Marseille, port impérial ?
p. 43-60
Texte intégral
1Depuis la fin du xixe siècle, Marseille est régulièrement qualifiée par ses élites de porte coloniale de la France, de métropole coloniale ou de capitale de l’empire colonial français1. Ces termes ont été popularisés lors des expositions coloniales de 1906 et 1922, puis inlassablement repris jusqu’à la récession des années trente par la presse locale, dans les publications de différents organismes – Société de géographie, Institut colonial, Chambre de commerce et d’industrie – et parfois même gravés dans le marbre de la statuaire urbaine, comme s’ils allaient de soi, sans que l’on songe vraiment à questionner leur pertinence scientifique, à distinguer ce qui relève de la construction politique ou d’une analyse économique globale et contextualisée. Dans la même logique, les indépendances des colonies ont souvent été présentées comme étant les principales causes du déclin du port de Marseille dans le dernier tiers du xxe siècle, renforçant ainsi l’idée d’une coupure nette entre les deux périodes et de l’importance du fait colonial dans sa prospérité passée2. Le port et la ville de Marseille ont-ils vraiment vécu, comme on l’a tant de fois proclamé, par et pour les colonies ? Que représentaient concrètement les marchés coloniaux pour l’économie portuaire ? Quelle place tenaient-ils dans la stratégie des entrepreneurs marseillais ? Notre recherche est centrée sur les décennies 1890-1930 – période de plus grande audience de la culture impériale à Marseille3 – et structurée autour de trois points : l’analyse des circonstances dans lesquelles certaines personnalités ont été amenées à revendiquer que les colonies constituent le nouvel horizon du port de Marseille ; l’évaluation de l’importance des échanges coloniaux dans le trafic portuaire global ; l’étude des conceptions et du rôle des entrepreneurs dans l’organisation des marchés coloniaux. Au-delà, il s’agira de proposer une interprétation nuancée d’une période dont le souvenir reste fort, tout en étant sujette à de nombreuses reconstructions sociales et politiques.
Aux origines d’une revendication identitaire coloniale
2Plusieurs jalons scandent la structuration et la diffusion de la culture impériale à Marseille. Certains ont été très médiatisés, comme les expositions coloniales de 1906 et 1922. D’autres, restés dans l’ombre de ces deux manifestations visitées par plusieurs millions de personnes4, n’en constituent pas moins des étapes importantes. Elles permettent de comprendre comment, et sur quelles bases, s’est effectué le rapprochement idéologique entre l’élite économique marseillaise et le fait colonial de la fin du xixe siècle. Parmi les jalons discrets de cette histoire, citons la création de la Société de géographie5, celle de l’Institut colonial6 et l’organisation à Marseille, en 1898, du Congrès national des sociétés de géographie. C’est au cours de ce dernier que l’on voit apparaître les fondements d’une réflexion tendant à affirmer que Marseille doit occuper une place centrale au sein de l’empire colonial en cours de constitution. Parmi les intervenants, trois s’illustrent plus particulièrement, scellant dès l’origine une sorte d’alliance tacite entre la communauté universitaire et le monde entrepreneurial : édouard Heckel, Frédéric Bohn et Paul Masson. Sensible aux idées de Joseph Chailley-Bert sur la nécessité de promouvoir l’agriculture coloniale et de préparer les colons en conséquence7, le professeur édouard Heckel, qui est aussi directeur de l’Institut colonial et du jardin botanique du parc Borély, milite pour que Marseille devienne un grand centre universitaire d’enseignement colonial capable de dispenser aux futurs candidats au départ une solide formation en termes de botanique, de techniques agricoles, de climatologie, d’hygiène, d’épidémiologie et de « pathologie exotique8 ». Frédéric Bohn, directeur-administrateur de la Compagnie française de l’Afrique occidentale (CFAO), principale société marseillaise et française d’import-export implantée dans l’Ouest africain, expose quant à lui les grands traits d’un programme économique englobant toutes les colonies de l’AOF. Au-delà des aspects administratifs, de la question du régime douanier9, des inévitables voies de chemins de fer à construire10 et de l’agriculture11, la question financière lui semble particulièrement urgente avec trois mesures à prendre sans tarder : doter l’AOF d’un budget général ; l’autoriser à contracter des emprunts garantis par l’état, comme en Indochine ; fonder une banque coloniale capable d’investir dans toutes les colonies de la Fédération12. Reste Paul Masson, enseignant d’histoire et de géographie au Lycée de Marseille, chargé de cours à la Faculté des lettres d’Aix-en-Provence et futur titulaire de la chaire d’histoire et de géographie économique13. Paul Masson est passé à la postérité pour avoir dirigé l’édition des 16 volumes de l’imposante encyclopédie départementale des Bouches-du-Rhône parus entre 1913 et 1937, un siècle après celle du préfet Villeneuve14. Du point de vue de la structuration de la culture impériale, il est aussi connu pour l’ouvrage Marseille et la colonisation française. Essai d’histoire coloniale édité en 1906 à l’occasion de l’exposition coloniale, puis réédité chez Hachette en 1912. C’est au cours du Congrès des sociétés de géographie qu’il dévoile pour la première fois les grands traits d’une réflexion amenée à connaître un grand succès avec une intervention intitulée « Marseille port colonial. étude sur les relations maritimes et commerciales de Marseille avec les colonies françaises », dont le texte est publié en 1899 dans le Bulletin de la Société de géographie de Marseille15. Quelles sont ses idées forces ? Notons, tout d’abord, qu’elles reposent sur deux partis pris méthodologiques qui sont aussi des positionnements politiques. Premièrement, que ce soit en 1898, en 1906 ou en 1912, Paul Masson fonde ses analyses sur des statistiques douanières indiquant la valeur des produits et non pas leur tonnage, ce qui l’a conduit à un long et fastidieux travail de conversion :
Ces statistiques […] ont été tirées en grande partie des états de douanes du port de Marseille, c’est-à-dire d’une source inédite. Comme les états de douanes ne donnent que les poids des marchandises importées ou exportées, il a fallu en calculer la valeur d’après les prix établis par la commission des valeurs en douane, inscrits dans le Tableau du commerce de la France16.
3Ce choix n’est pas anodin. Compte tenu de la structure des échanges entre Marseille et les colonies – importation de pondéreux à faible valeur marchande ; exportation de marchandises onéreuses et moins volumineuses –, il revient de facto à réduire la part des importations et à augmenter celle des exportations. à titre d’exemple, en 1896, la valeur des produits exportés par Marseille vers les colonies françaises s’élève à 341 millions de francs et celle des produits importés à 161 millions de francs seulement ; mais si l’on considère les tonnages, le résultat s’inverse : Marseille exporte 327 000 tonnes aux colonies et en importe 470 000 tonnes17. Dans le premier cas, le port est excédentaire ; dans le second, il est déficitaire. Or, Paul Masson, comme d’autres analystes libéraux ou néo-mercantilistes de son temps, accorde une importance primordiale au critère de la balance commerciale. Il considère que la prospérité économique d’un pays, ou d’un port, repose sur l’importance de son excédent commercial et que l’utilité des colonies se mesure au fait que la valeur des exportations de la métropole l’emporte sur celle des importations. Deuxièmement, dans le mode de calcul utilisé pour mesurer l’importance des échanges coloniaux, Paul Masson ne retient que les relations avec les colonies et protectorats français, où l’Algérie tient une place écrasante. Il n’est jamais question, dans ses analyses, des marchés coloniaux contrôlés par d’autres puissances européennes. Le rapport de Marseille aux colonies est pensé – et enfermé – dans un tête-à-tête exclusivement national qui ne rend pas compte de la diversité des stratégies entrepreneuriales et de l’importance des relations avec les autres empires. C’est à la fois un déni, ces échanges existent bel et bien, et sans doute aussi une façon d’inscrire sa réflexion dans le contexte protectionniste de l’époque – le tarif Méline marquant la fin de l’épisode libre-échangiste ouvert par le traité franco-anglais de 1860 a été adopté en 1892 –, tout en adhérant au projet colonial de la IIIe République et en légitimant le nouvel empire que la France est en train de constituer en Afrique et en Asie. Adossé à ces présupposés – adoptés en 1899 par la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille18 –, et aux données produites par sa minutieuse reconstitution statistique, Paul Masson développe une argumentation articulée autour de deux idées forces : 1o) contrairement à ce qui prévalait au xviiie siècle, Marseille est désormais le premier port colonial de France – devant Bordeaux et Nantes – et les colonies jouent un rôle décisif dans sa croissance ; 2°) par ailleurs, si dans le trafic global du port la valeur des importations l’emporte régulièrement sur celle des exportations – Marseille est structurellement déficitaire –, les échanges avec les colonies permettent, par la primauté des exportations sur les importations, de réduire ce déficit, tout en fortifiant la fonction industrielle et commerciale du port.
Un port mondial
4Quels regards pouvons-nous porter aujourd’hui sur l’importance économique du fait colonial à Marseille, notamment dans les décennies 1890-1930 lorsque l’opinion semble la plus réceptive à la culture impériale ? Les données utilisées dans le cadre de cette étude diffèrent de celles employées à la charnière des xixe et xxe siècles. D’une part, nous prenons en compte l’ensemble des colonies et protectorats français et étrangers en relation avec Marseille ; d’autre part, nous privilégions non plus la valeur marchande des produits et des marchandises, mais leur tonnage métrique19, un critère mieux adapté pour évaluer l’impact des échanges en termes de manutention sur les quais, de besoins en instruments de levage, en infrastructures de stockage, en espaces de fonctionnement et en charge de travail pour les industries de transformation.
Tableau 1 - Le trafic du port de Marseille avec les colonies et protectorats français (en milliers detonnes)20.
Années | Trafic global | Colonies | Algérie | Sénégal, puis AOF | Indochine |
1860 | 1 919 | 168 | 83 | 28 | - |
1890 | 4 971 | 789 | 563 | 39 | 10 |
1913 | 9 045 | 1 622 | 798 | 150 | 88 |
1928 | 8 241 | 2 361 | 928 | 238 | 286 |
1938 | 9 793 | 2 345 | 880 | 355 | 392 |
Tableau 2 - Le trafic de port de Marseille avec les colonies et protectorats français et étrangers (en milliers de tonnes)21.
Années | Trafic global | Colonies | Colonies français | Colonies étrangers |
1860 | 1 919 | 224 | 168 | 56 |
1890 | 4 971 | 1 066 | 789 | 277 |
1913 | 9 045 | 2 446 | 1 622 | 824 |
1928 | 8 241 | 3 142 | 2 361 | 781 |
1938 | 9 793 | 2 752 | 2 345 | 407 |
Tableau 3 - Importations du port de Marseille en provenance des colonies et protectorats français et étrangers (en milliers de tonnes)22.
Années | Total | Possessions françaises | Indochine | Afrique française | Sénégal, puis AOF | Maghreb | Algérie | Tunisie | Maroc |
1860 | 151 | 107 | - | 66 | 26 | 40 | 40 | - | - |
1890 | 705 | 476 | 6 | 390 | 32 | 358 | 303 | 55 | - |
1913 | 1 398 | 723 | 54 | 512 | 82 | 408 | 313 | 90 | 5 |
1928 | 1 886 | 1 244 | 180 | 992 | 92 | 855 | 510 | 252 | 93 |
1938 | 1 996 | 1 604 | 349 | 1 123 | 307 | 757 | 479 | 164 | 114 |
Tableau 4 - Exportations du port de Marseille vers les colonies et protectorats français et étrangers (en milliers de tonnes)23.
Années | Total | Possessions françaises | Indochine | Afrique française | Sénégal, puis AOF | Maghreb | Algérie | Tunisie | Maroc |
1860 | 73 | 61 | - | 45 | 2 | 43 | 43 | - | - |
1890 | 361 | 336 | 4 | 310 | 7 | 303 | 260 | 43 | - |
1913 | 1 048 | 899 | 34 | 845 | 68 | 741 | 485 | 90 | 166 |
1928 | 1 256 | 1117 | 106 | 976 | 146 | 780 | 418 | 140 | 222 |
1938 | 756 | 742 | 43 | 669 | 48 | 591 | 401 | 100 | 90 |
Tableau 5 - le trafic colonial du port de Marseille
par zones géographiques (en milliers de tonnes)24.
Années | Total | Méditerranée | Océan Indien, Asie | Atlantique |
1860 | 224 | 101 | 61 | 62 |
1890 | 1 066 | 735 | 257 | 74 |
1913 | 2 446 | 1 301 | 876 | 269 |
1928 | 3 142 | 1 767 | 999 | 376 |
1938 | 2 735 | 1 398 | 890 | 447 |
5Cet ensemble de tableaux donne un aperçu de l’évolution du commerce colonial du port de Marseille à certaines dates clés. Le premier est consacré aux échanges avec les colonies françaises. Ramenés en %, on constate que ceux-ci représentent 9 % du trafic global en 1860, 16 % en 1890, 18 % à la veille de la Première Guerre mondiale, pour culminer à 29 % un an avant la crise de 1929 et retomber à 24 % avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Sur l’ensemble de la période, la part des possessions françaises ne dépasse 30 % qu’à deux reprises : en 1919 et en 1921. C’est loin d’être négligeable, mais cela signifie que le port de Marseille reste avant tout un port mondial ouvert à tous les vents du large, les colonies n’étant que des marchés parmi d’autres et pas nécessairement les plus importants. On constate aussi que les échanges avec l’Algérie ne monopolisent pas l’ensemble du trafic colonial. Leur part est certes décisive, mais après avoir représenté plus de 70 % des échanges coloniaux de Marseille en 1890, elle chute à 50 % à la veille de la Première Guerre mondiale pour se stabiliser autour de 40 % dans l’entre-deux-guerres. Il faut donc aussi compter avec d’autres colonies comme l’AOF et surtout l’Indochine, en forte progression entre 1913 et 1938. Par ailleurs, comparés au trafic global de Marseille, les échanges avec l’Algérie varient entre 9 et 11 % entre 1890 et 1938. Plusieurs nuances doivent toutefois être introduites. Malgré le poids relatif des colonies et protectorats français dans l’économie portuaire, certaines filières industrielles sont très dépendantes des marchés coloniaux, que ce soit pour leurs approvisionnements, leurs débouchés et parfois les deux en même temps : c’est le cas de la minoterie25, des raffineries de sucre26, de l’industrie des oléagineux27, des rizeries28 et de la production de matériaux de construction29. Par ailleurs, le poids économique des colonies et protectorats est plus important si l’on intègre aussi ceux qui appartiennent à d’autres pays européens et dont l’importance ne cesse de croitre dans l’économie marseillaise jusqu’à la crise de 1929 (tableau 2). En 1913, les colonies et protectorats français et étrangers représentent ainsi 27 % du trafic global du port de Marseille, contre 18 % pour les seules colonies françaises. On atteint même 38 % en 1928, avant que la politique du repli impérial imposée pendant la récession des années 1930 ne fasse brutalement chuter les échanges avec les autres empires. La prise en compte des possessions étrangères renforce, en outre, la dépendance coloniale de certaines filières. C’est le cas de l’industrie des oléagineux : en 1938, 89 % des arrivages d’oléagineux proviennent de colonies françaises et étrangères (45 % uniquement avec les colonies françaises). Les principales colonies étrangères en contact avec Marseille sont alors les Indes anglaises et hollandaises, les îles Philippines espagnoles et américaines, l’égypte et les colonies anglaises des côtes occidentale et orientale d’Afrique.
6Globalement, nonobstant quelques exceptions comme le Maghreb en 1913 ou l’AOF en 1928, on constate aussi que jusqu’à la Seconde Guerre mondiale les marchés coloniaux sont avant tout des marchés d’importation (tableaux 3 et 4) qui fournissent à l’industrie marseillaise les matières premières dont elle a besoin : sucre, coton, céréales, oléagineux (arachides, sésames, huile de palme, palmistes, coprahs), minerai de cuivre ou de plomb, phosphates etc. Perceptible dès le xixe siècle, le phénomène s’amplifie pendant la récession des années 1930 avec la mise en place d’une « économie dirigée30 », une politique qui se traduit, entre autres, par l’établissement d’une préférence impériale dans l’approvisionnement de certaines industries comme celle des oléagineux. En 1913, les exportations de Marseille couvraient ainsi 75 % des importations en provenance des colonies et protectorats français et étrangers ; en 1928, ce n’est plus que 66 % ; en 1938, 38 % seulement. La politique de repli impérial a donc été plus favorable aux importations coloniales qu’aux exportations vers l’Empire. La situation s’inverse au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et dans les années qui précèdent les indépendances où, avec les exportations massives de produits pétroliers raffinés autour de l’étang-de-Berre, les colonies deviennent brusquement des marchés d’exportation, notamment au Maghreb. Entre 1948 et 1957, le cumul des importations en provenance des territoires ultramarins de l’Union française s’élève 16,7 millions de tonnes, tandis que le cumul des exportations du port de Marseille vers les mêmes territoires atteint 27 millions de tonnes. En 1951, alors que les exportations marseillaises vers les colonies françaises s’élèvent à 2,8 millions de tonnes, les envois d’hydrocarbures vers l’Algérie, le Maroc et la Tunisie représentent à eux seuls près de 45 % du total. Cette proportion culmine à 53 % en 195731. La thèse récente de Fabien Bartolotti démontre aussi que la relation entre décolonisation et baisse du trafic portuaire – le fameux argument de la perte des marchés coloniaux – doit être sérieusement reconsidérée. à titre d’exemple, entre 1948-1957 et 1965-1973, les échanges cumulés entre le port de Marseille et le Maghreb passent de 31,5 à 115 millions de tonnes. Il n’existe donc pas de relation automatique entre la décolonisation et la baisse du trafic portuaire32. Notons encore que les colonies sont aussi des réservoirs de main-d’œuvre. Aux xixe et xxe siècles, l’industrie marseillaise ne peut faire face à la demande des marchés qu’en ayant recours à une importante main-d’œuvre d’origine étrangère, principalement italienne33. Cette main-d’œuvre jeune, robuste, sous-payée et peu revendicative est employée dans les métiers les moins qualifiés, parfois aussi pour briser les mouvements de grève, ce qui vaut aux Italiens d’être régulièrement stigmatisés et brutalisés par les ouvriers français34. Mais à partir du moment où les Italiens cessent d’être des « briseurs de grèves » pour devenir des « meneurs de grèves », dès lorsqu’ils s’engagent massivement dans les luttes sociales et dans les syndicats aux côtés des ouvriers marseillais, les industriels se tournent vers l’Algérie. Une première expérience est réalisée en 1907 dans l’huilerie avec des ouvriers recrutés en Kabylie. La proximité et l’ancienneté d’une Algérie coloniale de plus en plus fréquentée par les entrepreneurs locaux, facilite la réorientation des mobilités migratoires et le recrutement de travailleurs pour briser les grèves de l’huilerie et contenir les revendications salariales. En 1913, 400 Algériens sont employés dans cette branche, soit 9 % de l’ensemble de l’effectif ouvrier et 12 % de la main-d’œuvre ouvrière étrangère. Un phénomène identique se produit dans le raffinage du sucre pendant les grèves de 1907-1910. En 1913, 300 ouvriers algériens travaillent dans cette branche, soit 14 % de l’ensemble de l’effectif ouvrier et 28 % de la main-d’œuvre ouvrière étrangère. Loin d’être ponctuelle et sans lendemain, cette réorganisation des flux migratoires est l’amorce d’une tendance de fond qui s’épanouit pleinement pendant la Première Guerre
mondiale, dans le cadre de l’économie de guerre et dans l’entre-deux-guerres. En 1930, l’huilerie marseillaise emploie 25 % d’ouvriers français, 33 % d’Italiens, 27 % d’ouvriers algériens, 7 % d’Espagnols et 6 % d’Arméniens. Les Algériens sont devenus une composante à part entière du monde ouvrier marseillais.
7Le tableau 5 permet enfin de dégager un certain nombre d’enseignements sur l’évolution géo-historique des échanges coloniaux du port de Marseille. Si les colonies méditerranéennes occupent toujours le premier rang, on assiste, dès 1890, à la montée en puissance des échanges avec les colonies françaises et étrangères de l’océan Indien et de l’Asie du Sud-Est (Indochine, Madagascar, Réunion, Inde, Philippines, Indonésie). En 1913, ces dernières représentent 36 % du trafic colonial de Marseille, loin devant les colonies de l’Atlantique (11 %). Le recentrage en cours des échanges coloniaux du port de Marseille – au xviiie siècle, ils étaient dominés par les colonies de l’Atlantique (Antilles35) – est une conséquence directe du percement du canal de Suez, un projet voulu par l’élite économique marseillaise et auquel un certain nombre d’entreprises ont participé de près (Compagnie Daher, Forges et chantiers de la Méditerranée, Savon & Bazin, Dussaud frères36). Au tournant des xixe et xxe siècles, l’essor du commerce colonial contribue ainsi au glissement du centre de gravité du commerce marseillais vers l’océan Indien et l’Asie. L’ouverture simultanée du port de Marseille à l’Afrique et à l’Asie se traduit aussi par l’émergence d’interactions entre des espaces coloniaux qui n’entretenaient pas, jusque-là, de relations économiques suivies. L’exemple des interdépendances entre les filières du riz et des oléagineux est, de ce point de vue, particulièrement éclairant. Dans la première moitié du xxe siècle, le riz en paille ou décortiqué importé d’Indochine ou de Madagascar via le canal de Suez est trié, blanchi et glacé dans les rizeries marseillaises, avant d’être réexpédié en Algérie et en AOF, où il est revendu aux paysans qui ont abandonné les cultures vivrières pour produire les oléagineux nécessaires aux huileries, aux savonneries et aux stéarineries marseillaises37. Même s’il ne s’agit que de deux exemples pris au sein d’un ensemble industriel bien plus étoffé et diversifié, ces filières placent le port de Marseille au cœur du système économique impérial38.
Conceptions et influences entrepreneuriales
8Nous manquons d’études historiques de longue durée sur les relations économiques entre le port de Marseille et certains espaces coloniaux importants comme le Maghreb et l’Indochine. Nous disposons cependant d’éclairages qualitatifs sur d’autres colonies permettant d’établir un certain nombre de constats sur les conceptions des entrepreneurs marseillais dans l’organisation économique des colonies39. Avant la période coloniale proprement dite, certains d’entre eux disposaient déjà d’une influence informelle sur les autorités politiques en place. C’était le cas des Pastré auprès du vice-roi d’égypte et du bey de Tunis, des Régis au royaume du Dahomey ou des maisons Roux de Fraissinet et Rostand avec la monarchie merina (Madagascar). Ils en retiraient des privilèges et des positions stratégiques, notamment financières, qui les protégeaient des contraintes de la libre concurrence avec les autres négociants et assuraient la prospérité de leurs affaires40. à partir des années 1880, on retrouve d’autres négociants marseillais aux côtés des gouverneurs généraux qui sont aussi en capacité d’influer sur les choix économiques des nouvelles colonies. L’exemple le plus emblématique se produit en AOF avec la montée en puissance de la Compagnie française de l’Afrique occidentale (CFAO), une société marseillaise d’import-export fondée en 1887 autour de Frédéric Bohn, de la Société marseillaise de crédit et de la maison de banque grecque Zafiropulo & Zarifi (Z & Z). En 1913, la CFAO est présente tout le long de la côte occidentale d’Afrique, depuis le Sénégal jusqu’au Nigeria, et son chiffre d’affaires dépasse les 50 millions de francs. Sa prééminence sur les autres maisons de négoce françaises et étrangères conduit Frédéric Bohn à jouer un rôle politique éminent, même s’il apparaît rarement au premier plan. En 1894, il s’oppose ainsi au ministre des Colonies Théophile Delcassé – très critique à l’égard des négociants accusés de piller l’Afrique occidentale – qui souhaite introduire des compagnies concessionnaires en AOF pour que l’économie de plantation se substitue à l’économie de traite. Une première concession est accordée en Guinée (1894), mais la résistance orchestrée par Bohn évite que le système ne soit étendu à l’ensemble de l’AOF41. Au tournant des xixe et xxe siècles, Frédéric Bohn songe surtout à réaliser le programme économique présenté en 1898 lors du Congrès national des sociétés de géographie. Dans un premier temps, il s’attache à la question de la banque en s’appuyant sur Augustin Ferraud, vice-président de la SMC, de la CFAO et président de la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille. Deux options sont possibles : augmenter les capacités financières de la Banque du Sénégal et lui permettre de s’implanter dans toutes les colonies de l’AOF ; créer un nouvel organisme bancaire. La Banque du Sénégal étant presqu’exclusivement contrôlée par les négociants bordelais, Frédéric Bohn et les maisons marseillaises sont plutôt favorables à la seconde solution. En février 1900, Augustin Ferraud engage donc des discussions pour étudier la possibilité de créer un établissement de deux millions de francs dont 60 % des titres seraient réservés aux Bordelais, 20 % au Comptoir national d’escompte (CNE) et 20 % aux Marseillais. Après de difficiles négociations, un compromis est trouvé et le 29 juin 1901 un décret présidentiel officialise la création de la Banque de l’Afrique occidentale42. Reste la question du budget général et celle des emprunts, deux dossiers difficiles à traiter dans la mesure où ils ne peuvent aboutir sans l’aval du Parlement. L’année 1902 permet tous les espoirs : Ernest Roume, Marseillais d’origine, est nommé gouverneur général de l’AOF et Maurice Rouvier, ancien employé de Zafiropulo & Zarifi et actionnaire de la CFAO, retrouve le portefeuille des Finances :
Rouvier m’a convoqué ce matin (12 septembre 1902) au ministère. J’ai entamé la question, celle des moyens financiers à trouver pour permettre aux colonies de la Côte d’Afrique de s’outiller. Il a saisi de suite. Il a dit qu’il allait réfléchir aux moyens de mettre à la disposition des colonies les fonds nécessaires à leurs travaux publics, à amorcer le crédit qui leur manque encore. J’ai été très étonné. J’ai trouvé un homme qui a pris les devants et qui m’a cité l’exemple de l’Indochine dont le crédit est en partie fait, sinon en entier, par l’état qui garantit la colonie. Il m’a chargé de dire à Roume qu’il serait heureux de s’entretenir avec lui, ce que je vais faire43.
9La CFAO sert d’intermédiaire entre le ministre des Finances et le gouverneur général : le 1er octobre 1902, un décret fonde le budget général de l’AOF. Sur la lancée, Rouvier s’engage auprès de la CFAO à présenter dans les plus brefs délais un projet d’emprunt garanti par l’état : en 1903, le Parlement autorise ainsi l’AOF à contracter un emprunt de 65 millions de francs ; en 1906, toujours grâce aux efforts conjoints de Bohn, Roume et Rouvier, devenu entre-temps président du Conseil, les députés autorisent l’émission d’un nouvel emprunt de 100 millions de francs. Au total, la collaboration des trois hommes permet à l’AOF de recevoir 60 % des sommes empruntées entre 1903 et 1929. Ces fonds sont principalement investis dans des aménagements portuaires (Dakar, Conakry) et dans la construction ferroviaire (Guinée, Côte-d’Ivoire, Dahomey), des chantiers qui profitent, entre autres, à des sociétés marseillaises comme les Grands travaux de Marseille ou la Compagnie française des chemins de fer du Dahomey. L’influence de Frédéric Bohn dans les affaires économiques de l’AOF se retrouve encore à l’occasion d’autres affaires, comme dans cet extrait de correspondance à propos d’un tarif douanier adopté en Guinée et jugé trop protecteur par la CFAO : « Votre influence est considérable. Un mot de vous et les projets de Roume tombent à l’eau. Rouvier lui a déclaré que, s’il entendait une réclamation quelconque, il remettait toute l’affaire en question44 ». Inversement, Frédéric Bohn a souvent soutenu Ernest Roume lorsque celui-ci était fragilisé par des négociants qui tentaient d’obtenir son remplacement pour des motifs peu avouables :
Roume a surtout été attaqué au Sénégal par l’agent de Maurel & Prom en poste à Saint-Louis, l’illustre Faure. Il m’a expliqué que ce qu’on lui reprochait le plus à Saint-Louis, ce n’était pas tant la décapitation de la ville par le retrait du gouvernement général, que les mesures énergiques prises pour faire cesser le rachat des captifs. Il m’a dit qu’il se passait là des pratiques immondes, une véritable traite des noirs […]. Des caravanes de deux cents enfants étaient amenées à Saint-Louis. Les filles étaient presque exclusivement utilisées pour la prostitution. Il m’a également parlé des pratiques abominables auxquelles le commerce de la gomme donnait lieu sur le fleuve. L’occupation de la rive droite les rend maintenant impossibles et certaines maisons ne lui pardonnent pas de devoir renoncer aujourd’hui à ces razzias. Roume espère qu’il n’aura jamais à divulguer tout ce qu’il sait à cet égard45.
10Il ne faut certes pas généraliser, mais force est de constater que certains
entrepreneurs ont parfois plus de pouvoir que les gouverneurs généraux et que les chefs des grandes maisons coloniales influencent dans l’ombre nombre de leurs décisions.
11Reste une dernière interrogation : les Marseillais ont-ils été favorables à l’industrialisation des colonies ou sont-ils restés arc-boutés sur une conception traditionnelle de la division internationale du travail, les colonies restant cantonnées dans la fourniture de matières premières agricoles ou minérales et dans l’achat de produits manufacturés venus de France et d’Europe ? C’est une question sensible qui a suscité de vifs débats, y compris parmi les historiens46. Le dépouillement des archives privées des entreprises marseillaises laisse à penser que si la question est posée de façon aussi binaire, nous risquons fort de passer à côté du sujet. Il ne faut pas attendre des entrepreneurs qu’ils se positionnent autrement que par rapport aux enjeux de leurs responsabilités. La question est donc moins de savoir s’ils ont été a priori favorables ou défavorables à l’industrialisation des colonies, que d’essayer de déterminer dans quelles mesures l’installation d’une usine dans les colonies est pour eux un choix qui a du sens du point de vue économique. Médiatisée en 1934 à l’occasion de la publication de l’ouvrage de Paul Bernard Le problème économique indochinois, la réflexion resurgit en Algérie en 1937 lorsque Louis Morard, président de la Région économique d’Algérie, et Joseph Serda, député de Constantine, laissent entendre que si rien n’est fait pour mettre un terme à l’augmentation continue du fret et à l’irrégularité des relations maritimes avec la France, l’Algérie pourrait très bien s’organiser de manière à transformer elle-même les matières premières dont elle dispose. Même si Morard et Serda utilisent surtout cette question comme un épouvantail pour essayer d’obtenir de meilleures relations maritimes avec la France en termes de coûts et de régularité, sans vraiment songer à engager l’Algérie dans cette voie (ils redoutent l’émergence d’un prolétariat ouvrier), la perspective est aussitôt rejetée par la plupart des grandes places métropolitaines. En 1938, la Chambre de commerce de Lille, porte-parole des intérêts cotonniers, refuse « que par une fabrication surabondante, obtenue dans des conditions de revient plus favorables, l’industrie coloniale vienne concurrencer l’industrie métropolitaine sur le marché intérieur français ou tarisse ses débouchés sur le marché extérieur47 ». On retrouve les mêmes analyses au Havre où, dès 1934, la Chambre de commerce émet le vœu que les colonies soient cantonnées au rôle de fournisseur de matières premières48. En 1938, le cotonnier mulhousien Henri Zuber dénonce encore la concurrence de l’industrie textile coloniale de Pondichéry en AOF et celle de l’industrie textile indochinoise à Madagascar49. Une des oppositions les plus virulentes provient des huiliers marseillais. Lorsque, dans les décennies 1930-1950, tous les gouvernements successifs, par-delà leurs clivages politiques, décident dans le cadre de « l’économie dirigée » et du repli sur l’empire d’obliger les huiliers métropolitains à s’approvisionner en oléagineux récoltés dans les colonies françaises (essentiellement l’AOF) à des prix plus élevés que ceux des cours internationaux, tout en subventionnant l’essor d’une huilerie coloniale qui bénéficie de quotas pour pouvoir écouler sa production en France, les huiliers marseillais, qui avaient l’habitude jusque-là de s’approvisionner librement dans le monde entier – AOF, Inde, Philippines, îles indonésiennes –, sont vent debout contre cette politique économique coloniale50. Celle-ci augmente leurs coûts de production, tout en suscitant une concurrence directe à leurs propres usines. Dès 1934, l’huilier édouard Rastoin s’interroge ouvertement sur le bien-fondé économique des colonies dans le cadre d’une telle politique coloniale. Adrien Artaud, grande figure du commerce colonial et ancien président de la Chambre de commerce et d’industrie fraichement converti à la doctrine du repli impérial, le met aussitôt en garde :
Nous venons en aide comme nous le pouvons dans cette période à nos sujets d’outre-mer qu’en temps ordinaire nous avons accablé de charges et de taxes […]. L’influence que nous donnent dans le monde nos colonies est énorme et l’on peut s’en rendre compte aux convoitises qu’elles suscitent […]. Si quelqu’un à l’étranger prenant prétexte des doléances contenues dans le rapport de M. Rastoin s’offrait à nous débarrasser de ce fardeau, quels fâcheux échos dans le pays ! […]. Donnons tous nos soins à nos colonies […] et soyons heureux que quelques hommes de courage et d’initiative […] nous aient dotés d’un domaine immense nous donnant accès en toutes régions51.
12En 1939, alors que la France vient de renforcer la protection accordée à l’huilerie coloniale, édouard Rastoin poursuit sa réflexion en évoquant la nécessaire et inévitable « indépendance relative » des colonies de l’AOF pour que celles-ci puissent se développer « dans un climat sain, c’est-à-dire dans un régime de prix normal » afin d’être en mesure d’affronter la concurrence internationale. En filigrane, il y a bien entendu l’idée que l’indépendance
signifierait la fin du repli sur l’empire, des aides accordées à l’huilerie coloniale et une liberté d’action retrouvée pour toutes les huileries de Marseille. Ces idées sont réaffirmées avec force pendant la Seconde Guerre mondiale par l’huilier émile Régis, président de la Chambre de commerce et d’industrie, quand le gouvernement de Vichy propose aux industriels marseillais de construire de nouvelles huileries en AOF et au Maroc. Déjà obligés de s’approvisionner sur le seul marché ouest africain à des prix plus élevés que ceux pratiqués sur les marchés internationaux, les huiliers marseillais refusent de participer à une stratégie industrielle coloniale qui risque, à terme, de mettre en péril près de 4 000 emplois directs et c’est finalement le groupe Lesieur, dont la production des usines de Dunkerque est arrêtée par la guerre, qui accepte l’offre.
13Faut-il pour autant en déduire que l’ensemble du patronat marseillais est hostile à l’industrialisation des colonies ? Non, puisque le point de vue des huiliers n’est pas majoritaire. Il n’est pas partagé par les négociants marseillais de l’Ouest africain – la CFAO a accepté de participer à « l’économie dirigée » et s’est même engagée dans la construction d’une huilerie d’arachide à Rufisque (Sénégal) qui entre en production en 1940 –, ni même par tous les industriels de la place puisque certains d’entre eux – dans la production d’huile d’olive52, le raffinage du sucre53, la réparation navale54, l’extraction minière55, l’industrie chimique56 ou la production de ciment57 – ont dès le xixe siècle, c’est-à-dire bien avant les initiatives étatiques des années 1930 et du régime de Vichy, construit des usines au Maghreb et en Indochine. Il n’y a donc pas d’hostilité a priori des entrepreneurs marseillais vis-à-vis de l’industrialisation des colonies. Tout dépend, en fin de compte, de la façon dont celle-ci est conçue et de ce qu’elle rapporte aux entreprises. Si elle est vivement rejetée lorsqu’elle est réalisée en dehors des conditions du marché dans le cadre d’une politique imposée par l’état, l’industrialisation des colonies est recherchée, pratiquée et assumée sans tabou dès lors qu’elle s’inscrit dans une stratégie entrepreneuriale librement définie, destinée à profiter d’opportunités de marché, à se rapprocher des marchés de consommation ou à réduire les coûts de production pour retrouver une compétitivité internationale. Néanmoins, les « racines du divorce » entre une frange du patronat marseillais et les colonies apparaissent bel et bien au cours de cette période58. Dès les années 1934-1939, bien avant les fameux articles de Raymond Cartier publiés dans Paris-Match59, une partie des entrepreneurs renoue avec la thématique libérale de la première moitié du xixe siècle et commence à évoquer ce que Pierre Moussa appellera plus tard « le complexe hollandais », c’est-à-dire l’idée que le développement des colonies est coûteux et qu’il entrave, par la surcharge des prix qu’il impose, ou l’industrialisation factice qu’il suscite, l’expansion et même l’existence de certaines industries françaises60.
14Que retenir, en dernière analyse, de ce regard rétrospectif sur l’importance économique du fait colonial à Marseille ? Cette recherche permet de faire le point sur un certain nombre d’idées convenues qui, d’une certaine manière, faussent la compréhension de ce passé impérial. Premièrement, si certaines filières industrielles ont bien été dépendantes des marchés coloniaux pour leurs approvisionnements, leurs débouchés et parfois leur main-d’œuvre, si elles ont pu placer la ville au cœur d’un système économique impérial créant des interactions et des dépendances entre des espaces coloniaux qui n’entretenaient pas, jusque-là, de relations économiques suivies (l’Indochine et l’AOF), globalement les échanges coloniaux ont rarement représenté plus de 30 % de l’ensemble de son trafic portuaire et Marseille est resté un port mondial, ouvert à tous les marchés, notamment occidentaux. L’importance de l’Algérie, maintes et maintes fois évoquée pour illustrer la dépendance coloniale du port, ne représente jamais plus de 11 % de son trafic entre 1860 et 1938, ce qui conduit, par ricochet, à questionner plus largement le déclin du port de Marseille au cours du dernier tiers du xxe siècle et à ne pas se focaliser sur la seule perte des colonies. Deuxièmement, les échanges avec les possessions étrangères, notamment d’Afrique, de l’océan Indien ou d’Asie du Sud-Est, sont loin d’avoir été négligeables (de 25 à 34 % des échanges coloniaux de Marseille entre 1860 et la crise de 1929) et ont contribué à renforcer la dépendance coloniale de certaines filières, comme celle des oléagineux. Les entrepreneurs marseillais n’ont pas limité leurs activités aux seules possessions françaises et travaillaient indistinctement avec tous les empires coloniaux, suivant les nécessités et les opportunités du temps. Troisièmement, mis à part quelques contre-exemples ponctuels, les marchés coloniaux étaient avant tout, comme pour le port du Havre, des marchés d’importation61. Ce n’est qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans la décennie précédant les indépendances, que la tendance s’inverse grâce aux exportations massives, notamment vers le Maghreb, de produits pétroliers importés bruts du Moyen-Orient et raffinés sur les rives de l’étang-de-Berre. Enfin, si certains entrepreneurs marseillais ont été très influents dans la définition et la réalisation des orientations économiques des colonies, particulièrement en AOF, et si à ce titre ils ont joué un rôle majeur dans leur intégration au sein d’une division internationale du travail héritée du xixe siècle – les colonies doivent fournir des matières premières et absorber les marchandises confectionnées en Europe –, tous n’étaient pas hostiles à leur industrialisation pourvu que celle-ci s’inscrive dans une stratégie entrepreneuriale librement définie.
Notes de bas de page
1 Compte rendu de la situation commerciale et industrielle de la circonscription de Marseille, 1891, p. 207-211 ; Bulletin de la Société de géographie de Marseille, 1902, t. 26, p. 130 et 253. Plus largement, Marcel Roncayolo, L’imaginaire de Marseille. Port, ville, pôle, Lyon, ENS éditions, 2014, 2e édition, p. 349-355.
2 Encore récemment, Olivier Fillieule, Isabelle Sommier, dir., Marseille, années 68, Paris, Les presses de Sciences Po, 2018, p. 26.
3 Fredérick Cooper, Colonialism in Question: Theory, Knowledge, History, Berkeley, University of California Press, 2005 ; Hubert Bonin, Catherine Hodeir, Jean-François Klein, dir., L’Esprit économique impérial ? Réseaux et groupes de pression du patronat colonial en France et dans l’Empire (1830-1962), Paris, SFHOM, 2008, p. 787-814. Jean-François Klein, « Du patronat colonial au patronat impérial. Un changement de paradigme », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 2012/2, no 114, p. 67-81.
4 1,8 million en 1906 et plus de 3 en 1922 (Désir d’ailleurs. Les expositions coloniales de Marseille 1906 et 1922, Marseille, Archives municipales de Marseille/éditions Hors du temps, 2006).
5 La Société de géographie de Marseille a été fondée en 1877, dans la dynamique du Congrès des orientalistes organisé sous la présidence de Ferdinand de Lesseps. Plusieurs grands négociants et armateurs participent à sa fondation dont Alfred Rabaud, Cyprien Fabre, Nicolas Paquet et Louis Fraissinet. D’un recrutement assez élitiste et limité – ses adhérents tournent autour de 500 personnes jusqu’à la Première Guerre mondiale –, elle réussit néanmoins à porter un certain nombre d’initiatives qui contribuent à sensibiliser une partie de l’opinion aux voyages, aux explorations et aux territoires ultramarins : création d’un bulletin (1877), d’une bibliothèque (1886) – en 1896 elle compte plus de 6 000 volumes et une importante collection de clichés pour des projections – et organisation de conférences, dont celle du célèbre explorateur Henry Stanley à son retour d’Afrique (1878).
6 L’Institut colonial de Marseille a été créé en 1893 par le botaniste édouard Heckel, professeur à la Faculté des sciences de Marseille depuis 1877. Subventionné par le Conseil général des Bouches-du-Rhône et le ministère des Colonies, l’Institut possède une bibliothèque, un laboratoire, une revue annuelle (les Annales de botaniques appliquées) et un Musée (1898). Sur ces différents organismes, cf. Georges Aillaud, Yves Georgelin, Henri Tachoire, dir., Marseille. 2 600 ans de découvertes scientifiques, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2002, vol. 2.
7 Joseph Chailley-Bert, L’âge de l’agriculture. Où en est la politique coloniale de la France, Paris, Colin, 1896.
8 édouard Heckel, « Rapport sur l’organisation de l’enseignement colonial dans les universités françaises », Marseille, Congrès national des sociétés de géographie, 1898, p. 245-253. Heckel profite de son intervention pour annoncer l’ouverture prochaine de six cours sur les produits coloniaux par la Chambre de commerce et d’industrie. L’année suivante, la municipalité lui accorde une subvention de 10 000 francs pour la création de cinq nouveaux cours coloniaux à l’Ecole de médecine.
9 Compte tenu de l’enchevêtrement des territoires français, anglais et allemands, il est favorable à l’autonomie douanière des colonies, sans aucune taxe différentielle sur les marchandises étrangères (Frédéric Bohn, « Le développement économique de nos colonies de l’Afrique occidentale », Bulletin de la Société de géographie de Marseille, 1898, p. 399-411).
10 Il propose la construction d’un réseau ferré qui, à partir du Sénégal, de la Guinée, de
la Côte-d’Ivoire et du Dahomey, rejoindrait le Niger, puis l’Algérie, à travers le Sahara.
11 Frédéric Bohn s’oppose au système des plantations exploitées par compagnies concessionnaires.
12 Les statuts de la Banque du Sénégal lui interdisent d’intervenir dans les autres colonies.
13 Paul Masson est né en Moselle en 1863. Agrégé d’histoire et de géographie (1887), il enseigne tour à tour au collège de Bergerac, au lycée de Mâcon, puis à celui de Marseille (1890). En 1896, il soutient une thèse de doctorat intitulée « Histoire du commerce français dans le Levant au xviie siècle », thèse aussitôt publiée chez Hachette. En 1897, il obtient une charge de cours pour la chaire d’histoire et de géographie économique à la Faculté des lettres d’Aix-en-Provence, avant d’en devenir le professeur titulaire de 1899 à 1933, date de son départ à la retraite. Au cours de sa carrière, Paul Masson a aussi enseigné à l’école supérieure de commerce de Marseille et animé les cours coloniaux organisés par l’Institut colonial et la Chambre de commerce et d’industrie à partir de 1899. Il a encore été vice-doyen de l’Université de Provence (1930-1933), membre fondateur de l’Académie des sciences coloniales (1922-1938), aujourd’hui Académie des sciences d’Outre-Mer, membre correspondant de l’Académie des sciences morales et politiques (1918-1938) et président de la Société de géographie de Marseille (1924-1938).
14 Paul Masson, dir., Les Bouches-du-Rhône. Encyclopédie départementale, Marseille, Champion/Archives départementales, 16 vol., 1913-1937 ; Christophe de Villeneuve-Bargemon, Statistique du département des Bouches-du-Rhône, Marseille, 1821-1834, 4 vol.
15 Paul Masson, « Marseille port colonial. étude sur les relations maritimes et commerciales de Marseille avec les colonies françaises », Bulletin de la Société de géographie de Marseille, 1899, t. 23, p. 7-30 et 177-193.
16 Id., p. 177.
17 Id., p. 21-22.
18 à partir de 1899, les Comptes rendus de la situation commerciale et industrielle de la circonscription de Marseille, édités annuellement par la Chambre de commerce et d’industrie, dispose d’une rubrique spéciale – Marseille colonial – où jusqu’en 1912 les statistiques coloniales globales sont indiquées en valeur et non en tonnage. Ce n’est pas le cas pour les pays occidentaux.
19 Par opposition au tonnage de jauge (le volume), qui mesure l’activité maritime du point de vue du navire et pas des quais. C’est au cours de l’entre-deux-guerres, sous l’effet de la croissance des trafics pétroliers, que la tonne métrique devient progressivement le mètre étalon de la performance économique, aux dépends des critères qui dominaient précédemment (mouvement des navires, tonneau de jauge, valeur des échanges). Avec l’essor de la conteneurisation à la fin du xxe siècle, la tonne est à son tour progressivement éclipsée par l’équivalent vingt pieds (EVP), une unité de mesure basée sur les dimensions du conteneur standard, soit 8,5 pieds de haut, 8 pieds de large et 20 pieds de long, soit un volume d’environ 38,5 m3. à chaque époque, son trafic phare et son unité de mesure spécifique.
20 Compte rendu de la situation commerciale et industrielle de la circonscription de Marseille, Marseille, Chambre de commerce et d’industrie de Marseille, 1860-1939 ; « Le rôle économique du port de Marseille », études et conjoncture. Union française/économie française, 1950, no 1, p. 63-104 ; Marcel Courdurié, Jean-Louis Miège, dir., Marseille colonial face à la crise de 1929, Marseille, coll. « Histoire du commerce et de l’industrie de Marseille xixe-xxe siècles », t. VI, Chambre de commerce et d’industrie de Marseille-Provence, 1991, p. 492-504.
21 Id., ibid.
22 Id., ibid.
23 Id., ibid.
24 Id., ibid.
25 En 1938, près de 60 % des importations de blés proviennent des colonies (dont 75 % d’Algérie et de Tunisie) ; plus de 60 % des exportations de la minoterie sont ensuite expédiés dans les colonies, dont la moitié au Maghreb (Marcel Courdurié, Jean-Louis Miège, dir., Marseille colonial face à la crise de 1929, op. cit., p. 492-504 ; Xavier Daumalin, Le patronat marseillais et la deuxième industrialisation [1880-1930], Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2014).
26 En 1938, 60 % des importations de sucres bruts proviennent des colonies (dont 43 % de la Réunion et 15 % des Antilles) ; près de 100 % du sucre raffiné est exporté dans les colonies, dont 82 % au Maroc (id., ibid.).
27 En 1938, 45 % des importations d’oléagineux proviennent des colonies (dont 93 % d’AOF) et 85 % des exportations d’huile, de savons et de bougies sont expédiées dans les colonies, dont 60 % en Algérie (id., ibid.).
28 En 1938, 96 % des importations de riz proviennent des colonies (dont 93 % d’Indochine) et 80 % des exportations des rizeries marseillaises vont dans les colonies, dont 40 % en Algérie, 30 % en AOF (id., ibid.).
29 En 1938, 80 % des exportations de tuiles, briques et ciment réalisée à partir de gisements régionaux sont expédiées dans les colonies, dont 40 % en Algérie, 25 % en Tunisie et 25 % en AOF (id., ibid.).
30 L’expression est employée par le ministre des Colonies Albert Sarraut à l’occasion d’un discours prononcé par Albert Sarraut pour l’inauguration de la foire de Marseille (Les cahiers coloniaux, 18 septembre 1932).
31 Fabien Bartolotti, « Comment un port colonial devient-il un port pétrolier ? Nouveau regard sur la reconversion industrialo-portuaire marseillaise (1945-1968) », in Christian Borde,
Jean-François Grevet, Sébastien Martin, Laurent Warlouzet, dir., La résilience des villes portuaires en Europe. Crises et réinventions (xvie-xxe siècles), Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du septentrion, à paraître. Plus généralement, cf. Fabien Bartolotti, Le port de Marseille face aux bouleversements économiques des années 1945-1992 : rythmes, stratégies des acteurs, enjeux environnementaux, thèse de doctorat, Aix-Marseille Université, 2020.
32 Le cas de l’Indochine est loin d’être la règle (Fabien Bartolotti, Le port de Marseille face aux bouleversements économiques des années 1945-1992 : rythmes, stratégies des acteurs, enjeux environnementaux, id., ibid., p. 93-101 et p. 472).
33 Xavier Daumalin, Le patronat marseillais et la deuxième industrialisation (1880-1930), Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2014, p. 49-61 et p. 214-225.
34 Stéphane Mourlane, Céline Regnard, dir., Les batailles de Marseille. Immigration, violences et conflits xixe-xxe siècles, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2013 ; Id., Empreintes italiennes. Marseille et sa région, Lyon, Lieux dits éditions, 2013.
35 Cf. texte de Gilbert Buti.
36 Fabien Bartolotti, « Mobilités d’entrepreneurs et circulations des techniques : les chantiers portuaires de Dussaud frères d’un rivage à l’autre (1848-1869) », Revue d’histoire du xixe siècle, no 51, 2015, p. 171-185 ; Bartolotti Fabien, Daumalin Xavier, « Marseille et le canal de Suez », in Gilles Gauthier, dir., L’épopée du canal de Suez, Gallimard / Institut du monde arabe / Musée d’histoire de Marseille, Paris, 2018, p. 96-101.
37 Dans les années 1920, un paysan sénégalais doit ainsi produire 200 kg d’arachides pour pouvoir acheter 100 kg de riz indochinois. Il en faut 500 kg pendant la récession des années 1930 (Xavier Daumalin, Marseille et l’Ouest africain. L’outre-mer des industriels [1841- 1956], Marseille, coll. « Histoire du commerce et de l’industrie de Marseille xixe-xxe siècles », Chambre de commerce et d’industrie de Marseille-Provence, 1992, t. VIII, p. 269).
38 Hubert Bonin, Catherine Hodeir, Jean-François Klein, dir., L’esprit économique impérial ? Réseaux et groupes de pression du patronat colonial en France et dans l’Empire (1830-1962), Paris, SFOM, 2008 ; Jean-François Klein, Bruno Marnot, dir., Les Européens en situations coloniales xvie-xxe siècle, Rennes, PUR, 2015 ; « échanges et réseaux économiques », in Marcel Dorigny, Jean-François Klein, Jean-Pierre Peyroulou, Pierre Singaravelou, Marie-Albane de Suremain, dir., Grands atlas des empires coloniaux, 2e édition, Paris, Autrement, 2019, p. 128-129.
39 Marcel Courdurié, Jean-Louis Miège, dir., Marseille colonial et la crise de 1929, Marseille, CCIM-P, 1991, coll. « Histoire du commerce et de l’industrie de Marseille xixe-xxe siècles », t. VI ; Xavier Daumalin, Marseille et l’Ouest africain. L’outre-mer des industriels (1841-1956), Marseille, CCIM-P, 1992, coll. « Histoire du commerce et de l’industrie de Marseille xixe-xxe siècles »,
t. VIII ; Marcel Courdurié, Guy Durand, dir., Entrepreneurs d’empires, Marseille, CCIM-P, 1998, coll. « Histoire du commerce et de l’industrie de Marseille xixe-xxe siècles », t. XIII ; Olivier Lambert, Marseille et Madagascar. Entrepreneurs et activités portuaires, stratégies économiques et mentalités coloniales (1840-1976), Marseille, CCIM-P, 2000, coll. « Histoire du commerce et de l’industrie de Marseille xixe-xxe siècles », t. XIV.
40 Xavier Daumalin, « La domination informelle des milieux économiques marseillais en Afrique (1815-1880) : acteurs, enjeux, limites », à paraître dans Outre-Mers. Revue d’histoire.
41 C’est finalement le Congo qui en hérite, avec les abus et les drames que l’on sait (André Gide, Voyage au Congo, Paris, Gallimard, 1927. Catherine Coquery-Vidrovitch, Le Congo au temps des grandes compagnies concessionnaires, 1898-1930, Paris, Éditions de l´EHESS, 1972, réédité en 2001).
42 Les Bordelais obtiennent 80 % des titres ; les maisons marseillaises – CFAO, Mante & Borelli de Régis aîné, Cyprien Fabre & Cie – et le CNE les 20 % restants.
43 Lettre de Julien Le Cesne à Frédéric Bohn, 12 septembre 1902 (Xavier Daumalin, « Pouvoir économique et influence politique : Frédéric Bohn [1852-1923] », Cahiers de la Méditerranée, 2016, no 92, p. 53-66).
44 Lettre de Julien Le Cesne à Frédéric Bohn, 15 avril 1905 (id., ibid).
45 Lettre de Julien Le Cesne à Frédéric Bohn, 19 juillet 1904 (id., ibid).
46 Catherine Coquery-Vidrovitch, « Vichy et l’industrialisation des colonies », Revue d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, no 114, 1979, p. 69-94 ; Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce, Paris, Albin Michel, édition de 2005 ; Daniel Lefeuvre, Chère Algérie. La France et sa colonie 1830-1962, Paris, Flammarion, édition de 2005 ; Claude Mallon, Le Havre colonial de 1880 à 1960, Caen, Presses universitaires de Caen, 2006 ; Hubert Bonin, Catherine Hodeir, Jean-François Klein, dir., L’esprit économique impérial ? Réseaux et groupes de pression du patronat colonial en France et dans l’Empire (1830-1962), Paris, SFOM, 2008.
47 Jean-François Eck, « Le patronat du Nord et la question coloniale au xxe siècle », in Hubert Bonin, Catherine Hodeir, Jean-François Klein, dir., L’esprit économique impérial ?, op. cit., p. 329-346.
48 Claude Malon, « Doctrines et pratiques du patronat colonial havrais », in Hubert Bonin, Catherine Hodeir, Jean-François Klein, dir., L’esprit économique impérial ?, op. cit.,p. 379-396.
49 Nicolas Stoskopf, « La culture impériale du patronat textile mulhousien (1830-1962), in Hubert Bonin, Catherine Hodeir, Jean-François Klein, dir., L’esprit économique impérial ?, op. cit., p. 397-408.
50 Xavier Daumalin, Le patronat marseillais et la deuxième industrialisation (1880-1930), op. cit..
51 Archives de la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille, MJ 9.1.2.2., Lettre d’Adrien Artaud à la Société pour la défense du commerce et de l’industrie de Marseille, 22 juin 1934.
52 Citons, par exemple : la Société générale des huileries du Sahel tunisien, une société fondée en 1886 avec un capital de 2 millions de francs pour exploiter des oliveraies et trois huileries à vapeur dans la région de Sousse ; les Huileries et savonneries algériennes de Tizi-Ouzou en 1902 (400 000 francs) ; les Huileries et savonneries d’extrême orient, à Haïphong (1912), dotées d’un capital de 800 000 francs (Xavier Daumalin, Le patronat marseillais et la deuxième industrialisation [1880-1930], op. cit.).
53 En 1935, le groupe Saint-Louis exploite une usine de sucre raffiné au Maroc dont la production atteint 85 000 tonnes en 1939, soit près de la moitié de celle de son usine à Marseille (id., ibid.).
54 En 1919 et en 1922, les Zarifi, puissante famille grecque de Marseille, effectuent des investissements dans les Forges et chantiers d’Indochine et dans les Chantiers et ateliers du Cambodge (id., ibid.).
55 En 1912, les Zafiropulo, autre famille grecque importante de Marseille, investissent plus de 2 millions de francs dans le rachat en Tunisie de la Société anonyme minière du Djebel Hallouf. Réorganisée sur une grande échelle, équipée d’une fonderie, l’entreprise produit, en 1935, 48 % du minerai de plomb tunisien, 10 % du plomb métal et emploie près de 550 personnes. En 1929, les Zarifi rachètent encore en Tunisie la Compagnie des phosphates de M’Dilla dont la production s’élève, en 1936, à 283 000 tonnes, soit 25 % de la production tunisienne de phosphates (id., ibid.).
56 En 1935, les Raffineries de soufre réunies, société marseillaise leader national dans la production d’anticryptogamiques, exploitent trois raffineries de soufre en Algérie et une quatrième en Tunisie. Citons encore la Société d’oxygène et d’acétylène d’extrême orient, créée à Saigon en 1909 avec un capital de 200 000 francs (id., ibid.).
57 Dans les années 1920, Lafarge, dont l’administrateur-directeur est le marseillais Charles Daher, implante une cimenterie en Algérie en 1922, puis une autre en Indochine trois ans plus tard (id., ibid.).
58 Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français : histoire d’un divorce, Paris, Albin Michel, 1984.
59 Paris-Match des 11 août, 18 août et 1er septembre 1956.
60 Pierre Moussa, Les chances économiques de la communauté franco-africaine, Paris, Armand Colin, 1957.
61 Claude Mallon, Le Havre colonial de 1880 à 1960, Caen, Presses universitaires de Caen, 2006.
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