1Dans le monde romain, la chasse fait partie de la vie à la campagne et de ses plaisirs. Jusqu’à l’époque des Sévères, la majeure partie des représentations concerne des épisodes du mythe, mais à la fin de l’Antiquité les images de chasses réelles se multiplient, celles du propriétaire dans son domaine rappelant ses exploits ou donnant une image idéale de sa vie (Ausone, Parentalia VIII,1-10), et aussi les chasses liées au monde du spectacle : chasses captures des animaux destinés à l’amphithéâtre ou uenationes dont l’image commémore la générosité du donateur envers la cité.

2Les techniques de chasse ont fait l’objet de plusieurs manuels, des Cynégétiques de Xénophon au iv^e siècle av. J.-C. jusqu’aux auteurs d’époque romaine : Grattien à l’époque d’Auguste, Arrien à l’époque d’Hadrien et, au iii^e siècle, Oppien et Nemesianus.

3La chasse, sujet principal du tapis central ou motif secondaire des bordures, est un des sujets de prédilection du répertoire de la mosaïque en Afrique, témoignant de l’intérêt particulier des commanditaires pour cette activité. Les pavements fournissent un panorama complet du déroulement de la chasse, des techniques mises en œuvre (armes, dispositifs divers) et des rites qui s’y rattachent. Ils montrent des méthodes de chasse très différentes les unes des autres, certaines sont répandues dans tout le monde romain et figurées sur des supports variés ; d’autres méthodes réelles, plus rares ou nouvelles, sont aussi illustrées ; on y voit également des animaux fabuleux ou des techniques qui relèvent d’un savoir livresque théorique.

La réalité

Les cerfs à la mer

4La chasse au cerf est abondamment représentée dans tout le monde romain, mais une peinture de Nabeul1 (fig. 1 et 2) illustre une technique particulière qui ne nécessite qu’un très modeste équipage : les cerfs poursuivis par une meute se précipitent du haut d’une falaise dans la mer où naviguent des barques ; l’état de conservation de la peinture ne permet pas de distinguer l’issue de l’action. Ce type de chasse peut paraître irréaliste mais il est connu par un certain nombre de témoignages ; il est inspiré par la tendance naturelle des cerfs, déjà signalée par Xénophon (Cyn. IX 20)2, à se réfugier dans l’eau, y compris la mer, pour échapper à leurs poursuivants. Cette image trouve un écho dans un récit de Dion Chrysostome (Discours VII, le chasseur ou histoire eubéenne) : un voyageur est jeté par une tempête sur la côte d’Eubée « … j’aperçus à mes pieds un cerf qui venait de se précipiter du haut des rochers qui bordaient le rivage… Peu après, je crus entendre au-dessus de ma tête comme des aboiements de chiens… j’aperçus en effet des chiens qui couraient çà et là et paraissaient en défaut. Je jugeai que c’était pour échapper à leur poursuite que le cerf s’était jeté en bas des rochers. Au même instant parut un homme : sa mine et ses vêtements annonçaient un chasseur… ». Une épigramme (Anth. IX 370) rapporte le même dénouement à propos de la poursuite d’un chevreuil. Ces témoignages littéraires tendent à élargir l’usage de cette technique « rustique » au-delà de l’Afrique ; il est probable qu’elle n’a pas été élaborée à partir d’observations savantes des mœurs des cerfs mais qu’elle est née de manière plus pragmatique au gré du déroulement des chasses. Une mosaïque d’Utique3 a aussi été rapprochée de cette pratique : des hommes, dans deux barques, tirent vers eux un filet grâce auquel ils rabattent vers le rivage des gibiers variés : sanglier, cerf, gazelle, panthère, lézard, autruche, grue et des passereaux, avec l’aide d’un chien ; le but serait donc cette fois d’acculer le gibier à l’eau en lui ôtant toute possibilité de fuite.

Fig. 1. Nabeul, maison des Nymphes, bassin B, face F (cliché A. Barbet).

Fig. 2. Nabeul, maison des Nymphes, bassin B, face F (dessin J.-Fr. Lefèvre).

La chasse-capture aux fauves

5La chasse aux fauves demande un matériel abondant et un équipage nombreux. La recherche du réalisme dans les représentations amène la diversification des techniques représentées pour illustrer la capture de fauves vivants afin de répondre aux besoins des spectacles de l’amphithéâtre. Xénophon (Cyn. XI, 4) décrit brièvement à titre de curiosité la fosse-piège utilisée en Asie.

6À l’époque impériale, les images de la capture des lions se multiplient et les méthodes sont détaillées dans les textes. Pline (N.H. VIII, (21) 54) et Oppien (Cyn. IV, 85-111) situent cette pratique en Libye et ce dernier évoque en parallèle les léopards (IV, 212-228). Élien (N.A. XIII, 10), traitant de l’Asie, prescrit l’aide de torches pour cette pratique valable aussi pour la capture des panthères. Julius Africanus (Cestes 1, 14) fait de cette activité un excellent entrainement pour l’armée4. Ces auteurs multiplient les détails que l’on retrouve très précisément illustrés sur une mosaïque d’Hippone5 (fig. 3) où panthères et lions sont mêlés : les rabatteurs, entièrement dissimulés par leurs boucliers et pourvus de torches grâce auxquels ils effraient les fauves, forment un cercle et les rabattent vers la cage, des animaux destinés à servir d’appât sont parqués à l’arrière. Sur un pavement de Piazza Armerina6, le dispositif est moins fidèle au texte : les chasseurs uniquement munis de boucliers et de lances, debout derrière des buissons bas, attirent les panthères vers une cage où se trouve un appât. Sur ces deux pavements, l’équipement et les costumes des chasseurs confirment leur statut militaire.

Fig. 3. Hippo Regius, tablinum de la maison dite « d’Isguntus » (d’après Dahmani et Morel 1993, pl. p. 40).

La fauconnerie

7La chasse aux petits oiseaux est décrite et représentée depuis l’époque grecque. Xénophon enseigne plusieurs méthodes (filets, gluaux) ; il mentionne aussi l’aide d’oiseaux – rapaces ou nocturnes – mais ceux-ci ne servent qu’à paralyser de peur par leur présence les petits oiseaux qu’il suffit alors de saisir sur les branches. Le dressage des oiseaux pour capturer une proie était connu comme une curiosité orientale : Aristote (H.A. IX, 24, 4 (620 a 34 - 620 b 5)) et Pline (N.H. X, 23) attribuent cette pratique aux Thraces ; Élien (N.A. II, 42 ; IV, 20) citant Ctésias, aux Indiens et un passage du corpus aristotélicien (Mirabilium auscultationes, 841 b 16) précise qu’il s’agit de « quelque chose de prodigieux et d’incroyable7 ». Les manuscrits plus récents comme la paraphrase de l’Ixeutique de Denys8 ne font que reprendre des textes plus anciens et ne font pas référence à cette technique nouvellement répandue.

8La fauconnerie fait son apparition sur quelques pavements africains à l’époque vandalo-byzantine à partir du milieu du v^e siècle. À Carthage, dans la maison aux deux Lions9, un cavalier galope vers son faucon qui vient de s’abattre sur un lièvre (fig. 4). À Kélibia10, au milieu d’autres chasses, un homme à pied porte un rapace sur sa main gantée et se dirige vers un lièvre tapi sous des végétaux (fig. 5) ; il fait face à un autre chasseur capturant des oiseaux avec des gluaux (pour une autre scène sur le même pavement, voir infra). À Hergla, dans la basilique (fin du v^e ou première moitié du vi^e siècle)11, un oiseau est porté sur le poing d’un cavalier tandis qu’un autre oiseau se saisit d’une proie. Et, dans un médaillon de la mosaïque de la Grande Chasse de Carthage12, datée de la seconde moitié du v^e siècle, un cavalier galope avec un faucon maintenu par un lien sur le bras. Enfin, sur une mosaïque fragmentaire de Tabarka de la fin du v^e ou du début du vi^e siècle13, il ne subsiste qu’un faucon attaquant un lièvre, les têtes de deux chiens près de cette scène assurent qu’il s’agissait d’une scène de chasse. En Grèce et en Orient, ces scènes apparaissent aussi vers la même époque sur des mosaïques de Madaba14 (milieu du vi^e siècle), où un serviteur a la charge de l’oiseau d’Hippolyte, et à Argos (500 ou deuxième quart du vi^e siècle) où le faucon porté sur le poing ganté du chasseur au départ et au retour de la chasse capture un canard15.

Fig. 4. Carthage, maison des deux Lions (cliché A.V. Szabados).

Fig. 5. Kélibia, maison des deux Chasses, salle IV (d’après Blanchard-Lemée, Ennaïfer et Slim 1995, fig. 129).

9La fauconnerie se développe parallèlement dans d’autres régions de l’Empire16. En Gaule, Sidoine Apollinaire évoque Vectius, expert à dresser des chevaux, des chiens et des faucons (Epist. IV, 9, 2), et fait de la chasse au faucon un élément de l’éducation des jeunes gens (Epist. III, 3, 2). Paulin de Pella (Eucharisticos 143-145) considère cette chasse comme un des plaisirs d’un jeune homme noble.

Les fictions

10Les techniques de chasses exposées dans les manuels s’appuient sur l’expérience des chasseurs ; mais pour les chasses exotiques les auteurs font appel aux récits des voyageurs dans les pays lointains, ils sont alors parfois amenés à rapporter des éléments moins réalistes.

Les griffons

11Parmi la faune des pays lointains, les griffons sont décrits par les zoologues ou voyageurs antiques. Bien que Pline (N.H. X, 44, 36) et Arrien (Anab. 5, 4, 3) nient leur existence, ces animaux, nordiques d’après les auteurs les plus anciens (Hérodote 3,116, 4,13), voient par la suite leur habitat situé dans les régions plus fécondes en créatures fabuleuses (Schneider 2004, 191-193), aux Indes pour la majorité des auteurs ou en Ethiopie pour Héliodore (10, 26, 2), ces animaux acquièrent une certaine réalité. Ils figurent au milieu de deux bestiaires réalistes sur des pavements à Djemila17 et attaquent un cervidé ou dévorent un lézard au milieu de scènes champêtres à Istanbul (Trilling 1989, fig. 21 ; Parrish 2005, fig. 1)18. Dans les scènes de chasse, on les capture avec les mêmes techniques que les grands fauves en les attirant grâce à un appât dans des cages-caisses comme sur le pavement de Piazza Armerina19.

Les fauves

12Dans les manuels de cynégétique, la capture des fauves pour l’amphithéâtre est décrite avec réalisme, les naturalistes, les chorographes ou les littérateurs décrivent dans des régions lointaines des pratiques inspirées par les particularités de certaines espèces animales.

13La capture des tigres est réputée particulièrement périlleuse à cause de leur férocité et de leur rapidité. On élabore donc deux ruses permettant au chasseur d’échapper à la fureur de la tigresse ; elles sont basées sur la volonté du fauve de protéger sa progéniture. La première est rapportée par Pline (N.H. VIII, 18) et Pomponius Mela (III, 49) : après avoir capturé les petits du fauve, il faut les abandonner au cours de sa fuite, la tigresse délaisse alors le chasseur pour ramener chaque petit à sa tanière ; cette méthode permet à l’homme de rejoindre l’abri du navire, selon Pline, ou des habitations, selon Pomponius Mela. Ainsi sur une mosaïque fragmentaire de Carthage20, au milieu de scènes de chasses, un cavalier se précipite sur la passerelle du bateau où sont déjà embarqués des animaux ; une mosaïque d’Antioche21 permet de reconstituer la scène tronquée de la mosaïque tunisienne : un cavalier lancé au galop se retourne tendant à bout de bras un petit tigre vers la tigresse qui le poursuit.

14Claudien (Rapt III 261-5) décrit une autre méthode pour échapper à la poursuite de la tigresse en utilisant son reflet. Il ne précise pas la forme que prend le leurre, mais une peinture aujourd’hui perdue du tombeau des Nasonii à Rome (Andreae 1963, 124, pl. 56, 1)22 montre à la fois un petit dans les mains du chasseur et un miroir au fond d’une cage attirant le fauve. Ambroise (Hexameron VI, 4 ; PL XIV, 265) précise qu’il s’agit d’une sphère comme cela se voit sur la mosaïque de la Grande Chasse de Piazza Armerina (Settis-Frugoni 1975, 23-25, fig. 4). Rarement illustré sur les pavements, ce subterfuge est figuré sur quelques sarcophages23.

15Autres animaux africains, les panthères, dont la capture grâce aux rabatteurs est bien décrite (voir supra), sont aussi l’objet de méthodes de capture liées aux légendes qui les entourent dont une seule est située en Afrique. Pour Oppien (Cyn. IV, 329-353), ces animaux sont des bacchantes métamorphosées en panthères à leur demande par Bacchus pour se venger de Penthée ; depuis, en Libye, les chasseurs les enivrent grâce au vin qu’ils versent dans les fontaines où elles viennent se désaltérer et peuvent ainsi les capturer pendant leur sommeil. Selon Philostrate (Vie Apollonios de Tyane II, 2), les panthères sont attirées par les aromates, ce qui permet de les capturer en Pamphylie grâce à la résine de storax.

Les chasses aux oiseaux

16L’influence des textes savants ne se limite pas aux représentations de la chasse aux grands fauves, la chasse aux oiseaux fournit aussi quelques documents étonnants. À côté des chasses prestigieuses et à l’organisation couteuse, la chasse aux oiseaux peut paraître bien anodine, mais elle n’était pas sans charme. Ainsi Oppien de Syrie (Cyn. I, 60-67) décrit la peine de l’oiseleur et du pêcheur comme « un plaisir sans mélange… le travail de l’oiseleur est sans doute bien doux ». En Bétique, elle est digne d’être citée, avec la pêche, par Q. Marius Optatus (CIL II, 2335) parmi ses plaisirs dans son épitaphe, et l’aucupium figure près des chasses au gros gibier et au fauve sur les pavements des uillae du monde romain. Comme pour les autres chasses à côté des représentations réalistes, des méthodes plus pittoresques sont représentées.

17Une mosaïque d’Oudna24 (fig. 6) illustre la vie d’un domaine. Le centre est occupé par des scènes pastorales et de labour ; sur trois côtés se déroulent quatre chasses : au fauve, au sanglier, aux oiseaux avec des gluaux et aux perdrix ; ces dernières se dirigent tranquillement vers un filet fermé à son extrémité, elles sont suivies par un homme, marchant à quatre pattes, dissimulé sous la dépouille d’une chèvre (fig. 7). À Kélibia, dans la maison des deux Chasses25, deux pavements sont consacrés à des scènes de chasse : sur le plus ancien (salle IV) (fig. 5), une chasse au renard, au sanglier et deux chasses aux oiseaux sont disposées en registres superposés ; sur le panneau fragmentaire plus récent (espace IX) (fig. 8), de part et d’autre d’un sanctuaire abritant une statue de Diane, plusieurs cavaliers forcent des fauves, un homme capture des oiseaux avec des gluaux, un homme salue la déesse et deux autres ont capturé un lièvre. Sur chaque pavement se déroulent des scènes de chasse aux oiseaux presque identiques : un homme guide un cheval derrière lequel il se dissimule, on ne voit que sa tête dépassant de l’encolure et ses jambes entre celles de l’animal ; ils suivent des perdrix qui se dirigent vers un filet. Ces trois scènes illustrent des techniques moins conventionnelles, elles font références à des traditions littéraires dont elles s’éloignent cependant un peu.

Fig. 6. Oudna, maison dite des Laberii (cliché de l’auteur).

Fig. 7. Oudna, maison dite des Laberii (d’après Blanchard-Lemée, Ennaïfer et Slim 1995, fig. 125).

Fig. 8. Kélibia, maison des deux Chasses, espace IX (d’après Ennaïfer 1999, pl. XCVII).

18Dans l’Ixeutique (3, 7), parmi les méthodes de capture des perdrix - filets et des appelants - Denys décrit de nouveau une ruse (1, 11) : un homme dissimulé sous une peau de cerf entraine les oiseaux vers un filet en exploitant l’amitié des perdrix pour les cerfs. Dans un autre passage (3, 8), le même auteur invite le chasseur à tirer parti de l’affection des outardes pour les chevaux afin de les attirer dans le piège. Bien que les images soient inspirées des textes, quelques détails s’en éloignent. Sur le pavement d’Oudna, l’homme qui repousse les oiseaux vers un filet porte une peau de chèvre comme camouflage à la place de la dépouille de cerf ; sur les mosaïques de Kélibia, les oiseaux précèdent le cheval au lieu de le suivre et ce sont de nouveau des perdrix qui sont chassées et non pas des outardes ; enfin sur le pavement tardif de l’espace IX de ce même site, le filet n’est plus celui en forme de nasse traditionnel mais le filet déployé en arc de cercle utilisé pour le gros gibier.

19Ce ne sont que quelques exemples d’amitiés entre des espèces animales répertoriées par le naturaliste. Denys s’appuie sur une tradition rapportée par Oppien (2, 315-325) qui détaille l’attirance existant entre des espèces que tout semble séparer. Ces récits font écho à une tradition qui multiplie des récits touchant les animaux les plus variés. Pour ne mentionner que des techniques de chasse, il suffit d’évoquer les croyances touchant les cerfs rapportées par Pline (N.H. VIII, L (32)) et Aristote (H.A. 1, 9) : le chasseur peut s’en emparer sans peine grâce à son amour de la musique et à sa curiosité.

20Toutes ces images ont comme point commun de se faire l’écho d’un savoir livresque et témoignent de la volonté du commanditaire d’exposer sa culture scientifique ; elles sont à mettre en parallèle pour le prestige qu’elles apportent aux images de la culture païenne d’époque tardive. Sur le pavement de la maison d’Ikarios à Oudna, la chasse aux perdrix est entourée par une chasse au lion et une chasse au sanglier ; les chasseurs n’ont recours ni à l’aide des filets, ni à celle d’un piège. Xénophon (Cyrus I, 4, 11) souligne l’accroissement des dangers que fait courir l’animal libre de ses mouvements, principalement le sanglier, aux chiens et aux chasseurs, mais c’est la technique la plus virile ; elle a pour Platon (Lois 7, 824a) la plus grande valeur éducative, l’aide des filets est déloyale est indigne de l’homme libre. Les multiples pièges longuement exposés dans les textes comme les chausse-trappe pour le cerf (Xénophon, Cyn. IX, 11-19 ; Oppien, Cyn. IV, 85 ; Grat. Cyn. 92) n’ont pas leur place dans ce contexte. Le mosaïste a renchéri sur cette vision valorisante en utilisant des schémas héroïques : le grand félin est combattu à cheval suivant un des modèles les plus répandus du combat de Bellérophon et de la Chimère26, et le sanglier fait face à un homme à pied armé d’un épieu dont la nudité souligne l’aspect héroïque, ce schéma est celui des chasses de Méléagre27 ou de l’empereur sur les monnaies et les reliefs, par exemple la chasse au sanglier d’Hadrien sur l’arc de Constantin.

Les trophées

21Comme toutes les activités humaines, la chasse doit son heureux dénouement à la volonté des dieux. Aussi, les manuels ne manquent pas de détailler les marques de dévotion qu’il convient de leur manifester. Ce domaine relève de nombreuses divinités : Artémis, protectrice des animaux et des chasseurs, qui, comme Apollon, a enseigné l’art de la chasse aux hommes, fait prospérer le gibier et accorde la réussite au chasseur ; Hermès qui empêche de s’égarer sur les chemins et les divinités campagnardes : Pan, les Nymphes et les dieux des montagnes. Invoqués au départ avec un simple geste ou une offrande sur un autel, ils reçoivent au retour une partie des prises ; ces rites sont décrits dans de nombreuses épigrammes et dans la littérature28. La réalité de la pratique est attestée par des inscriptions : sur un autel à Diane où un officier romain, stationné en Espagne, fait graver de nouvelles dédicaces au fur et à mesure de ses prises pour remercier la déesse29. La pratique persiste en milieu chrétien : dans sa jeunesse, saint Germain respecte cet usage en accrochant ses trophées à un poirier au centre de la ville30.

22Cet acte de piété est illustré tout au long de la période romaine sur des peintures, où les trophées sont déposés dans des sanctuaires rustiques31, et sur des pavements africains par exemple à Carthage avec l’offrande d’une grue dans un sanctuaire de Diane et Apollon32 et, à Ouled Agla, avec celle d’une gazelle devant une statue de Diane entourée par des Amazones33.

23Conserver le trophée serait priver les dieux de leur part. Dans le mythe, leur offrande à un ou une mortelle entraine souvent le drame, par exemple le don de la dépouille du sanglier de Calydon par Méléagre à Atalante. Plutarque rapporte une anecdote historique avec des conséquences similaires34.

24Il semble donc que le trophée de chasse soit réservé au domaine religieux et que, comme le pense Chr. Chazedon35, « c’est dans les temples qu’il faudrait chercher les salles des trophées équivalents à celle du monde moderne ». Mais on peut trouver quelques rares témoignages de la conservation de trophée dans un contexte privé : Manilius, au i^er siècle apr. J.-C., mentionne cette pratique (Astronomiques IV, 180).

25À ce texte fait écho le décor peint dans le premier quart du ii^e siècle d’une galerie d’une uilla d’Yvonnand en Suisse (Dubois 1996, 119, fig. 9-13), le plus ancien témoignage de la conservation de trophées dans un contexte privé : sur des panneaux à fond rouge, des peaux d’animaux sont tendues, la fourrure est visible sur les bords, les pattes sont dressées dans les angles et les têtes retombent sur le bord supérieur ; malgré l’état fragmentaire du décor, on peut identifier un fauve et une antilope. Au milieu de chaque panneau, un uenator porte l’équipement caractéristique des chasseurs de l’amphithéâtre. Cette utilisation des peaux dans l’ameublement n’est pas autrement attestée mais elle illustre le gout du monde romain pour la fourrure (Leguilloux 2004, 138).

26Plus tardivement, deux documents africains sont susceptibles de refléter la conservation de trophées par un particulier : une mosaïque de Carthage, trouvée dans un contexte domestique, représente une peau de tigre sur un fond blanc36 (fig. 9). On peut aussi voir dans cet exemple une peau de luxe pouvant atteindre des prix considérables37 dont le commerce se développe pendant l’Antiquité et dont l’usage est rapporté par Pline (N.H. VIII, 8). Le second document est une autre mosaïque de Carthage (fig. 10) ; le document est perdu mais il en subsiste un dessin : au centre du tapis, Tellus trônant est entourée des Mois et des Saisons, un des côtés de la bordure est occupé par des animaux affrontés de part et d’autre de plantes, sur les trois autres côtés une frise d’animaux mêle diverses espèces : panthères, bovins, cerfs, gazelles, sanglier, onagre. Les animaux sont présentés de face, les pattes antérieures ne reposent sur aucune ligne de sol, les têtes pendent entre les épaules, les peaux paraissent suspendues par le milieu du corps, l’arrière-train n’est pas représenté38. Sur ce document, il semble que l’exposition des peaux évoque un tableau de chasse sans fonction pratique, avec pour seule fin la glorification d’exploits cynégétiques.

Fig. 9. Carthage, colline de l’Odéon, uilla du cryptoportique (cliché A.V. Szabados).

Fig. 10. Carthage, mosaïque perdue (d’après Cagnat 1896, pl. IV).

27Dans ces deux cas, il n’y aucune allusion à un geste de piété témoignant de la gratitude de l’heureux chasseur et il serait possible de voir l’écho du texte de Manilius qui déjà au i^er siècle apr. J.-C. évoque la conservation d’un souvenir privé et peut-être aussi une évolution des mentalités avec l’amorce du gout pour la collection des trophées à des dates plus tardives.

28Avec l’apparition de la fauconnerie et de la conservation des trophées dans la sphère privée, l’Afrique témoigne de la transformation de la pratique de la chasse liée à l’évolution de la société à la fin du monde romain mais, parallèlement, les illustrations des textes scientifiques, des thèmes mythologiques et littéraires et l’usage des schémas anciens (et en particulier la statue de Diane sur le pavement le plus récent de la maison des deux Chasse à Kélibia [espace IX]) attestent le prestige de « l’ancienne » civilisation.