1Tous, en même temps, de manière unanime et en accord, dirent et répondirent aux dits seigneurs officiers qu’ils ne paieraient pas¹.

2Le 14 juin 1355, les Niçois, en assemblée, refusèrent de s’acquitter d’une taille de trois blancs d’argent demandée par Guillaume Augerii de Forcalquier, lieutenant du sénéchal de Provence. Cette imposition avait été établie par les états de Provence, réunis en mai à Orgon, afin de reprendre les Baux². Lors de la présentation de la lettre de Guillaume Augerii au juge et au clavaire de Nice, le notaire public résuma l’ordre de percevoir le subside et mentionna que les officiers locaux devaient réunir en assemblée les communautés de Nice et des lieux de la viguerie. Pourtant, le juge et le clavaire décidèrent de convoquer une autre institution, le conseil urbain de Nice. Ses membres temporisèrent et, expliquant que de nombreuses discordes existaient entre eux et qu’ils ne pouvaient obliger la communauté à payer, ils demandèrent la réunion d’un parlement public des citoyens de Nice. Une fois les habitants assemblés sur la place devant le château comtal, le juge de Nice lut et explicita en vernaculaire la lettre de Guillaume Augerii. Plusieurs réponses de membres de la communauté fusèrent. Finalement, tous répliquèrent qu’ils refusaient de payer et ordonnèrent que soit élu un délégué afin de se rendre auprès du sénéchal et obtenir l’annulation de l’imposition. Si l’officier n’accédait pas à leur demande, ils en appelleraient au comte et à la comtesse de Provence.

3Dans le procès-verbal de la réunion, le notaire mentionnait trois assemblées différentes  : celle des communautés de la viguerie, rapidement mise de côté, le conseil urbain à la tête de la cité et enfin le parlement public des habitants de Nice. Le gouvernement communal, en contact étroit avec les officiers locaux, utilisa la réunion des chefs de famille comme élément de négociation face à une nouvelle imposition. La communauté niçoise apparaît unanime dans son refus. Tant dans les procès-verbaux des parlements que dans les ordonnances prises par les conseils urbains, l’utilisation de cette rhétorique de consensus était classique. Si les gouvernements communaux ont élaboré et conservé des séries entières de registres de délibérations, surtout au xv^e siècle, les assemblées élargies ont laissé moins de traces documentaires. Cette production écrite peut s’expliquer par la position d’intermédiaire des conseils entre l’autorité princière et les habitants de la ville. En Provence, au xiv^e siècle, les syndicats, gouvernements urbains à la tête des cités, furent en relation étroite avec les officiers locaux, notamment dans les chefs-lieux de circonscription. En 1388, Amédée VII de Savoie fit la conquête de la Provence orientale à l’issue de la guerre civile de l’Union d’Aix qui divisa le comté. L’événement entraîna un changement de statut de la ville de Nice  : chef-lieu de viguerie provençale, elle devint capitale de la Provence savoyarde, s’étendant de Barcelonnette à la Méditerranée. Cette évolution politique et territoriale ne fut pas sans conséquence pour le gouvernement communal puisque le niveau des interlocuteurs de Nice changea. Jusqu’alors en contact avec des officiers locaux du comte de Provence, elle accueillait désormais l’administration savoyarde d’un ensemble régional plus vaste. Le périmètre des assemblées s’en trouva également modifié et Nice devint le centre de réunions de toute la Provence savoyarde.

4Grâce aux procès-verbaux, il est possible d’aborder ces différentes assemblées, leurs modalités et leur composition. Les réunions élargies pouvaient être des instruments de collaboration et de négociation entre les mains des conseils urbains, qui pouvaient d’ailleurs être dépassés par le déroulement des assemblées. Pour le milieu du xv^e siècle, l’étude des délibérations niçoises témoigne de la forte porosité qui existait entre les différentes réunions, qui pouvaient avoir parfois des allures de simples conseils urbains élargis.

Les conseils urbains en quelques minutes (1454-1457)

5Des décisions des conseils urbains de Nice, peu de traces documentaires subsistent. Seuls quelques fragments, couvrant la période 1454-1457, sont aujourd’hui conservés à la Bibliothèque nationale de France³. Le recueil de quarante folios est l’unique témoin d’un enregistrement régulier des réunions du conseil urbain. La tenue d’un liber ordinationum communis est pourtant attestée dès la fin du xiv^e siècle⁴, et quelques procès-verbaux furent également copiés dans les cartulaires contenant les droits de la ville⁵. Les cahiers des années 1454-1457 furent rédigés par le notaire du conseil. Ils relèvent davantage du minutier notarial que d’un véritable enregistrement dans un registre de délibérations prévu à cet effet⁶.

De l’institution communale au formulaire

6Parmi les quarante-neuf réunions des années 1454-1457, six se déroulèrent de manière restreinte au sein du conseil des Huit⁷, et quarante-et-un procès-verbaux concernent le conseil ordinaire ou des Quarante. De ces deux types d’assemblées, le conseil des Quarante est le plus ancien. Il fut formellement établi en 1324 par le comte de Provence Robert I^er, qui sanctionnait l’existence d’un groupe permanent de quarante membres, renouvelable tous les ans, pour aider les officiers princiers dans la gestion des affaires de la ville⁸. Il tirait son origine d’un premier conseil apparu vers 1280-1290 à Nice et formé de probi homines chargés d’assister ponctuellement le viguier et de nommer les officiers municipaux mineurs⁹. Cette construction en deux étapes, entre les années 1290 et 1320, est caractéristique de la politique des comtes de Provence à l’égard des villes  : Charles II (1285-1309) avait sanctionné l’existence d’institutions communales à Tarascon, Aix ou encore Saint-Maximin  ; son fils Robert I^er (1309-1343) permit aux gouvernements de plusieurs cités de siéger de manière continue¹⁰. Le conseil des Quarante de Nice, établi en 1324, fut progressivement doté d’attributions plus larges, comme celui d’édicter des règlements ou de nommer les syndics permanents¹¹. À la fin du xiv^e siècle apparut une deuxième institution, le conseil des Huit, mentionné le 9 avril 1381¹². Les notables niçois en obtinrent la confirmation du sénéchal Balthasar Spinola puis de Charles III de Duras, dont ils prirent le parti lors de la guerre civile de l’Union d’Aix (1382-1388)¹³. Cet organe restreint perdure sous la tutelle savoyarde.

7Entre 1454 et 1457, le notaire du conseil rédigea de la même manière les réunions, qu’elles soient celles des Huit ou celles des Quarante. Il indiquait simplement la date et le lieu, presque toujours la maison commune (magna domus consilii). Il donnait ensuite la liste des présents, d’abord les officiers princiers, puis les syndics et les conseillers. Enfin, il inscrivait les décisions prises.

8Depuis le xiii^e siècle à Nice, les officiers convoquaient et présidaient ces réunions, ainsi que les assemblées générales d’habitants. Lorsqu’en 1383-1384 Balthasar Spinola et Charles III de Duras confirmèrent l’existence du conseil de Huit, ils concédèrent également à ses membres le droit de se réunir hors de la présence d’un officier princier. Les représentants niçois arguèrent dans leurs suppliques qu’il s’agissait d’une coutume (consuetudo), d’aussi loin que remontait la mémoire des hommes. En 1381, la première attestation du conseil des Huit permet de nuancer cette idée, car il se tint dans la «  cour royale  », siège des officiers princiers. Il est donc peu probable que ces derniers aient été absents des réunions. Lors de la conquête savoyarde en 1388, le comte Amédée VIII confirma les concessions de Charles III de Duras. La période de relative liberté se termina en 1435  : devant les conflits existants entre citoyens de la cité de Nice, le duc de Savoie promulgua une ordonnance réformant les institutions communales et réaffirma la présence de ses officiers au conseil¹⁴. Hormis cet intermède entre 1381 et 1435, les officiers princiers convoquèrent et présidèrent les réunions. Sous la tutelle des comtes de Provence (1229-1388), la tâche revenait au viguier ou au juge. Au moment de la conquête de 1388, Amédée VIII éleva Nice au rang de capitale régionale de la Provence savoyarde. Dès lors, les conseils urbains de Nice accueillaient le gouverneur et le juge mage de Provence savoyarde, témoignage d’une promotion institutionnelle certaine.

9Suivant les noms des officiers princiers, les quatre syndics ouvraient la liste des représentants élus, prolongée de celle des conseillers. D’abord désignés au xiii^e siècle pour des missions ponctuelles, les syndics de Nice obtinrent progressivement une durée de mandat plus longue, jusqu’à trois ans en 1310¹⁵. Dans l’énumération des noms, il ne semble pas y avoir d’ordre particulier, qui aurait pu révéler une quelconque préséance. Néanmoins, la disposition pour les syndics ne change jamais et, pour deux années de mandat, le notaire du conseil écrivit en tête le nom de l’expert en droit (jurisperitus), Constant Andree en 1454 puis Pierre Badati en 1455.

10Après avoir indiqué les modalités de la réunion, il inscrivait finalement les ordonnances établies. Il ne décrivait jamais le processus de décision et précisait simplement, de manière rhétorique, que les membres du conseil étaient arrivés à leurs conclusions unanimiter et concorditer. Cette absence de divergences ou de prises de parole durant la réunion répondait au modèle d’écriture des délibérations provençales, suivant lequel rares étaient les indications sur les débats internes du conseil¹⁶. Le notaire introduisait toujours les ordonnances par les mêmes termes  : fuit ordinatum, conclusum ou statutum. Le domaine de compétences de l’institution urbaine niçoise se retrouve dans la plupart des villes provençales  : approvisionnement, santé publique, mise en défense ou encore règlement de conflits entre habitants.

Écriture et conservation des décisions urbaines

11L’enregistrement de ces décisions est le fait d’un seul homme  : le notaire du conseil Antoine Garnerii. Le registre couvre les années 1454 à 1457, mais les procès-verbaux de 1456 manquent. En effet, le 27 septembre 1455, Antoine Garnerii fut élu syndic¹⁷. Il fut probablement déchargé de sa fonction de notaire, qu’il reprit en 1457.

12Lors de la rédaction, il avait l’habitude de procéder à des ajouts et les ratures étaient courantes. De plus, un douze de procès-verbaux sont incomplets et la reliure postérieure ne suit pas aucune logique  : l’assemblée du 15 mars se trouve divisée en deux fragments, entre le milieu et la fin du recueil¹⁸. Les corrections apportées par Antoine Garnerii pourraient indiquer qu’il s’agit de notes prises au moment des réunions. Elles pourraient être des écrits préliminaires à la composition au propre d’un liber ordinationum communis, qui n’aurait pas été réalisé par la suite ou qui n’aurait pas été conservé. La pratique de l’enregistrement à Nice n’était pas fixée, contrairement à la plupart des villes provençales. L’existence d’un rédacteur unique et l’année 1456 manquante montrent que chaque notaire du conseil devait avoir en charge l’écriture et la conservation des délibérations lors de son mandat. Chacun devait garder les procès-verbaux dans ses propres archives et s’y référait en cas de besoin. La documentation notariale médiévale niçoise ayant été en très grande majorité perdue, il est extrêmement difficile de reconstituer le parcours de l’enregistrement. Confirmant cette hypothèse, les archives municipales de Nice ne conservent les comptes que d’un unique clavaire (trésorier)¹⁹. Il semblerait ainsi que la garde des écrits administratifs était confiée aux individus chargés de les tenir et qu’elle n’aurait pas fait l’objet d’une politique de sauvegarde systématique de la part du syndicat²⁰.

13Pourtant, dès la fin du xii^e et le début du xiii^e siècle, les membres du consulat niçois avaient édicté, dans les statuts urbains, la conservation des cartulaires de la commune contenant les affaires judiciaires et les archives des notaires²¹. Il existait donc une volonté de sauvegarder les documents à des fins de gouvernement, mais il est difficile d’établir s’il s’agissait d’une conservation de longue durée ou pour un temps donné. Ces documents étaient gardés dans une archa communis, un coffre commun qui, dans d’autres villes, pouvait renfermer différents objets. À Montferrand, le consulat déposait dans l’arca communis les écrits, mais également les matrices sigillaires, le poinçon à métaux ou encore des reliques²². À la fois contenants, puisqu’on y conservait les documents de la commune, et objets à part entière, les coffres constituaient l’un des attributs matériels qui fondaient l’existence juridique de la communauté. Dans le cas de Nice, aucun autre acte ou objet n’est mentionné dans le coffre. Deux clés permettaient de l’ouvrir, l’une remise au sacristain et l’autre au clavaire. En plus d’une clé, les représentants urbains avaient confié à l’Église la garde du coffre, placé dans la sacristie²³. Le dépôt d’archives dans les bâtiments religieux était un phénomène assez répandu et témoignait de l’importance accordée à l’Église comme gardienne des objets précieux. Ainsi, les ecclésiastiques de la cité participaient à la consolidation juridique du gouvernement communal.

14Après la période consulaire, la mention du coffre disparaît de la documentation pour réapparaître dans les années 1460. Dans un cartulaire, un notable urbain, Honorat Flote, ajouta une annotation en marge de la copie d’un privilège datant de 1176 et concédé par Alphonse I^er, alors comte de Provence. Il nota avoir vu l’original dans le coffre entreposé dans la maison commune et dont la garde avait été confiée à Pierre Badati²⁴. Aucune charge n’est spécifiquement attachée à la conservation des documents du gouvernement urbain. Pierre Badati exerça à plusieurs reprises la fonction de syndic, mais il ne fut jamais clavaire ou notaire du conseil  ; du fait de sa qualité d’utriusque juris peritus, il était cependant une des personnes qualifiées pour appréhender les cartulaires contenant les droits de la cité. Enfin, Honorat Flote précisa que le coffre (capsia) se trouvait désormais dans l’archivum de la maison commune. Au milieu du xv^e siècle, les registres d’ordonnances y étaient conservés, aux côtés des cartulaires et des volumes de comptes²⁵. Cet ensemble documentaire a aujourd’hui disparu, mais les fragments des années 1454-1457 permettent de poser quelques jalons sur l’activité du conseil et les rapports de pouvoir en son sein.

Interroger les listes de noms  : quelle représentativité des conseils urbains  ?

15Chaque année, au moment de Noël, les membres du gouvernement communal se réunissaient pour choisir la composition des nouveaux conseils. Hormis leurs noms, rares sont les informations sur ces hommes et leur métier. Les élections suivaient une logique spatiale  : les habitants de la ville haute et ceux de la ville basse obtenaient le même nombre de conseillers, de syndics et d’officiers mineurs (regardaires, inspecteurs des marchés, et arbitres)²⁶. Cette partition fut le résultat de négociations entre citoyens, réglées par les officiers princiers. Dès l’institution des Quarante en 1324, de vives tensions étaient apparues entre les résidents des deux parties de la cité. En septembre 1327, pour résoudre les discordes, le parlement public niçois nomma six arbitres qui aboutirent à un accord, validé par les habitants puis confirmé par les officiers centraux²⁷. Cette partition fut également étendue aux syndics  : le 14 mars 1344 [a. st.], les Niçois réunis en assemblée générale établirent que les syndics, alors au nombre de deux, seraient équitablement issus de la ville haute et de la ville basse²⁸.

16Dans son ordonnance du 16 juillet 1435, Amédée VIII proposa une réforme profonde du gouvernement urbain niçois²⁹. Il instaura une nouvelle répartition des élus, non plus entre ville haute et ville basse comme c’était l’usage depuis le début du xiv^e siècle, mais entre catégories sociales. Nobles, marchands, artisans et laboratores auraient le même nombre de conseillers³⁰. Cette ordonnance intervint pour apaiser les tensions entre citoyens niçois qui perduraient depuis 1434. Elle ne fut cependant pas appliquée et les conflits internes se transformèrent en véritable révolte d’une partie des habitants contre le conseil urbain et le pouvoir princier en 1436³¹. Le refus du gouvernement communal niçois de ratifier l’ordonnance de 1435 aurait pu être à l’origine de la prise des armes en 1436, en plus d’une opposition de nature probablement fiscale.

17Ce moment insurrectionnel dut laisser des marques à Nice. En effet, lors du renouvellement des conseils, Antoine Garnerii continuait à indiquer la division spatiale entre ville haute et ville basse. Cependant, à plusieurs reprises, il nota en face du nom d’élus le terme de laborator³². Les seules autres activités qu’il mentionnait étaient celles de notaire ou d’expert en droit. La qualification de ces hommes révèle donc une certaine importance de cette catégorie de citoyens dans la représentativité au sein du gouvernement. Il est plausible que les élites urbaines aient dû ouvrir le conseil, même à la marge, à d’autres membres de la population. En 1492, la duchesse Blanche de Montferrat réaffirma dans une nouvelle ordonnance le principe de la division en catégories sociales. Il fut appliqué et perdure à l’époque moderne, avec quelques inflexions³³. Les tensions qui existaient au début du xiv^e siècle entre ville haute et ville basse purent recouper, du moins partiellement, celles de 1436 car les artisans étaient majoritairement possessionnés dans les quartiers inférieurs de la cité³⁴.

18Conseil des Quarante et conseil des Huit ne formaient qu’une institution communale parmi d’autres dans la ville. La conservation de leur production documentaire et leur rôle d’intermédiaire pouvaient cacher d’autres formes d’assemblées.

Négocier par voie d’assemblées

19Au xiii^e siècle, malgré la suppression du consulat par le comte Raymond Bérenger V en 1229, les chefs de famille continuèrent à s’assembler en parlamentum publicum. Au xiv^e siècle en Provence apparurent d’autres réunions d’un périmètre différent  : des délégués des trois états, venant de toute la circonscription, se rendaient dans le chef-lieu. Avec l’arrivée des Savoyards, Nice, en tant que siège du gouvernement de tout le territoire conquis en 1388, accueillit désormais des assemblées dont les représentants venaient de toute la Provence savoyarde. La mise par écrit de ces réunions élargies, toujours en lien avec le conseil urbain de Nice, témoigne d’une évolution vers le modèle du registre de délibérations.

Du parlement public…

20Les membres du gouvernement communal niçois conservèrent quelques procès-verbaux des parlements du xiv^e siècle³⁵. En Provence, les assemblées qui ont fait l’objet d’un écrit furent encadrées par le bailli ou son lieutenant. Le notaire public en rédigeait une copie instrumentée à la demande des élus, qui pouvaient le déposer dans ses archives.

21Les modalités de réunion des chefs de famille de la cité, incarnation de la communauté³⁶, sont assez bien connues. Le procédé était très ritualisé, et souvent une simple mention expliquait qu’ils avaient été assemblés comme à l’accoutumée (ut moris est). Le 21 mai 1375, le viguier convoqua les citoyens, afin de régler les différends concernant les dégâts causés par des animaux dans les cultures. Il fit annoncer le parlement à son de cloches et par cri public. Ces réunions se tenaient le plus souvent sur la place devant le château comtal, qui abritait également la plupart des rencontres du conseil des Quarante au xiv^e siècle³⁷. En général, les assemblées élargies pouvaient se dérouler sur des espaces «  partagés  » ou «  empruntés  », comme les églises, la salle du palais épiscopal, la maison du gouverneur ou encore celle d’un notable³⁸. Dans le cas de Nice, la place du château constituait un lieu central pouvant accueillir une population conséquente et un espace de dialogue entre la communauté et les officiers.

22La présidence et le contrôle du représentant du pouvoir seigneurial ou princier étaient un trait caractéristique de ces parlements provençaux à partir de la seconde moitié du xiii^e siècle, à l’image du conseil urbain. Il est difficile de saisir la place des assemblées autonomes, car le comte de Provence ne les reconnaissait pas. Ainsi en 1298, quelques Niçois se réunirent afin de s’opposer à l’introduction de vin étranger dans leur cité, récemment autorisée par le pouvoir princier. Par un acte daté du 18 mai, Charles II de Provence les amnistia, mais leur rappela qu’il était interdit de s’assembler, «  au-delà d’un certain nombre  » sans l’autorisation de la cour³⁹. Cet acte témoigne de l’existence de réunions informelles qui échappaient au conseil urbain comme aux officiers locaux. En condamnant les Niçois, le comte de Provence reconnaissait à l’assemblée la capacité de contrecarrer le contrôle princier exercé sur la ville, mais il témoignait aussi de son inquiétude face au potentiel pouvoir de décision de cette réunion. L’effort d’encadrement de la population pouvait également venir du gouvernement urbain lui-même  : en soumettant des questions à une assemblée élargie, il n’était plus maître de son déroulement.

23En 1336, à la demande de quelques hommes de Nice, Raymond Gantelmi, alors lieutenant du sénéchal de Provence, réaffirma la prépondérance du conseil des Quarante sur le parlement public⁴⁰. Les Niçois expliquèrent que la réunion élargie créait de nombreux tumultes et dommages et entraînait un risque d’émeute. Le thème est classique  : il permettait aux élites urbaines de limiter le pouvoir de ces assemblées de citoyens. Raymond Gantelmi rendit l’accord des officiers locaux obligatoire  : ces hommes devaient veiller à ne la convoquer qu’après un examen minutieux de la demande. Dès lors, la confiscation des prérogatives du parlement se faisait au profit d’une alliance entre les élites urbaines et l’autorité princière. Cependant, ces réunions élargies ne disparurent pas, car elles restaient un contre-pouvoir mobilisable pour les membres du gouvernement, pour les officiers ou même pour les habitants qui pouvaient remettre en cause l’ordre établi dans la cité. Leur pérennité est confirmée puisqu’elles étaient encore convoquées à Nice à l’époque moderne, avec des attributions équivalentes à celles du Moyen Âge (élections annuelles d’officiers, impositions extraordinaires, révisions de statuts…)⁴¹.

24L’écriture d’instruments notariés pour ces assemblées générales peut témoigner de la légitimité que leur concédait le conseil urbain. Pour la réunion informelle de 1298, aucun document n’a été conservé (ou même rédigé). Les membres du gouvernement communal sauvegardèrent probablement les procès-verbaux des parlements qui leur permettaient de défendre leurs prérogatives ou de justifier une décision vis-à-vis du prince.

… aux assemblées locales et régionales

25À l’échelle de la viguerie, les officiers pouvaient convoquer les nobles, les prélats et les représentants des villes et villages. En réalité, les trois états étaient rarement tous présents et, au xv^e siècle, les réunions des seules communautés semblent se multiplier⁴². Aucun procès-verbal d’assemblées de la viguerie de Nice n’a été conservé pour la période étudiée. Pourtant, en septembre 1383, en pleine guerre de l’Union, le conseil urbain convoquait les syndics et nobles de sa viguerie⁴³. Après la conquête de 1388, la cité niçoise accueillit des assemblées à l’échelle de toute la Provence savoyarde. Leur existence est attestée par des mentions dans la documentation princière (comptabilités, lettre en réponse d’une demande…). Le 8 février 1396, le comte Amédée VIII accédait à une requête des syndics et consuls des communautés de Nice et des autres lieux de toute sa patria Provincie, mais aucun procès-verbal de leur rencontre ne fut conservé. Par contre, dans le document des années 1454-1457, le notaire Antoine Garnerii rédigea le compte-rendu d’une assemblée⁴⁴.

26Le 24 février 1455, le syndic Pierre Badati rapporta au conseil urbain que le receveur général de Provence, François de Opeciis, était venu présenter des lettres de créance émanant de Louis I^er de Savoie. Le duc souhaitait la concession d’un don gracieux d’une hauteur de 5000 ducats. Dans un premier temps, les élus niçois tergiversèrent et demandèrent au receveur la preuve de l’authenticité des lettres. Ils sollicitèrent également la convocation d’un consilium trium statuum⁴⁵. Ce dernier se réunit le 15 mars 1455 dans la maison commune, en présence du gouverneur. Parmi les présents se trouvaient huit nobles et quatorze délégués de communautés (pour dix-huit villages représentés)⁴⁶. Malgré la prétention de l’assemblée à incarner l’ensemble de la Provence savoyarde, la commune la plus éloignée qui envoya un procureur fut Allos. Les localités de la viguerie de Barcelonnette et du Val de Stura, limite septentrionale de la Provence, ne furent pas représentées. En revanche, les communautés rurales proches de Nice mandèrent un nombre important de délégués, témoignant d’un rayonnement avant tout local de la capitale niçoise. Parmi les présents, Honorat Bruni se rendit à Nice au nom de Saint-Etienne-de-Tinée et de sa baillie. Cette mention signifierait qu’une assemblée des communautés de cette circonscription ait été convoquée pour le nommer, impliquant un lien entre ces deux réunions des trois états, aux périmètres différents.

27Le 15 mars 1455, le rôle du gouvernement urbain de Nice fut prépondérant. Tout d’abord, face aux vingt-deux délégués venus de Provence savoyarde, se trouvaient les quatre syndics et six conseillers du chef-lieu. De plus, Pierre Badati, déjà syndic de Nice, représentait également cinq autres communautés, témoignant du rayonnement des élites urbaines niçoises sur l’arrière-pays. Le notaire Antoine Garnerii rédigea le compte-rendu de l’assemblée du 15 mars sur le modèle des réunions des Huit et des Quarante⁴⁷. Il reprit son formulaire, indiquant la date, puis la liste des présents et enfin les ordonnances. Les similitudes dans l’écriture sont nombreuses  : le lieu à noter fut la maison commune, les premiers noms inscrits furent celui du gouverneur, puis ceux des syndics suivis des conseillers niçois, avant de mentionner les autres délégués. Les modalités de réunion et cette rédaction sur le modèle des délibérations communales semblent indiquer que l’assemblée générale était conçue comme un prolongement du conseil urbain niçois. Ses membres savaient jouer sur le périmètre de ces assemblées pour négocier avec le pouvoir princier, comme ici dans le cas de la demande de subside.

28Pour conclure la rédaction et la conservation des procès-verbaux de réunion étaient liées à la participation du gouvernement urbain, qui faisait réaliser un compte-rendu par un notaire. Si les réunions informelles nous échappent, les conseils et assemblées encadrés par les pouvoirs communaux et princiers permettent de saisir les enjeux qui présidaient à leur mobilisation. Les notables du syndicat les utilisaient pour affirmer leur contrôle sur les habitants de la cité et confirmer leur rôle de médiateur auprès du pouvoir princier. Face aux questions fiscales, la convocation d’assemblées élargies permettait au conseil urbain de tergiverser et participait aux stratégies de négociation. Cependant, l’élite communale cherchait à les garder sous contrôle, ce qui l’amenait à renier toute légitimité aux réunions informelles. Cette velléité de mise sous tutelle se confirma avec les assemblées de la Provence savoyarde. Lorsque les délégués se rendirent à Nice en mars 1455, ils se regroupèrent dans la maison commune, sous la présidence du gouverneur, à l’image du conseil des Huit et des Quarante. Le gouvernement communal en avait demandé la convocation et ses membres y assistèrent nombreux. Le notaire Antoine Garnerii présentait finalement cette rencontre de 1455 plus comme un élargissement du conseil urbain aux villages des alentours que comme une véritable assemblée représentative de nobles et communautés de Provence savoyarde.