9.1 Les occupations de l’âge du Bronze

T. Lachenal, Ph. Rentzel, B. Röder, W. H. Schoch, S. van Willigen

1Cinq structures en creux ont été attribuées à l’âge du Bronze sur la base de leur mobilier archéologique. À celles-ci s’ajoutent 31 trous de poteau qui permettent de reconstituer deux plans de bâtiment attribuables à cette même période chronologique. Ces structures sont localisées dans la partie sud-ouest du décapage (fig. 332).

332. Répartition des structures fouillées attribuées à l’âge du Bronze

9.1.1 La structure polylobée 888

9.1.1.1 Description et stratigraphie

2La structure 888 est apparue sous la forme d’une grande tache de sédiment homogène gris foncé à noir d’environ 7x4,5 m. Elle a été fouillée en damier par carrés de 1 m de côté de manière à ménager le plus grand nombre possible de coupes (fig. 333). Seule une partie des carrés a été fouillée. Il s’agit d’une structure polylobée aux contours irréguliers. La structure 887, comblée par un sédiment similaire, représente en fait l’un de ces lobes. Cet aspect irrégulier est apparu également dans les différentes coupes (fig. 334) qui donnent l’impression que l’ensemble est constitué de creusements successifs. En dépit de l’homogénéité du remplissage constitué d’un sédiment limono-sableux gris foncé, il a été possible de différencier plusieurs niveaux :

• us 1 : sédiment limoneux homogène, gris à jaune (substrat) ;

• us 3 : sédiment argileux gris foncé à noir avec de rares nodules orange, peu de graviers et d’éléments anthropogènes ;

• us 4 : sédiment argileux jaune-beige avec de nombreuses inclusions orange et concrétions calcaires, quelques graviers ;

• us 4b : comparable à 4 mais avec de nombreux graviers, limites diffuses vers le bas (4) ;

• us 5 : sédiment argileux hétérogène (brun, gris, beige) avec quelques concrétions calcaires ;

• us 6 : sédiment argileux hétérogène (brun, orange, jaune, beige) avec de nombreuses concrétions calcaires ;

• us 7 : sédiment argileux brun foncé avec quelques inclusions jaunâtres, peu de graviers ;

• us 8a/b : sédiment argileux très compact brun foncé, quelques blocs calcaires décimétriques, rares concrétions calcaires et charbons de bois, quelques inclusions orange et jaune ;

• us 9 : sédiment argileux gris foncé à noir avec quelques graviers ;

• us 10 : sédiment argileux noir, graviers ;

• us 11 : sédiment argileux gris avec quelques inclusions jaune et orange, peu de graviers, peu de concrétions calcaires ;

• us 12 : sédiment argileux brun foncé, quelques inclusions oranges, quelques concrétions calcaires et graviers ;

• us 13 : sédiment argileux brun foncé à noir, plus hétérogène que 8, quelques concrétions calcaires et fragments de céramique ;

• us 14 : sédiment argileux brun avec des inclusions jaunâtres, plus compact que 8b, limites diffuses ;

• us 15 : sédiment argileux hétérogène (brun, orange, jaune, beige) avec quelques concrétions calcaires, limites diffuses vers 8, nettes vers 1 et 16 ;

• us 16 : sédiment argileux hétérogène brun avec des concrétions calcaires ;

• us 17 : sédiment argileux gris à jaunâtre avec de nombreux graviers, peu de concrétions calcaires, plages verticales orangées, aucune inclusion anthropogène visible ;

• us 18 : sédiment argileux gris à jaunâtre avec de nombreux graviers, concrétions calcaires, plages verticales orangées, aucune inclusion anthropogène visibles ;

• us 19 : sédiment argileux brun foncé homogène, rares concrétions calcaires, aucune inclusion anthropogène visibles.

333. Plan de la structure 888

334. Coupes de la structure 888

3Au vu de sa forme, la structure pourrait correspondre à une fosse d’extraction de matériau de construction.

4En vue d’une caractérisation du remplissage de la structure 888 un bloc de sédiment non perturbé a été prélevé pour une étude micromorphologique1. Après induration à la résine synthétique, une tranche polie et deux lames minces ont été confectionnées. Le sédiment silto-sableux, très riche en microcharbons est homogène, seul les rares composants grossiers (tessons de céramique, gastéropodes) montrent une légère tendance au litage subhorizontal. Quoique fortement bioturbé par des racines récentes, le remplissage présente des zones plus compactes qui peuvent être le résultat de piétinements lors du remblaiement de la fosse. Elles sont cependant faiblement exprimées et s’observent entre autre au niveau des tessons de céramique. Ce trait microscopique va dans le sens d’un remblaiement successif de la fosse, éventuellement suite à des phases répétées de subsidence du remplissage. Une illuviation poussiéreuse – processus de translocation et infiltration de particules fines sous l’effet d’eau – montre que le remplissage s’est formé à l’air libre en rapport avec des surfaces dénudées (Courty et al. 1989). Le dépôt peut être qualifié quant à sa composition géochimique de riche en carbonates de calcium, à pH alcalin, peu altéré et donc provenant de couches fluviatiles non atteint par des effets de pédogenèse. Ces données correspondent à un type de dépôt naturel assez profond du point de vue de la stratigraphie. En outre le remplissage ne comprend pas de gros charbons de bois, peu de fragments de sol brûlé et ne montre aucune trace de combustion sur place, c’est-à-dire à l’intérieur de la fosse. Ce constat permet d’émettre l’hypothèse que l’enrichissement en minuscules charbons de bois s’est produit avant la déposition finale du sédiment dans la fosse. En l’absence de matière organique (3,5 %), sa couleur foncée est due à l’abondance de microcharbons, éléments anthropiques qui différencient nettement ces sédiments archéologiques des couches néolithiques généralement plus minérogènes hors structures d’habitat. Globalement, la micromorphologie montre qu’il s’agit d’un sédiment frais, fortement influencé par des activités de combustion, mais sans indices de présence ni de matière organique, ni de fumier ou de phosphates. Le degré d’homogénéisation des microcharbons évoque un malaxage avec un sable limoneux probablement à l’extérieur de la fosse. Ceci nous amène à la question de la provenance de la fraction minérogène et de la genèse du creusement polylobé. Vue ses dimensions et le fait qu’il se situe à proximité de bâtiments, il pourrait s’agir de fosses d’extraction de matière première. Sa texture sablosilteuse et l’abondance en carbonates de calcium excluent cependant une argile de potier. En revanche, ce type de sédiment s’avère très apte à la fabrication de torchis2, matériau de construction peu cohésif qui se conserve avant tout en relation avec des bâtiments incendiés. En l’absence d’éléments cuits ou rubéfiés par le feu, le torchis et le pisé se désagrègent et restent plus difficile à mettre en évidence à l’oeil nu. L’analyse microscopique n’a certes pas décelée de fragments de torchis, mais, vue la dominance de la fraction sablo-silteuse dans les dépôts de fosses, la question de la présence de restes de torchis dans le remplissage de la structure 888 se pose.

9.1.1.2 Le mobilier céramique

5Le mobilier de la structure 888, peu abondant, est constitué essentiellement de céramique (fig. 335). Aucune forme n’est complète et les surfaces sont érodées. Des bords de cols divergents (fig. 335, 1-2 et 7) ainsi que des fragments de panses ornées d’impressions digitées ou imprimées à l’aide d’outils de formes rectangulaires, circulaires ou triangulaires (fig. 335, 14-18), appartiennent à des jarres de grande dimension. Les fonds des récipients sont plats ou ombiliqués (fig. 335, 19-21).

335. Mobilier de la structure 888 ; 1-21 : Bronze final ; 22-23 : Néolithique moyen

6Parmi les formes reconnaissables, il faut mentionner des fragments d’écuelles à rebord, vraisemblablement carénées à l’origine (fig. 335, 6 et 11). Cette forme est particulièrement fréquente en France méridionale au Bronze final 2b, notamment en Provence aux Martins (Roussillon, Vaucluse), à Saint-Blaise (Saint-Mitre-les-Remparts, Bouches-du-Rhône ; Lachenal 2014a, type 39 ; fig. 11, 2-5 ; fig. 14, 2 et 6 ; fig. 16, 1-2 et 4-5) ou à Malvoisin (Orgon, Bouches-du-Rhône ; Sauzade et al. 1981, fig. 16, 1). En Languedoc, des exemplaires similaires sont issus de la grotte du Prével Supérieur (Montclus, Gard ; Dedet & Roudil 1994, fig. 19, 14-15), du Roc de Conilhac (Gruissan, Aude), de l’abri du Collier (Lastours, Aude : Guilaine 1972, fig. 88, 1 et 5 ; fig. 96, 4) et de la grotte des Cazals (Sallèles-Cabardès, Aude : Gascó 1988, fig. 8).

7Un fragment non figuré correspond pour sa part à une écuelle à pseudo épaulement, également caractéristique du Bronze final 2b. Cette forme, vraisemblablement héritée des vases à épaulement véritable du style Rhin-Suisse-France orientale, se rencontre principalement au sud du Massif central. Elle est illustrée dans le Vaucluse par des exemplaires de l’Escarasson (Mirabeau ; Lachenal 2014a, fig. 13, 7), de la grotte de l’Aiguille (Buoux ; Buisson-Catil & Vital 2002, fig. 72, 6) et de Laprade (Lamotte-du-Rhône ; Billaud 2002, fig. 81, 18). Elle se retrouve également dans Alpes-de-Haute-Provence comme à la grotte Murée (Montpezat), ainsi que dans les Bouches-du-Rhône à l’Abion (Martigues, Lachenal 2011, fig. 18, 17-18 et 23, 5) ainsi qu’aux Craux (Puyloubier ; Dufraigne 1995, fig. 8, 19). Ce type est aussi bien documenté dans les gorges de la Cèze à la grotte du Prével Supérieur (Montclus), à la grotte du Hasard et à la grotte du Cimetière (Tharaux, Dedet & Roudil 1994, fig. 18, 5-6 et 13 ; Roudil & Dedet 1993, fig. 32, 1, 4, 5 et 55, 13 ; Roudil 1972, fig. 71, 7). Dans les Grands Causses, des exemplaires se retrouvent au Rajal del Gorp (Millau, Aveyron) et à la grotte des Morts (Saint- Sauveur-des-Pourcils, Gard ; Costantini et al. 1985, fig. 24, 4, 6, 7 et fig. 52). D’autres vases de même profil proviennent de la grotte de Borie-Basse (Livers-Cazelle, Tarn ; Carozza 1994, fig. 34, 9-10), de la Cauna de Martrou (Villemaury, Aude ; Gascó 1983, fig. 2, 6 et 11) et du Baous de la Salle (Bize, Aude ; Lauriol 1958, fig. 1, 12 et 18). Enfin, on peut citer, pour les exemplaires les plus septentrionaux, ceux de la Baume des Anges (Donzère, Drôme ; Vital 1990, fig. 39, 4-5) et de la fosse du secteur C60 du Gournier-Fortuneau (Montélimar, Drôme ; Vital et al. 2011, fig. 37, 23).

8Parmi les tessons appartenant à des vases ouverts, un élément correspond à une coupe rectiligne à ressaut interne (fig. 335, 10). Ces vases sont présents dès le Bronze final 2a aux Juilléras (Mondragon, Vaucluse ; Lachenal 2014a, fig. 8, 3) et à la Prairie (Chabrillan, Drôme ; Vital 2014, fig. 14, 9). D’autres sites méridionaux du Bronze final 2b livrent des récipients de ce type, tels que les Martins (Roussillon, Vaucluse ; Lachenal 2014a, fig. 11, 18, 20 et 21) et les Toulons (Rians, Var ; Lagrand 1968, pl. LXVII, 5). Elle se retrouve aussi dans la structure 1104bis du Clot (Castres, Tarn), datée de la transition Bronze final 2b-3a (Carozza et al. 1996-1997, fig. 9, 14). On peut également citer des exemplaires provenant de contextes moins sûr, tels que la Baume Sourde (Francillon, Drôme ; Vital 1988, fig. 7, 3 et 5), la grotte des Balmes (Sollières-Sardières, Savoie ; Vital & Benamour 2012, fig. 107, 8), la Grande grotte de Vidauque (Cheval Blanc, Vaucluse ; Buisson-Catil & Vital 2002, fig. 73, 10) et la grotte du Hasard (Roudil & Dedet 1993, fig. 33, 1 et 5, fig. 35, 11). Cette morphologie de vase est également fréquente dans le style RSFO (Brun & Mordant 1988). Elle abonde notamment au Hallstatt A2, mais semble persister au Hallstatt B1 (Vital & Benamour 2012 :178-179). Des exemplaires sont notamment présents aux Brosseilles (Sandillon, Loiret ; Froquet et al. 2006-2007, fig. 7, 16) et à En la Donchière (Ursy FR, Suisse ; Ramseyer & Stöckli 2001, fig. 15, 106-1).

9.1.2 Les bâtiments

9Deux groupes de trous de poteau permettent de délimiter deux plans de bâtiments.

9.1.2.1 Le bâtiment 1

10Le bâtiment 1 est constitué de 25 trous de poteaux.

Forme et dimensions

11Il se présente sous la forme d’un rectangle orienté nordest/sud-ouest de 7,10 m de longueur et 6,10 m de largeur, prolongé par une abside de 3,05 m de rayon (fig. 336-337). Il est composé de deux rangées externes de sept trous de poteau pour la rangée nord-ouest et de 6 trous de poteau pour la rangée sud-est, d’une abside du côté nordest constituée de six trous de poteau (une interruption correspond à un septième trou de poteau disparu ou à un passage) et de deux rangées internes de trois poteaux chacune. La longueur totale du bâtiment est donc de 10,15 m pour une largeur de 6,10 m.

336. Vue aérienne du bâtiment 1 ; photo Airpixel

337. Plan du bâtiment 1

Les trous de poteau

12À une exception près, les trous de poteau se présentent sous la forme de petites taches de sédiment limoneux gris foncé homogène dépourvu de toute concrétion et cailloutis (fig. 338). Le remplissage du trou de poteau 717 se distingue des autres par son remplissage hétérogène constitué d’un sédiment brun avec de nombreux charbons de bois et nodules de terre brûlée (fig. 339). Les 19 trous de poteau des deux rangées externes et de l’abside ont un diamètre maximum d’environ 15 cm pour une profondeur de 5 à 10 cm. Ils ont espacement de 1 m à 1,5 m. Les six trous de poteau des deux rangées internes ont un diamètre de 40 à 45 cm et une profondeur de 20 à 30 cm. L’espace entre les poteaux de ces deux rangées est de 2,50 (entre le poteau sud-ouest et le poteau central de chaque travée) à 3 m (entre le poteau nord-est et le poteau central de chaque travée). La distance entre les deux rangées internes est de 3,20 m. Étant donné leur diamètre réduit, il est probable que les trous de poteau représentent en fait les fantômes des pieux plutôt que les creusements dans lequel ces mêmes pieux auraient été positionnés puis calés.

338. Vue en plan de l’un des trous de poteau du bâtiment 1 (structure 700)

339. Coupe de la structure 717 ; on peut distinguer quelques nodules de terre rubéfiée

Aménagements internes

13Cinq structures se trouvaient dans l’espace délimité par les rangées externes de trous de poteau (722, 723, 724, 725 et 726A). La structure 722 est attribuable au Moyen Âge ou à l’époque moderne (présence d’un fragment de céramique vernissée). La structure 723 n’a livré aucun mobilier, toutefois, ses contours très diffus et son comblement constitué d’un sédiment gris clair la rapprochent des structures néolithiques du site. 724 et 725 renfermaient quelques éléments attribuables au Néolithique moyen type Chassey. La structure 726A n’a livré aucun élément datant. Son remplissage, constitué d’un sédiment limono- sableux gris foncé présente les mêmes caractéristiques que celui de la structure 888. Ce serait donc la seule structure susceptible d’être contemporaine du bâtiment. Aucun indice ne permet de préciser sa fonction.

Restitution

14Il s’agit d’un bâtiment à trois nefs sur ossature en bois. Les six poteaux internes de fort diamètre et bien ancrés dans le sol pouvaient supporter un étage, ou plus probablement servir de structure porteuse de la toiture, selon un modèle d’architecture à parois rejetées.

Mobilier céramique

15Seuls trois trous de poteaux du bâtiment 1 ont livré du mobilier céramique datant. Il s’agit tout d’abord des structures 705 et 707 qui contenaient plusieurs fragments jointifs d’un pot rectiligne à rebord concave (fig. 340, 1). Bien que lacunaire, ce tesson peut être rapproché de vases du Bronze final 2b de l’Escarasson (Mirabeau, Vaucluse) du Collège Mignet (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; Lachenal 2014a, fig. 13, 2, 4-5, fig. 17, 1-2) et de Laprade (Billaud 2002, fig. 82 n° 4). Le trou de poteau 718 renfermait le fragment d’un gobelet rectiligne à rebord (fig. 340, 2) qui trouve également une bonne comparaison à Laprade (Billaud 2002, fig. 81, 14).

340. Mobilier issu des trous de poteau 705, 707 et 718 ; Bronze final

Éléments de datation absolue

16Le remplissage des trous de poteau a été soumis à un tamisage archéobiologique. Les charbons récupérés de la sorte dans quatre trous de poteau ont fait l’objet d’une étude anthracologique (fig. 341) : 716 : dix charbons de chêne, deux de Prunus sp. 717 : ce trou de poteau se distinguait des autres par son remplissage hétérogène et par la présence de nombreux nodules de terre rubéfiée et de gros fragments de charbons de bois. Le tamisage archéobiologique a permis de recueillir une centaine d’échantillons de charbons. Tous ont été déterminés comme étant du chêne. 719 : 30 charbons de Maloideae, trois charbons de frêne, un charbon de chêne et un charbon d’orme. 721 : quatre charbons de chêne.

341. Détermination des restes anthracologiques provenant des trous de poteau du bâtiment 1

17Le bois de chêne ayant été probablement employé pour la construction de l’ossature du bâtiment, nous avons décidé de dater en priorité les charbons correspondant à ce taxon même s’il faut s’attendre à un effet vieux-bois d’autant plus marqué que 716, 717, 719 et 721 font partie de la structure porteuse du bâtiment et que les poteaux avaient vraisemblablement un diamètre de l’ordre de 20 à 30 cm.

18Le fait que le trou de poteau 717 présente des traces de rubéfaction et renferme de nombreux charbons de bois semble indiquer que le poteau correspondant s’est consumé en place. Dans ce cas, les charbons provenant de la structure 717 seraient effectivement les restes de la structure porteuse du bâtiment.

19Un charbon de la structure 717 (fig. 341, en rouge) a donc été envoyé au laboratoire de Poznań (PL). La mesure a donné le résultat suivant : Poz-79181 2995±30BP. Après calibration cette datation couvre la période allant de 1303 à 1122 avant notre ère. à 91,2 % de probabilité. Elle semble donc un peu ancienne au regard de ce qui est généralement admis concernant la chronologie du Bronze final 2b, correspondant au Hallstatt A2 de la chronologie continentale qui couvre lui-même une période entre 1100 et 1060 avant notre ère (David-Elbiali & Moinat 2005). Comme nous l’avons vu, un effet vieux bois est envisageable puisque cette mesure a été réalisée sur un charbon de chêne correspondant vraisemblablement à élément porteur de la structure de l’habitation. Elle doit donc être comprise comme un terminus post quem de la construction du bâtiment. Cette date a été confrontée aux autres datations radiocarbone disponibles pour le midi de la France pour l’intervalle compris entre 1300 et 900 avant notre ère, soit entre le Bronze final 1b et le Bronze final 3a (Lachenal 2014a). Pour la fin du Bronze final 1b, les datations proviennent des sites du Petit Garlambaut (Béziers, Hérault), de Comboul (Nice, Alpes-Maritimes), de la Zac des Portes de Provence (Montélimar, Drôme) et de la nécropole du Conservatoire (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône) (Lachenal et al. 2017). Le Bronze final 2a est représenté par le seul site de Pancrace à Montboucher-sur-Jabron (Drôme ; Vital 2014) tandis que pour le Bronze final 2b nous disposons des mesures de Laprade3 (Billaud 2002), de Fortuneau (Montélimar, Drôme ; Vital et al. 2011), du Château de l’Arc (Fuveau (Bouches-du-Rhône ; inédit, fouilles Anne Hasler, INRAP) et du Roc de Conilhac (Gruissan, Aude ; inédit, fouilles Thibault Lachenal). Enfin, le Bronze final 3a est illustré par les datations du site du Bastidon (Sillans-la-Cascade, Var ; Bérato & Degaugue 1999) et du Laouret (Floure, Aude ; Gascó 1996).

20Une modélisation bayésienne de cette série de datations traitée en phases et séquence selon la périodisation céramique (Lachenal 2014b) a été réalisée à l’aide du logiciel OxCal v4.3.2 (fig. 342). La date obtenue à partir du charbon de chêne issu du trou de poteau 717 est elle-même intégrée au modèle en tant que terminus post quem (fonction after sous Oxcal). Traitée de la sorte, cette mesure est compatible avec une datation du bâtiment 1 dans le Bronze final 2b. Une attribution de cette structure au Bronze final 2a n’est toutefois pas à exclure totalement, compte tenu du peu de mobilier qui en est issu. Les styles céramiques du Bronze final 2a et 2b méridionaux montrent en effet de nombreuses correspondances (Lachenal 2014a, Vital 2014). Si l’on considère que la structure 888, qui a livré plus de mobilier, est contemporaine du bâtiment 1, il semble néanmoins qu’un certain nombre d’éléments caractéristiques du Bronze final 2a soient absents, tels que les bords digités, les décors cannelés orthogonaux ou incisés au peigne.

342. Modélisation bayésienne des dates de la fin de l’âge du Bronze

9.1.2.2 Le bâtiment 2

21Le bâtiment 2 a été découvert dans la partie ouest du décapage à une vingtaine de mètres au sud du bâtiment 1.

Forme et dimensions

22Il est constitué par six trous de poteau disposés en deux rangées de trois trous de poteau chacune qui forment un rectangle de 4 m sur 3,10 m orienté nord-est sud-ouest (fig. 343).

343. Plan du bâtiment 2

Les trous de poteau

23Les trous de poteau ont un diamètre compris entre 30 et 50 cm et une profondeur de 5 à 30 cm. Ils sont comblés par un sédiment limoneux gris foncé. Le remplissage a livré quelques fragments de céramique, mais aucun élément diagnostique et aucun charbon de bois.

Éléments de datation et restitution

24En l’absence de tout élément datant, les ressemblances avec le bâtiment 1 sont les seuls indices de datation. Les trous de poteau qui constituent ce bâtiment présentent en effet le même agencement que ceux limitant la nef centrale du bâtiment 1 ainsi que la même orientation. Seules les dimensions des deux structures présentent quelques différences : les six poteaux de la nef centrale du bâtiment 1 délimitent un espace de 5,80 x 3,50 m contre 4 x 3,10 m pour le bâtiment 2.

25En conséquence, il est probable que le bâtiment 2 soit également attribuable au Bronze final 2b. Par ailleurs, il est possible que les six trous de poteaux ne correspondent qu’à la partie conservée d’un bâtiment qui, par analogie avec le bâtiment 1, était à l’origine doté de deux rangées externes de poteaux et d’une apside. Ce dispositif qui, dans le cas du bâtiment 1, est moins bien ancré dans le sol que les deux travées centrales, aurait été, dans le cas du bâtiment 2, totalement détruit par les labours. Si l’on tient compte des proportions du bâtiment 1 (10,15 x 6,10 m), on obtiendrait alors pour le bâtiment 2 un plan à trois nefs et une abside de 7,80 m de longueur sur 6,20 m de largeur (fig. 344).

344. Proposition de reconstitution du bâtiment 2

9.1.3 Autres structures

26Les structures 890 et 1034 ont livré respectivement un fragment de gobelet à rebord et une coupe convexe pouvant parfaitement s’insérer dans les séries du Bronze final 2b. Les fosses 909 et 995 peuvent également être attribuées à l’âge du Bronze sans plus de précision faute de mobilier véritablement caractéristique. Leur contemporanéité avec les deux bâtiments n’est donc pas démontrable.

27Parmi elles, on peut mentionner la structure 995 (une structure cylindrique d’environ 1 m de profondeur, comblé d’un sédiment argileux compact gris foncé ; fig. 345). Elle a livré quelques rares fragments de céramique (dont un fragment de fond plat ; fig. 346, 1). Un grand bloc était déposé à plat sur le fond de la structure4 (fig. 346, 2). Cette structure a fait l’objet d’un prélèvement micromorphologique (fig. 347). Le substrat géologique (fig. 348 ; ensemble 3) consiste en un sédiment fluviatile de type limon de débordement d’une plaine alluviale. Sous microscope on observe un dépôt limoneux carbonaté avec une fraction sableuse abondante qui se compose de grains de quartz et de calcaires, auxquelles s’ajoute une fraction de grains de glauconie. L’hypothèse reste à vérifier, si cette glauconie provient de la désagrégation du grand bloc retrouvé directement sur le substrat naturel. Dans la partie supérieure de l’ensemble 3, on note l’apparition de rares charbons de bois et de pores remplis d’un sédiment fin carbonaté et microcharbonneux. En outre des zones légèrement plus compactes sont préservées, alors que la couche est transformée par des effets post-dépositionnels de bioturbation. Ceci indique que la base de la fosse a subi une faible compaction par piétinement, soit lors du creusement de la structure ou pendant la mise en place du bloc rocheux. Des traits comparables s’observent à la base du remplissage microcharbonneux. Pour cette zone, l’illuviation poussiéreuse et les croûtes microlitées indiquent une exposition à l’air libre pendant un certain laps de temps. La micromorphologie montre qu’il s’agit d’une accrétion de sédiment sous l’effet de piétinement dans un contexte non abrité5. On peut toutefois préciser que la base de la fosse ne correspond certainement pas à un sol de terre battue et que le laps de temps de l’ouverture de la fosse peut être qualifié de plutôt court, vus les bords verticaux et intacts de la structure. Le sédiment du remplissage montre des similitudes avec celui de la structure 888 : le sédiment est homogène, les microcharbons sont abondants et les éléments anthropiques sont très rares (macrorestes carbonisés isolés, une esquille de silex et de rares petits fragments d’os). Ces derniers sont mal conservés et dépourvus de collagène. L’absence de traces d’attaque fongique va à l’encontre d’une exposition prolongée de l’os avant son enfouissement6. On peut donc émettre l’hypothèse que les ossements conservés ont subi un recouvrement rapide et une accumulation dans un piège à sédiment qui les a protégé des effets d’altérations syn- et postdépositionels. Globalement, cette structure semble donc avoir été comblée rapidement peu après avoir accueilli le bloc rocheux.

345. Plan et coupe de la structure 995

346. Mobilier de la structure 995 ; âge du Bronze

347. L’échantillon micromorphologique correspond à la base du remplissage de la fosse et au sommet du substrat sédimentaire du site (ensemble 3 du § 3.1)

348. Tranche polie avec position des lames minces pour l’analyse micromorphologique (cadres rouges)

9.1.4 Un site d’habitat de la fin de l’âge du Bronze

28Le site des Bagnoles a livré cinq structures attribuables à l’âge du Bronze et les plans de deux bâtiments (1 et 2). La structure 888 est notamment attribuable au Bronze final 2b sur la base du mobilier céramique. Il s’agit d’un grand creusement polylobé qui peut être interprété comme fosse d’extraction de matériau de construction. Le bâtiment 1, le mieux préservé des deux, peut également être daté du Bronze final 2 grâce à plusieurs fragments jointifs d’un pot à rebord provenant des deux structures de maintien. Une date radiocarbone réalisée sur un fragment de charbon de bois (chêne) prélevé dans un des trous de poteau ne permet pas de préciser cette chronologie, car il est possible que cette date soit vieillie par l’analyse de bois de coeur. Il est toutefois vraisemblable que cet habitat soit contemporain du creusement de la fosse polylobée dont le matériau extrait a pu être utilisé pour sa construction. Il s’agit d’un bâtiment à abside et trois nefs mesurant 10,15x6,10 m. Le bâtiment 2, non daté, est pour sa part constitué de deux rangées de trois poteaux de même orientation que celle du bâtiment 1. Son attribution à l’âge du Bronze est donc fondée sur les similitudes qu’il présente avec ce dernier (une structure interne formée de six poteaux de fort diamètre et l’orientation commune). Il pourrait ainsi s’agir d’une structure comparable au bâtiment 1 qui n’aurait conservé que sa nef centrale.

29Les vestiges de plans de bâtiments datés de la fin de l’âge du Bronze sont relativement rares en France méditerranéenne. En Vaucluse même, le site de Laprade à Lamotte-du-Rhône a livré sept bâtiments à abside simple orientés nord-sud mesurant 4 m de largeur pour 7 à 11 m de longueur (Billaud 2002). Ces structures se caractérisent par l’emploi de terre massive dans leur architecture. Ces murs sont parfois associés, comme dans le cas des bâtiments 1 et 3, à des piquets périphériques ayant pu servir d’armature aux parois qui ne sont pas sans rappeler ceux du bâtiment 1 des Bagnoles (Billaud 2002, 2005). L’hypothèse de cloisons en bauge renforcée par des piquets a d’ailleurs été émise pour les bâtiments absidiaux de la fin de l’âge du Bronze et du début de l’âge du Fer du Traversant (Mailhac, l’Aude ; Gailledrat et al. 2006-2007). À Laprade comme au Traversant, les traces de structures de maintien interne de la toiture étaient ténues et rien de permet de dire si une structure centrale à deux rangées de poteaux était présente comme c’est le cas aux Bagnoles. Si des parois de cloisonnement internes ont été repérées à l’intérieur de certaines habitations de Laprade, la présence de poteaux porteurs n’est pas avérée. Les fouilleurs signalent toutefois que « le repérage des structures en creux a été difficile en raison de la similitude entre leur remplissage et le niveau archéologique » (Billaud 1999 :612). Au Traversant, aucun calage de poteau interne n’a été identifié, mais la présence d’une trace circulaire rubéfiée proche de l’abside dans l’axe d’une structure laissait supposer la présence d’une rangée centrale de soutien faîtier.

30La combinaison de six poteaux des bâtiments des Bagnoles évoque en revanche deux plans de bâtiments très proches, résultant vraisemblablement d’une reconstruction, du site de Port-Ariane à Lattes (Daveau 2007, fig. 12). Ils ne sont pas directement datés, mais ont été découverts à proximité de structures du Bronze final 1b et du Bronze final 2b (Vital 2007a). Les dimensions de ces deux modules de 3 m à 3,3 m de large pour 7,2 m de longueur sont assez proches de celle dessinée par les six poteaux centraux du bâtiment 1 des Bagnoles. Il est donc possible qu’à l’instar de ce que nous proposons pour le bâtiment 2, les structures de Port-Ariane correspondent à des habitations dont seule la nef centrale ait été conservée.

31Les bâtiments des Bagnoles, bien que de plan original, présentent donc des similitudes avec quelques-uns des rares plans d’habitats connus en France méditerranéenne pour la fin de l’âge du Bronze. Dans des régions plus septentrionales, d’autres structures absidiales sont connues pour le Bronze final, comme le bâtiment C7 de Sur le terreau (Dampierre-sur-le-Doubs ; Pétrequin et al. 1969, fig. 27) ou aux Prétreaux (Changis-sur-Marne ; Lafage et al. 2006), mais ils ne présentent pas de plans à trois nefs. Ce type de plan est d’ailleurs rare, même s’il est signalé de manière ponctuelle dans d’autres régions comme sur le site du Bronze moyen de La Savinière 5 (Ancenis, Loire-Atlantique ; Viau 2010). Le bâtiment B3 du Boulevard périphérique nord de Lyon, daté du Bronze final 1, présente lui aussi un plan absidial matérialisé par des négatifs de piquets. Dans son espace interne se retrouve une rangée de trous de poteaux, désaxée sur un côté du bâtiment, associée à d’autres calages possibles qui pourraient dessiner un plan à trois nefs incomplet (Vital 2007b, fig. 49).

32L’organisation du site des Bagnoles pourrait correspondre à celle de ce dernier site, tout comme à celle de Laprade précédemment cité ou de Fortuneau à Montélimar (Drôme ; Vital et al. 2011). Il s’agit de petites agglomérations à maille relativement lâche laissant des espaces conséquents entre les différents édifices. Situé en bordure ouest de la zone décapée, l’habitat du Bronze final des Bagnoles n’est malheureusement que très partiellement documenté. Il est de ce fait impossible d’en évaluer l’extension réelle et de juger s’il s’agit également d’une petite agglomération ou de seulement deux bâtiments regroupés.

33Sur le plan de l’environnement immédiat des bâtiments, les résultats de l’étude micromorphologique des structures 888 et 995 présentent certaines différences par rapport à ceux des occupations néolithiques du site. Le sédiment issu de ces structures suggère en effet que les débordements fréquents au cours des périodes précédentes jouent un rôle moindre durant l’âge du Bronze, rendant possible d’autres formes d’exploitation du secteur peut être plus axés sur l’agriculture. Cela expliquerait les particularités des sédiments issus les structures de cette période.

9.2 De l’âge du Fer à la période moderne

F. Guyonnet, M. Serieys, T. Lachenal, S. van Willigen

9.2.1 Début de l’âge du Fer

34Trois structures en creux (895, 1024 et 1025) ont été attribuées au premier âge du Fer sur la base du mobilier céramique. Elles sont localisées dans un même secteur, à l’ouest de la fouille, à proximité de la fosse polylobée datée du Bronze final 2b (fig. 349).

349. Répartition des structures attribuables au début de l’âge du Fer

9.2.1.1 La structure 1024

35Il s’agit d’une cuvette d’une profondeur maximale d’une dizaine de centimètres (fig. 350). Son comblement était constitué d’un sédiment limono-sableux gris à gris foncé. Il a livré quelques éléments céramiques diagnostiques parmi lesquels quelques fonds plats, deux bords de coupes à marli (fig. 351, 2-3), un bord de coupe à ressaut interne (fig. 351, 4), un vase à cannelures (fig. 351, 5) et un grand vase à col et décor de triangles excisés (fig. 351, 10-11). Dans ce dernier cas, les triangles sont alignés à l’intérieur du bord (pointe vers le bas) et sous la base du col (pointe vers le haut). Ce vase évoque la céramique excisée du premier âge du Fer du Languedoc oriental (Dedet 1980) associée au faciès Suspendien du vii^e et de la première moitié du vi^e s. avant notre ère. La combinaison de décors perçue aux Bagnoles se retrouve notamment sur des vases du site éponyme de la grotte Suspendue (Collias, Gard ; Coste et al. 1976, fig. 24, 83 et 85). L’ensemble du mobilier présent dans la fosse 1024 s’intègre d’ailleurs parfaitement dans les corpus de cette période.

350. Plan et coupe de la structure 1024

351. Mobilier de la structure 1024 ; premier âge du Fer

9.2.1.2 La structure 895

36La structure 895 est une cuvette aux contours irréguliers (fig. 352) qui contenait un grand bloc calcaire et quelques fragments de céramique néolithique (fig. 353, 6-9). Elle a également livré des bords de coupe à marli, un fond plat, des décors d’impressions triangulaires et un pot à col concave divergent (fig. 353, 5). Cette forme est présente dans des contextes du vii^e s. avant notre ère en Provence, comme au Clos de Roque (Saint-Maximin-la-Sainte-Beaume, Var ; Lachenal et al. 2016, fig. 6, 16) ou aux Brassières-sud (Mondragon, Vaucluse ; Vermeulen 2002, fig. 13, 3).

352. Plan et coupe de la structure 895

353. Mobilier de la structure 895 ; premier âge du Fer

9.2.1.3 La structure 1025

37La structure 1025 est une petite cuvette ovale de faible profondeur (fig. 354) qui a livré quelques éléments céramiques diagnostiques (fig. 355, 1-12), parmi lesquels une écuelle à épaulement et col divergent (fig. 355, 1) qui trouve des similitudes avec un vase du vii^e s. avant notre ère des Brassières-sud (Vermeulen 2002, fig. 11, 4).

354. Plan et coupe de la structure 1025

355. Mobilier de la structure 1025 ; premier âge du Fer

9.2.1.4 Un petit habitat du début de l’âge du Fer

38Le site des Bagnoles a donc livré trois structures pouvant être attribuées au premier âge du Fer. Leur faible profondeur amène à se demander si les vestiges de cette période n’ont pas subi une érosion importante de laquelle seul le fond de quelques structures a été préservé. Cette occupation peut néanmoins être datée du vii^e s. avant notre ère d’après la typologie du mobilier céramique, une période pour laquelle les habitats sont très mal documentés en France méridionale. Ce constat a été interprété comme le résultat d’un phénomène de déclin démographique, ou d’essaimage, résultant d’une crise du système économique du Bronze final 3b (Garcia 2004 :44, 51). Ce déclin a pu être accentué par une phase de péjoration climatique enregistrée aux viii^e et vii^e s. avant notre ère dont l’intensité a été comparable à celle du Petit Âge glaciaire (Cremaschi 2009). Le caractère réduit des vestiges des Bagnoles cadre bien avec cette idée de multiplication d’habitats dispersés, proposée également pour le site contemporain du Clos de Roque (Lachenal et al. 2016).

9.2.2 Âge du Fer et début de l’Époque romaine

39Treize structures, concentrées dans la moitié nord du décapage, ont été attribuées à l’âge du Fer ou au début de l’Époque romaine (fig. 356-357). Bien que peu nombreuses et pauvres en mobilier archéologique, certaines de ces structures sont remarquables par leur ampleur : deux enclos circulaires d’un diamètre de huit à dix mètres (structures 4 et 498), un fossé rectiligne orienté nord-nord-ouest/sud-sud-est (fossé B) ainsi que plusieurs fosses cylindriques profondes, dont un puits partiellement fouillé.

356. Répartition des structures fouillées attribuées à l’âge du Fer ou au début de l’Époque romaine

357. Plan de la partie nord du site avec les structures attribuées à l’âge du Fer ou au début de l’Époque romaine

9.2.2.1 Remarques générales sur la chronologie7

40Les vestiges attribuables à l’âge du Fer sont rares et mal caractérisés, comme ceux de la période antique. Le nombre de fragments de céramique est très réduit (moins de 400, souvent très petits, essentiellement des fragments de panse donc difficilement datables) et il s’agit presque exclusivement de céramique non tournée (333 fragments sur 349). Toutes les formes de cette catégorie de céramique sont présentes (coupes, jattes, urnes, couvercles ; fig. 358), leur nombre est assez restreint et les quelques formes de céramique non tournée de Provence occidentale identifiables donnent une chronologie assez large (de 700 à 1 avant notre ère pour les coupes C1 [fig. 358, 14], la coupelle C4 [fig. 358, 10], les couvercles V1 [fig. 358, 3, 6 et 8] et V2 [fig. 358, 9 et 21]) ; légèrement plus resserrée pour les urnes U3 (fig. 358, 2 et 20), U3b (de 650 à 350 avant notre ère), U4 (fig. 358, 13 ; de 625 à 250 avant notre ère), mais qui couvre globalement le premier et le deuxième âge du Fer. Au total, parmi les 333 fragments de céramique non tournée recensés, 26 peuvent être identifiés comme des productions des ateliers des Alpilles (CNT-ALP) ; ce n’est pas la catégorie la plus caractéristique sur le site pour l’âge du Fer. Cette découverte de fragments de céramique non tournée des Alpilles n’est cependant pas surprenante puisque les Bagnoles se trouvent à seulement 13 km environ à vol d’oiseau d’Orgon, à l’extrémité orientale des Alpilles, où l’on situe aujourd’hui les ateliers de production de cette céramique (Arcelin 1993 :248). Les autres catégories ont livré très peu d’éléments : cinq fragments de céramique à pâte claire, cinq fragments et des éclats non comptés de céramique sableuse oxydante, trois fragments et six éclats de tegulae, deux fragments d’amphore étrusque (fig. 358, 7) et un fragment de sigillée italique (fig. 358, 1). Le listing du mobilier de l’âge du Fer et de l’Époque romaine constitue l’annexe 13.

358. Mobilier de différentes structures attribuées à l’âge du Fer ou au début de l’Époque romaine

41Ce mobilier nous indique une possible fréquentation du site à la fin du premier âge du Fer (présence d’un fond d’amphore étrusque A-ETR 4, de 525 à 375 avant notre ère, provenant d’un fossé ; fig. 358, 7), puis à la fin de l’âge du Fer (d’après la non tournée des Alpilles) et au i^er siècle de notre ère (un fragment de sigillée italique [fig. 358, 1] vers 10 de notre ère et de la sableuse oxydante).

42De manière générale, les formes de céramique étant peu nombreuses, il est difficile de dater précisément cette occupation et les différentes structures qui s’y rattachent. On doit noter l’absence totale de fragments d’amphores de Marseille, pourtant fréquentes dans cette région, notamment entre le v^e et le ii^e siècle avant notre ère, ainsi que l’absence de céramiques à vernis noir, notamment de campanienne pour la fin de l’âge du Fer. L’occupation dont témoignent les fragments de céramiques attribués à l’âge du Fer semble donc assez limitée et sans doute de nature rurale, à l’écart des grands courants de diffusion des productions méditerranéennes.

9.2.2.2 Les différentes structures découvertes

43Trois ensembles distincts par leur forme, mais peut-être complémentaires par leur fonction, ont été repérés dans la partie nord du site. L’ensemble regroupant le plus de structures concerne les fosses, au nombre de 11. Ces fosses semblent être de nature diverse : certaines ont été décrites comme de simples fosses cylindriques de dimensions variables (structures 45/diagnostic, 75, 76 et 208 ; fig. 359), d’autres comme des cuvettes (structures 20 et 292), des trous de poteaux (structures 1 et 2, peut-être 10), des puits (structures 48 et 10) ou encore un silo (structure 25). Leur comblement recèle essentiellement des fragments de céramique non tournée protohistorique de Provence occidentale (CNTPRO). Des fragments de céramique des Alpilles (CNTALP), datée de la fin du ii^e au i^er siècle avant notre ère, ont également été mis au jour, mais en faible quantité.

359. Vue du profil est-ouest de la structure 208

44L’utilisation de ces fosses de profondeurs variables reste énigmatique du fait de leur éparpillement sur le site (plus de 20 m de distance entre les structures 75 et 20). La découverte de structures en creux sur des sites de l’âge du Fer est assez fréquente dans la région. On peut notamment mentionner les puits et les fosses fouillés à Cavaillon par André Dumoulin dans le quartier des Vergers dans les années 1940-1950 (Dumoulin 1965), qui avaient livré un abondant mobilier archéologique allant du premier âge du Fer jusqu’au Haut-Empire. En 1984 et 1987, c’est le site cavaillonnais du Grand Grès qui a révélé des fosses et des cuvettes contenant un matériel peu abondant et peu fragmenté (esquilles d’os longs d’ovicapridés, ossements calcinés, céramique non tournée des ateliers des Alpilles, nombreux fragments d’amphores Dressel 1B, céramique non tournée, céramique à vernis noir). Ce mobilier peut être placé à la fin du ii^e et dans les deux premiers tiers du i^er siècle avant notre ère. Ces fosses ont été interprétées comme des possibles silos, la fonction des cuvettes restant plus incertaine, mais cependant liée à une activité domestique (Bellet 1987, Collectif 2006 :39). Plus récemment, toujours à Cavaillon, des fosses et des puits ont été fouillés lors d’une opération d’archéologie préventive Boulevard Jacques Brel (Meffre 2010, Gaday et al. 2014), et des fosses lors de diagnostics archéologiques au chemin de Béraud (De Michèle et al. 2014) ou encore avenue de Saint-Baldou (Serieys et al. 2017). À Courthézon également, à 7 km au sud-est d’Orange, sur le site de la Grange-Blanche, de nombreuses fosses ont été retrouvées pour toutes les phases d’occupation du site, entre le premier âge du Fer et le haut Moyen Âge (Buffat et al. 2013).

45L’interprétation de ce type de structures n’est pas toujours plus aisée sur ces autres sites, comme le constate Robert Gaday à propos de celles découvertes Boulevard Jacques Brel : « L’interprétation et la datation d’une majorité de ces fosses se sont avérées problématiques. Si l’interprétation de chaque creusement détecté peut être considérée comme une gageure, le travail méthodique de fouille, d’enregistrement des données et de restitution, indispensable dans le cadre d’une opération d’archéologie préventive, a été réalisé et livré sous forme de catalogue. Certains creusements, aujourd’hui encore énigmatiques pour nous, trouveront peut-être sens pour d’autres ou bien s’éclairciront avec l’évolution des connaissances dans ce domaine. » (Gaday et al. 2014, notice scientifique au dos du rapport).

46En revanche, les deux structures circulaires 4 et 498 (fig. 357), mesurant 8 m de diamètre pour l’une (structure 4 ; fig. 360-362) et 10 m de diamètre pour l’autre (structure 498), permettent quelques hypothèses d’utilisation. Ces structures sont matérialisées par un fossé circulaire large respectivement de 1 m et de 0,80 m pour une profondeur moyenne de 0,80 m et de 0,60 m. Au centre de la structure 4 se trouvaient deux trous de poteaux (structures 1 et 2) qui participent certainement à la stabilité des superstructures ainsi qu’une cuvette (structure 3) dont le remplissage n’a livré que des éléments attribuables au Néolithique moyen. La disparition des niveaux d’occupation associés à ces structures nous limite au champ des hypothèses. Quelques pierres et blocs architecturés découverts dans le remplissage suggèrent des dispositifs de calage de supports en bois. Mais quels sont-ils ? Nous pouvons tout envisager, de la cabane en bois construite autour de multiples pièces de bois biaises, positionnées autour d’un axe central, jusqu’à la palissade parfaitement verticale, éventuellement pourvue d’un plancher rudimentaire soutenu au centre par deux poteaux associés. S’agissait-il d’un habitat, d’un espace de stockage, d’un enclos pour animaux ? Ou était-ce lié à une structure funéraire à incinération, comme celle découverte récemment sur le site des Ribaudes, Gagne-Pain à Mondragon (sur la rive gauche du Rhône, à 14 km au nord-ouest d’Orange) ? Cette dernière était située au centre d’un fossé circulaire dont les dimensions se rapprochent de celles des structures circulaires des Bagnoles : largeur moyenne de 0,60 m à 0,70 m, diamètre de 12,60 m (Meffre 2014). Le rapprochement avec une structure funéraire protohistorique est également fait pour l’enclos circulaire découvert sur le site de la Grange-Blanche à Courthézon, sans autre aménagement conservé, et daté de la période gallo-romaine d’après les rares nodules de tuile qu’il contenait (Buffat et al. 2013, vol. I, 182 et 199). Étant donné la quasi absence des niveaux d’occupation associés à ces structures et la faible quantité de mobilier recueilli, il est difficile de trancher entre ces différentes hypothèses.

360. Vue de la structure 4 (fossé circulaire) vers l’ouest

361. Plan de la structure 4 (fossé circulaire) et des structures associées

362. Coupes transversales (à gauche) et longitudinales (à droite) de la structure 4 (fossé circulaire)

47Enfin, 11 fossés ou segments de fossés de drainage et trois segments de fossés ont été mis au jour (fig. 363). S’ils n’ont pas été fouillés ou seulement partiellement, ils ont été relevés en intégralité, ce qui permet maintenant de disposer d’un plan relativement complet de ces structures dans ce secteur de la plaine du Comtat. Parmi ceux-ci, cinq fossés parallèles se distinguent, d’orientation nordsud (avec un petit désaxement de quelques degrés vers l’ouest par rapport au nord géographique ; fossés A-E). Leur implantation décalée par rapport à la parcelle indique qu’ils semblent se détacher de la cadastration fossile antique à laquelle pourraient parfaitement correspondre les limites du terrain (Jung 2009, Chouquer 2015). Ces fossés sont conservés sur plusieurs dizaines de mètres de longueur et distants d’environ 5 m les uns des autres. La chronologie de ces structures de drainage et de matérialisation de surfaces agraires est difficilement décelable étant donné la rareté du mobilier qu’ils ont livré et l’absence de lien stratigraphique. D’après les quelques éléments de datation dont nous disposons malgré tout, leur réalisation semble s’échelonner entre le premier âge du Fer (fossé B) et l’époque moderne/contemporaine (fossé E). Mais ces datations doivent être utilisées avec précaution, car, si certains fossés ont certes livré occasionnellement des fragments de céramique du premier et du deuxième âge du Fer ou de l’Époque romaine, voire quelques fragments de tuiles pour cette période, rien ne permet d’affirmer que ces éléments se trouvent en position primaire. Ces structures ne sont pas sans rappeler les nombreux fossés mis au jour sur le site de la Grange-Blanche à Courthézon, dont la chronologie s’étend depuis le premier âge du Fer jusqu’au haut Moyen Âge (Buffat et al. 2013).

363. Les différents fossés mis en évidence à l’occasion du diagnostic de 2006 et des décapages réalisés entre 2012 et 2015

9.2.2.3 Essai d’interprétation

48Les aménagements de l’âge du Fer étant relativement rares sur le site des Bagnoles, cela a conduit à supposer une occupation de courte durée, peut-être à la périphérie d’un habitat ou d’une exploitation agricole dont la localisation reste inconnue à ce jour. Il pourrait s’agir d’un établissement rural isolé (une « ferme »), forme d’habitat significative durant l’âge du Fer en Gaule et constituant probablement le mode d’occupation spatiale prépondérant. En effet, même si en Gaule méridionale les agglomérations regroupent la très grande majorité des populations des vi^e et v^e siècles avant notre ère, on constate également que tout autour de ces sites d’habitat, sur les terroirs avoisinants se trouvaient des « fermes » ou des « hameaux » occupés pendant quelques années, voire une génération, dans la tradition des habitations non groupées du Bronze final. Après une phase de regroupement des populations sur les oppida aux iv^e et iii^e, les ii^e et i^er siècles avant notre ère voient la multiplication des fermes, dont certaines se développent ensuite lors des phases de romanisation (Garcia 2014 :78).

49C’est probablement le cas dans la ville voisine de Caumont-sur-Durance, au quartier du Clos-de-Serre, en contrebas de la villa romaine. Les fouilles de 2004 ont mis en évidence un ensemble de murs majoritairement montés à l’argile, qui évoque une exploitation agricole. Le mobilier recueilli y est assez pauvre. Les fragments de tegulae et dolia sont remarquablement rares. Les tessons de céramique modelée/non tournée du second âge du Fer, de céramique grise monochrome, de céramique non tournée des ateliers des Alpilles, ou de céramique commune à pâte claire sont dominants aux côtés de quelques fragments d’amphores massaliètes. Cela suggère l’existence d’une exploitation rurale gauloise relativement modeste dont l’installation pourrait dater du second âge du Fer et perdurer jusqu’à l’époque augustéenne, époque à laquelle un jardin romain a été aménagé (Mouraret 2016 :28, Carru & Tallah 2015 :222, notice 11m*).

50À Cavaillon, une occupation de bas de pente est attestée au piémont nord de la colline Saint-Jacques, avec une fréquentation qui semble précoce (dès les vi^e – v^e siècles avant notre ère). Depuis le milieu du xx^e siècle, les découvertes dans la zone des Vergers sont nombreuses : « fond de cabane » fouillé en 1976 dans la propriété Garcia, livrant une vingtaine de vases (dont quatre amphores marseillaises) et daté des environs de 500 avant notre ère ; au quartier des Iscles-du-Temple (deux fragments de chapiteau, fibule, poteries) ; à l’emplacement du cimetière (en 1979 lors de son aménagement : fibule, chaîne, sept petits bronzes et un quinaire d’argent) et sous les lotissements voisins (murs, céramique, as républicain). Les opérations récentes8 viennent confirmer l’existence de cette zone d’extension septentrionale de l’agglomération gauloise, dont l’emprise maximale peut désormais être estimée à plus de 50 hectares ; des trois zones cavaillonnaises d’occupation gauloise, la plus vaste reconnue à ce jour est précisément celle-ci (Gaday 2014). Il s’agit peut-être à l’origine de petites unités d’exploitation agricole qui, implantées de façon lâche, bénéficient des ressources d’un terrain fertile. Ce quartier de bas de pente semble connaître une relative activité autour du changement d’ère. Peu après, il paraît abandonné au profit de la ville actuelle (Collectif 2006 :37, Carru & Tallah 2015 :252-269).

51Ces découvertes faites à Caumont et à Cavaillon et les similitudes qu’on peut relever entre elles et celles du site des Bagnoles permettent d’appuyer l’hypothèse d’une ou plusieurs occupations de courte durée aux Bagnoles pendant l’âge du Fer, peut-être à la périphérie d’un habitat ou d’une exploitation agricole.

9.2.2.4 Autour des Bagnoles à l’âge du Fer

52Le site des Bagnoles est localisé dans la plaine fertile du Comtat, secteur qui correspond au centre du territoire cavare (Carru 2006 :10-12). Ce peuple, dont le nom apparaît chez Pline (Nat. Hist., III, 4 et 6), chez Strabon (IV, 1, 11-12), chez Ptolémée (II, 10, 8), sur la Table de Peutinger ou encore chez Pomponius Mela (II, 5), a développé un réseau d’oppida (Cavaillon, Caumont, Avignon, Sorgues, etc.) et entretient des liens commerciaux étroits avec Massalia depuis sa fondation vers 600 avant notre ère9. Les découvertes archéologiques concernant l’âge du Fer sont relativement rares à L’Isle-sur-la-Sorgue et dans les communes limitrophes comme Caumont-sur-Durance, Velleron ou Fontaine-de-Vaucluse, à l’exception de Cavaillon. De plus, elles sont souvent hors contexte et mal documentées, car pas toujours réalisées lors de fouilles scientifiques. Mais cela s’explique peut-être plus par un état de la recherche (pas de fouilles programmées sur l’âge du Fer dans ce secteur et, jusqu’à présent, peu d’opérations préventives ayant révélé des vestiges de cette période dans ces villes en dehors de Cavaillon) que par une réelle absence de sites de l’âge du Fer dans cette zone.

53Le site des Bagnoles témoigne d’une occupation de plaine, liée au réseau d’oppida qui entoure le secteur.

54À Cavaillon, la colline Saint-Jacques constitue un habitat de hauteur permanent occupé dès le premier âge du Fer et défendu par un rempart de direction est-ouest, barrant l’éperon au nord, mais qui est très mal connu en raison du faible nombre de fouilles effectuées. Les vestiges conservés ont été observés, par tronçons, sur plusieurs dizaines de mètres. Ils sont toutefois souvent arasés et fréquemment masqués sous des tas d’épierrement. Les rares fouilles réalisées permettent de dater certains tronçons de ce rempart au sud dès le vi^e siècle avant notre ère – ce qui correspond aux traces les plus anciennes connues sur l’oppidum – avec des phases de reconstruction jusqu’au second âge du Fer (Carru & Tallah 2015 :232-233, notice 5*), et d’autres tronçons des ii^e – i^er siècles avant notre ère au nord (Collectif 2006 :28-32, Carru & Tallah 2015 :232-234, notices 6* et 7*). L’habitat est également mal connu, là aussi faute de fouilles sur le plateau. On ne connaît donc pas de rues, de quartiers, ni même le plan d’une maison. À l’extérieur de l’espace défendu par le rempart ont été repérées plusieurs traces d’habitation. Mis à découvert par l’érosion, il s’agit d’encoches de maison taillées dans le rocher (appelées autrefois « fonds de cabanes »). Ces aménagements rupestres signalés à la fin du xix^e siècle ont été véritablement explorés entre 1940 et 1965. Ils n’ont malheureusement pas livré beaucoup d’indices d’occupation et il s’agissait essentiellement d’éléments résiduels ou remaniés. Malgré tout, les traces d’habitat éparses sont assez nombreuses sur la colline. À plusieurs reprises sont mentionnés des briques crues, du torchis, des rejets domestiques, des indices d’artisanat (scories de fer liées à de la métallurgie), des éléments lapidaires évoquant des objets votifs ou cultuels protohistoriques, de nombreuses monnaies, des disques en bronze à rebord perlé… (Collectif 2006 :33-34, Carru & Tallah 2015 :234-239).

55L’oppidum de Caumont est localisé à l’extrémité de l’éperon de Bonpas, sur un plateau dominant la rivière. Connu depuis le xix^e siècle, son occupation à l’âge duFer est d’abord confirmée par des ramassages réguliers de mobilier (céramique non tournée, grise monochrome, à pâte claire peinte, dolium, campanienne…) après la Première Guerre mondiale, puis par des fouilles conduites sur le plateau entre 1956 et 1958. L’abondant mobilier mis au jour lors de la fouille et des ramassages de surface aux alentours (amphore massaliète, céramique non tournée, attique, bucchero nero, céramique grise monochrome…) permet d’attribuer approximativement le site au moins au vi^e, voire au vii^e siècle avant notre ère. La tranchée fouillée révèlerait un habitat fixe, continu, autour d’un même endroit pendant une longue période, entre le v^e et le ii^e siècle avant notre ère, avec des traces de foyer. De nouvelles fouilles sont entreprises dans les années 1970. Elles livrent elles aussi un abondant mobilier confirmant l’existence d’un oppidum occupé au vi^e et peut-être dès le vii^e siècle avant notre ère et perdurant jusqu’à la conquête romaine, protégé par un ou plusieurs remparts de pierres sèches (Carru & Tallah 2015 :213-214, notice 3*, Mouraret 2016 :26-28).

56À Velleron, une partie de la commune se situe sur une butte dominant la plaine de Pernes, site qu’on ne peut qualifier de perché, mais qui présente malgré tout un léger relief. Plusieurs fouilles récentes, faites à l’intérieur de l’enceinte du bourg (Carru & Tallah 2015 :406-407, notices 1*-4*) ou sur ses abords immédiats (Idem :407, notice 6*) laissent penser que l’assiette naturelle de Velleron a été occupée par une agglomération protohistorique. La répartition de ces découvertes couvre une superficie d’au moins 3 ha, qui semble habitée entre le v^e et le i^er siècle avant notre ère. Cette longue occupation doit être mise en relation avec la densité supposée du peuplement de cette plaine. Ces découvertes sont en majorité fortuites (Carru & Tallah 2015 :406-407, notices 1*-3*), ne permettant que de récolter du mobilier et de réaliser quelques observations stratigraphiques rapides. Une opération archéologique plus approfondie a été exécutée au chevet de l’église en 1987. Elle a permis de documenter plusieurs niveaux successifs d’habitations et leur évolution entre le vi^e et la première moitié du iv^e siècle avant notre ère au moins (l’occupation postérieure avec reconstruction de l’habitat n’ayant pu être datée) ainsi que de récolter un abondant mobilier (851 tessons en contexte ; Pighini 1987, Carru & Tallah 2015 :406-407, notice 4*). Une autre opération archéologique a fait suite à une petite excavation réalisée pour la plantation d’un arbre en 1988, à 200 m au sud-est de l’église. Elle a révélé des niveaux de l’âge du Fer avec un très large mur et un remblai/dépotoir très riche en faune et en céramique, daté des iii^e – ii^e siècles avant notre ère (Carru & Tallah 2015 :407, notice 6*).

57À Fontaine-de-Vaucluse, plusieurs découvertes de mobilier furent réalisées à diverses occasions (travaux d’aménagement, prospection…) sur les versants ouest et sud de la colline du Château à La Vignasse : fragments de céramique non tournée soigneusement lissée, bords d’amphores massaliètes anciennes à lèvre repliée, fragments d’amphores massaliètes, une anse d’amphore étrusque… Un sondage effectué au pied de la colline, sur son versant méridional, a révélé un « foyer » associé à du matériel du Bronze final / début de l’âge du Fer (Carru & Tallah 2015 :339, notice 16*). Ces différentes découvertes laissaient supposer que le flanc méridional de la colline du Château avait été le site d’un habitat dès le Bronze final et au premier âge du Fer (Borgard 1982 :2-3). Des sondages, réalisés en 1982 sur la partie occidentale de la pente sud de la colline, confirment cette hypothèse avec la mise au jour de terrasses encore en place (Borgard 1982 :10 et 18). Cet habitat semble abandonné au second âge du Fer (Borgard 1982 :18, Carru & Tallah 2015 :337-338, notice 11*).

58Même si aucune découverte similaire n’a été réalisée sur le site des Bagnoles, il est intéressant d’évoquer les inscriptions gallo-grecques datées à partir du ii^e siècle avant notre ère et retrouvées à L’Isle-sur-la-Sorgue et dans les communes voisines de Velleron et Cavaillon.

59À L’Isle-sur-la-Sorgue, au bord de l’ancien chemin de Velleron, s’est longtemps dressée une colonne de pierre en calcaire régional approximativement cylindrique portant une inscription gallo-grecque sur le fût. Il s’agit, selon Michel Lejeune (1968-1969 :76), d’un monument (colonne basse avec chapiteau) à destination soit votive, soit funéraire, d’un type bien connu en Narbonnaise. Michel Lejeune donne la restitution et l’interprétation suivantes : αδγεννοριγ[ι] / ουερετομαρε[ο] υι : « Pour Adgennorix fils de Veretomaros ». Remarquée et publiée en 1884 par Louis Rochetin alors qu’elle se trouvait dans la propriété de Victorin Laval à l’Isle (Clos du Cardinal), où elle avait été transportée pour y servir de banc, elle a ensuite été donnée au Musée Calvet d’Avignon en 1885 (Inv. E 23 B), où elle est toujours conservée actuellement. Son contexte précis de découverte est malheureusement inconnu (Carru & Tallah 2015 :341-342, notice HC 17).

60À Velleron, lors d’un dessouchage au chemin de la Sylvestre en 2006 suivi d’une opération de fouilles en 2007, de très nombreux blocs ont été mis au jour, dont certains appartenaient à des stèles de type « stèle-maison » (Carru & Tallah 2015 :407-408, notice 7*). Si la plupart de ces stèles sont anépigraphes, l’une porte une inscription funéraire rédigée en gallo-grec (fig. 364). Datant de la deuxième moitié du i^er siècle avant notre ère, il s’agit d’une épitaphe, écrite en alphabet grec et en langue gauloise, sur une stèle funéraire à fût quadrangulaire légèrement pyramidal et fronton triangulaire saillant de tradition locale. Michel Bats donne la lecture suivante : ΚΑΕΙΟΣ / INΔOYTIΛ / O / CAMOΛA / TICANE / KTIA / OYAΛHTE et deux possibilités pour l’interprétation des noms de cette épitaphe double : « Caios Indoutilos et, son épouse Samolatis, fille d’Anektos », ou bien « Caios Indoutilos Samolatis et, son épouse, Anektia » (Bats 2011 :222-225). Cette inscription est particulièrement originale car elle inclut des mots latins (Caius, Valete) écrits en gallo-grec, constituant donc un extraordinaire exemple de multilinguisme.

364. Vue générale de la stèle de Velleron (L’Isle-sur-la-Sorgue, Vaucluse) avec son épitaphe en gallo-grec (photo : Service Archéologique du Département de Vaucluse)

61Quant à Cavaillon, c’est l’un des sites protohistoriques de Gaule du Sud qui a livré le plus grand nombre d’inscriptions gallo-grecques. Sur les quelques 400 inscriptions recensées pour cette région, 30 proviennent de Cavaillon : une inscription rupestre (G-117 du RIG I10 ; Mouraret 2006), une sur sol (G-556), une sur plomb, cinq sur pierre (G-118 à G-122) et 22 sur céramique (G-124 à G-145) (Bats 2006 :72-73).

62Toutes ces découvertes, complétées par l’opération des Bagnoles, attestent d’une fréquentation intense de cette zone et d’une organisation du territoire durant l’âge du Fer.

63Bien qu’assez ténues pour cette période, les informations obtenues grâce à la fouille du site des Bagnoles sont totalement nouvelles pour l’Isle-sur-la-Sorgue et les petites communes proches. Elles complètent nos connaissances sur l’occupation d’un territoire correspondant à la partie sud de la plaine du Comtat-Venaissin, dans un secteur jusqu’alors inexploré par l’archéologie.

9.2.3 Nos connaissances sur le quartier des Bagnoles de l’Antiquité à nos jours

64Le site des Bagnoles est localisé dans les confins occidentaux du territoire communal de L’Isle-sur-la-Sorgue, au voisinage de la commune du Thor. Cette partie de la plaine est située à l’extrémité nord du pagus de la cité de Cabellion, mentionnée comme colonie latine de Narbonnaise au i^er siècle de notre ère (Carru 2006 :10-12). La structuration du territoire antique a probablement été établie par l’administration romaine vers l’extrême fin du ii^e siècle avant notre ère, en reprenant une cadastration présente à l’ouest du Rhône (d’orientation N 22,3 ouest), dite de Sextantio-Ambrussum (Assénat 1991 :39-62 ; fig. 365). Celle-ci est parfaitement adaptée au tracé de la voie Domitienne sur son tronçon allant de Cavaillon jusqu’au débouché de la plaine du Calavon, au site de la Tour de Sabran. D’autres voies structurantes traversent le territoire cavare dans ce secteur de plaine. On trouve une déviation de la Domitienne partant de cette même Tour de Sabran et qui permettait de rejoindre directement Avignon depuis la route des Alpes et de l’Italie, sans passer par Cavaillon. D’autres voies d’orientation nordsud assuraient la liaison entre Cavaillon et Carpentras en traversant la plaine par L’Isle ou Le Thor. C’est ce cadastre ancien qui détermine la configuration des parcelles du site des Bagnoles et l’orientation des fossés découverts. Dans ce secteur, entre Sorgue et Durance, le cadastre A d’Orange, plus tardif, semble avoir également marqué l’organisation parcellaire de son empreinte (Chouquer 2015 :51-69).

365. Principales traces du cadastre antique de Sextantio-Ambrussum dans le quartier des Bagnoles (François Guyonnet, Direction du patrimoine de L’Isle-sur-la-Sorgue)

65L’absence de véritable recherche archéologique sur cette partie de la plaine du Comtat, avant le début des investigations sur les Bagnoles, contribuait à entretenir l’idée reçue d’une vaste zone de marécages régulièrement et tardivement submergée par des crues subites des Sorgues, de la Durance et du Coulon/Calavon. On considérait que l’occupation humaine se limitait aux reliefs périphériques ou à de rares mamelons isolés (Velleron, Thouzon, Margoye…) jusqu’à l’époque romaine et surtout médiévale où les marécages ont été progressivement asséchés par un intense réseau de drainage. Le mythe fondateur de L’Isle-sur-la-Sorgue évoque d’ailleurs, les origines de la ville au haut Moyen Âge, dans un conglomérat de maisons de pêcheurs sur pilotis, volontairement implantées dans une zone marécageuse pour échapper aux envahisseurs…

66À l’évidence, cette plaine est effectivement sujette aux inondations et à la stagnation des eaux de ruissellement (voir § 3). C’est une réalité potentiellement vérifiable de nos jours (documents préfectoraux de prévention des risques), mais également mise en évidence par les études géomorphologiques conduites sur le site (colluvionnement du Calavon et séquences stratigraphiques de prairie humide). Strabon évoque la circulation difficile sur la Domitienne dans les secteurs situés au nord et à l’est de Cavaillon (El Hasroufi 1994 :360-374)11. C’est assurément l’occupation intensive du territoire dès l’Antiquité qui a contribué à lancer la régulation de l’hydrographie locale, poursuivie plus tard au Moyen Âge et achevée par l’agrologie des temps modernes (création des roubines, des canaux du Mourgon, du Cabedan…). Les fossés de drainage à la datation incertaine (fossés A-E), repérés sur le site archéologique, assuraient indéniablement la rétention et l’évacuation des surplus d’eau et contribuaient ainsi à la mise en culture de petites parcelles longilignes.

67Cette plaine, certes humide en certaines périodes, n’était probablement pas inoccupée et inexploitée. La permanence de traces de centuriations antiques dans la trame cadastrale actuelle et dans la morphologie du paysage semble le démontrer. Par ailleurs, l’absence d’investigation archéologique ne sous-entend pas l’inexistence de sites antiques qui sont parfois repérés lors de prospections ou de découvertes fortuites. C’est le cas pour un site majeur du territoire l’islois, situé à deux kilomètres au sud-est du centre-ville : la butte de Margoye, au pied de laquelle s’est développé le site gallo- romain du Bosquet. Plus à l’ouest, le long de la branche secondaire de la Domitienne reliant la vallée du Calavon à Avignon (actuelle route départementale), on perçoit une assez grande concentration de sites antiques sur un espace de plaine. Cette route qui constitue la limite entre les communes de L’Isle et du Thor (au nord) et de Cavaillon (au sud) se trouve ponctuée de sites antiques avérés (Les Vignères, Saint-Martin, etc.) ou supposés (Saint-Estève, Saint-Pancrace), mais souvent associés à des vocables d’église fondées probablement dans l’Antiquité tardive voire au haut Moyen Âge sur d’anciennes villae antiques. Le site de Saint-Estève a livré une stèle du iii^e siècle de notre ère comportant une dédicace impériale12 (Carru & Tallah 2015 :402-403). Plus au nord, le hameau de Velorgues semble avoir des origines antiques (sur un site néolithique ; voir § 3.6), probablement une villa, puisque plusieurs découvertes importantes (tête de femme en marbre blanc, tête de satyre, monnaies massaliotes) ont été effectuées depuis un siècle (Carru & Tallah 2015 :341).

68Ces sites évoqués brièvement font apparaître un terroir colonisé et exploité bien éloigné du désert marécageux qui qualifie généralement le territoire de L’Isle lorsque l’on évoque l’Antiquité. Dans l’Antiquité tardive et pendant le haut Moyen Âge, certains de ces domaines agricoles perdurent et servent probablement de support à la christianisation des campagnes. Au vi^e siècle, c’est la personnalité emblématique de l’évêque Veranus (saint Véran de Cavaillon), dont on connaît le lien privilégié avec le site de Fontaine-de-Vaucluse, qui contribue certainement à développer un dense réseau d’églises pour l’encadrement religieux d’une population dispersée en campagne. La toponymie nous rappelle le souvenir de ces édifices (Saint-Pancrace, Saint-Gervais, Saint-Laurent, Saint-Martin…) souvent implantés en bordure de voies antiques. Certaines de ces églises seront même à l’origine d’agglomérations qui auront des destins variables comme Saint-Laurent sur le site même de L’Isle, mais également Saint-Andéol de Velorgues ou Saint-Pierre-de-Menemènes (Saint-Antoine), Sainte-Marie à Thouzon ou aux Vignères qui constituent de véritables villages jusqu’à leur abandon au xiv^e siècle.

69Sur cette thématique, la recherche évolue rapidement depuis quelques années : les chapelles des Vignères et de Velorgues ont fait l’objet de sondages et de fouilles qui ont révélé des sépultures du haut Moyen Âge et de probables constructions contemporaines (Duverger 2009, Guyonnet et al. 2014, 2015, 2016 et 2017, Rigeade et al. 2017-2018). Certaines de ces églises de fondation ancienne deviennent des prieurés des grandes abbayes régionales (essentiellement Saint-André de Villeneuve-lès-Avignon, Saint-Victor de Marseille, Saint-Pierre de Montmajour et Saint-Eusèbe de Saignon). Les prieurés étant les héritiers des grands domaines gallo-romains et du haut Moyen Âge, ce sont donc les moines et leur main d’oeuvre, qui exploitent les terres fertiles et participent à l’aménagement du réseau hydrographique. Dans ce secteur de plaine, la concurrence est évidente entre les abbayes de Saint-André (Thouzon, Saint-Gervais) et de Montmajour (Velorgues et Menemènes). Dès le début du xiii^e siècle, leur rôle décline et des seigneurs laïcs prennent l’ascendant (la famille Amic au Thor, les coseigneurs de L’Isle, etc.). À partir de 1274, cette plaine ainsi que tout l’ancien marquisat de Provence, terre d’Empire, autrefois sous domination du comte de Toulouse, passe à la papauté. Les cinq premières décennies du xiv^e siècle sont marquées par la présence pontificale à Avignon et un développement urbain sans précédent (Butaud & Guyonnet 2018). Faute d’étude spécifique, on mesure difficilement l’implication des campagnes environnantes de cette cité devenue capitale de la chrétienté, dans l’impressionnante expansion démographique d’Avignon et – dans une moindre mesure – des villes et villages alentours. Les crises de la seconde moitié du xiv^e siècle vont probablement modifier l’organisation des campagnes avec l’abandon d’un certain nombre de villages (Velorgues, Thouzon, Ménemènes, etc.) et de noyaux diffus d’habitats. Au début de la décennie 1390, l’économie locale est essentiellement dominée par le travail de la terre et les actes notariés montrent la mutation de la structure foncière, notamment la multiplication des petits propriétaires, les laboratores (Souclier 1999). La production agricole est dominée par la céréaliculture (la vigne, l’olivier et l’élevage restent en marge) qui s’impose dans cette plaine fertile.

70Au début du xv^e siècle, le souhait des États du Comtat de rationaliser la fiscalité locale a enclenché le processus de création des cadastres. L’enquête d’estimation des biens du Comtat de 1414, étudiée par Monique Zerner (1993), a malheureusement laissé peu de traces sur le territoire (les registres du Thor ont disparu et seul subsiste le « livre des maisons » pour L’Isle). Néanmoins, la documentation considérable, conservée pour les agglomérations voisines13, Cavaillon (au sud) et Velleron (au nord) nous apporte matière à réflexion sur l’organisation de l’ager de L’Isle-sur-la-Sorgue en cette fin du Moyen Âge. La surface moyenne exploitée par ménage, c’est-à-dire la culture de la terre en direct, en fermage ou en main d’œuvre, ne dépasse pas 4,5 hectares. Nous sommes donc majoritairement dans une configuration de moyennes et petites propriétés. La plupart des grandes propriétés appartiennent aux nobles qui ne possèdent cependant qu’un pourcentage infime du sol. La terre est surtout dans les mains des communautés villageoises et de leurs habitants (66 %), mais également des étrangers – qui peuvent être résidents des villages voisins – (16 %), du clergé (14 %) et enfin, de la noblesse (4 %). Nombreuses sont les parcelles mises en fermage avec différents types de baux permettant une rétribution correcte des fruits de l’exploitation.

71Les principales cultures sont les céréales (froment, seigle, avoine) réservées pour les terres de labours (ferrages) que l’on trouve pour 73 % à Cavaillon et 70 % à Velleron, à l’évidence, localisées dans la plaine fertile. Les prés, utilisés pour la pâture des animaux de trait (peu pour l’élevage), viennent ensuite et semblent plutôt situés près des agglomérations (7 % à Cavaillon et 11 % à Velleron). La vigne est peu présente sur les parcelles inventoriées lors de la création du cadastre (14 % à Cavaillon et 12 % à Velleron). Peut-être que celle-ci se concentre sur des terres plus arides, à proximité des terrains rocheux, à l’exemple des vergers ou « olivettes » qui ne représentent qu’un faible pourcentage de l’occupation du sol. Quant aux jardins, leurs surfaces limitées (6 % à Velleron et 2 % à Cavaillon) et la nécessité d’un entretien permanent les placent près des remparts au plus près des habitants. La jachère biennale est généralisée, mais la fumure semble réservée à certaines parcelles.

72À l’Époque moder ne, la configuration des campagnes n’évolue pas (fig. 366), mais l’on perçoit un développement des bastides, lieux d’exploitation et de résidence campagnarde de l’aristocratie. Deux constructions de ce type sont avérées au Moyen Âge sur le territoire l’islois (Campredon et La Foulquette) avec des fortifications permettant la protection des biens et des personnes. La ferme fortifiée de la Tour du Camps, probablement élevée au tournant des xvi^e et xvii^e siècles reste dans cette logique de mise en défense. C’est au xviii^e siècle que les bastides deviennent de véritables villégiatures présentant un corps principal de bâtiment à trois niveaux avec une façade ordonnancée orientée au sud, un aménagement intérieur confortable à la décoration proche des hôtels particuliers urbains (escaliers, salons, gypseries, etc.) ainsi qu’un parc arboré (bastides du Bosquet, de Palerne…). La ferme et ses dépendances sont généralement placées à l’arrière de la demeure noble.

366. Atlas cadastral de 1788, fol. II, tome 2

73Dans la campagne, d’autres exploitations se développent, probablement grâce à l’impulsion donnée par certaines congrégations religieuses propriétaires : près des Bagnoles, c’est notamment le cas des Carmes, sur la route de Caumont ou, plus au sud, du Grand-Hôpital, dépendance des religieuses de Saint-Joseph (en charge des hôpitaux d’Avignon et de L’Isle).

74La Révolution ne change pas grand-chose à l’évolution paisible de ces campagnes où les progrès ont surtout porté sur l’irrigation (création des canaux du Cabedan). Monique Zerner s’est livrée à une comparaison entre les cadastres de 1414 et de 1830 (toujours sur les localités voisines de Cavaillon et Velleron). Les chiffres de 1830 confirment la répartition entre terres labourables (céréalières), prés, vignes, jardins et vergers, observée en 1414, avec cependant une nette progression de la première catégorie (91 % à Cavaillon). Les deux derniers tiers du xix^e siècle vont voir évoluer l’occupation des campagnes (développement des exploitations familiales au coeur des terres, le fameux « mas » provençal), le réseau d’irrigation (création du canal de Carpentras) et de drainage ainsi que la production (la garance jusqu’à la fin du siècle), mais peu la structure du parcellaire. Au xx^e siècle, la production se diversifie et les primeurs font leur apparition avec la généralisation du transport ferroviaire et des marchés régionaux exportant vers les grands centres urbains (grands marchés de gros de Cavaillon, de Carpentras, d’Avignon). Certaines terres autour des Bagnoles accueillent les productions les plus occidentales de l’appellation « Côtes du Rhône » (domaine du Grand-Hôpital, de La Serre) avant que la vigne ne se retire au profit de l’arboriculture intensive (pomme principalement).

75Aujourd’hui, l’agriculture locale cherche un nouveau souffle, car les primeurs, fortement concurrencés par les fruits et légumes espagnols sont en déclin et l’arboriculture peine à maintenir un bon niveau de rentabilité. Le parcellaire ancien et l’important réseau hydrologique façonnés depuis plus de 2000 ans ne seraient-ils pas les ferments d’une nouvelle façon de cultiver la terre, plus respectueuse de l’environnement ? L’archaïsme présumé de l’agriculture de cette partie de Provence ne serait-il pas au contraire une chance pour les générations à venir d’agriculteurs ? Les traces agraires retrouvées sur le site des Bagnoles, l’observation du couvert végétal et l’analyse du parcellaire peuvent nous donner une idée de l’aspect du paysage de la campagne de L’Isle entre la fin du Moyen Âge et l’époque contemporaine, avec des champs de faibles surfaces, des fossés drainants ponctués de haies arbustives protégeant les cultures du mistral. À l’évidence, le paysage n’a que peu évolué depuis l’Antiquité et est assez proche de celui que l’on restitue en observant les plans cadastraux de la fin du xviii^e siècle ou napoléonien. Dans le paysage actuel, assez épargné par le remembrement nécessité par la mécanisation moderne, on perçoit ce que pouvait être cette campagne de la plaine du Comtat pendant près de 2000 ans.