1Le milieu universitaire français a connu et connait actuellement plusieurs réformes (par exemple, la loi d’autonomie des universités ou la loi de programmation de la recherche). Elles tendent à faire évoluer non seulement le statut des enseignants-chercheurs et leurs perspectives de carrière, mais aussi le contenu même de leurs activités et leurs conditions de travail. L’évaluation des enseignants-chercheurs apparaît au cœur des évolutions connues par la profession. Dans ce cadre, l’objectif du chapitre est de questionner d’abord le pouvoir performatif des chiffres et des évaluations quantitatives (le chiffre en tant que créateur de réalité) et, ensuite, le contrôle que peut exercer le chiffre sur l’évalué. Enfin, nous discutons l’évaluation des enseignants-chercheurs par la section 06 du CNU en prenant l’exemple de la qualification aux fonctions de maître de conférences. Jusqu’à aujourd’hui (2022), la qualification aux fonctions de maître de conférences fait partie des missions du CNU et fait l’objet d’une session spécifique selon un calendrier précis énoncé par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

2Chaque section du CNU organise sa session et qualifie – ou non – les dossiers en fonctions de critères propres à la discipline. Pour la section 06, les critères portent sur l’ensemble des volets qui font la richesse et la complexité du métier d’enseignant-chercheur en sciences de gestion et du management : la production scientifique (articles publiés, communications en conférences, ouvrages et chapitres d’ouvrages, rapports d’activités, cas pédagogiques, articles à rayonnement socio-économique, etc.), l’activité pédagogique et l’engagement collectif national et local, institutionnel et scientifique¹. Les critères qui supportent la décision de qualifier ou de ne pas qualifier vont au-delà de l’analyse et la relecture de la thèse et des rapports de soutenance, même si ces éléments sont lus avec attention. Les pairs, réunis lors de la session de qualification (24 maîtres de conférences et 24 professeurs des universités), discutent chaque dossier et développent des arguments favorables ou défavorables à partir d’éléments chiffrés, mais pas seulement.

La construction d’une réalité performative par le chiffre

3Muniesa et Callon (2013) rappellent que la notion de « performativité » est empruntée à la pragmatique du langage. Austin (1991) énonce le premier que le langage peut se distinguer en deux types d’énoncés : les énoncés constatatifs et les énoncés performatifs. Les énoncés constatifs sont vrais ou faux. À la différence, les énoncés performatifs ne sont ni vrais ni faux, mais ils sont susceptibles de réaliser un changement (Dumez, 2015). En d’autres termes, la performativité renvoie à « la capacité de certains énoncés délibérés à changer la réalité et les pratiques qu’ils désignent » (Aggeri, 2017). Ainsi, la réalité n’est pas seulement décrite mais aussi modelée par ces énoncés (MacKenzie et Millo, 2003), qui peuvent pr endre différentes formes (actes de langage, actes de calcul, etc.). Lorsque les énoncés se réalisent, Austin (1991) les qualifient de felicitous et lorsque ce n’est pas le cas de infelicitous.

4Le concept de performativité a fait l’objet de nombreuses utilisations au sein des sciences sociales (MacKenzie et al., 2007). Plus particulièrement, l’effet performatif du « chiffre » a été étudié selon deux principales approches. L’une concerne les « actes de calculs » définis par Fauré et Gramaccia (2006) comme des « actes de langage énonçant un calcul ou un chiffre ». Au sein de ce courant, les études s’intéressent à la manière dont les chiffres mobilisés par différents acteurs dans des calculs énoncés, oralement ou par écrit, construisent une réalité (Fauré et al., 2010). L’autre porte sur les chiffres et les calculs en tant que tels et regroupe, par exemple, les travaux en lien avec la performativité de la comptabilité au sens large (Vollmer, 2007 ; Revellino et Mouritsen, 2015). L’idée d’une comptabilité qui participe à la construction du Monde, et qui n’est pas seulement le reflet d’une réalité, n’est pas nouvelle et a déjà été soulignée par plusieurs auteurs (Hines, 1988).

5La production et la communication de chiffres relèvent de ce qu’Espeland et Stevens (2008) nomment la quantification. Plusieurs travaux ont mis en évidence que la quantification peut inciter les individus à adopter certains comportements (Espeland et Sauder, 2007). En effet, la quantification ne se contente pas de fournir un reflet du monde ; elle crée une nouvelle façon de le penser, de le représenter, de l’exprimer et d’agir sur lui (Desrosières, 1993). En d’autres termes, la quantification est dotée d’une capacité à agir sur le réel, d’où l’expression de « performativité de la quantification ». Espeland et Sauder (2007) développent, en outre, le concept de réactivité selon lequel les individus modifient leur comportement en réaction à une évaluation, une observation ou une mesure. Pour Martin (2020), la performativité de la quantification est d’autant plus grande que les chiffres deviennent non seulement un objectif à atteindre pour des acteurs, mais aussi un instrument d’évaluation de ces acteurs.

6Appliquée au milieu universitaire, il apparaît que l’évaluation quantifiée de l’activité de recherche des enseignants-chercheurs avait initialement comme objectif de « vérifier le respect du contrat de travail universitaire », autrement dit, de mesurer le travail de recherche des enseignants-chercheurs (Guillon, 2016). Très vite, l’objectif s’est déplacé vers une incitation des universitaires à publier dans des revues classées. Pour Boulet et Harari‑Kermadec (2014), une telle évaluation et son pendant qu’est la production de classements « ne servent pas tant à produire une information sur les activités qu’à fournir des incitations à se comporter d’une certaine manière, par exemple à produire de la recherche économiquement utile ». L’adaptation des enseignants-chercheurs à l’évaluation et à la mesure de leur « productivité » a eu des effets considérables sur l’évolution des pratiques de publications aussi bien en termes de quantité et de fréquence qu’au niveau des supports de publications utilisés. Power (1999) résume la situation de la manière suivante : 

Les cycles de recherche ont évolué en faveur de publications dans des revues prestigieuses plutôt que dans des livres. Les scientifiques changent leurs habitudes de recherche et tout un ensemble d’activités pour lesquelles des mesures de performance n’ont pas été conçues ont cessé d’avoir une valeur officielle. L’édition de livres, l’organisation de conférences et, paradoxalement, l’examen et la facilitation des efforts de publication des autres ne sont plus pris en compte.

7Le dialogue avec le monde de la pratique a également été découragé par ces nouvelles mesures, une telle activité ne permettant pas d’aboutir à des résultats qui comptent dans l’évaluation des universitaires (Hopwood, 2008). Gebreiter (2022) discute l’évolution de l’évaluation des activités de recherche et d’enseignement qui peut conduire à la domination d’une orientation marché pour laquelle les activités de recherche et d’enseignement sont estimées à partir d’outputs produits et les étudiants endossent le rôle de clients. Il analyse en particulier le cas des départements de management en Angleterre. Son analyse le mène à indiquer que cette vision tournée systématiquement vers l’output conduit à séparer les activités de recherche et d’enseignement. Certains collègues deviennent ainsi des spécialistes de la recherche et d’autres de l’enseignement.

8Il devient dès lors plus difficile de faire valoir des activités et pratiques de recherche au sein des enseignements car les collègues identifiés « spécialistes » de recherche n’enseignent que peu (ou plus du tout). Une hiérarchie apparait au sein du corps professoral : les profils « recherche » sont mieux « valorisés » que les profils « enseignement », créant des tensions au sein des institutions. Ce qui peut apparaître plus dangereux, c’est également l’émergence d’une hiérarchie entre les disciplines de management. En effet, il a été identifié par les dirigeants d’écoles de management (publics ou privées) des disciplines où il est plus aisé de publier dans des revues bien valorisées dans les classements internationaux, et d’autres non. Dans une perspective de moyen / long terme, certaines disciplines sont perçues comme intensive en pédagogie (Gebreiter [2022] cite la comptabilité), et d’autres disciplines comme intensive en recherche. Ainsi, le triste sort des sciences de gestion et du management peut être réduit à une typologie disciplinaire. Les chiffres sont utilisés pour promouvoir un tel scénario et le rôle des pairs dans le processus de décision s’en trouve diminué.

9Plus généralement, nombreuses sont les études qui ont souligné les dangers de la seule évaluation quantitative des enseignants-chercheurs. Hopwood (2008) craint une standardisation des recherches puisque la plupart des revues les plus « prestigieuses » tendent à publier désormais un seul type de recherche : de la recherche mainstream telle qu’elle est effectuée en Amérique du Nord. Pour l’auteur, le risque est désormais que l’acte de publication compte plus que le contenu lui-même de la publication. Autrement dit, il s’agirait plus aujourd’hui de publier des papiers, même s’ils n’apportent rien à la connaissance, que de véritablement faire de la recherche. Plusieurs questionnements se posent donc concernant, par exemple, la capacité des classements à participer de manière pertinente à l’évaluation de la création de savoirs.

10En outre, il arrive que le réel soit modifié dans le sens inverse de celui prévu au départ, c’est ce qui est qualifié dans la littérature d’effets contre-performatifs (Callon, 2010). Dans une telle configuration, les individus adoptent des comportements qui sont en désalignement avec les buts recherchés. Broedker et al. (2020) indiquent, par exemple, comment la mise en place d’un système de classement du capital intellectuel au sein d’une organisation publique australienne a eu des effets contre-performatifs dans le sens où elle a généré des résistances qui ont affaibli la stratégie de l’entreprise en la matière. Pour Letiche et al. (2017), les enseignants-chercheurs craintifs, effrayés, peu sûrs d’eux-mêmes, ne peuvent pas innover et/ou être créatifs, ce qui ne peut in fine aboutir qu’à l’effet inverse de celui recherché par l’introduction de l’évaluation. Néanmoins, le chiffre reste un élément incontournable du processus d’évaluation. La gestion et l’évaluation de « masse » induit la présence de chiffres et de pratiques de quantification de l’activité des évalués. Nous ne le contestons pas. Néanmoins se pose la question de son usage et de son importance au sein du processus d’évaluation.

Le chiffre : un élément de l’évaluation

11Pour Mårtensson (2009), la mesure peut être considérée comme un « processus par lequel plusieurs dimensions sont d’abord simplifiées et réduites en nombre afin de pouvoir être mesurées ». Le désir ou besoin humain de quantifier le monde par diverses mesures n’est pas nouveau et semble être sans limite. Dermakar et Gendron (2019) évoquent à ce sujet une socialisation à grande échelle mettant en exergue la pertinence, voire la beauté de ce qui peut être chiffré avec précision (Rose, 1991) et, au contraire, l’inconfort et la méfiance à l’égard de ce qui ne peut être quantifié (Porter, 1995). Il est intéressant de comprendre les raisons de la généralisation des pratiques de chiffrage ou quantification. La littérature critique en comptabilité offre une grille de lecture intéressante pour éclairer ce point.

12Cette dernière souligne en effet la manière dont les dispositifs et outils comptables, loin d’être neutres, peuvent être utilisés pour surveiller et discipliner les membres d’une organisation. De manière similaire, Miller et O’Leary (1987) présentent la comptabilité – en particulier les coûts standards – comme un dispositif visant à rendre les individus gouvernables. En outre, selon plusieurs auteurs, dont Farjaudon et Morales (2013), le système comptable, ainsi que l’usage qui en est fait, constitue un outil de domination renforçant l’hégémonie des dirigeants sur les autres parties prenantes. Sous une artillerie mathématique produisant de l’illusion, les chiffres, loin d’être objectifs et neutres, répondent en réalité aux objectifs de ceux qui détiennent le pouvoir. En effet, pour Mårtensson (2009), les détenteurs du pouvoir utilisent la mesure quantitative « comme un outil pour développer une société rationnelle et efficace ». Certes, les chiffres rassurent et aident à la décision, mais ils ne peuvent pas faire la décision. Dans certaines situations, le recours systématique aux chiffres peut même apparaître comme confortable car cela permet de déresponsabiliser les preneurs de décisions. Néanmoins, dans le cas d’activités où les pairs jouent un rôle prépondérant dans le processus de reconnaissance et de légitimation des compétences et de l’expérience, un trop grand pouvoir décisionnel donné aux chiffres calculés de façon ad hoc peut s’avérer périlleux.

13Par l’énoncé des chiffres, par le comptage, certaines choses deviennent visibles et pas d’autres ; ce qui est compté compte et doit être compté, ce qui leur confère du pouvoir (Fauré et Gramaccia, 2006). Sur cette base, une question intéressante demeure et pourrait être soulevée. Elle « concerne non seulement ce à quoi les mesures contribuent, mais aussi ce qu’elles négligent en le faisant. Comme le dit l’adage, ce qui est mesuré est géré, donc ce qui n’est pas mesuré n’est pas géré » (Mårtensson, 2009). De quoi cherche-t-on à nous détourner en focalisant notre attention sur les chiffres ? L’étude des différents pans de littérature nous enseigne donc qu’en cherchant à réduire les enseignants-chercheurs à la seule chose qui est visible, c’est-à-dire ce qui est quantifiable, il y a l’idée de vouloir mieux les contrôler, et par conséquent mieux les soumettre.

14Pour Galvez‑Behard (2010), « l’impossibilité de discuter les critères et le contenu de l’évaluation peut engendrer un sentiment de violence symbolique dont peuvent découler un grand nombre d’effets pervers (nouvel arbitrage entre l’enseignement et la recherche, désinvestissement dans les tâches d’intérêt collectif difficilement reconnues, etc.) ». La conséquence d’objectifs chiffrés à réaliser est que le travail de l’enseignant-chercheur n’est plus appréhendé dans sa globalité, et surtout dans sa réalité. Les universitaires sont désormais traités comme des éléments interchangeables et doivent rendre compte de leur « performance ». C’est donc de plus en plus un langage issu du monde de l’entreprise que l’on retrouve au sein des universités et une vision managériale qui s’impose aux enseignants-chercheurs par le biais de l’évaluation quantifiée. Il en découle une sorte de marchandisation de la connaissance (Insel, 2009), voire de l’université toute entière (Boulet et Harari‑Kermadec, 2014), qui entre en totale déconnexion avec la liberté d’initiative, de recherche et d’esprit qui caractérise normalement la profession (Zarka, 2009).

15Le chiffre et le processus de quantification est une technique sociale qui trouve sa légitimité dans un idéal : les mathématiques et la géométrie (Porter, 1995). Il existe des débats dans la littérature en comptabilité qui sont rappelés par Porter (1995) :

Considérée comme un phénomène social, la comptabilité est bien plus puissante et problématique que le réalisent les chercheurs et les journalistes.

16Les débats ont également fait l’objet de discussions dans la revue Comptabilité Contrôle Audit au moment du choix à la faveur des IFRS (Burlaud et Colasse, 2010 ; Raffournier, 2011). La comptabilité est un bon exemple du chiffre porteur de l’intention de celui qui le construit. Il peut être néanmoins fiable et fidèle, une estimation au plus proche d’une réalité. L’usager, l’évaluateur, l’évalué doivent avoir conscience de l’implication de la règle de calcul mise en œuvre pour produire le chiffre. L’usage du chiffre par le décideur devrait se faire en conséquence. L’évaluation par le chiffre ou l’évaluation quantifiée peuvent être considérées comme un mal nécessaire ou un bienfait. Néanmoins, le chiffre ne peut être un garant à lui seul d’objectivité, de transparence ou d’intégrité (Porter, 1995). Pour cela il y a besoin d’experts concernés et engagés porteurs de buts et de projets.

Chiffre et évaluation par les pairs : le cas de la qualification des maîtres de conférences

17Conscients des dangers du seul usage du chiffre pour l’évaluation des enseignants-chercheurs, la section 06 du CNU a à cœur de conserver une démarche où le qualitatif joue un rôle important. Afin d’illustrer le propos, nous prendrons l’exemple de l’examen des dossiers de candidatures dans le cadre d’une demande de qualification aux fonctions de maître de conférences. Deux phases sont ici distinguées : avant et pendant la séance.

Avant la séance

18La volonté de la section 06 du CNU d’inscrire sa démarche avant tout dans une approche qualitative, et pas seulement quantitative, peut être tout particulièrement soulignée au regard des documents demandés dans la constitution du dossier en lien avec une demande de qualification. En effet, outre les documents obligatoires exigés par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (rapport de soutenance, CV, pièce justificative de la possession du doctorat, etc.), la section demande un certain nombre de documents, qui apportent des compléments d’information bien souvent utiles à l’examen complet des dossiers (thèse, pré-rapports autorisant la soutenance de la thèse, lettre de « motivation », etc.).

19L’examen des dossiers par les rapporteurs s’effectue à l’aide d’une fiche de travail qui incite l’évaluateur à mettre la dimension qualitative au cœur de son analyse. La fiche demande au rapporteur, par exemple, non seulement de recenser les principales caractéristiques de la thèse (titre, jury, discipline), mais aussi d’en synthétiser les principaux apports et limites. Afin d’effectuer une telle synthèse, le rapporteur est amené à consulter les pré-rapports autorisant la soutenance de la thèse et le rapport de soutenance proprement dit, mais aussi à examiner la thèse afin de se faire sa propre opinion de celle-ci. À ce titre, le rapport sur la qualification aux fonctions de maître de conférences (session 2020) de la section 06 du CNU souligne :

Bien que les deux rapporteurs disposent du rapport de soutenance, et des pré-rapports, ils évaluent la thèse de façon indépendante et ne sont pas liés par l’appréciation du jury de soutenance. La thèse présente ainsi l’avantage d’avoir fait l’objet d’une double évaluation : par le jury de soutenance et par les rapporteurs du CNU².

20S’agissant des activités de recherche du candidat, la diversité des supports de publications est explicitement reconnue puisque la fiche de travail invite l’évaluateur à répertorier non seulement les publications dans des revues (classées ou non classées), mais aussi les communications lors de conférences, les ouvrages (labellisés ou non labellisés par la FNEGE) et les chapitres d’ouvrages (labellisés ou non labellisés par la FNEGE). Il est ensuite demandé à l’évaluateur d’effectuer un commentaire des productions scientifiques envoyées par le candidat, ce qui nécessite là encore que le rapporteur prenne pleinement connaissance des documents fournis.

21Bien sûr, les autres volets du métier d’enseignant-chercheur – les activités d’enseignement et administratives – sont également étudiés. S’agissant de l’enseignement, une pluralité de critères qualitatifs sont valorisés par les rapporteurs tels que la diversité des enseignements réalisés ou encore la diversité des publics auprès desquels les enseignements sont effectués. Au niveau administratif, chaque implication collective du candidat, quelle que soit sa forme, est valorisée par le rapporteur. C’est sur la base de cette fiche de travail que les rapporteurs rédigent leur avis motivé de synthèse, contenant des éléments factuels, qui sera ensuite repris dans le rapport officiel. Les rapporteurs sont enfin amenés à choisir une note (A, B ou C) pour chaque dossier étudié.

Durant la séance

22L’examen d’un dossier débute par une mention par les deux rapporteurs de leur note respective pour le dossier discuté. La note n’est jamais donnée seule ; elle s’accompagne toujours d’un argumentaire plus ou moins court de la part de chacun des rapporteurs. Les membres du CNU peuvent à tout moment intervenir pour demander des compléments d’information aux rapporteurs. Le rapport sur la qualification aux fonctions de maître de conférences (session 2020) de la section 06 du CNU 06 précise :

Si les membres du CNU s’estiment suffisamment informés sur le candidat, deux A ou une évaluation A/B conduisent à une qualification. De la même façon, deux C conduisent à une non-qualification. Une évaluation B/B donne lieu à une présentation plus détaillée du dossier. Dans les cas les plus limites (B/C ou A/C), une discussion est ensuite ouverte. La décision de qualification est toujours prise par l’ensemble des membres.

23On voit bien ici que l’échange va bien au-delà d’une simple confrontation de notes pour laisser place à de véritables discussions entre les rapporteurs mais aussi et surtout avec l’ensemble des membres de la section, particulièrement lorsque les rapporteurs sont en désaccord entre eux. Pour reprendre les mots de Zarka (2009), il s’agit par ce biais de corriger la subjectivité inhérente à l’étude de chaque dossier par la confrontation des subjectivités, et non par une prétention illusoire à l’objectivité absolue (quantitative).

24Un autre exemple de la place occupée par le qualitatif dans l’évaluation des dossiers concerne la combinaison des trois critères que sont la recherche, l’enseignement et l’administratif. L’évaluation se fait selon une approche qualitative dans le sens où il n’y a pas de système de notes avec un calcul de moyennes, mais bien une évaluation qualitative laissant la place à une possibilité de compensation entre les critères. Le rapport sur la qualification aux fonctions de maître de conférences (session 2020) de la section 06 du CNU précise à ce sujet :

L’impression laissée par un dossier recherche de qualité moyenne peut être corrigée par une activité pédagogique dense et originale ou des engagements importants, par exemple au sein du laboratoire de recherche (…). Par ailleurs, les critères de l’impact sociétal et de l’engagement collectif vis-à-vis de la communauté académique sont de réel plus à promouvoir.

25Si la section 06 du CNU souhaite ardemment conserver un fonctionnement collégial où la discussion, l’échange et l’examen qualitatif des dossiers sont privilégiés, il ne peut s’abstenir de toute évaluation quantitative des dossiers reçus. Ainsi, nous l’avons indiqué, chaque dossier fait l’objet d’une double notation par les rapporteurs, et cette note sert de base à l’échange qu’il va y avoir ensuite avec les membres de la section. De même, les rapporteurs utilisent au moins en partie des classements, et notamment celui de la FNEGE, pour évaluer la qualité des publications potentielles des candidats. De manière générale, en raison d’un calendrier très contraint, ainsi que d’une augmentation du nombre de candidatures ces dernières années, les évaluateurs sont amenés à accorder de l’importance à des critères tels que les revues dans lesquelles sont publiés les articles ou les types de congrès auxquels les candidats ont participé. En effet, comme souligné par Charle (2009), lire une thèse (et pas seulement son résumé ou son rapport), plusieurs articles ou communications, voire des ouvrages, est un travail long, fastidieux et exigeant qui devient de plus en plus difficile à réaliser, particulièrement par manque de temps, plus encore lorsque l’on se situe dans une discipline autre que celle du candidat (ce qui est le cas de l’un des rapporteurs sur les deux).

Conclusion

26Pour conclure, il semble que la section 06 du CNU ait à cœur de ne pas tomber dans une sorte de « fétichisme » du chiffre, tout en gardant en tête que le chiffre n’est ni bon ni mauvais en soi et qu’il est possible d’en faire une utilisation raisonnable. Le CNU, en tant qu’instance de pairs experts d’une discipline, évalue les dossiers pendant la session de qualification des futurs collègues sur la base de plusieurs critères qualitatifs et quantitatifs. L’un des enjeux de la procédure de qualification est la légitimation disciplinaire et nationale des dossiers soumis. Ainsi, ces dossiers sont reconnus comme ayant une contribution académique à la discipline selon les trois volets de l’activité des enseignants-chercheurs énoncée à l’université française (activité scientifique, activité pédagogique, engagement collectif local et national, scientifique et institutionnel). L’instance CNU n’est pas une chambre d’enregistrement. Actuellement, la section 06 du CNU est composée de 48 pairs (96 si l’on compte les suppléants), qui discutent, débattent et évaluent certainement de façon imparfaite mais de façon homogène, avec comme buts et projets l’intégrité de la discipline et la qualité de la recherche et de l’enseignement des sciences de gestion et du management au sein de l’université française.