1Ludification, escape games pédagogiques, serious games, serious gaming, ludopédagogie, gamification, sont autant de termes qui émergent ces dernières années des dossiers de qualification et d’avancement des enseignants-chercheurs. Ces nouvelles pratiques sont désormais considérées dans leur évaluation. Les recherches sur le sujet, pour la plupart, soit s’orientent vers la présentation d’expérimentations ou d’études de cas, soit visent à analyser l’impact de ces nouvelles méthodes sur l’acquisition de compétences des étudiants (Yordanova, 2019). Toutefois, les contours de ces pratiques pédagogiques sont encore mal définis et recouvrent des réalités fortement hétérogènes (figure 1). À travers le présent chapitre, l’objectif est de proposer une synthèse des principales pratiques de ludopédagogie afin de mieux appréhender des innovations pédagogiques qui suscitent un intérêt croissant de la part des enseignants-chercheurs.

Figure 1 : Mots-clés les plus utilisés dans les actes du colloque 2021 International game evolution : management et pédagogie ludique

Ludification de l’enseignement supérieur : vers un nouveau mode d’apprentissage

2Le phénomène d’innovation pédagogique a fait l’objet de multiples recherches, à la fois en sciences de gestion et du management, en sciences de l’éducation et en sociologie. Dans ces travaux, les méthodes, leurs conceptualisations et la terminologie sous-jacente sont diverses, parfois fragmentaires, et témoignent d’un manque de consensus quant aux différents types d’innovations pédagogiques. Plus spécifiquement, les études de cas sont régulièrement assimilées à des innovations sans pour autant justifier leur dimension innovante. Nous proposons ici une typologie des pratiques les plus répandues en sciences de gestion et du management, ainsi qu’une définition des principaux termes sur le sujet.

Définitions et contours

3Malgré l’intérêt croissant qu’elles provoquent, les pratiques innovantes par le jeu ne font pas l’objet d’une conceptualisation consensuelle en sciences de gestion et du management, et mobilisent une terminologie employée diversement dans la littérature (Walther et Larsen, 2020). Par conséquent, nous proposons de catégoriser et spécifier les principales pratiques décrites par les enseignants-chercheurs dans leurs dossiers de qualification ou d’avancement pour mieux les appréhender sur le plan conceptuel. Le tableau 1 permet notamment de mieux comprendre les liens et différences entre innovations pédagogiques, game-based learning, gamification et ludification.

Tableau 1 : Comparaison entre les principaux termes des pratiques innovantes

4Ainsi, les innovations pédagogiques se caractérisent par : (1) l’utilisation de nouveaux matériels révisés (matériel ou technologies de programme) ; (2) l’utilisation de nouvelles approches pédagogiques (stratégies ou activités d’enseignement) ; et (3) la modification des croyances (hypothèses pédagogiques) (Béchard et Pelletier, 2000). Le game-based learning suppose une stratégie pédagogique basée directement sur le jeu et ses mécanismes ludiques. C’est la pratique du jeu, sa contextualisation et ses moyens qui facilitent l’apprentissage (Lépinard et Vandangeon-Derumez, 2019). La gamification n’est qu’une sous-catégorie des innovations pédagogiques, qui propose d’enrichir une activité préexistante par des mécanismes motivants du jeu pour atteindre un objectif. La ludification repose, quant à elle, sur le même type d’éléments de jeu que la gamification, mais concerne spécifiquement l’amélioration des éléments de jeu. Les caractéristiques essentielles sont surtout basées sur les moyens de « concevoir » et de « raconter » des histoires d’une manière nouvelle et captivante, c’est-à-dire « ludifiée », alors que la gamification porte davantage sur la motivation, la récompense et le retour d’information (Walther et Larsen, 2020).

5Afin d’être complètement ludifié, un enseignement doit s’appuyer sur plusieurs aspects (Michel et McNamara, 2014), dont notamment : (1) avoir un sens épique : créer un monde attractif (personnage, design, sons, couleur, etc.) qui donne du sens à une action et stimule l’implication des étudiants ; (2) permettre l’accomplissement et d’être en situation de pouvoir agir : validation de compétences, de niveaux, de progression¹ ; (3) posséder une part d’imprévisibilité et de défis (doser une part de compétences et de hasard afin de donner l’envie de découvrir la suite), nécessitant que l’étudiant saisisse l’opportunité quand elle se présente ; et (4) favoriser le travail en collaboration et/ou compétition via la connexion à une communauté. Nombreuses sont les recherches qui, pour faire reculer ce flou sémantique, proposent des critères de différenciation. Nous proposons une synthèse de ces critères, puis une typologie des pratiques.

Essai de typologie

6La multitude de types d’innovations pédagogiques et la diversité des pratiques amplifient la complexité de compréhension de ces nouvelles formes d’enseignement. La première source d’une telle complexité implique de multiples types de pratiques différenciées en fonction de leurs objectifs pédagogiques, de leurs sous-disciplines, de leur public d’étudiants (IAE vs. écoles d’ingénieurs, formation initiale vs. formation continue) et de la taille des groupes. En outre, de nouveaux supports sont apparus, combinant différentes caractéristiques, telles que le degré de technologie, la nature de la relation pédagogique entre les enseignants-chercheurs et les étudiants, le type d’apprentissage attendu (coopératif, par problème, via l’approche cognitive, etc.).

7Les principales typologies offertes par la littérature concernent l’objectif d’apprentissage ou la nature du support. Béchard et Pelletier (2000) proposent une typologie des innovations pédagogiques en contexte universitaire fondée sur le type d’innovations pédagogiques (technologiques, psycho-cognitives, socio-cognitives) et sur leurs processus. Ainsi, un projet d’innovation pédagogique pourrait se caractériser par un processus d’élaboration organisationnel en cinq étapes : des contextes à l’idée, de l’idée à l’occasion, de l’occasion au projet, du projet à la classe, de la classe à l’institution. D’autres recherches, notamment celle de Kebritchi et Hirumi (2008), s’intéressent aux types de pratiques et à l’objectif pédagogique. Elles distinguent les situations étudiées par les étudiants, le message diffusé, le type d’entraînement dispensé et le mode d’échange des connaissances (Alvarez et Djaouti, 2012).

8Outre ces classifications, des typologies plus classiques en management de l’innovation peuvent également être mobilisées pour distinguer les innovations de produit (création de nouveaux supports d’enseignements), de procédé (nouvelles méthodes d’acquisition des connaissances et de compétences), d’organisation (intégration de partenaires, nouvelles pratiques en dehors de l’université) et de commercialisation (changement de format des supports pédagogiques existants) (OCDE, 2005). Par ailleurs, le degré d’intensité de l’innovation peut également être pris en compte afin d’évaluer les pratiques : innovation incrémentale vs. radicale.

9La pratique de la ludopédagogie peut s’inscrire dans un enseignement contextualisé (business games, études de cas, etc.). L’objectif est alors de reproduire et simuler avec fidélité une situation professionnelle afin de faciliter le transfert de connaissances et compétences. Une innovation plus radicale reposerait sur des dispositifs pédagogiques décontextualisés grâce aux jeux de rôles ou wargames, aux univers fictionnels ou historiques. Dans ce contexte de jeu, l’étudiant est sorti du cadre classique du cours pour s’immerger dans une réalité « extraordinaire ». Cette stratégie pédagogique inclusive facilite l’engagement des étudiants (Lépinard, 2019).

10Dans la lignée des travaux de Salas et al. (2009), plusieurs auteurs se sont intéressés au rôle prépondérant de la technologie dans les pratiques d’innovation des enseignements (Pasin et Giroux, 2011 ; Yordanova, 2019). Leurs travaux considèrent que la technologie est une compétence indispensable que doivent maîtriser tous les acteurs souhaitant développer des innovations pédagogiques. Toutefois, si l’impact de l’évolution technologique sur les pratiques d’innovation en milieu universitaire est indéniable, il semble que les universités peuvent développer des innovations en dehors de la technologie (Yordanova, 2019). Si ces innovations non technologiques sont ignorées par certaines recherches sur les innovations pédagogiques et la ludification, c’est en partie parce qu’elles ne sont pas toujours très tangibles. Suite à cette synthèse, nous proposons de les classifier via deux principaux axes (tableau 2) :

• Degré d’usage des nouvelles technologies. L’usage correspond au choix d’utiliser partiellement ou totalement les nouvelles technologies dans les supports pédagogiques. Il ne s’agit pas d’une décision dichotomique puisqu’elle varie en fonction du degré d’usage, lié aux compétences techniques des enseignants et à leurs disponibilités pour les acquérir. Les répercussions des nouvelles technologies sur l’enseignement varient selon l’intérêt, le savoir-faire et les objectifs propres de chaque enseignant.

• Degré de ludification. Il s’agit du niveau d’usage de la mécanique du jeu mobilisée dans les situations d’apprentissage pour résoudre des problèmes et faire participer les étudiants. La notion de ludification renvoie à un ensemble de techniques permettant de transformer un objet ou une situation « autre » en un jeu (Bonenfant et Philippette, 2018). Cet axe renvoie aux mécaniques de jeu ainsi qu’aux valeurs attribuées à cette activité ludique. La notion de ludification fait ici référence à l’utilisation de stratégies reconnues comme appartenant au domaine du jeu.

Tableau 2 : Essai de typologie des innovations pédagogiques

11Les deux axes identifiés conduisent à faire ressortir quatre catégories d’innovations pédagogiques, aux caractéristiques singulières. Les challenges étudiants sont des concours étudiants généralement menés en collaboration avec des organismes externes (entreprises, organismes publics, associations, etc.), et qui permettent aux partenaires de repérer des talents, de promouvoir leurs savoir-faire et de capter de nouvelles idées. Pour les étudiants, ces challenges constituent une nouvelle voie d’apprentissage concrète, offrent aux lauréats une expérience significative attestée sur un CV et constituent une opportunité de collaborer avec, voire d’intégrer l’organisme partenaire. À titre d’illustration, la plupart des écoles d’ingénieurs organisent désormais des événements pédagogiques réunissant étudiants et entreprises autour de problématiques concrètes afin d’impulser ou développer de nouveaux projets. Les challenges constituent des moments privilégiés de rencontre et d’échange entre les étudiants, les entreprises et les enseignants. Notons que certains jeux de rôles reposent aussi sur la simulation d’une situation réelle et permettent aux étudiants de s’immerger dans une réalité professionnelle en développant notamment leur empathie et leur compréhension de la situation simulée (client difficile, situation de crise en entreprise, etc.). Bien que le dispositif favorise l’implication des étudiants, la dimension ludique n’est pas ici présente. En revanche, le format d’apprentissage facilite l’expression de chacun des étudiants, même introvertis, et une cohésion du groupe.

12De leur côté, les plateformes d’apprentissage représentent une interface technique et occupent une fonction d’intermédiaire dans l’accès aux informations, contenus et services (Adobor et Daneshfar, 2006). Elles autorisent la hiérarchisation des contenus pédagogiques afin de les présenter de manière structurée et adaptée aux étudiants. Ainsi, sur le marché de l’amélioration des compétences rédactionnelles des étudiants, des plateformes telles que Voltaire ou écri+ permettent non seulement de mobiliser et utiliser des contenus pour former les étudiants en fonction de leur niveau, mais également de les tester en proposant de leur délivrer un certificat de leurs compétences.

13Les jeux de plateau, de rôles, les wargames et escape games sont tous basés sur la coopération puisque, quel que soit le type de support (plateau, cartes, jetons, dés, etc.), ils conduisent à nouer des relations à plusieurs en s’amusant. Ces jeux portent souvent sur une thématique spécifique. Le jeu des dés Kanban permet d’enseigner la fabrication synchronisée et de simuler le passage d’une entreprise en flux poussé vers un flux tiré ; Horizon permet d’apprendre les techniques de base du management de projet (planification, maîtrise des risques, optimisation et contrôle des coûts, management d’équipe). Les jeux ont pour but de faciliter l’appropriation de compétences spécifiques par les participants, en mobilisant la dimension ludique, sur des notions pouvant être théoriquement abstraites. Le jeu de rôles peut par ailleurs proposer une dimension ludique s’il s’inscrit dans un univers décontextualisé et fictif, déconnecté de l’univers savant ; dans ce cas, il n’est pas une simulation d’une expérience professionnelle directe. Lépinard (2019) définit le wargame comme

un artefact catalyseur permettant de créer des situations managériales réalistes grâce à un système de règles, des scénarios et du matériel (pions, cartes, figurines, etc.) et représentant un environnement historique ou fictif de confrontation armée.

14Cela suppose donc coopération et mise en compétition, puis une recontextualisation managériale. Enfin, les escape games pédagogiques sont des jeux d’évasion basés sur la résolution d’énigmes par une équipe d’étudiants.

15Nous terminerons avec les jeux d’entreprise, ou business games. Nombreux, et de différents types, ils possèdent certaines caractéristiques communes : la prise de décision, la vue d’ensemble, l’orientation vers un objectif et l’accent mis sur la résolution de problèmes (Sawyer, 2002). Ils utilisent des ressources basées sur les technologies de l’information et de la communication (TIC) pour aborder des contenus éducatifs d’une manière plus agréable et plus interactive, et recourent à la simulation de scénarios pour appréhender l’impact de prises de décision. Ils permettent d’acquérir des compétences en matière de gestion (stratégie, ressources humaines, finance, marketing, logistique, etc.), toutes nécessaires au pilotage d’une organisation (Pando‑Garcia et al., 2016).

Les principaux avantages et freins des nouvelles pratiques

16Mettre en place des dispositifs de ludopédagogie est inspirant pour les enseignants et présente des intérêts certains en termes de motivation, d’apprentissage et de réussite des étudiants. L’opérationnalisation se heurte parfois à certains freins. L’objet de la section est d’exposer les enjeux des nouvelles pratiques.

Pourquoi développer des innovations pédagogiques ?

17Traditionnellement, les travaux pratiques en sciences de gestion et du management se fondent sur des études de cas d’entreprise ou de secteur avec pour objectif principal d’utiliser les connaissances théoriques vues en cours. Désormais, de nouvelles pratiques émergent et les étudiants les considèrent comme un outil d’apprentissage plus efficace (Farrell, 2005). Les pratiques pédagogiques innovantes stimulent l’intérêt et la motivation des étudiants, et s’avèrent efficaces pour favoriser l’inclusion et rendre l’apprentissage plus performatif.

La motivation des apprenants

18Les pédagogies innovantes, notamment les approches ludiques, peuvent améliorer la motivation et la capacité perçue des étudiants à traiter de l’information complexe de manière cognitive. De plus en plus d’universités, mais également d’entreprises, se tournent vers les business games pour former les étudiants et les futurs cadres. Ces nouvelles pédagogies permettent de promouvoir non seulement les compétences techniques (analyse financière, gestion de la marque, maîtrise du process industriel, etc.), mais également des soft skills (capacité de communication, management d’équipe, etc.). Afin de favoriser la motivation des étudiants, plusieurs mécanismes empruntés au jeu peuvent être mis en œuvre pour donner davantage de sens à l’apprentissage : définir des récompenses (matérielles ou immatérielles), définir un niveau à atteindre (pour permettre à l’étudiant de s’engager dans l’apprentissage et en fixer les attendus), proposer des tableaux avec des points et des classements (pas nécessairement en lien avec la performance ou l’atteinte de l’objectif).

19Au niveau conceptuel, la théorie de l’expérience optimale, ou flow (Csikszentmihalyi, 1990), est particulièrement utilisée pour expliquer l’engagement et la motivation des étudiants dans l’utilisation des nouvelles pratiques. Cette théorie considère que l’expérience de flow, c’est‑à‑dire l’état de bonheur psychologique dépendant de la manière dont on vit les situations nouvelles d’apprentissage, permet aux étudiants de mieux sélectionner des informations signifiantes, d’évaluer des situations complexes et de faire des choix en conséquence. Ainsi, les étudiants sont naturellement et intrinsèquement motivés à faire ce qu’ils font (Bonenfant et Philippette, 2018). L’activité pédagogique peut comporter un ou plusieurs types de manifestations : cognitive, émotionnelle (affective), physique, perceptuelle (sensorielle) et sociale. Un fort contenu émotionnel associé à des interactions sociales nécessaires au jeu peut produire des moments d’immersion, vécus comme une expérience intense.

L’inclusion par le jeu

20Dans une grande partie des situations d’apprentissage, la ludification est réfléchie comme une activité de groupe qui favoriserait la cohésion d’équipe et encouragerait les échanges et les confrontations d’idées. Une telle logique pédagogique inclusive génère plus de spontanéité chez les apprenants, un esprit d’initiative, de la créativité et de l’entraide. Elle permet de dédramatiser des situations ou des contextes d’apprentissage complexe (gestion de crise en entreprise, contexte sanitaire, peur de l’avenir, etc.). La logique inclusive permet à des publics fragiles, qui ne participent pas ou moins dans un contexte d’apprentissage plus classique, de s’aventurer en étant actifs dans le jeu. Les mécanismes du jeu lèvent en effet certains freins psychologiques et luttent contre le mauvais stress en dédramatisant l’erreur. La cohésion de groupe favorise l’entraide et la confiance en soi, et facilité aussi l’inclusion de publics en situation de handicap.

Un apprentissage amélioré et personnalisé

21Les nouvelles pratiques offrent les avantages d’un apprentissage à la fois expérientiel et génératif, et sont réputées produire une expérience d’apprentissage améliorée (Pasin et Giroux, 2011). Des recherches empiriques indiquent qu’en comparaison avec des méthodes d’enseignement traditionnelles, les nouvelles pratiques parviennent mieux à aider les étudiants à développer des compétences telles que la résolution de problèmes complexes, la prise de décision stratégique et les compétences comportementales, notamment le travail d’équipe et l’organisation (Salas et al., 2009). Les étudiants développent une perspective plus globale et sont davantage capables de relier l’apprentissage à des situations réelles.

22Ceci permet également de se rapprocher des réalités du monde économique et de l’environnement concurrentiel (Faria et al., 2009), les étudiants comprenant mieux les effets systémiques. Ils sont actifs tout au long du processus d’apprentissage, et au lieu de simplement appliquer des règles ou de restituer une théorie, les nouvelles pratiques les rendent responsables de leur propre apprentissage (Salas et al., 2009). Enfin, sachant que les courbes d’apprentissage et les manières d’apprendre diffèrent selon les étudiants, les nouvelles pratiques innovantes permettent de gérer l’hétérogénéité résultante qui s’avère essentielle pour assurer un transfert de compétences (Cavory et al., 2019). Si les avantages de la ludification des enseignements en sciences de gestion et du management sont nombreux, il est cependant nécessaire d’identifier les freins potentiels permettant de fixer des objectifs réalistes et une activité d’apprentissage constructive.

Les principaux freins à la mise en œuvre des pratiques innovantes

23Les freins à la mise en œuvre des nouvelles pratiques peuvent être externes (nouvelles générations d’étudiants – génération Z puis alpha –, reconnaissance des pratiques dans la carrière, etc.) ou internes (manque de moyens financiers, humains, niveau d’expertise technique liée à la culture et aux comportements).

Barrières externes

24Si les nouvelles générations d’étudiants sont plutôt favorables aux déploiements des pratiques innovantes, différentes formes de résistance des apprenants peuvent toutefois émerger (résistance individuelle ou collective ; résistance situationnelle ou pré‑dispositionnelle ; résistance passive ou active [Ait-Taleb et Mani, 2019]). Dans le cadre des business simulation games, trois catégories de facteurs de résistance ont ainsi été identifiés (Ait-Taleb et Mani, 2019) : (1) des facteurs liés aux fonctionnalités du jeu : qualité du système, complexité d’utilisation perçue, etc. ; (2) des facteurs liés au contexte d’utilisation : défaut dans la phase de formation initiale, problème de communication, connaissances antérieures insuffisantes, etc. ; et (3) des facteurs liés aux caractéristiques des apprenants : stress, expériences antérieures, personnalité de l’apprenant (confiance en soi, regard des autres, etc.).

25Si des classements et des critères objectifs d’évaluation des productions scientifiques existent pour la recherche, les critères qui permettaient une meilleure reconnaissance des dispositifs pédagogiques sont moins précis (voir sur ce point le chapitre de Nathalie Oriol et Mickaël David dans le présent ouvrage). Enfin, les caractéristiques de l’organisation et son environnement, comme l’indiquent Corrocher et Fontana (2008), sont de nature à freiner ou favoriser l’implémentation de dispositifs pédagogiques innovants (filière sélective ou non, nombre d’enseignants, présence d’un laboratoire de recherche, effectifs et taille des groupes d’étudiants, zone géographique et couverture Internet, etc.). Si certaines institutions, portées par les contraintes de labellisation de diplômes, accordent une place importante à la stratégie d’innovation porteuse d’une image attractive auprès des publics, d’autres ne peuvent assumer de telles priorités s’éloignant parfois des standards du marché.

Barrières internes

26Les barrières internes relèvent au niveau macroscopique de l’institution et s’expriment aussi au niveau microscopique chez les enseignants, personnels support (TIC) et étudiants. Les moyens humains (disponibilité des ressources et niveau de qualification) et financiers (coût d’acquisition et de développement de l’innovation), nécessaires au déploiement de nouvelles pratiques, représentent des freins importants (Corrocher et Fontana, 2008). L’instauration de certaines pratiques peuvent entraîner des coûts d’acquisition de nouvelles technologies, d’investissement dans des équipements spécifiques (tablettes, legos^®, salle de créativité, etc.), de formations des enseignants, voire d’une équipe d’animateurs, d’implications d’équipes techniques en support. À ce titre, des réticences au changement peuvent apparaître auprès des enseignants (Zwick, 2002).

27La mise en œuvre d’outils d’apprentissage innovants implique effectivement de plus en plus le recours aux technologies – parfois nouvelles – et nécessite leur acceptation par les étudiants et les enseignants. Le niveau d’expertise technique et la maîtrise des technologies peuvent constituer des freins à leur mise en œuvre. Par ailleurs, la mise en œuvre de ces nouveaux dispositifs peut amener à repenser l’organisation des enseignements et à revoir des routines sécurisantes pour les personnels et étudiants. Les multiples missions de l’enseignant-chercheur laissent parfois peu de temps à l’innovation pédagogique, stimulante et gratifiante, mais dont l’investissement exigé est immense.

Conclusion

28Si les sciences de gestion et du management sont des sciences de conception et de validation des modes d’action collective, si une théorie du management doit faire appel au concept de rhétorique, alors la mission de l’enseignement dans le champ est de proposer aux étudiants de nouvelles pratiques qui leur fournissent des compétences techniques et comportementales concrètes pour devenir manager. Le chapitre souligne la diversité des pratiques innovantes en milieu universitaire, ainsi que les principaux avantages et freins associés. La typologie proposée met en exergue l’usage croissant des technologies qui permettent le développement d’outils capables de simuler des environnements d’apprentissage riches et dynamiques. Par ailleurs, la ludification croissante des enseignements à l’université répond à une demande croissante d’aider les étudiants à maîtriser des compétences décisionnelles complexes. Enfin, l’évolution des pratiques d’évaluation pousse également les enseignants-chercheurs à proposer des pratiques innovantes afin de mesurer l’apprentissage basé sur les compétences. Les dispositifs de ludopédagogie sont de plus en plus nombreux dans les universités. Toutefois, à l’avenir, remplaceront-ils les traditionnelles études de cas dans les enseignements en sciences de gestion et du management ?