De bouquetin et des Pyrénées. Éclats d’histoires familiales
p. 325-327
Texte intégral
1La Préhistoire, nous le savons tous, est pour Jean Clottes plus qu’un métier, elle fait partie de sa vie et de celle de sa famille.
2Nous avons donc souhaité donner la parole à ses enfants, qui témoignent de leurs souvenirs avec leur père… en lien avec le bouquetin et les Pyrénées.
3Nous avons eu l’occasion de parler de notre père, Jean Clottes, de son, de notre rapport à la préhistoire lorsque Pascal Semonsut a écrit son bel ouvrage sur son parcours de vie et professionnel (Clottes & Semonsut 2015). Pour ce livre-hommage portant sur le bouquetin dans les Pyrénées, nous nous sommes d’abord demandé ce que nous pourrions bien dire. Et puis, en discutant entre nous, des idées sont venues, des souvenirs ont émergé.
4Ce sont de simples histoires familiales que nous avons souhaité conter ici, mais qui disent combien le scientifique est toujours présent, même dans les situations les moins académiques. Elles parlent aussi de son amour pour la montagne pyrénéenne, qu’il contemple chaque jour de son balcon et qu’il a toujours aimé arpenter. Elles parlent de lui et de nous.
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Pour Papa avec toute notre affection
5Au début des années 1980, mon père a dirigé un camp de fouilles dans la grotte d’Enlène située à côté de Saint-Girons, en Ariège. J’y ai participé plusieurs fois, non par goût de la Préhistoire mais parce que l’ambiance était très sympathique et gaie. On était une trentaine, essentiellement des étudiants. Cela bossait dur mais cela rigolait beaucoup également, notamment aux blagues de Jean-Pierre1, devenu depuis Inspecteur des patrimoines. Une de nos tâches consistait à laver les différents objets que les fouilleurs rapportaient de la grotte. Lorsque nous avions la chance de tomber sur un objet gravé, nous le portions à Robert Bégouën, le propriétaire des cavernes du Volp, ou à Papa, afin qu’ils l’étudient. C’est dans ce cadre que Colette, dite Coco, une copine de faculté, très douée en dessin, a participé à une de ces campagnes. Elle n’était pas la dernière à plaisanter et à aimer faire des blagues. Elle eut l’idée saugrenue mais cocasse de glisser, parmi les différents objets à laver, une plaquette sur laquelle elle avait gravé de façon très convaincante, un petit bouquetin. Elle prit soin de signer en minuscule son œuvre de son surnom « Coco ».
6Bien entendu, mon père se rendit compte de la supercherie, lors de l’étude des objets gravés. Il admira la qualité de la gravure et la beauté du bouquetin… mais Coco ne participa plus aux campagnes de fouilles suivantes.
Christine
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7Il y a maintenant plus de vingt ans, Maman décida de faire retapisser nos anciennes chambres dont les murs portaient encore les papiers peints de notre adolescence. Nous étions à Foix avec nos enfants, qui avaient alors une petite dizaine d’années. Qui était là exactement ? Éliette et Guy, c’est sûr, sans doute Charles, peut-être leurs cousins, Pascal, Stéphane, Jean et Lise. Toujours est-il que pour occuper ses petits-enfants, Maman leur proposa d’enlever la tapisserie d’une des chambres. Comme on peut l’imaginer, ils s’en sont donné à cœur joie et ont déchiré de grands lés de papier peint. Ils ont même eu l’autorisation de dessiner sur les murs nus qui allaient être recouverts de tapisserie. Une véritable aubaine ! Arrive Papa qui remonte de son bureau, attiré par les cris et les rires de ses petits-enfants. Aussitôt ces derniers lui demandent de participer. Très amusé, il prend un feutre noir et trace une silhouette d’animal sur un mur de la chambre. C’était un magnifique bouquetin. Et, a-t-il précisé à ses petits-enfants admiratifs, pas n’importe quel bouquetin, un bouquetin mâle adulte ! Inutile de dire qu’il a dû en dessiner un pour chacun de ses petits-enfants et qu’eux-mêmes se sont ensuite appliqués à reproduire sur les murs le dessin de Papa. C’est ainsi que depuis des années, une harde de bouquetins – mâles et adultes – vit paisiblement sous le papier peint d’une chambre de la maison familiale.
Isabelle
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8Un jour de l’été 2012, Papa m’accompagna en randonnée avec deux couples d’amis. Nous avions décidé de « faire » la Pique d’Endron, un sommet ariégeois de 2 472 mètres d’altitude au-dessus de la minuscule station de ski de Goulier et de la vallée de Vicdessos. En cette fin juillet, la matinée était relativement fraîche avec un léger vent de sud, et la montée, en suivant le chemin serpentant dans le gispet2, fut assez rapide malgré la pente de plus en plus forte. Un bel orri, abri de berger en pierres sèches typique de l’Ariège, presque en haut du téléski, sur la droite de la piste, nous offrit l’occasion de nous arrêter pour prendre quelques photos et de sortir les gourdes de nos sacs pour se désaltérer.
9Une fois arrivés au pic de Sarrasi, 400 mètres au-dessus du téléski, la longue traversée sur la crête rocheuse et aérienne (où il faut parfois poser les mains) nous amena jusqu’au sommet de la Pique d’Endron, où nous pique-niquâmes en admirant la magnifique vue sur l’étang de Gnioure, celui d’Izourt et les sommets environnants, dont le plus haut d’Ariège, le Montcalm.
10Puis nous revînmes sur nos pas ; la descente fut plus difficile pour mon père, fatigué par la longue marche et la chaleur lourde de l’après-midi, annonciatrice d’orage. Il arriva à la voiture, fourbu, mais fier d’avoir réalisé cette très belle randonnée de mille mètres de dénivelé. Il faut dire qu’il avait alors soixante-dix-neuf ans ! Ce n’était pas un mince exploit. La journée se termina autour d’une chope de bière à Auzat, à la terrasse du café bordant le torrent qui traverse le village.
Jean-François
Notes de bas de page
Auteurs
Conservatrice générale du Patrimoine (musée national et domaine du château de Pau) Sauvagnon, France
Directrice adjointe autonomie au Conseil départemental de Tarn-et-Garonne Moissac, France
Retraité Aviation civile, Genas, France
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