Thème du bélier orné : un cas d’anthropologie socio-culturelle1

1La gravure du bélier orné de l’Atlas saharien occidental et central de l’Algérie n’occupant toujours pas dans les publications l’éminente place qui devrait lui revenir, cette étude lui est consacrée. Suivre sur ce territoire des voies classiques de recherche en archéologie préhistorique se heurtant à des faits absents, ténus, ou de portée limitée, n’a pas permis de faire émerger la sémantique de cette œuvre. Au centre d’un art rupestre original qui installe ce bélier sur toutes les parois gravées parmi bien d’autres espèces sauvages, l’isolement caractérise cette espèce. D’autre part, dans le domaine de la caractérisation du néolithique atlasique (lato sensu), les contextes matériels ayant tous été (par hypothèse non contestée) rattachés au faciès du Néolithique de tradition capsienne (Vaufrey 1939), cette hypothèse piège et tient captive cette néolithisation. Après ce rappel s’ajoute encore l’absence de restes osseux d’animaux domestiques. Aucun argument nouveau n’est venu modifier cet état des connaissances et moins encore proposer un projet économique. Cette gravure si spéciale s’est trouvée marginalisée et comme réduite à évoquer la sphère symbolique. Mais comment ?

2En adoptant désormais une problématique d’anthropologie socio-culturelle donnant au thème du bélier orné le rôle moteur d’un développement économique qu’il devait incarner, il me semble qu’on peut voir s’ouvrir autrement l’avenir des sociétés holocènes atlasiques. En insérant notamment cette docile faune domestique, implicitement masquée par la symbolique qu’en renvoie cette gravure, dans la diversité et le renouvellement des biotopes récemment mis en évidence dans cette région et en contexte faunique gravé très varié.

3Si, sur le territoire septentrional nord-africain s’est répandu un élevage autarcique suivi d’un pastoralisme néolithique initial (PNI) fondés sur des documents ostéologiques d’animaux domestiques (VIII^e-IV^e millénaires cal BP ; Roubet et Ouchaou 2015 ; Aouadi et Dridi 2015), en Algérie, dans les régions centrale et occidentale de l’Atlas saharien on doit à la seule visibilité de la gravure du bélier orné d’en représenter l’existence. La diffusion géographique de cette gravure aurait-t-elle fait de ce territoire une terre de bergers ? Pourrait-elle affirmer le statut social de ces individus (lato sensu Roubet 2003) ? Cette thèse sera démontrée plus loin.

4Dans l’Atlas saharien occidental et central de l’Algérie, 86 gravures de béliers ornés sont recensées d’après la bibliographie (Flamand 1921 ; Vaufrey 1939 ; Lefebvre 1975 ; Lhote 1970 ; Lhote et de Villaret 1984 ; Cominardi 1979 ; Hachid 1981-1982, 1982-1983 et 1992 ; Camps 1991 ; Soleilhavoup 1997 et 2003 ; Aïn Seba 2007), bien qu’on estime à une centaine leur nombre (fig. 1) (information aimablement transmise en 2012 par M. Hachid, que je remercie). À proximité des gravures existaient des témoins de campements (Flamand 1921 ; Vaufrey 1939). Des sondages prometteurs, mitoyens des surfaces gravées (Grébénart 1969, 1970, 1971 et 1976), autorisaient des connections avec ce potentiel pariétal, mais après le principe que Vaufrey imposa, aucun chercheur ne s’y risqua. C’est ce frein dogmatique que j’ai décidé de lever en m’appuyant sur des considérations de cohérence comportementale entre toutes les gravures du thème pastoral atlasique et malgré le maintien ambigu de traditions culturelles sur lesquelles vint se greffer le pastoralisme (Roubet 2012a ; Roubet et Amara 2016).

5Dans l’Atlas tellien central, quatre gravures de béliers ornés sont connues sur les piémonts sud de Tiaret, privés d’occupations directes (Bayle des Hermens 1956 ; Cadenat 1952-1955) ; ce thème n’a trouvé qu’un faible écho (F.-E. Roubet 1972) malgré la proximité de la grande station multimillénaire de Columnata.

6En l’absence de restes osseux de béliers conservés dans les campements l’interprétation et la fonction de cette gravure sont restées incomprises. Cette gravure représentait-elle un animal sauvage ou domestique ? sans troupeau ?

Considérations sémantiques sur l’évolution de la forme graphique

7On est loin d’avoir entrevu la richesse sémantique de cette gravure complexe de l’Atlas et l’indirect attachement des hommes à ce premier bétail protégé. Or si l’ornementation que présente ce bélier laissait entrevoir un culte médiateur, exprimé pour communiquer avec d’autres puissances, cette hypothèse après d’autres (Camps 1991) ne concernait que certains ovins seulement. Elle ne valorisait alors que l’animal porteur d’attributs choisis mais indéfinis, quoique créés et disposés sur un individu également choisi et sur la présence ou non d’un personnage à ses côtés, l’ensemble bénéficiant d’une maîtrise dans la mise en scène et le traitement graphique. Et toutes les autres représentations d’ovins, qu’en faisait-on ? Si intéressante que soit cette perception symbolique, elle reste vraisemblable, mais sélective, et par ailleurs, sans lien suggéré au sol et/ou sur les parois avec une cérémonie ni une dynamique économique favorisant la néolithisation.

8Lorsqu’à l’examen des silhouettes de béliers gravés et des attributs ajoutés ou absents, le graphisme général de certaines gravures apparut à notre regard, comme simplifié, gauche, peu équilibré (anatomie, proportions, positions), est survenue l’idée d’un traitement expédient, d’une présence non domestique, faisant douter des capacités et de l’intention de l’artiste. Dans les publications anciennes, derrière les formulations dubitatives utilisées, s’est exprimée comme une dépréciation de ce type de graphie simplifiée affectant l’œuvre entière et portant tort au message incarné, resté encore plus incompris. C’est pourquoi je pense désormais que, même en soulignant l’évidente réduction graphique faisant perdre une certaine expressivité, on parvient à admettre la présence d’artistes nombreux, certains moins talentueux que d’autres. Et à comprendre aussi que tous ces artistes ont témoigné à leur manière de la conservation et de la transmission d’une signification spéciale et unique, d’une cohérence sémantique, économique et idéologique. Cette option rendit alors possible une autre lecture de cette gravure.

9L’objectif de cette approche est de soutenir que toutes les gravures de béliers ornés ou non maintiennent intacte et très fortement traduite la même sémantique à jamais conservée dans la plus dépouillée des représentations. Comment le préciser ? L’implicite intention de tout artiste, recherchée en nous appuyant ici sur une analyse anthropologique, ne fut-elle pas 1) de reproduire et transmettre, depuis l’endroit choisi par l’artiste, le même message que d’autres individus exprimèrent ailleurs avec détails et habileté ? 2) de faire connaitre l’adhésion de toute communauté possédant un bélier au groupe de pasteurs, en voie de constitution, de donner un signe (graphique) d’une cohésion sociale, à distance, pour vivre à l’unisson, les uns avec les autres ? 3) de signaler aux « individus non pasteurs » l’occupation de ces terres alentour par des bergers ? Toute gravure de bélier orné ne porte-t-elle pas ainsi et en même temps une fonction de territorialité (Roubet in EB, à paraître) et de communication ?

Perception géographique et climatique de la diffusion de la gravure du bélier orné

10Parmi tant d’autres espèces animalières gravées en plein air, le bélier orné n’a échappé au regard de personne depuis 1899 (Roubet 2012a ; 2012b). Tous les travaux cités ci-dessus ont nourri cette analyse qui débuta pour moi par la reconnaissance des lieux, guidée par F.-E. Roubet dès 1959, à qui s’adresse l’hommage de ma profonde gratitude.

11Dans l’Atlas saharien, sur un total de 53 stations, on dénombre 22 stations à bélier orné dans les Ouled Naïl (41 cas) ; 5 stations dans le Djebel Amour (8 cas) ; 26 stations dans les Ksour (37 cas). Sur un bilan de 92 béliers ornés, 65 portent l’attribut majeur, un sphéroïde, agrémenté ou non de feuilles ou de plumes. Les scènes de référence composées d’un personnage et d’un bélier (tableau 1, fig. 1-5) se trouvent à Dayet Es Stel, Safiet Bou Rhenan, Hadjra Errebeg, Aïn Naga, El Hasbaia, Feidjet el Kheil, El Harara, El Ghicha, Bou Alem, Majouba, Kef Mektouba, Lahsi, Kheloua Sidi Cheikh, Daiet Mouchgueug, Rosfat el Hamra Men et That, Oued Dermel, Moghrar Tahtania, El Hadj Mimoun, Zénaga. D’autres attributs moins fréquents sont aussi remarquables comme le port d’un collier, l’aspect du pelage, le poli du corps, partiel ou total (tableau 1, fig. 1).

Fig. 1. Atlas saharien de l’Algérie. Des Monts des Ksour, au Sud-Ouest, aux Monts des Ouled Naïl, au Nord-Est (IGN 1960, Algérie 1965, feuille Oran NI-30/31 - 1 :1 000 000).

Fig. 2. Attributs céphaliques des béliers gravés de quelques stations rupestres de l’Algérie. Atlas tellien central : Monts de Tiaret, n° 6 : Dehar Bel Haadi (Cadenat 1955). Atlas saharien occidental : Djebel Amour, n° 13 : Feidjet el Kheil (Vaufrey 1939) ; n° 8 : El Ghicha (Flamand 1921). Monts des Ksour, n° 1-2 : Bou Alem (Flamand 1921) ; n° 3-4 : Bou Alem (Vaufrey 1939) ; n° 5 : Kef Mektouba (Vaufrey 1939) ; n° 7 : Rosfat el Hamra Men et That (Vaufrey 1939) ; n° 9 : Zénaga (Vaufrey 1939) ; n° 10 : Daiet Mouchegueug (Vaufrey 1939) ; n° 11 : El Krima (Frobénius et Obermaier 1925) ; n° 12 : Moghrar Tahtania (Lhote 1970) ; n° 14 et 17 : Feidj Naam (Lhote 1970) ; n° 15 : Tazina (Lhote 1970) ; n° 16 : Koudiat Abd el Hak (Lhote 1970) ; n° 18 : Hadjar Berrik (Lhote 1970).

Fig. 3. Gravures de béliers ornés de l’Atlas saharien. Monts des Ouled Naïl, n° 1 : Zénina (Lethielleux 1965) ; n° 2 : Aïn Naga (Soleilhavoup 2003) ; n° 5 : Safiet Bou Rhenan (Soleilhavoup 2003). Monts des Ksour, n° 4 : Zénaga (Vaufrey 1939). Atlas tellien central, Monts de Tiaret, n° 3 : Dehar Bel Haadi (Cadenat 1955).

Fig. 4. Gravures de béliers ornés associés à des pasteurs des Monts des Ksour : Gouiret Bent Selloul, personnage masculin vu de face, portant des vêtements, coiffé d’un bonnet d’où sortent des éléments radiants, qui tient un objet coudé dans la main droite. Tourné vers lui et comme placé sous sa protection, un bélier à tête ornée et à collier est mis à l’écart d’une faune de grands bovins (Cominardi 1979).

Fig. 5. Béliers ornés et gravés de l’Atlas Saharien. Djebel Amour : station de Feidjet el Kheil (Vaufrey 1939, pl. XLVII).

Tableau 1. Localisation du bélier orné dans l’Atlas saharien et dans l’Atlas tellien central, Monts de Tiaret (d’après Lhote 1970 ; Roubet et Amara 2016).

12Dans l’Atlas tellien central, trois stations proches de Tiaret, Dehar Bel Haadi, Kef Bou Beker et Oued Seffalou portent six gravures d’un bélier sans personnage ; quatre signalent un sphéroïde, une le collier (Dehar Bel Haadi). Ce sont les plus septentrionales connues (tableau 1, fig. 1). Rapprocher Dehar Bel Haadi de Zénina (versant nord des Ouled Naïl) souligne plus qu’une proximité géographique, l’importance du réseau hydrographique actif des Oueds Touil-Nahr Ouassel, et le lien de ces régions voisines avec le message pastoral fondateur, transmis avec des caractéristiques stylistiques schématiques.

13Cette étude prend en compte dans 56 stations, 92 béliers dont 65 portent un sphéroïde et 43 un collier, 26 personnages (dont un bébé) les accompagnent. À quand peut-on faire remonter une aussi grande fréquentation animale et humaine du territoire ? Quelles données chrono-climatiques et environnementales peuvent l’avoir assurée ?

14Des travaux paléo-climatiques concernant les marges de l’Erg oriental (Fontes et al. 1985 ; Gasse et al. 1987) et de l’Erg occidental (Callot et Fontugne 2008) s’accordent pour rattacher à l’Optimum climatique humide de l’Holocène ancien-moyen les nombreux témoins lacustres. Au pied de l’Atlas Saharien, dans le Mechfar occidental, des dépôts datés entre 9000-5000 cal BP (voir note 1) signalent la présence « de nombreux paléolacs holocènes… découverts le long d’un transect NNE-SSW de 120 km dans la partie NE du Grand Erg occidental ». Deux paléo-nappes ont été reconnues « celle de la hamada, salée, venue du nord, a été surmontée au sud par la nappe d’eau douce de l’Erg, constituée lors du maximum de la période humide holocène, par l’infiltration des précipitations locales dans les grandes dunes massives. Les paléolacs du centre de l’Erg, datés entre 9500 et 7300 cal BP [voir note 1] indiquent le maximum de cette période humide, alors que les sites périphériques se maintiennent jusque vers 5200 cal BP » (Callot et Fontugne 2008, 187). « La nappe inférieure… située dans le substratum continental détritique de l’erg, affleurait dans des dépressions hydroéoliennes creusées dans ce substratum… la nappe supérieure… contenait uniquement de l’eau douce moins dense, empêchant le mélange des eaux » (Callot et Fontugne 2008, 189).

15Ainsi, après les épisodes arides de la fin du Pléistocène (El Haouita dans Estorges et al. 1969) s’installent des conditions de précipitations et d’humidité favorables au renouvellement de la végétation soutenant une large biodiversité humaine et animale peu après le début de l’Holocène. Cela se traduit entre Figuig et Messad par un étagement en altitude des sites occupés et un déploiement des communautés animales et humaines à travers les massifs, sur les plateaux (1 500 m d’alt.), dans les escarpements et les amas rocheux parsemant les dépressions (450 m d’alt.). Même si les lentilles cendreuses des campements conservent peu d’objets archéologiques, ce sont les gravures qui témoignent le mieux des motivations des séjours. Sur les marges sud-orientales densément occupées, les sites sont situés le long des cours d’eau franchissant les Ksour depuis Figuig (Zénaga), jusqu’au Dj. Bou Khalil pour se diriger vers les dépressions présahariennes. L’oued Djedi, artère fluviale majeure, issue des Monts des Ouled Naïl voisins du Dj. Amour guide en plaine et dans les deux sens, une circulation jusqu’au Chott Melhrir et retour dans l’Atlas (tableau 1, fig. 1-5).

16Replacer la gravure du bélier orné dans un contexte climato-environnemental désormais favorable ne conduit pas à s’interroger sur l’isolement de cet animal gravé mais sur la récurrence de sa reproduction graphique et les motivations des artistes. Cette fréquence était-elle en relation avec une sémantique à affirmer, à partager ? Cette visibilité s’adressait-elle à d’autres communautés que la leur ? Reconstituer a posteriori le maillage de communautés éparpillées révèle l’existence d’un réseau de relations à distance satisfaisant un besoin de communication. Avant d’aborder ces thèmes rappelons les données chrono-stylistiques des gravures.

Quand le bélier orné a-t-il été gravé ?

Données chrono-stylistiques

17Le classement chrono-stylistique de l’ensemble des gravures de l’Atlas saharien fait consensus parmi les chercheurs pariétalistes, que je ne suis pas. Leur classement autorise l’hypothèse de l’introduction du bélier – j’ajouterai du fait pastoral – et plus encore sa cohabitation avec un vaste ensemble d’animaux sauvages représentés. Mais, ce qui le confirme mieux encore tient à la reconnaissance climatiquement attestée, d’une biodiversité des paysages atlasiques, de niches écologiques nombreuses (piémonts, fleuves, lagunes etc.), entretenues par des conditions exceptionnellement favorables à de telles concentrations fauniques ; celles-ci n’interférant pas avec une faune domestique commençant à se développer sinon à travers des captures de carnivores. D’autre part, la gravure du bélier orné est déjà présente dans le plus ancien des trois corpus stylistiques (Vaufrey 1939 ; Lhote 1970 ; Cominardi 1979 ; Lhote et Villaret 1984 ; Hachid 1981-1982, 1982-1983 et 1992). Le premier est naturaliste, il regroupe des faunes sauvages (Syncerus antiquus, éléphants, carnivores, etc.) de grandes dimensions, portées par des parois gréseuses indurées, très patinées et très foncées. Le trait fermement gravé sans repentir puis poli est partout recouvert par la même patine intense et sombre que celle de la roche, qui se desquame inexorablement. Ces diverses représentations animales associent sur les mêmes parois et avec les mêmes caractéristiques un personnage porteur d’un carquois, d’une hache et un bélier orné à Bou-Alem, Feidjet El Kheil (Dj. Amour) et à Aïn Naga (Ouled Naïl). Le second corpus réunit des gravures sub-naturalistes du bœuf domestique et des mêmes animaux ; le trait gravé, patiné, sombre et net, s’est enfoncé dans une paroi gréseuse également patinée, moins foncée que la précédente ; la gravure d’un bélier orné est parfois accompagnée d’un personnage qui peut encore brandir un instrument (bâton-hache), ou lever les bras pour appeler ses animaux (certains disent à la manière d’un orant), les dimensions sont variables. Le troisième corpus est constitué de gravures d’animaux sauvages voisines d’un bélier orné occupant des parois de patine claire ; elles sont stylisées, schématiques, sans personnage et de dimensions extrêmes. Aucun moyen de les dater ne s’est présenté.

18Le constat tiré des données pariétales et stylistiques du premier corpus aboutit à reconnaitre, d’une part :

• une identité des caractéristiques portant 1) sur la nature et l’état actuel altéré de la roche-support : gréseuse. Celle-ci dut être, au moment de la gravure, et en raison des conditions climatiques humides sévissant alors, probablement moins dure et plus facile à graver et 2) sur le traitement graphique net et profond de gravures naturalistes ;
• une contemporanéité d’exécution et d’association des animaux sauvages et du bélier orné.

19Ces faits sont admis depuis Flamand (1921) et unanimement partagés : « J’ai examiné les béliers avec beaucoup d’attention et j’ai pu constater que les observations de Flamand étaient sans faille et qu’il n’existe aucun argument archéologique pour les mettre dans un groupe à part et les considérer comme plus tardifs que les bubales, les éléphants, les rhinocéros, les lions » (Lhote 1970, 162).

20D’autre part, l’étude des altérations physico-chimiques et bactériologiques des plus anciennes parois a confirmé ce constat. Les surfaces indurées à patines les plus sombres « représentent le plus ancien stade d’altération des parois gréseuses atlasiques portant le bélier orné, l’éléphant » (Soleilhavoup 1986 ; 2003, 44, fig. 69). Ce fait est souligné vers Tiaret, dans la station à Syncerus antiquus de l’oued Azouania (F.-E. Roubet 1946 et 1947). L’ancienneté des gravures naturalistes du bélier et des faunes sauvages est établie. À quand remonte-t-elle ?

La gravure du bélier orné : expression d’un élevage ovin durant l’optimum climatique holocène

• 1^er argument : dans l’Atlas saharien les faunes sauvages à Éléphant, Syncerus antiquus, carnivores, etc., déjà présentes durant le Pléistocène supérieur et final, n’ont été gravées qu’avec le bélier. Sur ces falaises-là il n’existe pas de représentations rupestres antérieures. Dans l’Atlas tellien une exception est à signaler vers Tiaret (combat de buffles de l’Oued Azouania), bien qu’à Dehar Bel Haadi et Kef Bou Beker l’ovin gravé et orné ne soit pas très loin.
• 2^e argument : l’absence de caprinés sauvages pléistocènes en Afrique du Nord autre que le mouflon (Ammotragus lervia) conduit à admettre au cours de l’optimum climatique holocène, l’introduction du bélier (Ovis aries) et de la chèvre (Capra hircus) sous forme domestique. La gravure du bélier orné, symbole supposé d’un troupeau mixte, incarnerait donc l’ensemble ovin-caprin.
• 3^e argument : sur les plus anciennes parois gréseuses gravées de l’Atlas, la juxtaposition d’un bélier orné à une faune sauvage bénéficie de semblables caractéristiques techniques, stylistiques, naturalistes et d’identiques conditions d’altérations physico-chimiques et bactériologiques de la roche, synchroniquement mises en place, à Bou Alem, Feidjet et Kheil, et à Aïn Naga.
• 4^e argument : on doit à la dispersion des communautés pastorales bénéficiant des conditions de l’Optimum climatique jusqu’à l’Holocène supérieur, la diffusion atlasique de la gravure d’un bélier à sphéroïde portant un collier, accompagné d’un personnage.
• 5^e argument : on doit au développement de l’élevage ovin-caprin, la propagation à travers l’Atlas saharien d’une gravure du bélier orné évoluant vers un graphisme simplifié dont la fonction ne se modifie pas avec la schématisation et s’apparente presque à un « logo ».

21En conclusion, après l’introduction des caprinés domestiques dans l’Atlas, un élevage autarcique s’est développé durant l’Holocène ancien, avant que ne s’amorce la diffusion du pastoralisme néolithique initial (PNI) et que ne s’intensifient les échanges, au cours des VII^e-VI^e millénaires cal BP (voir note 1) (Roubet et Ouchaou 2015). Mais d’où venaient ces animaux domestiques ?

Les caprinés domestiques du Maroc Oriental dès l’Holocène ancien (voir note 1)

22Deux thèses de Doctorat sur les « Vertébrès du Pléistocène terminal-Holocène de quelques sites marocains » (Bougariane 2013) et sur « La genèse du Néolithique dans la région du Rif oriental » (Nekkal 2015) renouvèlent nos connaissances. Ces travaux multidisciplinaires intègrent des données chrono-culturelles et climato-archéo-zoologiques précisant les conditions de la mise en place d’une production de subsistance, au début de l’Holocène. L’introduction des premiers animaux domestiques (moutons-chèvres) -par l’Ibérie peut-être- est mise en évidence dans trois grottes littorales : d’Ifri n’Armas (51 p., 28 % ; 7928±51 cal BP, Erl 9995 ; 7613±31 cal BP Erl 9996), d’Ifri Oudadane (≤10 % ; 6907±70 cal BP, Oxa 23528) et d’Ifri Ouzabour (45p., 19 % ; 5676±167 cal BP, Rabat 278), et deux sites continentaux d’Hassi Ouenzga (25p., 6,9 % ; couche 5 : 8804±125 cal BP, Kia 433) et de Taghit Haddouch (40p., 2,6 % ; couche 4 : 8892±93 cal BP, Bln 5041 ; couche 5 : 8843±111 cal BP Bln 5040) (Nekkal 2015). C’est vers la fin d’un Épipaléolithique local que s’opère sans hiatus l’arrivée d’un assemblage rapporté au Néolithique initial à céramique pré-cardiale, puis cardiale, installant les premiers comportements de production d’une subsistance animale (Bougariane 2013) et végétale, liée à l’introduction de céréales domestiques (Nekkal 2015). À Ifri Oudadane, l’orge (Hordeum vulgare) est présente vers 6823±54 cal BP, Beta 295773 ; 6458±38 cal BP, Beta 295777 ; l’engrain (Triticum monococcum/dicoccum) vers 7063±73 cal BP, Beta 8608 ; 6735± 55cal BP Beta 295775 ; et 6370±49, cal BP, Beta 295772 ; et une légumineuse, la lentille (Lens culinaris) vers 7611±37 cal BP, Beta 295779 (Nekkal 2015, 224). Dans le Rif oriental s’installe ainsi très tôt une néolithisation agro-pastorale. Qu’en est-il en Algérie, vers Messad ?

Station rupestre d’Aïn Naga (fig. 1, 3 n° 2 ; tableau 1)

23Dans le chaos rocheux d’Aïn Naga conservant in situ un espace cendreux et clos, les données stratigraphiques, culturelles et chronologiques ont conduit Grébénart (1969) à identifier cinq couches rapportées sans hiatus à deux épisodes successifs. Dans le niveau inférieur, « un faciès particulier du Capsien supérieur » a été daté sur charbon de 7220±200 BC et sur hélix de 6950±280 BC (voir note 1) (p. 171). Dans le niveau supérieur de nouveaux documents lithiques et céramiques apparaissent mais « le fonds capsien [est]… tellement important… que l’on peut parler de Capsien néolithisé » (p. 187) daté sur charbon de 5550±220 BC (voir note 1). Sur trois emplacements rocheux voisins on découvrit -mais plus tard- les gravures de trois béliers ornés et d’autres animaux sauvages (Lhote et Villaret 1984, 93-107). À l’époque de cette découverte aucune analyse comportementale n’était envisagée, aucune hypothèse n’installait le thème pastoral tant pesait alors le poids de la faune sauvage dans l’environnement gravé. Désormais, un lien de cohérence comportementale réunit étroitement le milieu archéologique resté au sol à une fonction de berger émergente, magistralement gravée sur la paroi voisine du campement. La scène-clé montre côte à côte un grand bélier (endommagé) et un haut personnage ; cette gravure est à ce jour la plus ancienne de l’Atlas saharien central (critères pariéto-stylistiques) « le corps du bélier est mieux poli que les attributs… ce qui subsiste suffit à montrer que cette œuvre était remarquable, de même école que le superbe exemplaire de Bou Alem » (Lhote et Villaret 1984, 100). G. Camps l’avait choisie pour orner la jaquette de son ouvrage en 1974, sans songer au développement sociétal que cela installerait durant l’Holocène (Roubet et Amara 2016).

Station rupestre de Safiet Bou Rhenan (fig. 1, 3 n° 5 ; tableau 1)

24Le chaos rocheux de Safiet Bou Rhenan, voisin d’Aïn Naga (Bellin 1957 ; Grébénart 1970 et 1971), conservait une lentille cendreuse et un mobilier lithique de caractère Capsien supérieur sans bio-document, enrichi de tessons. L’assemblage a été daté sur charbon de 5270±100 BC (voir note 1) et sur test d’œuf d’autruche de 5020±170 BC. Or sur les parois intérieures du campement une frise gravée apparut. Composée de sept sujets, elle réunit autour d’un bélier orné un petit personnage à tête ronde, deux agneaux, deux autruches et un jeune bélier sans cornage. Un récipient placé entre les pattes du bélier orné recueille un liquide. La gravure simplifiée parait sobre et soignée. Pour Grébénart (1971, 181) « l’association habitat-art rupestre est assez fréquente autour de Messad ». « Elle pose le problème d’un art rupestre antérieur au néolithique… Ici, entre les gravures et les restes d’occupation humaine, nous constatons une relation de proximité et l’on peut admettre, avec beaucoup de réserves, que la date obtenue par le 14C dans les restes de foyers correspond à l’âge des gravures… les seules représentations de béliers à sphéroïde se trouvant en relation avec des sites [sont] Safiet Bou Rhenan et Mokta es Sfa… la relation habitat-gravure existe et doit être maintenue » (Grébénart 1970, 65). Écartons l’idée de représentations antérieures au Néolithique, incompatibles avec les arguments cités. Soulignons le malaise de l’auteur devant associer deux ensembles de faits voisins, estimés chronologiquement contradictoires en apparence, montrant un animal domestique orné, gravé au-dessus d’un assemblage culturel épipaléolithique rattaché au Capsien supérieur. Restait la proposition d’une liaison de proximité directe art-contexte qui s’affirmera judicieuse et prometteuse dans notre approche.

« De l’art au contexte » : liaison de cohérence comportementale

Stricte contemporanéité

25Depuis Le Dû (1935-1936 et 1937) et Vaufrey (1939) on estime établi et synchrone le couplage de représentations pariétales et d’informations culturelles voisines lorsqu’il se fonde sur le recouvrement d’une paroi par les sédiments conservant au sol un contexte chrono-culturel compatible. Le caractère strict de ce principe s’étant avéré inapplicable dans l’Atlas saharien lorsque les dépôts sont faibles ou absents, l’objectif de couplage avait été écarté, jusqu’à l’adoption de cette heureuse formule pionnière de liaison proposée par Grébénart (1970, 65) qui ne fut ni reprise, ni développée. Je tiens à saluer ici D. Grébénart.

Liaison comportementale orientée vers « le fait pastoral »

26Pour Aïn Naga et Safiet Bou Rhenan l’expression « de l’art au contexte » et vice versa réunit deux ensembles documentaires qu’une liaison comportementale rend solidaires parce qu’univoques dans le cadre du « fait pastoral » (Roubet et Amara 2016). Ce principe prend en compte sur le territoire étudié cinq ensembles documentaires :

• les données chrono-climatiques favorables entre IX^e-V^e millénaires cal BP,
• les ressources naturelles renouvelées et la diversité des biotopes,
• les témoins de campements et leur emplacement dans un chaos rocheux aux parois gravées,
• les gravures d’une faune sauvage et l’éthologie des espèces en rapport avec les biotopes,
• la présence étrangère d’un bélier domestique, gravé, au corps poli, porteur d’attributs inconnus, ajustés et posés sur sa tête et au cou par un pasteur, accompagnant son animal.

27Or, même si les témoins de subsistance manquent dans les campements d’Aïn Naga et de Safiet Bou Rhenan, les parois voisines proposent une documentation de substitution très pertinente exprimant le statut de berger des occupants. Dans un cortège d’animaux gravés se place la plus inattendue des gravures, celle du bélier domestique, répondant à l’absence au sol d’une subsistance animale. Ce bélier docile, paré est, sur la paroi gravée seulement, l’unique témoin d’un élevage de quelques têtes que développa sur place une communauté pastorale, itinérante, ayant abandonné sur place, instruments et céramiques. En invoquant -par défaut- l’existence d’un élevage, nous n’écartons pas les activités de chasse et de prédation (fig. 4, n° 1), source de subsistance incontournable et opportuniste laissant se développer à leur rythme les troupeaux de moutons et de chèvres.

28Dans cette approche « de l’art au contexte », on doit à l’attractivité altitudinale et environnementale, aux ressources naturelles variées (eau, forêt, alpage), la présence de communautés pratiquant des activités mixtes de chasseurs-pasteurs-graveurs, entre 9000-5000 cal BP (voir note 1). La gravure du bélier orné, clé de voûte d’un élevage ovin atlasique, donne seule et très tôt le signal d’un changement de genre de vie entraînant un renouveau démographique et comportemental dans l’Atlas saharien. Le fonds culturel capsien qui subsiste, ici et partout ailleurs, n’est que le signe d’un conservatisme assumé n’entravant pas ce renouveau. La nouvelle lecture du bélier orné, étayée par de nombreux faits intégrés, ouvre d’autres voies de compréhension du thème permettant d’unir sans distinction stylistique tous les ovins, ornés ou non, schématiques ou non. Le bélier évoque partout l’adoption de l’élevage et du pastoralisme, de temporalité multimillénaire, dépendants du renouvellement des biocénoses et non des traditions anciennes qui se perpétuent en s’atténuant. Aïn Naga et Safiet Bou Rhenan sont désormais deux sites, parmi d’autres à revisiter, d’un néolithique pastoral initial.

Enracinement atlasique du « statut de berger »

29En Algérie, l’art pariétal atlasique saharien et tellien (central et oriental) est un art holocène pastoral, interactif et narratif (Roubet 2005). Le bélier, orné ou non, incarne désormais le premier témoignage d’une vie pastorale atlasique, compatible avec des transhumances /mobilités récurrentes. Durant leurs séjours les artistes ont saisi sur le vif un vécu intimiste exprimant l’au-revoir d’un chasseur à sa compagne bergère (Aïn Naga), ou la douce atmosphère d’une pouponnière (Hadjra Mokhotma), ce témoignage peut être violent lorsqu’il montre la capture d’une antilope par un lion (Zaccar, Romélia), perceptions que par empathie nous ressentons aujourd’hui encore en découvrant ces œuvres. À Aïn Naga ce sont des chasseurs épipaléolithiques, de culture capsienne qui ont adopté l’élevage. Mais comment interpréter ici ce contexte capsien ? Que faire ailleurs lorsque le substrat culturel manque de caractère ou est absent ? On doit à la seule force expressive de cette emblématique gravure du bélier orné de témoigner de « l’enracinement du fait pastoral » indépendant de toutes traditions antérieures et de toute ascendance anthropologique, depuis l’Holocène ancien. Individus de types Mechta-Afalou, Mechtoïdes ou Proto-Méditerranéens tous sont devenus des pasteurs fréquentant les régions atlasiques. L’élevage ovin puis la diffusion d’un pastoralisme initial se sont propagés quel que soit le creuset culturel et le terroir montagnard sur lesquels ils se sont greffés et épanouis, portés par des communautés métissées, d’ascendance variée. Le pastoralisme s’est avéré fédérateur.

30Désormais en déconnectant l’élevage des traditions antérieures (ibéromaurusiennes ou capsiennes), l’approche anthropologique souligne le retentissement du nouveau comportement pastoral, responsable de l’élan donné à une néolithisation atlasique débutante, lui ouvrant des perspectives d’avenir structurantes et dynamisantes à caractère socio-économiques et symboliques. Sans renoncer à suivre, dans un cadre intime et communautaire, certaines traditions ancestrales, qui vont s’effacer et progressivement s’amalgamer à d’autres.

31En conséquence, toute paroi conservant une représentation de bélier, orné ou non, y compris schématique, témoigne d’une occupation concomitante de l’espace par une communauté pastorale et ses descendants, quelle que soit l’expression de son patrimoine culturel au sol.

32Dans le Rif oriental, l’apparition des premiers animaux domestiques et de la céramique cardiale se situe au début du VIII^e millénaire cal BP (voir note 1). En Algérie, on peut en invoquant l’exemple rifain, reconnaitre la pénétration de la néolithisation en Oranie littorale à travers la présence d’une céramique pré-cardiale, cannelée, à décor réticulé, comme à Hassi Ouenzga (Nekkal 2015, 256). Dans les stations atlasiques de l’Algérie, conservant de rares témoins céramiques décorés d’impressions, c’est désormais la gravure du bélier orné qui témoigne explicitement de la pénétration d’animaux domestiques et d’un renouveau comportemental. Céramique et animaux domestiques sont deux marqueurs d’un couple comportemental et culturel typiquement néolithique. Ce schéma chrono-comportemental prudemment avancé depuis la région rifaine répond aux interrogations soulevées en Algérie occidentale littorale et tellienne. À ce pastoralisme ovin répond un pastoralisme bovin apparut un peu plus tard au Maroc. Ces observations coïncident aussi avec les données chrono-stylistiques (Hachid 1982-1983) installant le bœuf parmi les gravures sub-naturalistes du deuxième corpus.

33Le bélier, emblème vivant et gravé, essentiel au pasteur et à sa communauté entière, survit à jamais, orné et idéalisé de façon originale sur les parois de l’Atlas saharien. Cette typicité nord-africaine l’individualise et la distingue de la néolithisation saharienne.

34Réexaminer ensemble le contenu matériel et symbolique des stations de Bou Alem et d’Aïn Naga, l’associer aux données intégrées chrono-climatiques et comportementales établies pour l’Atlas saharien et certaines stations telliennes du Rif oriental, permet de reconstituer une cohérence perdue et de renouer avec un leur lien sémantique commun. La mise en synergie des données de l’archéozoologie et de la gravure du bélier orné rupestre, les valorise et les réunit dans une même lecture d’anthropologie sociale. Cette nouvelle approche intégrative conduit à une expression d’une grande richesse et d’une forte originalité concernant le développement ininterrompu du premier élevage ovin-caprin. Son emblème initialement gravé à Bou Alem par les premiers pasteurs des Ksour a connu un immense succès ; en se répandant de massifs en massifs il a permis de saisir les premiers signaux de communication et de reconnaissance intercommunautaires créés et répandus qui conduisent à réunir aujourd’hui quelques bribes de la genèse et de l’extension ouest-est de la néolithisation pastorale atlasique.

Conclusion

35La fonction de la gravure du bélier orné 1) installe un « statut de l’ovin », 2) attribue aux pasteurs « un statut de berger », 3) soutient une expression identitaire et une occupation territoriale, 4) visualise et pérennise le même message fédérateur, celui de l’élevage, 5) sert de marqueur de communication, de solidarité, 6) enclenche une symbolique socio-écologique, un culte peut-être.

36Le bélier orné sert d’emblème au pastoralisme holocène en Algérie septentrionale. L’élevage ovin-caprin, premier système économique et social irréversible, instaure une mutation comportementale fondamentale dès l’Holocène ancien. Parfaitement adapté à l’espace atlasique, il s’est répandu grâce à l’optimum climatique, indépendamment de tout creuset culturel antérieur. Le comportement pastoral apte à se greffer sur toute activité traditionnelle a pu assumer l’héritage d’anciennes pratiques matérielles et symboliques (cultuelle, funéraire) et s’orienter vers d’autres expressions traduisant la reconnaissance liée au surcroît et aux bienfaits de ressources renouvelées par l’élevage. Un « culte du bélier » a pu se pratiquer (?). Les attributs du bélier pourraient le suggérer. D’autre part, la gestion pastorale très prégnante a laissé s’amoindrir des pratiques cynégétiques spécialisées ne se trouvant plus autant sollicitées. Ainsi s’est entamé un déclin puis la perte de traditions techniques épipaléolithiques. Cette gravure renvoie, dans un langage codé, des informations claires et des narrations brèves d’un vécu pastoral, multimillénaire, dans un environnement animalier de savane arborée.

37L’art pariétal engendré dans l’Atlas saharien, n’a été précédé d’aucune autre expression graphique pariétale. Il s’est fait le témoin d’un environnement holocène exceptionnel, inaugurant un comportement pastoral irréversible et continu, géographiquement circonscrit. Cet art n’a définitivement pas une origine capsienne, n’est pas de tradition capsienne. Nos connaissances actuelles suggèrent qu’il n’a pas connu de développement semblable au Maroc atlasique à l’exception de Figuig et semble avoir à peine atteint à l’Est la dorsale tunisienne et certains contreforts libyens.

38Jusqu’à l’Holocène moyen la dispersion des communautés pastorales prévalut en Algérie septentrionale pour occuper l’espace montagnard, conserver l’accès aux ressources, assurer le développement du bétail, l’autonomie et la cohésion des unités. Ainsi, avant tout développement agricole, le pastoralisme a stabilisé et territorialisé un réseau de communautés apparentées. Il s’est révélé viable, fédérateur, créateur de richesse, de prestige, porteur du tout premier « statut social pastoral ».

39Cette gravure médiatisa l’emplacement de communautés protohistoriques. Sa visibilité permit le maillage des « premières tribus » annonçant la constitution du « fait tribal » (Ben Hounet 2009). Ce « logo » pourrait avoir légitimé leur ancrage géographique fondé sur l’oralité de récits et d’évènements divers transmettant l’histoire de lointaines ascendances néolithiques.