décharnement partiel dans un autre endroit. Lors du dépôt secondaire du corps, l’animal aurait alors été sacrifié et placé à l’exact emplacement de la tête du défunt afin d’apaiser celui-ci et d’éviter qu’il soit malfaisant. Un autre séquençage peut toutefois être proposé pour expliquer ces différences de comblement et de liaisons anatomiques : le corps du défunt est déposé dans la tombe puis recouvert de terre. Il se décompose alors en espace colmaté et les connexions anatomiques de son squelette se conservent. Puis, le creusement d’une seconde fosse emporte une partie de la cage thoracique, les vertèbres cervicales et le bloc crânio-facial11. Dans le comblement de cette fosse mais non pas à l’emplacement exact de la tête comme l’indique l’auteur, un poulet est sacrifié ou donné en offrandes aux dieux Mânes afin de les apaiser puis cette seconde fosse est comblée par de grosses pierres.

Fig. 3. Tombe 2197 de la nécropole de Pupput : relevé du squelette et du mobilier dont une volaille déposée au niveau de l’avant-bras gauche (© S. de Larminat).

Fig. 4. Squelette et amas de grosses pierres à l’extrémité est de la fosse 72 de la nécropole orientale de Sétif (© Guéry 1985, fig. 90, p. 103).

Fig. 5. Restes osseux complets d’un gallinacé couché sur le côté droit, le cou tendu, le crâne à l’ouest avec contre le bec, un grand bronze du Haut-Empire sous l’amas de pierres de la tombe 72 (© Guéry 1987, fig. 3, p. 68).

10Pour ce qui concerne les sépultures primaires à crémation, des animaux ou morceaux d’animaux ont également été placés intentionnellement sur le bûcher et brûlés avec le corps du défunt. À Pupput où des déterminations ont été réalisées, de la volaille12 mais également des restes de caprinés13 (du mouton – Ovis aries et peut-être de la chèvre – Capra hircus) ainsi que du porc14 ont été relevés dans une petite douzaine de tombes. Généralement, une seule de ces espèces est présente. Les animaux ne sont jamais trouvés complets, dans la plupart des cas parce qu’ils ne l’étaient pas sur le bûcher mais dans d’autres cas, celui des poulets, parce qu’ils ont été en grande partie détruits par le feu. Quoi qu’il en soit, pour ces trois taxons, les os proviennent globalement des parties consommables de l’animal, même s’il n’est pas toujours commode de déterminer la valeur alimentaire des pièces de viande.

11Des morceaux ont donc été placés dans le bûcher mais de la volaille pouvait également être déposée sur le bûcher après la crémation, avec le reste du mobilier, donc sans être brûlée comme cela a été observé à Leptiminus, Sétif et peut-être Tipasa15.

12Dans les sépultures secondaires à crémation de Pupput, aucun ossement d’animaux n’était mélangé aux restes humains. En revanche, un œuf entier a été placé dans une urne, au-dessus des os d’un grand adolescent-adulte. Des restes de gallinacés ont été relevés par Poinssot et Lantier sur les banquettes d’un hypogée de Gightis qui accueillait également douze urnes (Poinssot et Lantier 1924, CXXXVI). Ils n’étaient probablement pas brûlés mais on ne sait pas si, comme sur les mensae, la tête et les pattes étaient coupées.

13L’étude des crémations de la nécropole de Pupput a également mis en évidence trois fosses contenant uniquement des os brûlés d’animaux. Dans la première, il s’agit surtout de porc, puis du coq et un peu de capriné16. Alors que dans les tombes, la tête est souvent présente, ici, le porc se caractérise par sa grande rareté (un seul fragment) et par la présence importante d’éléments de pieds, parfois de quelques millimètres seulement. De même, il a seulement été retrouvé de très petits os de coq, des phalanges distales, qui ont tendance à disparaître lors de la préparation culinaire de pièces de viande ou de leur consommation. Il semble donc que les morceaux mis au jour dans cette fosse ne soient pas des restes de repas mais des pièces de viande brûlées fraîches. Dans la seconde fosse, il s’agit également de porc puis du coq avec cette fois-ci pour le porc, les membres et les côtes17. Cela ressemble plutôt à des pièces de viande consommable bien qu’il soit impossible de déterminer si les morceaux ont été mangés avant d’avoir été brûlés et s’il s’agit donc de restes de repas. La troisième fosse est un puits au fond duquel des cendres mélangées essentiellement à des os de coq ont été découvertes18. Tous ces os ont pu être brûlés sur les mensae maçonnées des tombes situées à proximité de ces fosses qui conservent encore la trace de foyer réalisés à leur surface.

14Ainsi, d’après les ossements dont l’intentionnalité du dépôt est avérée, de la volaille, des œufs et du poisson ont bien été manipulés lors des rites pratiqués autour du corps des défunts mais également du porc et des caprinés. D’autres os, découverts dans le comblement des fosses sépulcrales et dans les niveaux de circulation posent d’autres questions et notamment celle de leur lien avec les pratiques funéraires.

Des animaux dont il faut se méfier

15Les publications des nécropoles de Tipasa fournissent des précisions sur les ossements d’animaux découverts dans les niveaux de circulation (Burke 2001, 451-452). S. Lancel signale la présence, dans les terres environnant les tombes du ii^e siècle apr. J.-C. de la nécropole de la Porte de Césarée, des « sabots de cheval », des astragales de bœuf, des défenses de suidé, des cornes de bœuf et d’un grand nombre de têtes d’articulations sciées de bovidés et d’équidés mélangées à de nombreux coquillages (Lancel 1970, 166). Il suppose alors que ces ossements étaient initialement déposés sur le soubassement des caissons ou sur les mensae. Cette hypothèse semble toutefois sujette à caution car les bouchers utilisaient le couperet et non la scie qui était, à cette époque, un outil réservé aux artisans de l’os. Les éléments sciés ont donc dû être rejetés après la récupération de la diaphyse et les astragales et les phalanges devaient sans doute elles aussi être des rejets sans lien avec les tombes19. Il faut donc probablement rattacher également à des déchets l’incisive de cheval, le fragment de coxal de gros bétail et les nombreuses articulations sciées découvertes dans la nécropole orientale datée du i^er siècle apr. J.-C. (Baradez 1969, 110). Dans la nécropole de Pupput, les os découverts dans les niveaux de circulation proviennent également essentiellement de vertèbres, d’os longs et de bas de pattes (métapodes et phalanges) de gros bétail (tel que cheval, bœuf, dromadaire). Les os sont souvent très érodés et certains présentent eux aussi des traces de scies. Ces observations, associées au fait que ces espèces appartenant à la catégorie du gros bétail n’ont actuellement pas été recensées dans les tombes et sur les mensae, permettent de supposer que ces os ne sont pas des vestiges de repas ou de sacrifices mais des os erratiques, des déchets. On peut l’expliquer : les nécropoles sont certes composées d’espaces fermés, des enclos peu accessibles, mais aussi d’espaces ouverts où les hommes et les animaux circulaient, et notamment les chiens, y laissant leurs déchets, leurs restes de repas et où ils pouvaient mourir. L’empreinte d’un chien laissé dans l’enduit encore frais d’un caisson (fig. 6) ou encore la charogne d’un second découvert entre deux tombes l’illustrent (fig. 7). À Pupput et Tipasa, des ossements de gros bétail qui présentent les mêmes caractéristiques (érosion, découpe à la scie) ont également été retrouvés dans les comblements des fosses à inhumation ou dans les tumulus de terre qui recouvraient les restes des bûchers20. Ils proviennent donc certainement des niveaux de circulation et ne participent pas aux rituels funéraires.

Fig. 6. Empreinte d’un chien dans l’enduit encore frais du caisson de la tombe 691 de la nécropole de Pupput (© Fouilles Pupput, M. Griesheimer).

Fig. 7. Restes squelettiques d’une charogne de chien découverts dans un niveau de circulation de la nécropole de Pupput (© Fouilles Pupput, M. Griesheimer).

16Dans la tombe dite « du sacrificateur » de Tipasa datée entre 70 et 82 apr. J.-C., un tibia de coq avait été placé avec le reste du matériel sur le sol de la chambre funéraire et des restes d’animaux ont été également découverts dans les cinq niches creusées dans les parois (Baradez 1957, 223, 231, 256-257, 265-266). Pour J. Baradez, ces os relevaient de plusieurs fonctions issues des pratiques rituelles libyco-puniques : vestiges de sacrifices pour le chien, les oiseaux, la volaille, le mouton et le bœuf ; mobilier appartenant au défunt et en lien avec sa profession pour les dents, les ergots de coq, l’astragale poli et les os sciés. Au premier abord, la présence des pièces osseuses animales semblait fortuite mais leur forte densité dans les niches a fait supposer à l’auteur qu’elles avaient été en réalité déposées intentionnellement. On doit s’interroger cependant sur leur lien avec la tombe. On peut en effet s’étonner de la diversité des espèces et des pièces anatomiques représentées, puisqu’une telle variété ne se rencontre jamais (ou seulement là). En outre, la présence d’épiphyses d’os longs de grands mammifères sciés correspond dans ce cas à des vestiges en lien avec une activité artisanale du travail de l’os. Le caractère atypique de l’ensemble doit donc nous amener à être prudent avec ces vestiges et à ne pas forcément les considérer comme liés à la tombe.

17Trois sépultures de Pupput ont elles aussi livré des vestiges posant question. Dans la première, les restes d’un arrière-train de mouton (membres postérieurs et partie postérieure du dos) étaient disséminés dans le comblement de la fosse, sans connexion et largement au-dessus du corps humain (fig. 8). Étant donné que des morceaux de mouton sont parfois trouvés dans les tombes de cette cité, l’intentionnalité de ce dépôt est à discuter. Aucune trace de découpe qui aurait pu expliquer la mise en pièce n’a cependant été relevée. En revanche, les os étaient très érodés et des traces de dent de petit carnivore ont été remarquées sur les processus épineux, les apophyses transverses et les ailes iliaques. L’animal a donc été charogné et les os désolidarisés avant leur enfouissement, ce qui permet d’écarter l’hypothèse d’un dépôt volontaire et privilégier celle d’une présence fortuite liée au comblement de la cavité. Cette même interrogation se pose aussi pour deux autres inhumations : dans la première, une tombe d’un enfant d’environ sept ans, deux éléments d’ailes d’un oiseau sauvage juvénile de petite taille ont été découverts21. Il est vrai que les oiseaux sont représentés sur deux mensae (fig. 2) et ils apparaissent régulièrement dans l’iconographie funéraire des enfants22. Ils étaient également souvent déposés dans les tombes puniques et libyques23 et leurs restes brûlés apparaissent dans 14 urnes du sanctuaire dédié à Saturne d’Henchir el-Hami (Bédoui et Oueslati 2007, 453-454). Dans ces urnes, il s’agit essentiellement d’ailes brûlées de petits passériformes associés à des enfants de moins de six mois lunaires. La présence d’un cochevis huppé, espèce peut-être représentée sur la mensa d’Auzia, est d’ailleurs attestée dans une des urnes.

Fig. 8. Restes d’un arrière-train de mouton disséminés dans le comblement de la fosse de la tombe 232 de la nécropole de Pupput (© Fouilles Pupput, M. Griesheimer).

18L’autre cas qui pose question est une tombe d’adulte, ayant livré les restes de trois crapauds sous la bâtière qui protégeait le défunt24. La découverte d’amphibiens dans des sépultures est un phénomène habituel mais qui a été peu décrit. Leur présence peut la plupart du temps être expliquée par leur piégeage dans la fosse ou les tubes à libation25. Le cas de la tombe 2196 est un peu différent : puisque la tombe est creusée à plus d’un mètre, les animaux ne se sont pas enfouis si profondément, et s’il y avait un conduit à libation en matière périssable, il ne pouvait déboucher sous la bâtière en raison de la présence d’une maçonnerie qui la recouvrait. Il faudrait donc convenir que la construction et le comblement de la tombe sont intervenus sans que les crapauds qui auraient pu y tomber aient été préalablement enlevés, ce qui est somme toute possible. L’autre éventualité, celui d’un dépôt intentionnel, doit être envisagée. La découverte d’une statuette d’anoure (qui ressemble à un crapaud) de taille réelle déposée dans une tombe d’enfant de Sousse du ii^e siècle apr. J.-C. montre que cet animal peut également faire partie du bestiaire intervenant dans les pratiques funéraires (Gœtschy 1902, 414 ; Besques 1992, 161, pl. 100d), mais il faut reconnaître qu’en l’absence d’autres cas avérés, le dépôt de crapaud en chair dans la tombe n’est sans doute pas l’hypothèse qui doit être retenue en priorité.

19Ces exemples illustrent cependant la nécessité de prendre en compte l’ensemble des ossements animaux présents dans la tombe, de noter l’emplacement de leur découverte et de ne pas se contenter de déterminations approximatives.

Les représentations animales en terre cuite

20De nombreuses figurines en terre cuite ont été retrouvées dans les nécropoles d’Afrique Proconsulaire (Larminat 2015). Il s’agit essentiellement de personnages mythologiques ou humains parfois mis en scène avec des animaux. Les animaux seuls sont plutôt rares avec 16 exemplaires, soit 3 % du corpus. Il s’agit tout d’abord de trois fauves (et peut-être d’un quatrième ?)26. Comme les fauves apparaissent également dans des scènes de gladiatures, de chasse ou de thiase bacchique, ils doivent probablement être plutôt liés à cette imagerie. Les autres animaux sont représentés par six exemplaires de bovidés (cinq taureaux et un veau) déposés dans des sépultures de Pupput et d’Hadrumetum27. Certains exemplaires d’Hadrumetum présentent, soit peinte, soit modelée, la dorsuale, la ceinture que portaient les animaux destinés à être sacrifiés (voir par exemple Charbonneaux 1963, 133) (fig. 9). Les autres animaux présents sous forme de figurines sont des coqs28 (fig. 10) et un porc en argile non cuite déposé dans un bol (Merlin 1912, p. CCIII). La figuration de la dorsuale sur le taureau mais également la présence d’ossements de volaille et de porc dans les tombes permet d’envisager que ces animaux en terre cuite avaient une fonction similaire, et à peu de frais, à ceux déposés dans les tombes. La dernière statuette recensée est celle d’un chien couché déposée auprès d’un enfant à Sousse (Gœtschy 1903, 174). Plusieurs textes antiques ou épitaphes font apparaître cet animal comme un véritable compagnon29, partie intégrante de la famille, pouvant être inhumé dans les nécropoles des humains, comme ce vieux mâle découvert dans une fosse, à l’intérieur d’un enclos familial de Pupput (Lepetz 2008, fig. 90).

Fig. 9. Dessin d’une figurine de taureau portant une dorsuale découverte dans une tombe d’enfant de l’hypogée 9 à Hadrumetum (© La Blanchère et Gauckler 1897, n° 99, pl. XXXII).

Fig. 10. Exemple de figurine de coq (© cliché S. de Larminat, Musée archéologique de Salakta).

21Un seul autre spécimen inhumé dans une fosse individuelle au sein d’une nécropole a été publié : un agneau dans la nécropole orientale de Sétif dont l’ensevelissement date du début du ii^e siècle apr. J.-C. (Guéry 1985, 114, 128 ; 1987, 69, 74). La bête, couchée sur le côté gauche, la tête à l’est, était associée à du matériel : devant le museau, deux longues épingles en os dont peut-être une cuiller à fard et à proximité de l’angle nord-est, un petit miroir de bronze circulaire. Pour R. Guéry, cette tombe doit être rapprochée des sacrifices de substitution d’un agneau contre un nouveau-né connu par les textes de N’Gaous : l’agneau aurait donc été sacrifié après l’accomplissement d’un vœu consécutif à une guérison (Guéry 1985, 129). Il est toutefois étonnant que ce sacrifice ait eu lieu dans la nécropole et qu’il soit accompagné de mobilier encore jamais recensé dans des tombes d’enfants (Larminat 2012).

Conclusion

22En dépit de la rareté des informations issues de la fouille des tombes païennes d’Afrique proconsulaire, de Numidie et de Maurétanie césarienne, il est possible, à travers une relecture des données anciennes et l’apport d’informations nouvelles, de dresser un premier bilan concernant la place des animaux ou de leur représentation dans les nécropoles et de contribuer ainsi à mieux cerner leur rôle.

23Des poissons entiers, de la volaille déplumée et aux extrémités coupées, des oiseaux et des œufs pouvaient être figurés sur les mensae. La vaisselle, également présente, suggère qu’il s’agit de représentation de repas bien qu’il soit difficile de préciser s’il s’agit de repas mis en scène uniquement en l’honneur du défunt ou s’il était également partagé avec les Mânes. Il faut remarquer que les représentations ne concernent pas de pièces de viande de mouton ou de porc. Le répertoire est limité à des petits animaux que l’on peut représenter entiers et qui demeurent donc très reconnaissables. Cela n’empêche en revanche pas de brûler des morceaux de mammifères domestiques sur les mensae à Pupput, en compagnie de volaille. Dans cette nécropole, ces tables sont toujours situées dans le prolongement de la tête du défunt. Si les morceaux n’étaient pas consommés, il devait s’agir de pièces de viandes offertes aux Mânes lors de commémorations.

24Ces trois dernières espèces sont également déposées ou jetées dans le bûcher lors de la crémation. Il peut s’agir d’un partage entre les vivants et les Mânes.

25Après la crémation, de la volaille et des œufs pouvaient être placés sur le bûcher éteint, sur les os ou à leur côté, après leur récolte, autre geste avant la fermeture de la tombe. Le défunt était alors installé dans sa nouvelle demeure.

26Auprès des corps inhumés, la volaille est aussi l’espèce la plus fréquente mais on retrouve également des os ou des figurines de poisson, de porc, de bœuf et des œufs. Il est possible de proposer les mêmes hypothèses que pour les crémations avec la nécessité de remarquer cependant que la ceinture dorsuale est représentée sur les statuettes, pouvant introduire une notion de sacrifice à moindre coût. Si les oiseaux (sans parler des amphibiens) ont bien été déposés intentionnellement, ils participent peut-être à d’autres rites d’origine libyco-puniques. Le chien, animal de compagnie et de jeux pour les enfants, peut accompagner le défunt et le protéger dans sa tombe. En tant que membre de la famille, ce dernier peut également être inhumé dans l’enclos familial mais sa présence dans la nécropole de Pupput est plutôt attestée sous forme de charognes ou d’animaux errants. Les restes de gros bétail découverts en contexte funéraire ne semblent également pas des vestiges des rites réalisés autour de la tombe mais des déchets. Enfin, l’agneau de Sétif a été inhumé dans une fosse à part, peut-être dans le cadre d’un sacrifice de substitution bien qu’il soit étonnant qu’il soit associé à des objets de toilette féminine.

27Les espèces utilisées dans le cadre des actes religieux réalisés autour de la tombe sont donc finalement peu nombreuses. La volaille est l’espèce la plus fréquente, sans doute en partie parce qu’il s’agit d’une victime peu chère et donc adaptée par sa taille aux sacrifices familiaux mais peut-être aussi parce qu’étant déposée souvent complète, les os sont plus facilement isolés par les fouilleurs que les éléments fragmentaires et déconnectés tels les morceaux de porc ou de mouton. L’image est donc celle de dépôts assez semblables à ce que l’on rencontre de l’autre côté de la Méditerranée, en Italie ou dans les autres provinces.

28Les mêmes espèces sont utilisées à différents moments des funérailles (lors du dépôt du corps dans la fosse ou sur le bûcher, lors de la fermeture de la tombe mais également lors des cérémonies commémoratives). Quand les pièces de viande sont placées directement auprès du défunt, leur rôle d’offrandes aux Mânes semble sûr mais il est en revanche difficile de déterminer si une partie de l’animal a par ailleurs été consommée lors d’un repas.

29Ce bilan est issu de données peu nombreuses et incomplètes car il faudrait également prendre en compte les représentations de banquets funéraires ; surtout, il appelle à être complété à l’avenir par la fouille d’autres ensembles intégrant le relevé systématique des ossements d’animaux dans les tombes, permettant de mieux apprécier la variété des pratiques en fonction des familles des nécropoles et des régions et d’en analyser les évolutions.

30Il faut pour finir signaler, et ce n’est pas un détail, que dans la nécropole de Pupput où l’ensemble des vestiges fauniques a été relevé puis étudié, très peu de tombes en ont finalement livré : seules 32 sépultures individuelles sur les 1338 fouillées, soit seulement 2 % des tombes. Même s’il est difficile d’évaluer dans quelle mesure les gestes consistent aussi à déposer des pièces de viande désossées, et qui passent alors inaperçus, on doit considérer que la règle consiste donc plutôt à limiter l’offrande carnée.