1L’abondance des bêtes sauvages en Afrique du Nord était quasi proverbiale déjà au temps d’Hérodote (IV, 191)1, c’est-à-dire dès le v^e siècle avant notre ère. Vitale tant pour l’alimentation que pour la protection des hommes et des troupeaux, la chasse fut certainement pratiquée très tôt, avec toutes sortes de méthodes, d’armes, d’outils et de pièges qui n’ont pas laissé de traces archéologiques ou iconographiques bien identifiables, mais dont peuvent témoigner des textes ethnographiques et/ou cynégétiques récents (voir par exemple Lhote 1951). Toutefois, leur projection dans un passé lointain, qui peut être utile, reste délicate sans indices précis.

2Les fauves, les africanae (Camps 1985, 217-221), lions et panthères notamment, ont été fréquemment représentés dans l’art rupestre néolithique et protohistorique de l’Afrique du nord, ainsi dans l’Atlas saharien. Ce sont des représentations souvent réalistes, partagées par des communautés agricoles et/ou pastorales soucieuses de protéger leur cheptel. Principal élément de destruction dans toute la région, le lion notamment fut très tôt associé à l’idée de mort, avec aussi un caractère divin qui le fit plus tard associer au culte de Saturne (Roubet 2008, 4419). Compte tenu de leur apparentement2, les autres fauves, panthères (ou léopards)3, guépards, servals et même tigres, ne sont pas toujours nettement distingués par les textes. Les représentations figurées sont en général plus discriminantes. Sur les peintures égyptiennes du III^e millénaire avant notre ère, les chefs libyens sont classiquement vêtus de peaux de panthère. Jadis très communs en Afrique et en Asie, ces animaux sont souvent représentés sur les images antiques, dans lesquelles on ne reconnaît en revanche jamais le guépard (Gilbert 2013, 67-68).

Chasses maures et numides

3La chasse était une activité favorite des jeunes maures et numides, dont l’habileté à débusquer les fauves de leur tanière était bien connue déjà lors de la seconde guerre punique4. Elle faisait même partie intégrante de l’éducation des princes. Jugurtha, adolescent, « suivant l’antique usage de ce peuple [numide], pratiquait l’équitation, le lancer du javelot ; […] en outre, il passait la plus grande partie de son temps à la chasse ; il était le premier, ou l’un des premiers, à frapper le lion ou les autres bêtes sauvages5 ».

4Chasser les fauves pouvait même être considéré comme un entraînement à la guerre. Aristote (iv^e siècle av. J.-C.) considérait ainsi la cynégétique comme une des parties de la science militaire6. D’ailleurs, tant à la guerre qu’à la chasse, l’armement libyque traditionnel se composait d’un petit bouclier, le plus souvent rond, et de plusieurs javelines ou d’une unique lance longue (Laporte 2015). On chassait les fauves soit à pied, soit à cheval.

5Du côté de la chasse à cheval, certaines stèles libyques figurées de type Abizar (Camps et Février 1984) découvertes en Kabylie, datables des derniers siècles avant notre ère (Laporte 1991), montrent un cavalier libyque, tenant de la main gauche son bouclier et ses javelines, levant le bras droit pour montrer parfois dans la main ouverte un anneau dont le sens nous échappe. Deux de ces stèles, celles d’Abizar et de Chemini (fig. 1), comportent devant le cheval des animaux difficilement identifiables de manière précise7, mais qui montrent bien qu’il s’agit d’une scène de chasse, représentation secondaire dans la mesure où les animaux chassés varient d’une stèle à l’autre. D’autres stèles ne montrent même pas ce détail, en conséquence mineur par rapport à la signification générale de ces petits monuments.

Fig. 1, a-b. Stèles libyques figurées d’Abizar et de Chemini (Semaoune, Sidi Aïch, w. de Bejaia) (dessins J.-P. Laporte).

6En Afrique du Nord orientale, au cours de la seconde guerre punique, des lions furent crucifiés sur des arbres au témoignage de Polybe, dans un passage disparu mais heureusement repris par Pline l’Ancien (H.N. VIII, 47)8 : ayant perdu leurs dents, de vieux lions affamés assiégeaient des centres urbains. Comme le constatèrent de visu Scipion et Polybe lui-même, on en crucifiait aux portes des villes pour, pensait-on, dissuader leurs congénères de faire la même chose, explication qui n’est sans doute pas définitive9.

Chasses d’époque romaine

7À l’époque romaine, les chasses de fauves africains changèrent à la fois d’échelle et d’objectif principal pour alimenter les jeux de l’amphithéâtre, en Afrique même et en Europe10. Les exportations africaines vers l’Europe, Rome et l’Italie notamment, commencèrent dès l’époque royale, peut-être même dès la première guerre punique (Ville 1981, 53), soit à titre onéreux, soit très tôt comme cadeaux diplomatiques. C’est ainsi qu’en 81 av. J.-C. Bocchus I^er offrit 100 lions à crinière à Sylla, avec lequel il entretenait d’excellentes relations depuis la capture de Jugurtha (Plutarque, Sylla, V)11. Sylla les fit combattre pour obtenir la préture. En effet, les chasses d’amphithéâtre étaient déjà fort en vogue à Rome.

8La documentation textuelle et iconographique d’époque romaine ne cesse de s’accroître, d’abord sur les chasses locales, défensives et/ou sportives, pratiquées en Afrique, ainsi, que sur la capture et l’exportation vers Rome. Aux alentours de notre ère, Strabon en dresse un tableau complet : « Tout le pays depuis Carthage jusqu’aux Colonnes [d’Hercule] est prospère, mais infecté de bêtes sauvages, comme d’ailleurs toute la Libye intérieure. Il n’est pas dénué de vraisemblance que quelques-uns d’entre ces peuples durent leur nom de Nomades au fait qu’ils ne pouvaient se livrer à l’agriculture dans les temps anciens, vu le grand nombre des bêtes sauvages ; aujourd’hui qu’ils excellent dans l’art de la chasse, ce à quoi les poussent les Romains, grands amateurs de combats de fauves, ils possèdent une double supériorité, et en matière de bêtes sauvages, et en matière d’agriculture » (Strabon, II, 5, 33).

La chasse sportive

9La chasse était une activité courante des notables africains, tant urbains que campagnards.

10La chasse à pied est représentée, entre autres, sur une mosaïque de Ténès : au milieu d’un paysage agreste (palmiers nains, touffes d’herbes et un arbre) un chasseur à pied s’arcboute pour compenser le choc d’un lion dans le flanc duquel s’enfonce sa lance (Abdelouahab 2005).

11Du côté de la chasse à cheval, une mosaïque d’Oudna (Uthina) montre divers aspects de la vie rurale et pastorale ; elle présente trois chasseurs à cheval, armés de javelots, caracolant autour d’une panthère blessée d’un trait au flanc gauche. L’un d’eux, armé d’une lance, s’apprête à frapper (Précheur-Canonge 1960, pl. I). La face principale d’une stèle12 des ii^e-iii^e siècles découverte à Tazrout (Adekkar, région de Bougie) montre de manière assez statique le défunt à cheval entouré de sa famille et de gardes armés, au-dessus d’un champ épigraphique qui n’a pas été gravé et du repas funéraire gréco-romain classique (Laporte et Gehimab 2014, 6, n° D.4). Sur l’autre face, sont figurés à la fois le départ pour la chasse et son aboutissement, l’hallali, ce qui montre qu’il s’agit d’une chasse destinée à tuer l’animal poursuivi, qui pourrait être un ours. Les deux tranches sont également décorées et montrent un atlante, un genou en terre, supportant une colonne ( ?) sur laquelle se dresse un garde armé d’une longue lance (fig. 2).

Fig. 2. Stèle de Tazrout (Adekkar, Bejaia). Largeur 1 m (dessin J.-P. Laporte).

12Une mosaïque de Chlef (fig. 3) montre trois personnages chassant dans la nature. Les deux premiers, à pied et accompagnés d’un chien, brandissent une longue lance vers un sanglier. Les jambes fléchies montrent qu’ils attendent le choc du puissant animal. Le troisième, à cheval, vient de planter sa lance dans le flanc d’une panthère13.

Fig. 3. Mosaïque de Chlef, au Musée national des Antiquités et des Arts islamiques, Alger (d’après Algérie antique, 2003, p. 134, cliché M. Lacanaud, MDAA).

13On peut également citer une mosaïque de Djemila sur laquelle on voit, en haut, un chasseur à pied portant un lapin à la main ; un autre, un filet sur l’épaule, poursuit des cervidés. Au bas du tableau, deux chasseurs armés chacun d’une lance combattent des lions et une panthère (Lassus 1971, 193-207).

14La chasse aux fauves continua naturellement après la fin de la domination romaine, aux v^e, vi^e et vii^e siècles, comme on peut le constater par exemple sur une figuration rustique scellée dans l’enceinte du djedar A du Djebel Lakhdar14.

Les captures

15Bien entendu, les animaux étaient plus chers vivants que morts, mais il fallait les prendre, ce qui n’était pas une mince affaire. Les méthodes de capture étaient le plus souvent communes à l’ensemble du bassin méditerranéen.

16Les animaux pouvaient être piégés (Aymard 1951, 452-453). À différentes époques, des textes plus ou moins circonstanciés mentionnent la capture de félins dans une fosse-piège soigneusement dissimulée15. Pour Oppien (Cynégétique, IV, 215), les seules différences entre les chasses au lion ou à la panthère portaient, dans le second cas, sur la moindre étendue de la fosse et sur la nature de l’appât, non plus agneau ou chevreau, mais jeune chien auquel on liait les parties génitales pour le faire hurler ; la partie centrale de la fosse où était disposé l’appât n’était plus une colonne de terre, mais un poteau de bois. Dans le même sens, Pline (H.N. VIII, 21, 59) rapporte, d’après Démétrius le Naturaliste, l’histoire d’une panthère dont les petits étaient tombés dans une fosse de chasse et qui aurait demandé l’aide d’un homme pour les sauver. Élien (Hist. Aug., XIII, 10) signale une technique de capture particulière à la Maurétanie. Les Maures édifiaient à cet effet une construction en pierre, en forme de cage, dont l’entrée était constituée par une sorte de claie ou de natte. Attaché à une longue corde, un appât plus ou moins putréfié attirait le félin à l’intérieur ; celui-ci poussait la porte qui se refermait sur lui dès qu’il saisissait la viande (Aymard 1951, 451).

17Pour Oppien (Cynégétique, IV, 320-353), en « Libye », c’est-à-dire en Afrique du Nord, on employait aussi un curieux procédé : enivrer l’animal (Aymard 1951, 463-464). Pour cela, les chasseurs choisissaient un point d’eau de peu d’étendue au milieu d’une vaste région désertique et y disposaient des vasques de vin. Il ne restait plus qu’à lier l’animal endormi.

Les battues

18La méthode apparemment la plus efficace, mais nécessitant du temps, de gros moyens et une organisation rigoureuse, était la battue et la capture au filet. Outre le drainage vers les grandes villes d’animaux capturés de-ci, de-là, comme on peut l’inférer du décret de Banasa, il y eut aussi des battues, comme le montre une mosaïque d’Hippone, et de véritables expéditions de capture, dont témoigne à notre sens l’inscription d’Agueneb.

Le décret de Banasa (en 216)

19Les provinciaux devaient non seulement payer des impôts, mais encore remettre des fauves au fisc impérial, comme en témoigne en 216 un décret de Caracalla découvert à Banasa16. Il mentionne, en quelque sorte en contrepartie d’une remise d’impôt au profit de vici et de provinciae17, la demande de livraison de caelestia animalia « dont leurs forêts sont fertiles ». Cette expression, dans un texte qui se voulait littéraire (et non étroitement réaliste et juridique), est assez obscure (Rebuffat 2002), et divers types d’animaux ont été proposés18 : lions, éléphants, autruches et même rhinocéros (sic)19.

20Le premier éditeur de l’inscription, R. Thouvenot, ne vit tout d’abord pas le problème en traduisant caelestia animalia par « animaux vivant sous le ciel » (Thouvenot 1946). En 1946, A. Piganiol penchait pour des lions, mais songeait aussi à des éléphants (Piganiol 1947 ; 1948). L’helléniste Ch. Picard regarda du côté des éléphants (Picard 1948, 134-135). J. Guey avait déjà pensé lui-aussi à des éléphants (Guey 1947, 248-273 ; 1948, 128-130), ouvrant une petite polémique avec R. Thouvenot qui répondit en proposant des lions, en suivant d’ailleurs les avis d’A. Blanchet et de G.-Ch. Picard (Thouvenot 1950)20. Depuis, les propositions ont été multipliées. Nous n’en évoquerons ici que quelques-unes, parmi les plus récentes et construites. En 2008, I. Lasala Navarro penchait pour des lions, au terme il est vrai d’un curieux raisonnement dont la valeur semble problématique (Lasala Navarro 2008)21. M. Corbier, qui avait pensé en 1977 à des panthères, d’autres félins et même à des autruches, avait évolué en 2006 en comprenant caelestia animalia comme « animaux dignes de l’empereur », en l’occurrence Caracalla. De retour d’Orient cette année-là, l’empereur aurait souhaité célébrer un « triomphe oriental » dionysiaque, qui requérait la présence de nombreux animaux, certes pour magnifier une victoire, mais aussi pour se placer dans la lignée de Dionysos et d’Alexandre (Corbier 2006, 204). Cette supposition, qui n’est pas fondée sur une source particulière, ne paraît pas nécessaire dans la mesure où la demande d’africanae pour l’amphithéâtre romain était permanente et non pas exceptionnelle.

21La question nous semble avoir progressé récemment grâce à une idée de J. Rossiter pour qui ces mystérieux animaux n’étaient pas seulement caelestes parce qu’ils étaient destinés à l’Empereur, mais aussi parce qu’ils étaient représentés parmi les constellations et dans le zodiaque (Rossiter 2012). On peut dès lors écarter les éléphants au profit des lions, des panthères (compte tenu de leur nom latin leo-pardi), peut-être aussi des ours22 et même éventuellement des taureaux.

Une battue sur une mosaïque d’Hippone

22Une mosaïque d’Hippone23 montre des fauves, lions, lionnes et panthères (mais aussi deux autruches) repoussés par des cavaliers et des porteurs de torches vers un filet où les avaient attirés des animaux domestiques attachés dans un enclos et protégés par les boucliers des veneurs (fig. 4). Un système compliqué de pièges succédait au filet. Une cage24 juchée sur une charrette attendait les futurs captifs qui ne se laissaient pas faire, puisqu’une panthère dévore l’un des assaillants. La tente montée et le marmiton de service semblent montrer qu’il s’agissait d’une expédition de capture d’une certaine durée.

Fig. 4. La mosaïque de la battue d’Hippone (cliché S. Dahmani).

Une battue « militaire » : l’inscription d’Agueneb

23En temps de paix, outre l’approvisionnement en fourrage on occupait l’armée romaine en exercices et en manœuvres, elle fournissait aussi des spécialistes pour la société civile (par exemple pour le tracé d’aqueducs difficiles), mais aussi de la main d’œuvre, officiers en tête. L’emploi de militaires pour capturer des bêtes sauvages est maintenant bien attesté, outre sur certaines mosaïques de Piazza Armerina25, sur une inscription de Montana, en Mésie inférieure, « ob uenationem Caesarianam », opération ordonnée par le légat de la province26. Ceci amène à réexaminer l’inscription d’Agueneb27.

24Cette célèbre inscription se présente comme un monolithe parallélépipédique gravé sur deux faces, aujourd’hui cassé vers son milieu28. Catulus, un décurion de la III^e Légion Auguste, remercie les dieux en exécution d’un vœu qu’il avait fait, avant de partir en mission, d’une promotion au grade de centurion. Ce texte, dédié Genio Thasuni et deo siue deae, numini sancto, montre qu’un détachement militaire, composé de soldats de la III^e Légion Auguste, de la VI^e cohorte des Commagéniens et de l’Ala Flauia, stationnés en principe en Numidie, est intervenu en 174 à quelque 500 km à l’ouest sud-ouest de ses bases, loin au sud de la Maurétanie césarienne dont le territoire se limitait alors à une étroite bande côtière (Laporte 2011, 119)29.

25Des photographies que nous a fournies le regretté P. Morizot permettent de réexaminer le texte, et notamment la partie délicate (fig. 5). Le but de l’expeditio (le mot est employé) a été diversement apprécié, en fonction d’interprétations divergentes du passage suivant : laeones in diebus XL f […]. Pour Mommsen, suivi par Cagnat et Schmitt en 1884, puis en 1904, il s’agissait d’une chasse aux lions, comme l’indiquait le texte30. Pour G.-Ch. Picard (1947, 58-60, n° 47), cette inscription aurait témoigné d’une expédition punitive contre des nomades (non nommés) du plateau marocain au sud de l’Atlas, mais la Tingitane semble bien loin (au moins 700 km à vol d’oiseau31). Des lions auraient été gravés par des membres de l’expédition sur les rochers en l’honneur du Génie du lieu. En 1948, son père, Ch. Picard, penchait pour sa part pour des éléphants (Picard 1948). Y. Le Bohec (1989, 380-381) pensa que le chef du détachement, peu nombreux (quelques dizaines d’hommes), aurait pu stationner dans un camp provisoire32. Il écarta l’idée d’une chasse au lion, qui aurait fait lire f(erii) ; il restitua pour sa part f(eci) et en tira l’idée d’une gravure de lions (déjà évoquée en 1947 par G.-Ch. Picard), sans expliquer la signification de ce geste. Pour Austin et Rankov (1998, 189), il s’agirait à la fois d’une chasse aux lions et d’une mission d’observation33. D. Lengrand (2008, 78-79) repoussa, sans dire pourquoi, l’idée d’une chasse au lion ; en revanche, ce qui est plus évident, il voyait mal comment une petite troupe comme celle de Catulus aurait pu prendre à revers des révoltés en Tingitane ou en Bétique. Pour P. Morizot (2011, 587), qui remplaçait curieusement laeones par Laeonides, l’expédition aurait été une manœuvre d’encerclement d’un ennemi inconnu et probablement insoumis34. Pour Chr. Hamdoune en 2012, il se serait agi d’une mission d’exploration associée à une expédition militaire35, mais ni l’un ni l’autre but ne sont mentionnés dans le texte. En 2015 enfin, P. Faure et Ph. Leveau ont fait progresser le dossier en évoquant à son sujet une inscription de Montana (Mésie inférieure) qui montre un détachement légionnaire opérant ob uenationem Caesarianam.

Fig. 5. Fragment de l’inscription d’Agueneb (dessin J.-P. Laporte d’après un cliché anonyme fourni par P. Morizot). Le dernier caractère de la 6^e ligne serait à vérifier sur la pierre.

26Une lecture directe du texte d’Agueneb est maintenant possible36.

27Il serait étrange que le chef de l’expédition, qui se félicitait de sa promotion, n’ait pas évoqué le but de cette équipée, même seulement par allusion. Nous en voyons le motif dans l’expression laeones f(eci). Considérer cette locution comme évoquant la gravure ou la sculpture de lions sur les rochers des alentours n’aurait guère de sens37. Comme l’avait bien vu Mommsen, une chasse aux lions, explicitement cités, paraît la solution la plus vraisemblable. Cependant, on ne voit pas bien l’intérêt d’envoyer des soldats tuer des lions dans une contrée située très loin en dehors du territoire romain de l’époque. Nous préférons y voir une expédition de capture de lions. F(eci) veut simplement dire « j’ai pris ». On peut accepter pour le site d’Agueneb l’idée d’un « camp de base »38 autour duquel rayonnaient les chasseurs, et où ils ramenaient leurs captures.

28Le fait qu’il ait fallu en 174 aller si loin de la Numidie proprement dite suggère que, dès cette époque, l’ampleur inouïe des captures de fauves à faible fécondité39 avait déjà fortement entamé le potentiel cynégétique du Tell.

Le transport

29Les animaux capturés étaient ensuite conduits vers leur lieu de commercialisation ou d’embarquement suivant différentes méthodes (selon les espèces et les opportunités) : enfermés dans des cages placées sur des charrettes, ou transportés à dos d’homme au moyen de perches reposant sur les épaules de deux à quatre porteurs40.

30Dans la villa du Casale, à Piazza Armerina, en Sicile41, la grande mosaïque de la chasse donne comme un résumé de ce qui précède. Elle représente une battue effectuée sans doute en Afrique (Marrou 1978, 253-295 ; Hugoniot 2008, 180) par l’armée romaine pour le compte du propriétaire de la villa, afin d’organiser des jeux. Outre les captures proprement dites, on y voit le transport terrestre des animaux, sur des perches ou dans des cages posées sur des chariots. L’ensemble converge vers l’embarquement des animaux sur un navire situé au centre du pavement.

31Les chasses et captures de fauves dans l’Afrique pré-romaine et romaine, se révèlent plus amples qu’on ne le pensait, à la fois dans le temps et dans l’espace, avec des incursions par exemple jusque dans l’Atlas saharien (cas d’Agueneb). L’examen des utilisations très diverses des fauves capturés permettra de compléter encore le tableau général de leurs chasses, voire de quantifier en partie les prélèvements effrénés sur la faune sauvage à l’époque romaine et de montrer leur poursuite aux époques suivantes.