1Les contraintes liées au relief dans les parties montagneuses ont engagé les populations néolithiques à s’établir dans les secteurs les plus accessibles et exploitables. Les cartes de répartition des sites traduisent donc une grande disparité du sud au nord, de même qu’entre les zones de plaines et de vallées d’une part et les espaces montagnards de l’autre. Les travaux des naturalistes alpins montrent que l’anthropisation de la montagne au Néolithique est encore modeste (Jorda 1991). Cette disparité, observée à l’examen de la distribution cartographique des sites, tend à s’atténuer, depuis le déficit de fouilles constaté par André D’Anna (1991 : 74) avec les campagnes de prospections, parfois suivies de fouilles, engagées dans certains secteurs dès 1998 dans les zones montagnardes entre 2 000 et 2 500 mètres d’altitude et la découverte de sites présentant des occupations remontant au Mésolithique. C’est ainsi que plusieurs dizaines de sites préhistoriques, liés à des installations agropastorales, ont été découverts, dans la Haute vallée de l’Ubaye, Alpes-de-Haute-Provence (Garcia et al. 2005, Garcia et al 2007) et dans le massif des Écrins dans les Hautes-Alpes (Mocci et al. 2013). Aux âges du Bronze et du Fer l’accroissement du nombre de sites découverts, plus précisément dans les zones septentrionales, corrobore le constat de l’impact allant en s’accentuant de l’homme sur la végétation (Jorda 1991) : nécropoles des vallées de Pelvoux, du Queyras, de l’Ubaye, du Buech, découvertes isolées ou dépôts d’objets en bronze (Cotte 1924), témoins d’activités agropastorales dans les massifs du Haut Champsaur, de Freissinières et de l’Argentiérois (Walsh et al. 2006)

2En ce qui concerne les contextes funéraires à l’exception de quelques cas comme celui du dolmen du Villard et ceux qui seront examinés ci-après, les recherches dans les zones septentrionales de Provence n’ont que peu évoluées depuis le xix^e siècle (fig. 130).

130. carte des sites funéraires dans les Alpes méridionales

1. La documentation ancienne

1.1. Le mégalithisme funéraire dans les Hautes‑Alpes

3Plusieurs monuments funéraires mégalithiques sont signalés très tôt, dès la moitié du xix^e siècle, dans les Hautes‑Alpes.

• À Tallard, au lieu-dit le Serre des Fourches, ainsi nommé du fait qu’autrefois s’y effectuer les exécutions, un dolmen a été découvert en 1863. Ce monument a été signalé et décrit à plusieurs reprises (Chaper 1865, Tournier 1877, Roman 1879, Martin 1889, Mortillet 1894, Sauzade 1991). Il était situé à 2 km au sud-ouest de Tallard au bord de la route conduisant à l’agglomération. Le propriétaire des lieux a vendu les dalles en marbre rouge du dolmen à un habitant du village. Une dalle de près de 2 mètres de haut a été vue par E. Chaper sur un terrain vague à l’entrée de Tallard (Chaper 1865). Selon E. Chaper également, ce dolmen formait un rectangle de 2,50 m de long sur 1,30 m de large et de 1,20 m de haut au moins. Il se composait de 6 à 7 dalles verticales, épaisses (0,30 m) de 1 à 2 m de haut et de deux dalles de couverture affaissées à l’intérieur de la chambre. Les longs côtés du rectangle (composés de deux dalles chacun) étaient dirigés vers Tallard à peu près dans la direction de la route. Le côté le plus rapproché du bourg (chevet) était le plus dégagé des cailloux du tumulus ; à l’autre extrémité (entrée), se situait la dalle qui avait été emportée. La dalle de chevet était comprise entre les premières dalles formant les longs côtés. E. Tournier (1877) précise que le « couvercle et l’un des bouts avaient été convertis en balcon et que les autres pierres avaient reçu un sort semblable » et ajoute à propos du dolmen « qu’il était en sous-sol, dans un pudding ». Il déclare « en avoir établi le plan et en avoir tracé un dessin fidèle » (fig. 131). D. Martin (Martin 1889) décrit une cavité pleine d’ossements, avec divers objets en os et en pierre de l’époque préhistorique. G. de Mortillet (Mortillet 1894) confirme que « la table et le support du fond servirent à faire des balcons » et ajoute que « les autres supports ont été successivement utilisés par les maçons du pays ». L’on peut voir encore aujourd’hui, au premier étage, au-dessus d’un commerce du centre-ville, un balcon sculpté à partir de dalles en marbre rouge du dolmen. En 1894 selon G. de Mortillet il ne reste plus du dolmen que la grande dalle de 2 m de haut de marbre rouge, déplacée à l’entrée du village.

131. Gravure représentant le dolmen du Serre des Fourches à Tallard Hautes‑Alpes)

4D’après ces descriptions, en particulier celles de E. Chaper, ce monument avait la même orientation (entrée orientée au sud-ouest) que la plupart des autres dolmens provençaux. Il comportait une chambre rectangulaire et était inséré dans un tumulus. Les parois latérales se composaient de deux orthostates alignés, les deux premiers s’appuyant sur la dalle de chevet à l’inverse des agencements constatés sur les dolmens provençaux (Sauzade 1990a, 1998), recouverts de deux dalles de couverture. L’unique dalle qui subsiste était disposée à l’entrée dont elle était susceptible de constituer un des piédroits, mais les descriptions n’évoquent pas la présence d’une deuxième dalle à cet endroit. D’après la description de E. Tournier, ce dolmen semble avoir été établi dans une fosse creusée dans le conglomérat.

5La dalle conservée et déplacée à l’entrée du village, décrite par E. Chaper mais également vue et mesurée par D. Martin et photographiée par Delséries (Mortillet 1894) est, de toute évidence, celle exposée au Musée Muséum de Gap (Martin 1889, Manteyer 1945, Pinet & Rostan 2015). Ce mégalithe (fig. 132), en calcaire noduleux dit « marbre rouge », au sommet arrondi, de 2,03 m de haut, 1,15 m de largeur maximum et 0,30 m d’épaisseur, a ses deux faces recouvertes de cupules, 150 au total, et d’autres gravures (stries obliques ou curvilignes et sillons circulaires situés à mi-hauteur). Par sa forme générale et certaines de ses sculptures elle évoque une statue-menhir, vraisemblablement de sexe féminin, semblable à celles présentes en Languedoc, mais qui, à l’heure actuelle, constitue pour la Provence un cas unique. Deux cupules de plus grand diamètre que les autres situées à son sommet pourraient figurer les yeux et les deux aspérités circulaires situées à mi-hauteur, soulignées par un cercle gravé, sont susceptibles de représenter les seins. Les deux nodosités figurant les seins pourraient être d’origine naturelle car une troisième semblable aux deux autres est visible à la même hauteur à gauche de la photo mais à l’inverse des deux autres cette dernière n’est pas cerclée par un sillon circulaire. Selon certains auteurs, cette statue-menhir aurait pu être réutilisée pour faire office de montant du dolmen. Il est possible toutefois qu’elle ait été contemporaine de la construction du monument et réalisée au début du Néolithique final comme certains exemplaires présents en Languedoc (Jallot et al. 2009).

132. Menhir utilisé comme piédroit du dolmen du Serre des Fourches à Tallard Hautes-Alpes

• Au lieu-dit Camargues à Gap J. Roman (1879) signale la destruction d’un dolmen en 1866 lors du creusement des fondations devant servir à l’établissement d’un couvent. Il se composait d’une table de 2 mètres supportée par deux blocs de moindre dimension. Un foyer, des charbons, des cendres et des ossements calcinés se trouvaient sous la dalle.

• Aux Roranches, commune de Saint-jean-Saint-Nicolas, B. Tournier (1877) signale un dolmen détruit vers 1848 par le propriétaire pour en débarrasser son champ. Aux ossements, étaient associées une lame de hache polie en serpentine et une hache en bronze. G. de Mortillet (1894) reprend ces informations et atteste la présence « d’un véritable dolmen ».

• À Notre-Dame-du Bois-Vert, commune de la Fare-en-Champsaur, un dolmen a été détruit à peu près à la même époque pour servir de matériaux de construction à un mur du cimetière et son contenu a été dispersé dans le terrassement (Tournier 1877).

• À Laye, autrefois hameau de la Laye, B. Tournier (1877), signale sur un mamelon la présence de trois blocs qui pourraient avoir appartenu à un dolmen.

• À Châteauroux, à 300 mètres de la gare, aurait existé un dolmen dont les éléments ont servi à la construction du pont de chemin de fer. G. de Mortillet (1894) n’a pu constater la présence que d’une seule dalle de 2,04 m de haut et d’une largeur de 1,36 à 1,47 m et les débris de pierres taillées par l’entrepreneur. D’après lui, cette dalle a été épargnée du fait de sa minceur qui la rendait impropre à servir de matériau de construction.

• Près de la chapelle de Saint-Pancrace à la Bâtie-Neuve a été mise au jour en 1938, lors de l’exploitation d’une carrière de pierres, une grande dalle recouvrant une sépulture collective. Cette découverte a été relatée dans l’Illustration du 12 novembre 1938 par R.- L. Lachat (1938). Dénommé dolmen en 1938, ce monument a été à nouveau étudié par J.- Cl. Courtois en 1956 qui n’a pas distingué de dalles de support autorisant cette appellation, la dalle de couverture reposant directement sur la masse de pierres du tumulus (Courtois 1957). La couverture de grès se situe au centre d’un tumulus de pierres, circulaire, d’un diamètre moyen de 24 m. Elle mesure 3,20 m de long sur 3 m de large et 0,30 à 0,50 m d’épaisseur. Largement exploité par les carriers, le tumulus a été établi sur un terrain en pente. Sa hauteur maximum actuelle est de 2,50 m au sud-sud-ouest. Lors des fouilles de 1938, avec le reste du mobilier, a été mise au jour une grosse perle ronde en ambre qui s’est effritée dès sa découverte.

6Le mobilier déposé au Musée de Gap comprend des éléments de parure et des armatures de flèches (Sauzade 1991 : 96-97). La parure comporte deux boutons en os, dont un fragment, dits en forme de tortue et à perforation en « V », une perle en bobine en os, une grosse perle biconique en test, des fragments de plusieurs perles en ambre, des pendeloques longues, courbes ou droites en os et en défense de sanglier, une canine de renard percée, des perles discoïdales en roche – en stéatite, en calcaire et en variscite –, une perle en dentale, une pendeloque à ailettes en calcaire, trois perles en cuivre coulée, une à renflement médian, une en tonnelet une discoïdale et une perle en tôle de cuivre repliée. Les armatures sont au nombre de cinq. Elles sont de forme foliacée symétrique ou asymétrique, à retouches couvrantes sur les deux faces. L’une d’entre elles, par sa forme ellipso-triangulaire se rattache au mode court du type de flèches de Sigottier. À l’exception de quelques éléments de parure, notamment la pendeloque à ailettes en calcaire, attribuables au Néolithique final 1, l’ensemble de ce mobilier se rapporte au Néolithique final 2 et 3 (Sauzade et al. 2018).

• La sépulture de Ventavon était située à quelques kilomètres au nord-ouest du village près de la ferme les Condamines et établie au sommet d’un monticule d’une vingtaine de mètres de hauteur et d’une cinquantaine de mètres de diamètre. L. Vésignié a pu acquérir le mobilier auprès du berger qui a effectué les fouilles en 1913 après avoir découvert en surface deux fragments de maxillaire supérieur humain. Ce dernier a évoqué les restes d’un dolmen ou d’un coffre détruit à une époque inconnue du fait de la présence d’un bloc de pierre en « forme de marche d’escalier ». Un superbe mobilier lithique est issu de cette sépulture. Il comporte 24 pièces en silex composées d’armes : poignards et armatures de flèches. Les armatures, de très belle facture, sont toutes de type foliacé symétrique ou asymétrique à retouches couvrantes bifaciales. Quelques-unes sont de type Sigottier. C’est dans cet article que L. Vésignié a défini le type de même nom : « formé d’une demi ellipse constituant la base et ayant un peu moins de la moitié de la longueur totale et d’une longue pointe triangulaire à côtés très légèrement concaves finissant en ogive très aiguë » (Vésignié 1935). Selon l’auteur, quelques grandes pièces seraient en silex du Grand Pressigny et porteraient des traces d’usure (lustré ?).

1.2. Des blocs erratiques aux constructions mégalithiques

7Parmi les blocs erratiques détachés des massifs et charriés par les glaciers würmiens, certains, comme ceux de la région de Gap, ont pu être utilisés dans la construction de tombes mégalithiques. Ces blocs de marbre noduleux rouge, tels ceux de Tallard ou de calcaire noir lité du Jurassique supérieur comme ceux du Villard (dalle de couverture) et de Saint-Pancrace, sont isolés. Cette situation insolite tranche sur un modelé du paysage de type alpage. L’opportunité qu’offrait la présence de ces blocs a très tôt attiré l’attention des populations préhistoriques qui les ont utilisés soit comme abri à différentes périodes soit comme matériau de construction de monument mégalithique au Néolithique final. Le signalement de ces monuments s’est effectué très tôt au moment où l’intérêt pour le mégalithisme est devenu de grande ampleur au milieu du xix^e siècle. Malheureusement, ces blocs, très visibles dans le paysage, offraient l’opportunité d’être exploité comme carrière qui n’a pas épargné les constructions mégalithiques elles-mêmes. Le signalement de ces tombes s’est donc confondu, le plus souvent, avec l’annonce de leur disparition, comme cela a été le cas, aux Roranches, à Châteauroux, à Tallard, à Notre-Dame-du Bois-Vert ou de leur dégradation comme à Saint-Pancrace.

8Parallèlement, l’inconvénient de cet engouement pour la « chose mégalithique » a engendré une surenchère dans l’information et le signalement abusifs de présence de dolmen. Il en est ainsi de l’évocation d’un deuxième dolmen à Tallard accolé au premier, de même qu’au Villard pour le bloc erratique situé en amont. Il est donc très probable qu’à Laye, le signalement de ce qui aurait été un dolmen, proche de celui de Notre-Dame-du-Bois-Vert, n’ait été qu’une fausse information. De plus, faute de description suffisante et en l’absence de mobilier, il n’est pas possible non plus de se prononcer sur la fiabilité des informations concernant Camargue, Notre-Dame-du-Bois-Vert et Châteauroux dont la classification au titre de dolmen ne peut être vérifiée.

9Enfin, l’appellation de bloc erratique d’origine glaciaire est associée le plus souvent dans ce secteur de Gap à une situation d’isolement. Une question se pose donc concernant les monuments mégalithiques dont la construction, à l’aide de ce matériau, a nécessité parfois la réunion de blocs de plusieurs tonnes. La tombe de Saint-Pancrace qui ne comprend qu’un élément mégalithique (la dalle de couverture) fait toutefois exception. Cette sépulture, située actuellement au milieu d’une prairie, a pu vraisemblablement être aménagée en exploitant l’opportunité d’un bloc erratique trouvé sur place. Il n’en va pas de même des dolmens de Tallard et du Villard dont les éléments, bien qu’appartenant à la même formation géologique, marbre pour Tallard, calcaire noir lité pour le Villard, ne proviennent vraisemblablement pas d’un seul bloc débité sur place en autant de pièces nécessaires. Il a donc fallu que les bâtisseurs aillent à la recherche de leurs divers éléments constitutifs et les transportent sur le lieu de construction. Dans le cas du Villard, il est vraisemblable que la dalle de couverture provienne d’un bloc erratique trouvé sur place. En ce qui concerne les orthostates, la rugosité de leur surface privilégie une extraction à partir d’un massif calcaire proche plutôt qu’un débitage de bloc isolé (cf. supra).

1.3. Les sépultures en grotte

10Les grottes sépulcrales connues des Hautes-Alpes, moins d’une dizaine au total, anciennement fouillées, ne peuvent fournir que peu d’informations sur les pratiques funéraires, tant les observations sur les gestes funéraires sont succinctes. Quelques enseignements découlent cependant de l’examen du mobilier.

1.3.1. La grotte du Trou d’Argen à Sisteron

11Le Trou d’Argent, de 70 m de long environ, s’ouvre près du sommet de la montagne de la Baume sur la rive gauche de la Durance. Il comporte plusieurs salles et couloirs tortueux et deux accès. H. Nicolas, l’a exploré et y a effectué des fouilles en 1877 (Nicolas 1884) puis G. Tardieu (Tardieu 1878). Il a été utilisé principalement comme habitat au Néolithique final au regard du nombre de fragments de poteries qui y ont été mis au jour associés à quelques poinçons sur os, à des armatures de flèches et à une ou deux lames de hache polie. Une extrémité distale d’humérus portant des traces d’incisions provient d’une des salles et des fragments de crâne d’une autre. Ces fragments proviennent vraisemblablement de sépultures démantelées.

1.3.2. La grotte du Rocher de la Farinete à Orpierre

12Cette grotte s’ouvre dans un des massifs qui bordent au nord la vallée du Céans et a été fouillée par P. Plat (1908). Elle a servi d’habitat à diverses époques (âge du Bronze et époque romaine) et de lieu sépulcral au Néolithique final fortement remanié par les occupations postérieures. Parmi le mobilier se rattachant vraisemblablement aux sépultures, figure une cinquantaine de perles discoïdales en stéatite, en test et en calcaire, deux perles en dentale, deux armatures de flèches foliacées et peut-être deux poinçons en os. En l’absence d’étude des restes anthropologiques, il est difficile de se prononcer sur le nombre d’individus qui ont pu être inhumés dans cette grotte.

1.3.3. La sépulture de Roudigou à Orpierre

13Située à 3 km au nord-ouest du village, cette sépulture a été aménagée entre deux rochers sous un bloc transporté par les glaciers (Plat 1917). Elle était bordée par de petites dalles plates posées de champ. Aux restes incomplets d’un seul individu, dépourvus de connexions anatomiques et mêlés à des os d’animaux, étaient associés un gros fragment de conque marine (Triton nodifer ?), trois armatures de flèches en silex noir de forme foliacée et une dent percée de carnassier (d’un chat sauvage d’après l’auteur). Certaines dents humaines, très usées, au nombre de 28, présentent des caries. D’après la description des armatures de flèches, cette sépulture individuelle se rapporte au Néolithique final.

1.3.4. La grotte de Roche Rousse à Sain‑Cyrice, canon d’Orpierre

14Utilisée comme habitat à diverses époques, cette cavité renfermait les restes d’au moins 3 individus auxquels étaient associés une lame, trois armatures de flèches foliacées bifaces à retouches couvrantes, quatre perles en stéatite et de nombreux tessons de poterie (Plat & Muller 1912).

1.3.5. La grotte de Saint‑Ouric à Éourres

15La grotte Saint-Ouric est située près du col de la montagne de Chante Duc à proximité de la chapelle en ruine du même nom. La couche de surface de 0,40 m d’épaisseur composée d’humus, de cendre et de fumier de mouton, contenait des fragments de céramiques grises tournées du cinquième siècle après J.-C. et des restes de faune (lièvres, ovis capra, oiseaux et ours - phalanges -). Cette couche était séparée de la couche sépulcrale par une couverture de grosses pierres recouvrant les ossements de 10 à 12 individus. Ils étaient accompagnés de 23 armatures de flèches, 120 perles discoïdales en test, en calcaire, en stéatite, en variscite et en dentale (Plat 1929). L’examen de la photographie incluse dans l’article montre que parmi les flèches représentées sont présentes cinq armatures foliacées bifaces asymétriques à retouches couvrantes de très belle facture, une armature losangique, une armature foliacée symétrique, trois armatures foliacées à court pédoncule, une armature ellipso-triangulaire de type de Sigottier, une lame en silex, une pendeloque en forme de griffe, une pendeloque à ailettes en calcaire et une lame en silex. Ce type de mobilier et le nombre d’individus décomptés témoignent de la nature collective de cette sépulture et son appartenance au Néolithique final 1.

1.3.6. Les grottes du Vivier de Grapelet et de l’Escalier à Sigotier

16Les onze grottes recensées sur la commune de Sigottier et explorées en 1890 par D. Martin, puis par L. Vésignié (1904, 1905) ont été fréquentées à diverses périodes. Parmi ces grottes, celles de Grapelet, de l’Escalier et du Vivier ont abrité des sépultures collectives. Elles sont à ouverture basse et d’accès difficile et les morts étaient déposés sur le sol. Les ossements humains de la grotte du Vivier étaient calcinés, de teinte noire ou bleue. Ces trois grottes ont livré les plus importantes séries d’armatures de flèches de Provence. M. C. Dreyfus (1958) en a effectué un inventaire précis des collections de L. Vésignié à l’Institut de Palethnologie des Hautes-Études et du D. Martin au Musée-Muséum de Gap. Elles sont de différents types dont celui éponyme de Sigottier. La seule grotte de Grapelet renfermait plus d’une centaine d’armatures et une quinzaine de fragments, plusieurs grandes lames, des éléments de parure, une aiguille en os et quatre fragments de poinçons en os. Le type d’armatures de flèches et la parure démontrent leur appartenance au Néolithique final.

2. Nouvelles recherches sur les contextes funéraires à partir de 1983

2.1. La sépulture collective de Combauche, locus 2, commune de Montmorin, Hautes‑Alpes

17Situé au pied d’une paroi rocheuse, à soixante mètres de distance de la zone d’habitat (locus 1) et la dominant de 17 m, le locus 2, sépulcral, a été fouillé par A. Muret de 1983 à 1985 (Muret 2005). Ce « complexe sépulcral », selon les termes de l’auteur, entièrement recouvert par un éboulis qui l’a en partie tronqué en aval, comprenait plusieurs ensembles désignés sous l’appellation de « poches d’inhumations collectives » au nombre de onze, d’un « aménagement mégalithique » composé de sept blocs de calcaire, qui se serait effondré, et d’un « puits sépulcral aménagé » scellé par une dalle disposée horizontalement. Les restes humains, en petit nombre, du puits n’étaient accompagnés d’aucun mobilier. Il a été distingué à la fouille « un ensemble inférieur qui serait lié au fonctionnement et à l’écroulement du monument » (mégalithique) auquel étaient associés uniquement des éléments de parure et « un ensemble supérieur défini par l’agencement des poches d’inhumations » auxquelles était associée une industrie lithique, composée essentiellement d’armatures de flèches. Dans ces structures funéraires établies sur une épaisse couche de cendres de 0,45 m d’épaisseur en moyenne, les restes osseux ne comportaient pas de connexions anatomiques ni de traces de crémation. Le décompte des humérus droits donne un nombre minimum de 59 d’individus. Le mobilier lithique comprend essentiellement des armatures de flèches foliacées bifaces, au nombre de 26, de type losangique, symétrique ou asymétrique et de type Sigottier. La parure, 1 163 éléments au total, comporte des perles discoïdales en stéatite, en calcaire, en dentale et en triviae europaea perforées, des perles tubulaires et annelées en os, une perle en plaquette de plomb enroulée et des pendeloques à ailettes en calcaire et en griffe en os. Deux datations radiocarbone concernent le locus 2 :

• Ly-3623 : 4100 ± 160 BP soit 3035 – 2315 ans av. J.-C.

• Ly-3624 : 3950 ± 130 BP soit 2775 – 2160 ans av. J.-C.

18Du fait de leur écart type très important (± 160 et 130) ces dates sont peu informatives de la position chronologique de cette sépulture collective au sein du Néolithique final. À l’inverse, certains types d’éléments de parure comme les pendeloques à ailettes en calcaire et en griffe, exclusivement associés à « l’aménagement mégalithique » inclinent à penser qu’une partie des dépôts funéraires du locus 2 au moins se rapporte au Néolithique final 1. L’autre partie des dépôts funéraires, sus-jacents aux précédents, constitués par de « poches d’inhumations » auxquelles étaient associées les armatures de flèches, pourrait s’insérer dans le Néolithique final 2.

19Le type d’armature de flèche dit de « Sigottier » présent très majoritairement dans cette partie des Alpes n’est pas chronologiquement encore bien cadré. Sa présence dans l’ensemble funéraire supérieur du locus 2, c’est-à-dire sus-jacent au niveau de base où sont localisées les pendeloques à ailettes, peut contribuer à préciser sa place au sein du Néolithique final. Ces cas rares de « poches d’inhumations » pourraient être rapprochés des fosses ou « tombelles », 32 au total, de a Baume des Maures à La Garde-Freinet dans le Var renfermant les ossements brûlés de plusieurs individus (Hameau 2006, Bizot et al. 2015 : 32).

2.2. La grotte des Aiguilles (locus 3), commune de Montmorin, Hautes‑Alpes

20C’est un long et étroit boyau quasi horizontal, accessible sur 24 m qui s’ouvre à mi-hauteur d’un piton rocheux de 25 m de haut. A. Muret a assuré la direction des fouilles de 1984 à 1987 (Muret 2005). L’entrée de la cavité était fermée par un muret en pierre sèche qui, vraisemblablement à l’origine, devait l’obturer entièrement et qui se superposait à un dallage de plaquettes de calcaire. Les niveaux 5 et 7, sur un total de 9, séparés par une couche de blocs (niveau 6) correspondaient respectivement aux couches sépulcrales du Bronze ancien et du Néolithique final près de l’entrée. Les occupations Bronze ancien ont perturbé le niveau sépulcral du Néolithique final. Le niveau 7 comporte des ossements dispersés et fragmentés, des regroupements d’os longs disposés dans l’axe de la cavité et les os longs d’un membre inférieur replié. À la base de ce niveau se trouvait une rondelle de trépanation. En profondeur, la grotte ne présente que des dépôts sépulcraux du Néolithique final et une stratification simplifiée. Le décompte des humérus gauche donne un nombre de 22 individus minimum. Le mobilier se rapportant à la réutilisation de la grotte au Bronze ancien comporte deux épingles à tête enroulée et un anneau spiralé en bronze, une perle en ambre et des tessons dont deux fragments de vase à fond plat. Le mobilier attribuable au Néolithique final comprend essentiellement des armatures de flèches et des éléments de parure. Les armatures de flèches sont remarquables à plusieurs titres du fait de leur nombre élevé (48), de leur facture exceptionnelle (régularité, finesse et grande taille) et de leur diversité (armatures foliacées symétriques, asymétriques, losangiques, pédonculées, pistilliformes et de type « Sigottier »). Certaines présentent des bords finement dentelés. Un poignard à soie allongée en silex zoné et à face plane de 19,3 cm est également présent. La parure comporte plus d’une soixantaine de perles et pendeloques parmi lesquelles de remarquables et originales pendeloques en défenses de sanglier refendues mais aussi des perles à coches en os, des perles bitronconiques facettées en serpentinite-chlorite, deux pendeloques en griffe d’aigle perforée, des perles en ambre, en cuivre coulé, en calcaire, en dentale et une ammonite perforée.

21Les armatures de flèches de type « Sigottier » amènent à penser qu’une partie au moins des dépôts funéraires de la grotte des Aiguilles se rapporte à la phase 2 du Néolithique final. D’autres éléments, notamment la perle en cuivre coulée mais peut-être aussi les pendeloques courbes en défense de sanglier refendues, pourraient rattacher d’autres dépôts funéraires à la phase 3 du Néolithique final.

22Deux datations radiocarbone concernent le locus 3 :

• Ly-3621 : 3950 ±120 BP soit 2775 – 2160 ans av. J.-C.

• Ly-3622 : 3810 ±140 BP soit 2650 -1895 ans av. J.-C.

23Ces dates ¹⁴C, à important écart type, ne peuvent apporter de précisions sur la chronologie de ces dépôts. Elles ne vont cependant pas à l’encontre de la sériation chronologique avancée ci-dessus.

24Une fouille dirigée par J. Vial, dans une des structures en silo du Néolithique moyen a mis au jour une inhumation d’enfant en position contractée (Vial 2011). Bien que non accompagnée de mobilier cette sépulture se rattache vraisemblablement au Néolithique moyen.

2.4. La grotte du Trou du Renard, commune de Ribiers

25Cette grotte s’ouvre au nord au pied d’un thalweg. Signalée en 2001 elle a fait l’objet de 3 interventions en 2005, 2006 et 2009 dirigées d’abord par A. Morin puis par J.-J. Millet (2009). Seul le fond de la grotte constitué de deux niches A et B, l’une sous-jacente à l’autre, et d’un couloir d’accès, renferme des restes humains qui correspondent à une vingtaine d’individus. Des ossements de faune se trouvaient mêlés aux os humains qui sont parfois brûlés. Le mobilier ne comprend que quelques tessons et dix armatures de flèches dont la morphologie s’apparente au type de « Sigottier » rattachant donc cette sépulture collective au Néolithique final et, pour une partie des dépôts probablement, au Néolithique final 2. Les assemblages osseux de la première niche et du couloir, très différents, attesteraient plusieurs modalités de pratiques funéraires : crémation et inhumation.

Conclusion

26Ce court bilan met en lumière le déficit des recherches sur les contextes funéraires dans cette partie des alpes. Les informations sur la présence de dolmens dans cette région ne sont pas toutes fiables. Il n’en demeure pas moins, toutefois, qu’un petit groupe isolé de tombes mégalithiques y a bien été établi. Les informations sur le dolmen de Tallard, quoique sommaires, sont confortées par celles acquises au Villard et permettent d’avancer la présence d’une architecture alpine originale qui s’éloigne des deux autres types de constructions mégalithiques provençales.

27Le mobilier du tumulus de Saint-Pancrace à La Bâtie-Neuve, Hautes-Alpes, induit au moins deux périodes d’utilisation de la tombe. La première se rapporte au Néolithique final 1 comme le laisse penser la pendeloque à ailettes et la perle en tôle de cuivre repliée, type de parure qui se retrouve à la base des sépultures collectives provençales. La deuxième se rattache au Néolithique final 3 comme l’atteste la présence de perles en cuivre coulé, en bobine et en « tortue » en os, mobilier contemporain ou spécifique de la culture campaniforme. Le mobilier du Néolithique final 1 de Saint-Pancrace témoignerait, par ailleurs, que dès le début de cette période des sépultures mégalithiques étaient présentes dans cette partie des Alpes. La morphologie des armatures de flèches issues des sites sépulcraux des Hautes-Alpes, grottes de Sigottier, de Montmorin ou tumulus de Ventavon comptent parmi les assemblages lithiques les plus aboutis du Néolithique final Provençal. En effet, le haut niveau technologique de ces armes, aux formes élancées et sinueuses, et le façonnage bifacial soigné de leur surface à retouches couvrantes, sont en tous points remarquables. Les exemplaires les plus achevés sur le plan esthétique, absents des établissements domestiques et en grand nombre parfois dans les sites sépulcraux, évoquent davantage un objet de prestige symbole de pouvoir qu’une fonction économique ou matérielle comme cela a déjà été souligné à propos des pointes de flèches armoricaines (Nicolas 2011) et celles de Montmorin « trop belles, et surtout trop grandes et trop lourdes pour avoir servi » (Muret 2006 : 62). Malheureusement, aucune observation, dans cette région, sur leur agencement particulier dans l’espace ou sur le type d’association avec les restes de défunts n’a pu, jusqu’à présent, corroborer cette hypothèse. Il ne paraît pas utile, toutefois, de revenir sur la charge symbolique (souvent avancée) de certaines catégories d’objets et sur l’emplacement spécifique qu’elles occupent dans les sépultures (Sohn 2006, 2008, Sauzade 1983, 2012). Au type d’armature de flèche dit de « Sigottier », dont l’extension géographique se limite principalement aux Alpes méridionales s’adjoint un caractère culturel indéniable mais son attribution, toutefois, au Néolithique final 2 et non à un premier Néolithique final reste à confirmer par de nouvelles datations.

28Enfin, le peu d’enseignements émanant, principalement, de la documentation ancienne sur les pratiques funéraires et l’architecture des monuments mégalithiques de cette région font ressortir davantage l’importance des résultats issus des recherches effectuées au dolmen du Villard.