1Ces dernières années, l’université française a été marquée par une tendance aux expérimentations pédagogiques sous l’impulsion d’une politique d’appel à projets liée à la transformation numérique (Dulbecco et al., 2018). La digitalisation a opéré une rupture tant sur le contenu, la manière d’enseigner que sur les moyens (Ghozlane et al., 2016). Le changement est profond car il sous-tend des dispositifs centrés sur l’apprenant, favorisant le blended learning. Aux côtés des impulsions favorisées par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) depuis plusieurs années, la crise sanitaire a accéléré ce processus de transformation au regard de l’urgence du maintien de la continuité des enseignements. Une réflexion plus profonde trouve cependant racine au sein des enjeux majeurs sociaux et sociétaux que représente la transition vers de nouveaux modes d’apprentissages jugés plus efficaces, tant sur le plan de l’inclusion des étudiants que de leur insertion professionnelle. Selon Dulbecco et al. (2018), les transformations reposent sur une double priorité : celle de « faciliter l’accès pour tous les publics, aux études sous des formats pouvant être adaptés et individualisés » et de « faire face aux enjeux d’une société qui valorise l’acquisition de compétences plus que de savoir, ainsi que l’adaptabilité des individus ». S’opère ainsi un véritable changement de paradigme qui s’éloigne de l’idée d’une transmission « passive » du savoir et qui s’associe pleinement aux enjeux de développement de blocs de compétences (Brillet et Scouarnec, 2020). Ainsi, l’innovation pédagogique peut être considérée comme une mission d’amélioration constante des apprentissages. Mais elle peut également être considérée comme le moyen de mobiliser des savoir-faire méthodologiques en recherche et donc un instrument essentiel de formation continue, de réflexivité et de regards critiques sur nos pratiques d’enseignant‑chercheur.

2En définitive, l’émergence de nouvelles pratiques est une tendance croissante qu’il est nécessaire de reconnaitre et de valoriser. Mais la nature fragmentée et hétérogène des initiatives freine à la fois la lisibilité et la généralisation des innovations pédagogiques. Le CNU, dans la section 06, est garant d’un référentiel commun et équilibré des différentes missions associées aux métiers et carrières des enseignants-chercheurs en sciences de gestion et du management. L’objectif du chapitre est ainsi de proposer une réflexion autour des critères d’évaluation de l’engagement attendu d’un enseignant-chercheur dans l’innovation pédagogique. Ces balises d’évaluation devront toutefois être appréhendées de manière contextuelle. Les ressources et incitations – qu’elles soient techniques, organisationnelles, humaines ou financières – disponibles pour soutenir l’innovation pédagogique sont très variables d’un établissement à l’autre. Sur ce point, comme sur les autres volets d’évaluation du CNU, l’évaluation qualitative et contextuelle est nécessaire pour apprécier l’engagement d’un collègue dans la pédagogie. Dans une première partie, nous proposons un état des lieux des nouveaux paradigmes et canevas de la pédagogie. Au sein d’une seconde partie, nous proposons d’établir un cadre d’évaluation permettant à la communauté d’objectiver et donc de valoriser leurs livrables en termes d’innovation pédagogique.

État des lieux de l’innovation pédagogique

3Les fondements des pédagogies dites actives et/ou innovantes à l’université trouvent racine au sein de nombreux travaux en sciences de l’éducation, dont la mise en application essaime et se concrétise depuis quelques années en France. Pour autant, il reste parfois difficile de délimiter la frontière entre une utilisation d’une technologie innovante, une utilisation innovante de technologie et une pédagogie innovante. Comme le soulignent Youssef et Audran (2019), l’apprentissage n’est

ni linéaire, ni uniforme, ni unidirectionnel. L’innovation pédagogique doit tenir compte de ceci en permettant à l’apprenant lui-même de mettre à l’épreuve ses connaissances sans que celles-ci dépendant d’une innovation imposée de manière algorithmique.

4La transformation numérique a offert un ensemble d’outils nouveaux dont a su se saisir la communauté des enseignants-chercheurs à l’université. L’innovation pédagogique s’appuie ainsi sur leur utilisation, à des fins de promotion de nouvelles conceptions de l’enseignement répondant à la diversité cognitive des apprenants et améliorant ainsi les apprentissages. Cette section a pour objectif d’établir une liste des principales innovations de procédés, de méthodes et de techniques d’animation, en lien avec les nouveaux outils de diffusion du savoir.

Innovation des méthodes d’apprentissage

5Dans un esprit d’inclusion et d’interactivité avec les apprenants, la conception universelle d’apprentissage (CUA) offre un canevas pour la création de buts, de méthodes, d’évaluations et de matériel éducatif qui fonctionnent pour tous les individus (Rose et Meyer, 2002). La base de réflexion est de réaliser un alignement pédagogique et constructif entre le contenu, l’évaluation et l’acquisition de compétences par le biais d’une scénarisation du cours (Biggs et Tang, 2011). Les attendus concrets de cette conception sont : de favoriser la transversalité des compétences ; de développer l’adhésion et donc l’implication des étudiants au sein des programmes ; d’élargir le nombre de bénéficiaires tout en facilitant la création de communautés d’apprenants ; et de proposer, dans la mesure du possible, des parcours personnalisés notamment en termes d’acquisition de blocs de compétences en lien avec les attendus professionnels et sociétaux.

6Brillet et Scouarnec (2020) identifient huit méta-compétences permettant de délimiter les attentes professionnelles dans le domaine du management et de la gestion : (1) veiller-anticiper ; (2) piloter-gérer ; (3) contrôler-mesurer ;
(4) animer-fédérer ; (5) développer-innover ; (6) appliquer-respecter ; (7) accompagner-conseiller ; et (8) communiquer-marketer. Chacune de ces méta‑compétences repose sur l’articulation entre savoir-faire disciplinaires (dans les sous-domaines standardisés tels que la gestion des ressources humaines, les systèmes d’information, la finance, la logistique, la comptabilité, la stratégie, l’organisation, ou le marketing), savoir-faire transverses (maîtrise bureautique, des langues, de la recherche documentaire, de la formalisation d’un projet professionnel, etc.), mais également d’éléments de savoir-être (agilité, curiosité, pensée critique, esprit d’analyse, proactivité, etc.).

7À titre d’illustration des méthodes de scénarisation permettant cet alignement constructif, les approches par projet (APP_J), les approches par problème (APP_M) et les jeux sérieux font figures de canevas de plus en plus utilisés par la communauté. L’APP_J englobe toute séquence d’apprentissage qui doit déboucher sur une production à délivrer, laissant la liberté à tout apprenant d’y apporter sa valeur ajoutée selon son degré intérêt et ses propres représentations (exemple : réalisation d’un podcast sur un sujet d’actualité). Cette scénarisation se prête particulièrement à un objectif de facilitation de l’insertion professionnelle à un niveau Master. Le principe de l’APP_J est de rendre l’étudiant actif et responsable de ses apprentissages en le mettant en contexte professionnel. Dans cet environnement, l’enseignant-chercheur tient le rôle de guide (accompagnement et feedback). La mise en place d’une classe flexible, favorisant les interactions, est essentielle. Cette pédagogie active permet à la fois d’ancrer des techniques professionnelles, mais aussi de développer le savoir être de l’apprenant (planification, communication, rédaction, coordination, persuasion). Les sciences de gestion et du management sont particulièrement adaptées à ce canevas, au sens où il s’agit pour les apprenants de développer des compétences tacites et explicites en gestion de projet et entrepreneuriat (Fayolle et Verzat, 2009 ; Oriol, 2020).

8L’APP_M est également une méthode de scénarisation pédagogique fondée sur l’apprenant et lui laissant pleine responsabilisation dans la réalisation d’objectifs. C’est un canevas qui favorise la transdisciplinarité en ce sens qu’il vise à élaborer un ensemble de solutions à apporter à une problématique complexe. Elle a notamment été adoptée de manière pionnière dans le contexte de la formation médicale, afin de favoriser les échanges entre différentes spécialités et donc la prise en charge systémique des patients. Comparativement à l’APP_J, elle est particulièrement fondée sur des activités de recherche d’informations et d’acquisition des expertises requises, mais toujours dans une dimension potentiellement collaborative et de co-construction (investigation, écoute active, coordination, diagnostic, solution). Au sein d’équipe d’apprenants, elle est en effet propice à l’activation et au partage des savoirs antérieurs. Ici, l’objectif n’est pas de s’articuler autour de production à réaliser, mais de savoirs et d’expertises à coordonner.

9Le jeu sérieux est une autre forme de pédagogie active mais également une innovation dite techno-pédagogique liée à la ludification des apprentissages (pour une étude détaillée des liens entre l’innovation pédagogique, la gamification et la ludification, voir le chapitre d’Élodie Gardet et Caroline Riché dans le présent ouvrage). Ils sont fondés sur le développement d’une stratégie pédagogique inclusive grâce aux univers décontextualisés proposés par les jeux. Selon Michel et Mc Namara (2014)

ils utilisent les leviers de motivation du game design (tels que la compétition, la curiosité, la collaboration, le défi individuel) et les différents supports de jeu (depuis le jeu de plateau utilisé en présentiel jusqu’au jeu vidéo et ses avatars en immersion dans des environnements 3D) pour accroître la motivation des participants à s’engager dans des tâches jugées complexes ou rébarbatives.

10En sciences de gestion et du management, les initiatives de ludification sont utilisées aujourd’hui dans une diversité de domaines professionnels tels que le marketing, le recrutement, l’innovation ou encore le management de projet (Chollet, 2019). L’apprentissage est facilité par la décontextualisation et l’immersion dans un univers virtuel propice à la concentration et à l’engagement.

Innovation des modalités de diffusion des savoirs

11Le caractère agile et inclusif du projet pédagogique est étroitement lié à la manière dont les activités sont déployées au sein d’espaces d’apprentissage physiques et virtuels (Oblinger, 2006). La crise sanitaire a particulièrement bouleversé les pratiques et généré un ensemble de questions autour de l’efficacité des modalités d’enseignement. Il convient alors de distinguer la notion de comodalité de celle d’hybridation. Selon Vangrunderbeek (2020)

un cours hybride se caractérise notamment par une alternance d’activités proposée par l’enseignant.e à l’ensemble des étudiant.e.s (en présence ou à distance synchrone et asynchrone). Un cours comodal se distingue par une conception guidée par une expérience simultanée des activités en face à face et des activités synchrones au choix des étudiant.e.s.

12Ainsi, la comodalité implique la construction conjointe d’activités réelles et virtuelles (par exemple l’enregistrement et la diffusion en streaming d’un cours en présentiel), tandis que l’hybridation est un continuum d’activités proposées selon différentes modalités.

13En ce sens, la comodalité est moins une innovation de rupture sur le plan pédagogique que l’hybridation, mais elle repose sur un investissement important en termes d’équipement des espaces d’apprentissage (tablettes, caméra ciblante, micros déportés, etc.), d’accompagnement technique et de soutien des systèmes d’information (connexion wifi, environnement virtuel de cours, plateforme d’hébergement des vidéos en streaming ou en asynchrone, etc.). La formation hybride demande une réorganisation des scénarios pédagogiques en lien avec la transformation digitale. La possibilité de s’impliquer dans cette réorganisation est dépendante d’un cadre incitatif plus global et d’un accompagnement pédagogique individualisé (ingénieur pédagogique, processus de formation continue pédagogique, référentiel incitatif lié à la transformation, etc.). Dans les deux cas, le degré de flexibilité pédagogique est grand, impliquant une solide agilité de l’enseignant afin de conserver l’inclusion de tous les suivis d’apprentissage.

14Au sein de ces transformations, les espaces physiques sont repensés en lien avec cette logique de classe interactive et active. L’émergence de nouveaux espaces d’apprentissage nécessite également le soutien des établissements sur le plan financier. Les learning labs sont des salles de cours reconfigurées sur la base de mobilier permettant modularité et classe flexible (chaises nomades, tableaux écritoires mobiles, etc.), et sur des équipements multimédias (vidéoprojecteur interactif, écrans tactiles et tablettes, positionnement d’écrans sur plusieurs murs, etc.). Les fablabs (abréviation de fabrication laboratory) sont, quant à eux, des espaces de prototypages d’objets physiques qui peuvent aller de la simple découverte du « pouvoir de faire » à de véritables APP_J disciplinaires ou transdisciplinaires.

Innovation des procédés et techniques d’animation et d’évaluation

15Dans le cadre de la CUA des enseignements, les activités doivent à la fois respecter la progression des compétences envisagées, mais également préparer à l’évaluation de ces compétences. Elles doivent être suffisamment variées pour permettre de correspondre à différentes formes de raisonnement et permettre ainsi à chaque apprenant d’utiliser leurs propres schémas mentaux comme base de travail. À l’échelle d’une maquette, l’identification des acquis d’apprentissage intermédiaires et principaux, formulés à l’aide de la taxonomie de Bloom (1956) lors de la scénarisation de l’enseignement, permet également de déterminer comment la formation vient nourrir l’approche par compétence globale d’un diplôme. À titre d’illustration de ces innovations dites « de procédé », nous pouvons citer le principe de la classe inversée (flipped classroom) consistant à rendre autonome le suivi de la partie magistrale d’un cours (par exemple avec la mise à disposition de ressources pédagogiques à investir), et privilégier, lors de séances de regroupement en interaction enseignants / apprenants, l’élaboration de discussions, tests et autres formes d’activités de feedbacks ou de positionnement. Citons également le procédé de la classe renversée qui consiste à demander aux apprenants de travailler sur l’appropriation des savoirs en toute autonomie et de se porter eux-mêmes garants de leur restitution auprès du reste de la cohorte, l’enseignant se positionnant ici en guide.

16Associées à l’ensemble des innovations, la mise en place d’activités collaboratives en ligne, ou E‑tivities au sens de Salmon (2002), constitue un défi important de transformation pour la communauté. À ce titre, il existe de nombreuses applications (ou modules d’extension sur Moodle) permettant de développer des activités d’évaluation, des activités de mémorisation et de synthétisation (cartes heuristiques, infographie, nuages de mots, etc.), des activités ludo-pédagogiques (jeux de sociétés, de mémoire, de logique autour des concepts clés du cours, etc.), des activités de mutualisation (portfolio numérique, glossaire collaboratif, wiki de cours, pédagothèques, etc.), de rétroaction (audio, vidéo, par les pairs, etc.), ou encore des activités de transmission (conception de capsules vidéos, présentation en ligne, animations, etc.).

17Enfin, la place et le rôle de l’évaluation peut-être aussi repensé et conduire à des innovations de procédé. Le stealth assessment, ou évaluation « indolore » selon Shute et Kim (2014), repose sur un projet de progression individualisée de l’étudiant. L’évaluation devient un moteur d’amélioration en contrôle continu en lien avec la mise en place d’un portfolio de compétences. Cet alignement entre formation et approche par compétence est conçu dans un objectif d’accompagnement à l’insertion professionnelle et permet aux apprenants de s’autonomiser vis-à-vis d’une évaluation constante de leurs acquis. À l’issue de leur formation, ils sont ainsi en mesure d’objectiver leur expertise technique (savoir-faire disciplinaires) liée au contenu de la formation, mais également d’expliciter un ensemble de compétences tacites liées aux modalités de dispense de ces contenus et à leur implication dans le processus d’apprentissage (savoir-être et savoir‑faire transverses).

Faits observables de l’innovation pédagogique en sciences de gestion et du management

18Cette seconde partie se propose d’aiguiller la communauté vers un certain nombre de dispositifs existants permettant d’abriter la réflexion et les initiatives en matière d’innovation pédagogique.

Écrins et vecteurs de l’innovation pédagogique

19L’opérationnalisation de l’innovation pédagogique se réalise à la fois dans le cadre de recherches scientifiques menées par des enseignants-chercheurs en sciences de gestion et du management et dans le cadre de nos pratiques d’enseignement au sein de nos établissements.

Espaces de réflexion scientifique sur l’innovation pédagogique

20La réflexion sur l’innovation pédagogique est portée par les enseignants-chercheurs au sein même de leur propre discipline. Les sciences de gestion et du management produisent régulièrement des travaux doctoraux en la matière. Certaines thèses portent sur la didactique d’un concept, la décision (Kéradec, 2012) ou l’entrepreneuriat (Bouslikahne, 2011), tandis que d’autres vont s’intéresser à l’efficacité d’un dispositif pédagogique, tels que les MOOC (Cascioli, 2020). Enfin, d’autres travaux vont s’intéresser aux processus d’innovation pédagogique à l’université, notamment sur leurs ressorts intrapreneuriaux (Ewango‑Chatelet, 2017). Au-delà de ces travaux doctoraux, de nombreux articles sont publiés dans les revues en sciences de gestion et du management et des communications sont régulièrement présentées lors de conférences. Ainsi, la revue Management & Avenir, pour ne citer qu’elle, publie régulièrement des articles sur l’innovation pédagogique s’intéressant notamment à la résistance des apprenants à une innovation (Ait-Taleb et Mani, 2019), à l’usage ou la performance d’un nouveau dispositif, tels que les Open Badges (Cieply et Grand, 2019), à l’utilisation de la réalité virtuelle comme outil pédagogique dans l’enseignement supérieur (Weber et al., 2019), ou encore aux hackathons (Greselle-Zaïbet et al., 2018).

21Plusieurs associations scientifiques de la discipline proposent des sessions spécifiques lors de leur conférence annuelle, voire des groupes de travail thématiques en leur sein, sur la question de la transformation et de l’innovation pédagogique, tel que l’AIMS (Méthodes et approches créatives et critiques de l’apprentissage du management), l’AIM (Transformation pédagogique), l’AGRH (Innovations pédagogiques), EURAM (Pedagogical innovation and research in management education), l’AFC (Enseignement de la comptabilité), EGOS (Generativity and inclusivity through engaged scholarship: connecting theory, methods, and praxis), l’ADERSE (Impacts de la crise sur les pratiques d’enseignement), l’AEI (La performance de l’éducation à l’entrepreneuriat en question), l’ATLAS-AFMI (Cas pédagogiques) ou l’AOM (Teaching and learning conference). De manière concomitante, les communautés scientifiques et d’expertises en sciences de gestion et du management se dotent de prix et de labels pédagogiques : citons ainsi le partenariat entre l’AFMAT, l’ATLAS-AFMI, l’AFM, l’AFFI et RIODD avec la Centrale des cas et médias pédagogiques, ou les différents dispositifs de valorisation de la FNEGE (prix du meilleur dispositif pédagogique, prix de l’innovation pédagogique en sciences de gestion et du management, labellisation).

Organisation de l’innovation pédagogique dans les établissements

22Au-delà de ce travail scientifique, les établissements et l’enseignement supérieur se structurent pour encourager et accompagner les innovations pédagogiques. Nos universités s’étoffent en ingénieurs pédagogiques constituant généralement un nouveau service à part entière, ou rattaché à la direction des études et de la formation, au sein des services centraux. Ces services proposent de plus en plus des (auto-)formations, ateliers ou espaces d’échanges de pratiques sur l’innovation pédagogique. Citons également le fait que l’innovation pédagogique au sein d’une formation est un item de l’évaluation d’une formation par l’HCERES, portant ainsi une démarche qualité qui structure et incite les initiatives.

23Le travail d’innovation pédagogique est également reconnu au niveau ministériel, avec notamment la création en 2019 d’un congé pour projet pédagogique (CPP) avec des mécanismes proches de ceux du congé de recherche et de conversion thématique (CRCT). Les dossiers déposés auprès de l’établissement d’affectation sont appréciés particulièrement au regard de leur dimension novatrice, de l’accompagnement à la réussite des étudiants, de créations de nouveaux contenus ou de transformation des pratiques pédagogiques notamment via l’usage d’outils numériques.

Référentiel de l’innovation pédagogique

24Les critères d’évaluation des pratiques innovantes peuvent reposer sur trois piliers fondamentaux au cœur du métier d’enseignant-chercheur (tableau 1). Premièrement, l’objectif de ces innovations doit permettre de répondre plus efficacement aux missions confiées aux enseignants-chercheurs, notamment en termes d’insertion professionnelle, d’inclusion et d’accompagnement personnalisé des publics. Deuxièmement, le métier d’enseignant-chercheur repose sur le principe de partage et de transmission ; la diffusion et la valorisation de ces pratiques innovantes est donc un attendu important. Enfin, troisièmement, le métier d’enseignant-chercheur repose sur l’esprit scientifique et donc le questionnement et l’approfondissement de ces connaissances issues d’autres disciplines, telles que les sciences de l’éducation, pour l’enseignement des sciences de gestion et du management au regard des spécificités des publics concernés, de leurs attentes et des attendus du marché de l’emploi sur envers eux.

Faits observables et indices d’appréciation

25Le tableau 2 présente une liste de faits observables et d’indices d’appréciation proposés afin de valoriser l’engagement d’un enseignant-chercheur dans l’innovation pédagogique. Ce tableau n’engage pas le CNU, mais seulement les auteurs du présent chapitre, et a vocation à aider les enseignants-chercheurs à expliciter leur engagement dans l’innovation pédagogique lorsqu’ils déposent un dossier auprès du CNU ou de leurs instances locales.

Champs de faits observables

26Les enseignants-chercheurs peuvent contribuer à l’innovation pédagogique sur les trois dimensions de leur métier : l’enseignement, la recherche et les responsabilités collectives. Au regard de ces trois dimensions et de leur imbrication, nous proposons cinq champs d’engagement d’un enseignant-chercheur dans l’innovation pédagogique (figure 1) :

• L’engagement dans la réflexivité individuelle. Du fait de la relative autonomie d’un enseignant-chercheur, tant dans le contenu que les méthodes de ses enseignements, on peut en effet attendre qu’il interroge régulièrement ses pratiques. Cette réflexivité individuelle peut s’observer par le fait de suivre ou de dispenser des formations sur l’innovation pédagogique, ou d’avoir obtenu des congés ou primes spécifiques.

• L’engagement dans la modification des pratiques individuelles d’enseignement. Cet engagement peut s’observer par la création de ressources pédagogiques (MOOC, étude de cas, etc.), par la création et mise à disposition de maquette de formation et syllabus de cours innovants (en termes de contenu, de scénarisation, etc.), et par la participation à des appels à projet pédagogique ou l’obtention de distinction.

• L’engagement dans la transformation des structures et pratiques collectives. Un enseignant-chercheur peut avoir un rôle déterminant dans l’innovation pédagogique lorsqu’il est en responsabilité dans un établissement, notamment lorsqu’il s’agit d’animer la construction périodique d’une offre de formation ou de monter des dossiers de réponse à des appels à projet à caractère pédagogique, mais aussi dans l’animation au quotidien d’une équipe pédagogique ou des services supports.

• L’engagement dans la production de connaissances en matière d’enseignement des sciences de gestion et du management. Par esprit scientifique, les enseignants-chercheurs peuvent vouloir mobiliser leurs savoir-faire méthodologiques pour questionner et approfondir les connaissances issues des sciences de l’éducation dans l’enseignement des sciences de gestion et du management. Il appartient ainsi à la communauté de s’engager dans des recherches en ce sens.

• L’engagement dans l’animation et la structuration de la recherche sur l’enseignement des sciences de gestion et du management. La recherche est une activité collective. Créer et développer une nouvelle communauté sur ces questions et la faire vivre est donc une activité nécessaire à l’innovation pédagogique pertinente. Les faits observables de ce dernier champ d’action sont donc l’animation de sessions ou numéros de revues sur la thématique ou encore la responsabilité au sein d’association ou revue dédiées.

Figure 1 : Les champs d’engagement d’un enseignant-chercheur dans l’innovation pédagogique

Indices d’appréciation

27Les différents faits observables présentés dans le tableau 2 doivent pouvoir être pondérés et comparés. Les indices d’appréciation que nous proposons dans ce tableau ne sont pas exhaustifs et doivent prendre en compte les contextes hétérogènes dans lequel les enseignants-chercheurs exercent leur fonction. L’objectif d’une telle liste est d’aider la communauté à objectiver et valoriser leur implication dans l’innovation pédagogique.

Conclusion

28L’innovation pédagogique est au cœur de attendus légitimes envers un enseignant-chercheur et une nécessité organisationnelle et sociétale. Toutefois, il y a de multiples façons de s’y investir. Le présent chapitre propose un guide pour la valorisation de l’engagement d’un enseignant-chercheur en la matière. Nous invitons chaque collègue à valoriser ces faits observables dans leur CV académique et lors de toute demande d’évaluation auprès du CNU ou des instances locales, que ce soit lors d’une demande de qualification aux fonctions de maître de conférences, d’une demande d’avancement de grade ou d’un recrutement selon les articles 46.1 et 46.3. Nous plaidons également pour qu’ils soient appréciés à leur juste valeur au sein des établissements, dans une perspective d’amélioration du cadre incitatif relatif à ces missions.