1La question de l’extinction de l’ours brun (U. arctos) en Afrique du Nord durant l’Holocène, voire la période historique, de même que sa relation avec des formes du Pliocène (U. cf. etruscus), Pléistocène moyen (U. arctos bibersoni) ou des formes plus récentes (U. arctos lartetianus et U. arctos faidherbianus) sont depuis longtemps largement débattues (Geraads et Bernoussi, 2016). La raréfaction d’U. arctos est généralement associée à des causes climatiques et/ou anthropiques qui sont au cœur de nombreuses études. La présente note porte sur quelques restes osseux d’ours brun des grottes d’El Hammar et de Hattab II (Nord du Maroc) afin de mieux comprendre les phénomènes qui ont contribué à son extinction au Maroc.

Situation géographique des sites (fig. 1)

2La grotte de Kehf el Hammar se situe à une vingtaine de kilomètres de la côte méditerranéenne, au Nord du Maroc ; elle occupe une petite vallée latérale de l’oued Laou à une altitude de 97 m. Des restes osseux ont été trouvés dans des niveaux de la Préhistoire récente (Holocène).

3La grotte de Hattab II se trouve à environ 45 km à l’Est de la ville de Tétouan, dans la vallée d’Ouled Ali Mansour (Nord-Ouest du Maroc). Les dates des couches d’Hattab II couvrent les derniers 8 milles ans BP.

Fig. 1. Localisation des grottes de Kehf El Hammar et d’Hattab II.

Discussion

4Les ossements provenant de la grotte d’El Hammar appartiennent à plusieurs espèces sauvages (ours brun, chacal doré, panthère, mangouste, sanglier, auroch, gazelle, hérisson, lièvre, porc-épic, mouflon à manchette) et domestiquées (bœuf, mouton), suggérant de multiples occupations humaines.

5On remarque que dans les deux sites les parties squelettiques sont représentées de façon inégale (fig. 2 et 3). À El Hammar, la diversité des éléments anatomiques est plus grande, avec la présence de restes crâniens (dents isolées et fragments de mandibules, fig. 4) et d’éléments du membre antérieur (humérus, radius, pisiforme, métacarpiens, fig. 5) et postérieur (patella, métatarsiens, phalanges), alors qu’à Hattab II on trouve uniquement quelques éléments de condyle crânien, de vertèbres et d’humérus ainsi que des phalanges postérieures (fig. 6 à 9). Ceci pose la question de la conservation différentielle dans ces deux gisements (origine anthropique et/ou naturelle du dépôt ?).

Fig. 2. Inventaire des restes d’U. arctos de la grotte d’El Hammar (n =43).

Fig. 3. Inventaire des restes d’U. arctos de la grotte d’Hattab II (n =14).

Fig. 4. Fragment de mandibule d’U. arctos de Kehf El Hammar. Échelle = 5 cm.

Fig. 5. Extrémité distale d’humérus d’U. arctos de Kehf El Hammar. Échelle = 10 cm.

Fig. 6. Troisième phalange postérieure d’U. arctos d’Hattab II. Échelle = 4 cm.

Fig. 7. Première phalange d’U. arctos d’Hattab II.

Fig. 8. Condyle crânien d’U. arctos d’Hattab II. Échelle = 3 cm.

Fig. 9. Vertèbre cervicale d’U. arctos d’Hattab II. Échelle = 7 cm.

6Il faut noter dans ces deux sites que, si l’ours est attesté dans presque toutes les couches, ses restes sont moins fréquents dans les niveaux les plus récents, ce qui pourrait suggérer une occupation discontinue en alternance avec la fréquentation humaine. Dans les deux cas, il faut aussi garder à l’esprit que les effectifs des échantillons respectifs sont trop faibles pour aller plus loin dans l’interprétation des données.

7Le diagramme de dispersion des premières phalanges de l’ours brun (fig. 10) permet, sur la base de notre effectif (n =19), d’aborder la question de la taille. Celle-ci est significativement beaucoup plus grande au niveau du diamètre transversal de l’épiphyse proximale (DTP) à El Hammar qu’à Hattab II comme l’indique le test de Mann Whitney (p-value = 0.0003) ; la hauteur totale des phalanges étant quant à elle non significativement différente entre les spécimens provenant des deux gisements (HT) (p-value = 0.99).

8Enfin, le diagramme de dispersion des troisièmes phalanges postérieures et antérieures ne permet pas d’envisager une quelconque interprétation de la taille des ours dans ces deux sites (effectif trop faible, n =7 ; fig. 11).

Fig. 10. Diagramme de dispersion (mm) des premières phalanges d’U. arctos de la grotte d’El Hammar comparées à celles d’Hattab II (n =19). DTP : diamètre transversal de l’épiphyse proximale ; HT : hauteur totale.

Fig. 11. Diagramme de dispersion (mm) des troisièmes phalanges d’U. arctos de la grotte d’El Hammar comparées à celles d’Hattab II (n =7). Ep. art : épiphyse articulaire proximale, diamètre transverse ; L : longueur totale.

Conclusion

9Si l’ours brun est bien attesté en Algérie pendant la période historique par des datations ¹⁴C (600 à 420 av. J.-C.) dans la grotte du Massif de l’Akouker (Hamdine et al. 1998), la période correspondant à l’extinction de cette espèce reste à ce jour incertaine au Maroc. Cet animal a cependant perduré durant l’Holocène jusque dans le Néolithique comme l’attestent les datations ¹⁴C (Fontugne et al. 2012). Il est probablement présent durant le Chalcolithique et aussi pendant la période historique pour certains auteurs (Michaux et Thévenod 2007) mais aucun reste osseux ne permet à ce jour de confirmer sa présence durant cette période (Ouchaou 2008). Les changements climatiques, avec en particulier la dégradation du couvert végétal à l’Holocène, sont régulièrement évoqués comme cause d’extinction de l’ours brun même si cela reste peu probable d’après Fontugne et al. 2012. Une éventuelle poussée démographique des groupes humains autour de 4 ka cal BP a aussi été envisagée (El Amrani et al. 2008). Les effets notables de l’anthropisation du milieu ne semblent pourtant pas attestés avant 2 ka BP au Maroc (Ballouche 2003) mais l’hypothèse d’un impact humain sur les conditions de vie des Ursidés à partir de cette date n’est pas exclue.

10En conclusion, la disparition d’U. arctos reste à ce jour difficile à interpréter en raison de la rareté des datations précises au Maroc. On retiendra néanmoins que l’ours brun est encore présent dans le moyen Atlas autour de 7,3 ka BP à Ifri Oussaïd (Fontugne et al. 2012). Enfin, la perspective d’études d’ADN fossiles dans des contextes bien datés pourrait permettre de mieux comprendre l’origine phylogénétique de l’ours brun ainsi que les affinités des populations de différentes provenances (incursions eurasiatiques, évolution locale).