1L’économie portuaire ne se définit pas uniquement par la dimension technique des équipements à quai ni par l’implacable réalité des statistiques d’import-export. Elle est aussi une affaire de mots, de perceptions et d’imaginaires¹. Dans la seconde moitié du xx^e siècle, un certain nombre d’événements relayés par la presse nourrissent des idées reçues qui imprègnent l’opinion publique, qui se diffusent parmi les professionnels du monde maritime et qui nuisent, en définitive, à l’image de marque de Marseille, premier port de France. Cette mauvaise réputation, plus ou moins fondée, se répand au moment même où la vie portuaire marseillaise connaît des évolutions majeures :

• des mutations économiques liées au développement des industries lourdes sur le littoral (raffinage pétrolier, pétrochimie, sidérurgie) ou à l’émergence de nouvelles formes de trafic commercial (conteneurs, roll-on/roll-off²) ;

• des transformations d’ordre géographique à travers l’extension occidentale des bassins hors de la ville, vers le golfe de Fos à partir de 1968, pour s’adapter au gigantisme naval³ ;

• une refonte de la gouvernance avec la création du Port autonome de Marseille (PAM) en 1966, c’est-à-dire un Établissement public de l’État se substituant aux anciennes autorités portuaires locales, la Chambre de commerce de Marseille et le Service maritime des Ponts et Chaussées des Bouches-du-Rhône⁴.

2De manière générale, les représentations négatives peuvent être regroupées en trois catégories principales. Marseille souffrirait d’abord de nombreux problèmes de fiabilité en raison de la récurrence des mouvements sociaux : grèves de dockers ou des chantiers navals⁵, blocages du trafic maritime par les pêcheurs de la région qui dénoncent la pollution des eaux⁶, arrêts de travail sur le chantier de Fos et dans les usines de la zone industrialo-portuaire⁷. Il s’agit d’une question médiatisée qui occupe une place importante dans les colonnes des journaux ou à la télévision. Par exemple, entre 1966 et 1992, sur les 364 reportages télévisés nationaux et régionaux qui concernent les activités de Fos, 101 relatent des grèves et manifestations⁸, soit 28 % de l’ensemble, avec des pics en 1973 sous l’effet du conflit social autour du quai minéralier de la SOLMER⁹, en 1980 à cause des manifestations des marins-pêcheurs¹⁰ puis en 1991-1992 en raison des mobilisations contre le projet de réforme du statut des dockers¹¹ (fig. 1).

Fig. 1 - Occurrence des reportages TV nationaux et régionaux au sujet des mouvements sociaux dans la ZIP de Fos (1968-1992)

3Un autre thème phare cristallise les critiques : l’insécurité. Généralement, les vols commis sur les quais et dans les hangars poussent les entreprises qui en sont victimes à engager des procédures de réclamation auprès des autorités compétentes¹². Mais, à la fin des années 1970, ils sont également relayés dans la sphère publique, comme à l’occasion d’une tribune du Comité central des armateurs de France, parue dans la presse sous le titre : « Les armateurs français accusent le port de Marseille, champion de l’insécurité¹³ ». Le ton du texte s’avère particulièrement incisif :

4La répétition et la persistance de faits répréhensibles nous acculent à sortir de l’accommodement, de la passivité, voire de la conspiration du silence. Il n’est maintenant plus tolérable que se produise un certain nombre d’agissements sans que ceux-ci soient livrés au jugement de l’opinion publique : il faudra que désormais se sache que, trop souvent sur les quais et sur les navires, des vols sont perpétrés en présence de témoins, et que celui qui, ne faisant que son métier, veut intervenir pour redresser les choses se voie menacé sur sa personne, au besoin avec instruments à l’appui ; il faudra que se sache que parfois des chefs d’équipe se retrouvent entre la vie et la mort, et plutôt morts que vifs, sur un quai pour avoir voulu empêcher du simple banditisme ; il faudra que se sache que des opérations de manutention sont brusquement interrompues, non pas simplement parce qu’il pleut, mais pour organiser le pillage des marchandises¹⁴.

5Dans l’esprit des contemporains, grèves et vols ne sont que les symptômes de difficultés économiques plus profondes : un défaut de performance, d’attractivité et de compétitivité, résultant en grande partie de la cherté des droits de quai¹⁵. C’est le troisième volet de la mauvaise réputation, celui qui renvoie à l’image d’un port en crise, où les activités anciennes s’effondrent – à l’instar de la réparation navale à la fin des années 1970¹⁶ – et où les secteurs récents liés à la zone industrialo-portuaire (ZIP) de Fos peinent à produire les résultats escomptés, engendrant dès lors déception et dénigrement à l’égard d’une réalisation qui est considérée comme un échec. Ce regard est, du reste, communément porté sur l’ensemble des ZIP françaises, souvent présentées comme des « cathédrales dans le désert¹⁷ ». Pour la région marseillaise, le discours donne parfois lieu à la réactivation de nombreux stéréotypes pesant traditionnellement sur les régions méridionales, considérées, depuis le xix^e siècle, comme des espaces moins industrieux que
l’Europe du Nord¹⁸.

6Les pages suivantes n’ont pas tout à fait pour but de distinguer la part d’inexactitude ou de véracité de ces représentations, pas plus qu’elles n’entendent dresser un bilan des « victoires et déboires » de l’économie maritime marseillaise. Il s’agira plutôt de comprendre comment le PAM, en tant que nouveau gestionnaire, a façonné une tout autre image des quais à travers la mise en place d’une politique promotionnelle. Comment, de sa création jusqu’au lancement du projet Euroméditerranée en 1992¹⁹, l’Établissement public a-t-il défendu et promu les avantages des infrastructures marseillaises ? Les opérations publicitaires ont-elles tenté de rétablir une certaine vérité face aux critiques ou bien ont-elles bâti une rhétorique voire une mythologie qui leur est propre afin de contrecarrer la mauvaise réputation du port ? À travers un croisement des archives portuaires et de sources audiovisuelles inédites, nous tâcherons d’abord de cerner l’origine et la nature des différents dispositifs promotionnels mobilisés, avant de nous intéresser plus précisément au contenu des campagnes publicitaires, en analysant les discours dont elles sont porteuses.

Origine et nature des actions promotionnelles

7La valorisation des atouts portuaires s’inscrit dans une longue histoire qui dépasse largement le cadre des actions du PAM. Sans remonter aux politiques de représentation de la puissance maritime française à l’époque moderne à travers les commandes que Louis XV adresse au peintre Joseph Vernet²⁰ ; sans même revenir sur la mise en scène des progrès techniques dans le domaine de la construction littorale qui s’effectue sous le regard des photographes à partir des années 1860²¹ ; sans aborder, enfin, la place des ports dans la propagande vichyste pendant l’Occupation²², c’est au sortir de la Seconde Guerre mondiale que les décideurs portuaires prennent conscience du rôle grandissant des pratiques de promotion économique. La Chambre de commerce de Marseille a, par exemple, encouragé l’organisation d’événements promotionnels dans les années 1950, pour favoriser ou légitimer le développement de certains trafics. Tel est le but de l’exposition internationale du container en 1950-1951²³ ou de l’exposition « Marseille et le pétrole » en 1959²⁴, qui font l’objet d’une bonne couverture médiatique et qui donnent lieu à la diffusion d’affiches spécialement créées pour l’occasion²⁵. Alors que ces manifestations s’adressent à un cercle relativement restreint de professionnels, la Chambre s’intéresse à d’autres dispositifs permettant de toucher un large public, à l’échelle nationale voire internationale. En 1953, elle vote le financement d’un documentaire « pouvant être projeté en première partie de programme dans une salle française ou étrangère²⁶ ». La réalisation de ce court métrage de 21 minutes intitulé « Via Marseille » est confiée à la société Protis Films, co-fondée par l’industriel Paul Ricard et dont les studios sont installés à Sainte-Marthe²⁷.

8En raison de son rôle d’aménageur et de gestionnaire foncier de la zone de Fos²⁸, le PAM amplifie puis systématise, dès sa création en 1966, la campagne de promotion, en ciblant les investisseurs industriels appelés à s’installer dans les vastes espaces de la Crau. Pour ce faire, il dispose de plusieurs composantes et équipes spécialement affectées à cette tâche. La direction commerciale est l’une des plus importantes²⁹. Elle comprend notamment le service « trafic/action/étude commerciale » qui a pour mission de promouvoir l’essor des opérations portuaires et le service « relations publiques ». Celui-ci est doté de deux pôles : un pôle « accueil et réception des visiteurs » et un pôle « information ». Les réceptions de délégations officielles – nationales ou étrangères, entrepreneuriales ou gouvernementales – sont nombreuses et variées tout au long de la période : on en recense près de 465 entre 1972 et 1991³⁰ (fig. 2).

Fig.2 – Nombre de visites officielles à Marseille-Fos prises en charge par le PAM (1972-1991)

9Elles impliquent une forte mobilisation des personnels et la mise en place d’un protocole qui comprend généralement une réunion d’information, une visite des bassins Est, de Lavéra et de la ZIP puis un déjeuner ou un dîner à la villa Khariessa de Martigues. Par là même, le PAM perpétue une tradition de sociabilité initiée dans les années 1950, autour du Club de l’étang de Berre fondé par le courtier maritime Maurice Pommé et étroitement associé à la Chambre de commerce de Marseille³¹. Ces manifestations se conjuguent aux activités du pôle « information », qui consistent à entretenir les relations avec la presse et à s’occuper de la diffusion des supports publicitaires ou de l’actualité du port. La promotion commerciale et industrielle de la ZIP de Fos est, quant à elle, assurée par un service spécifique dépendant d’une autre direction, celle des « équipements de Fos », créée pour dynamiser le développement des bassins Ouest. Le service gère les prises de contact avec les sociétés désireuses de s’implanter dans la zone industrialo-portuaire, mais aussi l’élaboration des contrats d’occupation foncière ou d’utilisation des équipements de manutention³².

10Outre les questions d’organigramme, le PAM vote, par l’intermédiaire de son conseil d’administration, les premiers programmes d’action, en leur attribuant des lignes budgétaires. Dès 1967, 58 insertions publicitaires (fig. 3) sont achetées dans des annuaires professionnels et diverses revues spécialisées mais également dans des quotidiens généralistes – qu’ils soient français ou étrangers – pour une somme totale de plus de 70 000 francs³³.

Fig. 3 - Insert publicitaire du PAM en 1973

11L’année suivante, 113 insertions sont prévues pour un prix de 147 000 francs³⁴. À cela s’ajoutent les impressions de brochures et autres dépliants thématiques ainsi que des cartes des bassins ou de la ZIP de Fos. Ces supports sont édités entre 2 000 et 10 000 exemplaires ; le PAM y accorde à la fin des années 1960 un budget d’environ 200 000 francs³⁵. Si les dépenses demeurent relativement modestes – notamment par rapport aux sommes engagées dans la construction de Fos –, les objectifs n’en restent pas moins ambitieux : le but est de faire connaître le port, et en particulier son extension fosséenne qui, sans politique promotionnelle resterait un terrain vierge d’installations industrielles. Pour cela, les publications ne suffisent pas ; elles doivent être complétées par des dispositifs et investissements supplémentaires.

12Le film apparaît, à cet égard, comme un instrument publicitaire privilégié. Le PAM prend attache avec la société Les Films du Centaure, fondée en 1954 par le producteur Paul de Roubaix spécialisé dans les documentaires institutionnels et promoteur d’un genre alors en vogue : le film scientifique, technique et industriel³⁶. Entre 1969 et 1993, 20 films de qualité cinématographique – la plupart étant filmés en 35 mm – sont ainsi réalisés par un metteur en scène, Daniel Absil, en étroite collaboration avec un cadre du port spécialement affecté à cette tâche, Bernard Genet³⁷. Les courts-métrages sont ensuite projetés devant des professionnels du monde maritime lors de congrès ou de réceptions officielles. Mais, le spectre de diffusion ne se limite pas aux milieux d’affaires. Il touche aussi un plus large public, grâce aux projections d’avant-séance programmées dans des salles de cinéma³⁸. Par exemple, en 1970-1971, le deuxième film intitulé Marseille-Fos, une tradition, un avenir qui a d’ailleurs reçu deux prix internationaux³⁹, a été vu par plus de 100 000 spectateurs dans sa version intégrale, et près de 150 000 dans sa version courte commerciale⁴⁰. Des copies multilingues, avec des traductions en anglais, allemand, espagnol, russe, arabe, brésilien sont également éditées⁴¹.

13L’initiative s’inscrit dans une véritable stratégie internationale ; une stratégie qui se renforce avec l’organisation de manifestations publicitaires à l’étranger – environ 55 événements entre 1972 et 1991⁴² (fig. 4) – et l’installation d’antennes de promotion commerciale dans de grandes métropoles.

Fig. 4 - Manifestations promotionnelles organisées par le PAM à l’étranger (1972-1991)

14La plus remarquable est certainement le bureau de New York créé en 1974 et hébergé dans les locaux de la Chambre de commerce française aux États-Unis⁴³. Dotée d’un budget de fonctionnement moyen de 400 000 francs par an⁴⁴, la structure vise à améliorer la notoriété des nouveaux équipements de Fos auprès de potentiels investisseurs américains, tant dans le domaine de l’industrie lourde (pétrochimie) que dans le domaine du conteneur, alors en pleine expansion outre-Atlantique⁴⁵. La création d’une liste de prospection de clients, l’organisation de séminaires et de conférences sont également l’occasion de prendre le pouls de la conjoncture dans la capitale du commerce international et de recueillir de précieuses informations pour les décideurs marseillais. L’objectif est de mieux connaître les attentes des compagnies maritimes ou des industriels, afin d’adapter le discours commercial aux circonstances et aux besoins.

Le contenu des discours promotionnels, entre mythes et réalités

15En dépit d’une diversité d’actions et de supports, peut-on percevoir une unité dans le contenu des récits publicitaires ? Bien entendu, des spécificités se manifestent en fonction des professions maritimes, des secteurs industriels démarchés, ou encore de l’étendue du public ciblé par les opérations de marketing. Mais, de manière générale, il est possible de dégager trois grandes caractéristiques communes à l’ensemble des discours.

16Un premier constat – qui a d’ores et déjà été esquissé – se fait jour : la politique du PAM met l’accent sur Fos au détriment des quais proprement marseillais. Au-delà des images du trafic des passagers ; au-delà de la mise en scène des nouveautés techniques incarnées par le Ro-Ro⁴⁶, le Vieux-Port et les bassins Est sont surtout mentionnés pour rappeler l’ancrage pluriséculaire de la vie portuaire locale et inscrire les réalisations de l’après-guerre dans une continuité historique. Dans cette perspective, le port doit s’appuyer sur le passé pour construire son avenir : tel est le leitmotiv des brochures, films et interviews menées sur les quais⁴⁷. À cet égard, l’un des courts-métrages produits par Les Films du Centaure en 1970 est intitulé : Marseille-Fos, une tradition, un avenir. Il s’ouvre sur une séquence emblématique de la rhétorique déployée par la direction de l’Établissement :

Tout le long des rivages de la Méditerranée, des vestiges antiques : théâtres, temples, mausolées. Ces pierres ont plus de 2 000 ans. Elles forment le premier quai édifié à Marseille. Depuis, on n’a jamais cessé d’en construire. D’abord autour du Vieux-Port : il a fallu vingt siècles pour en faire le tour. 1840 : avec toute l’Europe, Marseille entre dans l’ère industrielle. Protégé par une longue digue, un nouveau port s’étend vers le nord, bassin après bassin. Et cent ans plus tard, les limites naturelles sont atteintes. D’extension en extension, Marseille est resté le premier port de France et de Méditerranée. Le tonnage annuel atteint aujourd’hui 70 millions de tonnes. Sur place, la croissance est devenue impossible. La ville assiège le port, les collines encerclent la ville. Les terres neuves sont à l’ouest. Fos, ce sont d’abord ces milliers d’hectares aux portes du Parc naturel de la Camargue, qui restera préservé. C’est aussi le débouché naturel de l’axe Rhin-Rhône, le grand axe de pénétration fluviale vers l’Europe du Nord⁴⁸.

17En relatant – non sans tonalité mythologique – l’œuvre des Phocéens autour du Lacydon ; en rappelant le rôle joué par les milieux d’affaires dans le développement des bassins de la Joliette à l’Estaque depuis le xix^e siècle, le discours historique du PAM consolide la légitimité de la réalisation de Fos, qui est présentée dans le prolongement chronologique d’une grande fresque urbaine et maritime. Par conséquent, les qualités des hommes qui « ont fait Fos » s’en trouvent mises en exergue⁴⁹ : il s’agit notamment de la valorisation d’un esprit pionnier qui ne cesse de repousser les frontières portuaires vers l’ouest ; un état d’esprit que Georges Ricard, ancien secrétaire de la Chambre de commerce de Marseille et auteur d’un livre de témoignages sur Fos, a assimilé à une véritable « conquête de l’Ouest⁵⁰ ».

18Deuxième caractéristique : le PAM n’hésite pas utiliser les supports publicitaires ou les canaux médiatiques pour répondre directement aux critiques dont il fait l’objet. Par exemple, la publication en 1977 de la tribune du Comité central des armateurs de France au sujet de l’insécurité des bassins suscite une réaction immédiate de la part des responsables du PAM⁵¹. Sans nier l’existence de vols sur les quais, ils multiplient les déclarations publiques pour rappeler certains faits et ne pas laisser la mauvaise réputation se propager : selon eux, les problèmes d’insécurité sont inhérents à tous les espaces portuaires et ne concernent pas plus Marseille-Fos qu’une autre place⁵². D’autant que le PAM souligne les nombreux investissements réalisés à l’échelle locale pour améliorer la sûreté des marchandises : extension des fermetures de l’enceinte portuaire, collaboration étroite avec la police, création d’un service de gardiennage assurant contrôles et patrouilles⁵³. Autant d’actions concrètes qui sont volontairement révélées au grand jour grâce à la maîtrise « d’une communication de crise ». Cette stratégie argumentative est du reste largement employée pour répondre aux critiques environnementales, émanant de victimes de pollutions industrielles et maritimes le long du littoral (riverains/pêcheurs⁵⁴).

19Troisième et dernière caractéristique – de loin la plus importante : le PAM met tout en œuvre pour construire l’image d’un complexe portuaire efficient à l’échelle de l’Europe⁵⁵, en se proclamant concurrent direct d’Anvers et de Rotterdam, sous le nom d’Europort du Sud. Au début de la période considérée, dans les années 1960-1970, la taille des installations apparaît comme la thématique phare des opérations de communication. Les discours pointent le gigantisme des bassins de Fos où peuvent accoster des supertankers de 250 000 tonnes, tout comme ils soulignent l’immensité de la surface foncière disponible – plus de 7 000 hectares – pour l’accueil de grandes unités de production. Le discours est en phase avec la rhétorique des Trente Glorieuses où s’amalgament foi dans le progrès, pensée techniciste et domination de l’Homme sur la nature⁵⁶. Il est aussi conforme à la geste modernisatrice d’un État stratège où se mêlent théories d’aménagement du territoire, rêve d’une liaison Rhin/Rhône et projet d’un Grand Delta industriel dans la France méditerranéenne⁵⁷. En revanche, dans les années 1980-1990, la focale des discours promotionnels se centre davantage sur la performance logistique. Marseille s’adapte au rythme de la mondialisation, aux enjeux du juste-à-temps, de la conteneurisation et de l’informatisation des procédures, alors même que le port accuse d’importants retards sur ses concurrents pour le trafic de conteneurs⁵⁸. Le film Just in time, qui fait la part belle aux scènes de travail nocturnes et automatisées, illustre parfaitement ces nouveaux critères de puissance portuaire :

Les exportateurs les plus exigeants font confiance à Marseille. À peine arrivés au port, les conteneurs sont saisis dans le système informatique Protis-Escale, commun à tous les opérateurs portuaires. Ils sont dédouanés et suivis en temps réel jusqu’à l’embarquement. […] Mais ce n’est pas une raison pour perdre du temps. Heureusement les terminaux travaillent jour et nuit. La régularité des approvisionnements est assurée par plus de vingt départs de navires porte-conteneurs, chaque mois⁵⁹.

20Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que les conflits sociaux soient totalement escamotés du discours publicitaire, y compris lorsque les capacités de négociation de la direction permettent d’aboutir à une résolution du conflit. Aucune place, non plus, n’est laissée à une autre réalité : les difficultés rencontrées pour attirer les industriels dans la ZIP de Fos. D’ailleurs, à la fin des années 1980, le discours promotionnel du PAM emprunte parfois au registre de la « prophétie autoréalisatrice » : c’est le cas du film Now it’s time to come in qui met en scène des industriels américains s’installant à Fos, car – nous dit-on – « tout le monde en parle et tout le monde rêve de s’implanter dans la zone⁶⁰ ». Or, on sait à quel point cette affirmation relève davantage de l’espoir commercial que de la réalité, tant les nouvelles implantations sur la ZIP subissent un coup d’arrêt brutal après la crise de 1979⁶¹.

21À l’évidence, le port de Marseille-Fos est au cœur d’une guerre des images qui oppose mauvaise réputation d’une part et opérations publicitaires de l’autorité portuaire d’autre part. Les actions et discours promotionnels mis en œuvre par le PAM entre 1966 et 1992 oscillent eux-mêmes entre mythes et réalités. Au-delà des réussites et des échecs pour attirer tel ou tel trafic ou telle ou telle activité industrielle, il reste une interrogation : ces opérations de communication ont-elles permis de déconstruire la mauvaise réputation du port ? Ont-elles eu un quelconque effet dans l’esprit des usagers et, plus largement, de l’opinion publique locale et nationale ?

22Les dirigeants du PAM se sont eux-mêmes posés la question, ne serait-ce que pour mesurer l’efficacité des dispositifs publicitaires et les améliorer le cas échéant. Entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, le PAM commande une série de sondages⁶² visant à établir un baromètre de l’image du port. Les résultats vont dans le sens d’une amélioration de cette image : 32 % de la population pense que le port est en déclin, contre 26 % des patrons impliqués sur le port et 25 % des salariés du PAM⁶³. S’il convient de prendre ces chiffres avec toute la prudence requise, il est permis de penser que les actions de promotion ont été un instrument de résistance à la crise que traversent les quais après les chocs pétroliers de 1973 et 1979.