1Le bouquetin tant dans son espèce alpine que pyrénéenne – désormais ibérique – est vraiment passé très près de l’extinction, au début du xix^e siècle pour les Alpes et au début du xx^e siècle pour les Pyrénées, victime principalement d’une chasse excessive à compter des xv^e et xvi^e siècles. Certains esprits éclairés s’en émurent. Les pionniers furent certainement, pour les Alpes, les archevêques autrichiens de la province de Salzbourg au xvi^e siècle avec des tentatives (peu concluantes) de repeuplement, prolongées par les décisions de protection réglementaires comme dès 1821 dans le Massif du Grand Paradis. Côté Pyrénées, le sursaut vint du Roi d’Espagne, Alphonse XIII qui aménagea une réserve dédiée à Gredos près de Madrid, dès 1905.

2Concernant plus spécifiquement le bouquetin de type Pyrénéen, la sauvegarde de l’espèce opérée dans la sierra de Gredos a permis de faire croître et embellir l’effectif de bouquetins, couplée réglementairement avec l’arrêt de sa chasse sur tout le territoire espagnol à compter de 1953. La multiplication des bouquetins a permis sa réintroduction avec succès dans plusieurs parcs nationaux et réserves nationales de chasse espagnole. De là sont nées une expérience et une compétence indéniables des techniciens espagnols dans la gestion de ces populations. Tout naturellement, leurs homologues français et les autorités se sont tournés vers eux, en vue d’une réintroduction en France (fig. 1).

1. Groupe de bouquetins réintroduits à USTOU (Ariège)

Réintroduire le bouquetin dans son biotope

3Ce fut le début d’un très long parcours, semé d’embûches et de tracas de toutes sortes, qui est développé ci-après. Avant d’aborder l’aspect factuel de cette réintroduction, il convient de rappeler que cette opération a nécessité un plan de financement qui a mis quelque temps à se concrétiser.

Un financement important et nécessaire

4L’Europe (Feder), le Parc naturel régional des Pyrénées Ariègeoises (PNRPA), Électricité de France (mécénat), la Région Midi-Pyrénées – désormais Occitanie –, l’État français, le Conseil Départemental de l’Ariège et le Comité du Massif des Pyrénées ont contribué à obtenir plus de 700 000 euros, nécessaires à la bonne conduite et au suivi de cette opération.

5À ces participations financières s’ajoutent l’apport de l’expertise des techniciens du PNRPA et celles de la Fédération des Chasseurs de l’Ariège (FDC 09), du Laboratoire Vétérinaire Départemental de l’Ariège (LVD 09), de l’ONCFS et de l’INRA-CEFS de Toulouse. Le programme a également pu compter sur l’implication forte des associations de chasse et des élus des Communes concernées par ce projet.

6La réintroduction du bouquetin implique donc une gestion beaucoup plus complexe que les simples opérations des lâchers à effectuer : en effet, cela nécessite un suivi complexe et permanent de la dynamique de la population (fig. 2).

2. Lâcher et reproduction, ingrédients indispensables à la réussite de la réintroduction

Les options stratégiques de reconstitution de populations

7La première des options stratégiques, la plus évidente est l’essaimage naturel par diffusion de proximité. C’est elle qui fut mise en pratique dans les Alpes à partir de la population relique du Grand Paradis en complément des populations issues de l’essaimage naturel (comme dans le parc de la Vanoise où les bouquetins sont issus des populations naturelles).

8La seconde est la réintroduction dans des zones présumées favorables à la sédentarisation et à la multiplication des sujets lâchés. Pour les Pyrénées (eu égard au trop faible effectif relique de la forme pyrenaica qui a végété jusqu’en 2000 dans le Parc National d’Ordesa-Mont Perdu), ce fut la seule stratégie de réintroduction possible.

9Dans les deux cas, il faut faire face à une évidence majeure : le bouquetin est lent à coloniser de nouveaux territoires et à ce titre, est considéré comme une espèce « fragile » dont la survie peut s’avérer délicate.

Les préalables à toute réintroduction

10Trop de réintroductions (en particulier dans les Alpes) se sont soldées par le passé par des échecs, du fait de la méconnaissance de l’éthologie du bouquetin, de ses exigences alimentaires et plus largement des capacités du biotope à assurer sa pérennité. Quelques critères paraissent incontournables pour le biotope : malgré son aptitude à vivre dans les altitudes peu élevées, les massifs montagneux à faciès rocheux plutôt accusés (falaises) paraissent plus favorables surtout s’ils sont exposés principalement au Sud, avec une forte disponibilité en zones d’hivernage à enneigement modéré (fig. 3).

3. Jeune bouquetin mâle dans son biotope (Ustou, Ariège)

La genèse

11Si cela peut aujourd’hui surprendre, la réintroduction du bouquetin pyrénéen n’apparaissait pas être une évidence : preuve en est la disparition quasi-totale du bouquetin de la mémoire collective des habitants, chasseurs et éleveurs pyrénéens à la fin du xx^e siècle. L’isard, espèce emblématique et fleuron de la chaîne pyrénéenne, l’avait largement supplanté même chez les Pyrénéens.

12Pourtant çà et là, des voix s’élevèrent à compter des années 1980 en émettant des projets de réintroduction. Deux personnages incontournables méritent tout notre respect pour leur vision et leur ténacité : à l’Ouest, en Hautes-Pyrénées, Jean-Paul Crampe, garde du Parc national des Pyrénées et plus à l’Est, l’Ariègeois Michel Sebastien, géographe et pyrénéiste chevronné. Tous deux dépensèrent une énergie considérable à informer, à convaincre de l’utilité de cette réintroduction et à persuader de sa faisabilité. Ce n’est réellement qu’à compter de 2009 que le processus s’accéléra par l’action synchrone des deux parcs, le Parc national des Pyrénées (PNP) et le tout récent Parc naturel régional des Pyrénées Ariègeoises (PNRPA), créé cette année-là. Cependant de nombreux obstacles restaient à franchir…

Un obstacle majeur d’emblée : obtenir des bouquetins espagnols

13Il faut rendre un hommage appuyé à l’Espagne qui sut dès 1905, d’abord « sécuriser » le bouquetin, en le protégeant puis en assurant sa multiplication en divers points de son territoire (réserves et Parcs nationaux) suite au superbe développement initial de la population à la Réserve Nationale de la Sierra de Gredos près de Madrid.

14Sans entrer dans le détail, près de 40 000 bouquetins vivent actuellement dans plusieurs massifs d’Espagne dont les trois principaux sont : Gredos et les réserves voisines au centre du pays, Tortosa à l’Est et la Sierra Nevada au Sud. Compte tenu de leur abondance et de la forte demande cynégétique, espagnole et étrangère, les réserves nationales et privées autorisent des prélèvements, souvent à des prix parfois très élevés pour les meilleurs trophées des mâles. Il existe donc en Espagne, outre un attrait touristique, un enjeu économique réel autour du bouquetin.

15Il est à préciser qu’une des conditions préalables majeures fixées par les autorités espagnoles pour vendre des bouquetins de type ibérique à la France a été de faire classer cette espèce comme protégée avant de la réintroduire dans les Pyrénées. Ainsi, était clairement formulé le souhait de non-concurrence de la chasse française vis-à-vis de la chasse espagnole, soucieuse de conserver la valorisation économique de cette activité (trophées collectés).

16De fait, malgré de réelles relations « amies », l’Espagne resta longtemps inflexible aux sollicitations des divers représentants des institutions françaises. Mais, à partir de 2009, les contacts se multiplièrent et de nombreux déplacements d’élus et de techniciens français concernés eurent lieu auprès des responsables espagnols. En 2014, après des négociations assez longues, la signature finale d’un traité intergouvernemental entre les ministres français, andorrans et espagnols valida l’exportation de bouquetins vers la France.

Un plan officiel de restauration du bouquetin dans les Pyrénées françaises et espagnoles

17Cette restauration est clairement annoncée par l’État français comme initialement centrée sur deux territoires du versant nord des Pyrénées : le Parc national des Pyrénées (PNP) à l’Ouest et le Parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises (PNRPA) à l’Est.

18Le projet global vise, à terme, la restauration effective du bouquetin sur l’ensemble du massif pyrénéen, en accord conjoint de la France, de l’Espagne et de l’Andorre. Cette réintroduction s’inscrit « dans la stratégie pyrénéenne de valorisation de la biodiversité prévoyant la reconstitution des populations d’espèces emblématiques disparues du Massif pyrénéen ». Ainsi a pu débuter à compter de juillet 2014, le lâcher de bouquetins espagnols, de la sous-espèce Capra pyrenaica victoriae capturés dans le Parc national de Guadarrama (à l’Ouest de Madrid).

La réintroduction du bouquetin en Ariège

19La gestion ariégeoise de la réintroduction est intéressante à évoquer plus précisément car elle a été en tout point exemplaire.

20Cette réintroduction fut pilotée par le Parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises (PNRPA, basé à Montels dans le Séronais, centre géographique du département de l’Ariège) en partenariat étroit avec la Fédération des Chasseurs de l’Ariège (FDC 09) (fig. 4).

4. Le 1^er lâcher de bouquetins dans le département de l’Ariège à Ustou

La préparation

21Minutieusement menée par le PNR, elle se déroula en trois phases principales hors l’indispensable bouclage du financement. La première consista à recueillir les avis des divers acteurs et occupants de l’écosystème concerné (agriculteurs, éleveurs transhumants, gestionnaires techniques et sanitaires de la faune sauvage et domestique, chasseurs, naturalistes, élus locaux…) qui globalement accordèrent un avis très favorable à la réintroduction.

22Il fut ensuite décidé du mode de suivi et de gestion de la population de bouquetins : un consensus général assez large fut obtenu autour de la nécessité de conserver l’espèce dans son comportement naturel – sauvage au sein d’un écosystème équilibré – en cohabitation harmonieuse avec les autres espèces domestiques ou non. En effet, dans le PNRPA, le bouquetin est réintroduit dans une zone où l’on chasse en battue le sanglier et l’isard de façon ciblée et il a été possible de compter sur l’engagement de la FDC 09 à respecter les consignes de protection du bouquetin (qui par ailleurs est réglementairement une espèce protégée et donc non chassable). La FDC 09 a toutefois fermement dénoncé toute stratégie future d’accumulation de bouquetins aboutissant à des situations de surpopulation à l’image de la Haute-Savoie, confrontée à de très graves effets sanitaires collatéraux délétères (épizootie de brucellose et autres).

23Enfin, il fallut s’entendre sur la localisation des sites potentiels de lâchers. Ceux-ci devaient offrir le maximum de garanties à la sédentarisation du bouquetin dans la zone de lâchers, mais le maillage étroit des conditions écologiques et humaines du territoire rendit ce choix « cornélien ». Les sites d’Ustou et d’Aulus-les-Bains, proches géographiquement furent finalement retenus pour leurs possibles connexions et pour la présence d’un réseau exceptionnel de crêtes permettant une diffusion périphérique de l’espèce. Cela fut particulièrement le cas du site d’Aulus autorisant potentiellement une colonisation plus rapide de la partie est de cet ensemble (Massif de Bassiès).

Les lâchers

24Le 1^er lâcher en Ariège – émouvant et historique ! – fut réalisé au site de Cagateille, à Ustou le 30 juillet 2014 avec 11 bouquetins (5 mâles et 6 étagnes). Il s’ensuivit jusqu’en 2017, 5 autres lâchers sur le même site et 3 autres près d’Aulus-les-Bains au site de Coumebière et du Col d’Agnès.

25Au 1^er septembre 2017, 90 bouquetins avaient été lâchés se répartissant en 37 mâles et 53 femelles, d’âge moyen (compris entre 3 et 8 ans).

26En parallèle, des lâchers ont eu lieu au PNP, le premier en juillet 2014 au Plateau du Clot à Cauterets, suivi comme en Ariège, d’autres lâchers à Cauterets et Gèdre qui ont abouti (avant l’année 2017) à l’introduction de 84 bouquetins.

L’importance du suivi de la population

27Après ces lâchers en Ariège, l’observation et le suivi des bouquetins sont réalisés, conjointement par deux techniciens dont la synergie et l’efficacité dans le travail méritent les éloges, MM. Jordi Estèbe (PNRPA) et Julien Canet (FDC 09).

28Ce suivi a d’abord permis d’apprécier la survie immédiate et la dispersion des bouquetins après chaque lâcher, puis d’identifier les divers lieux qu’ils fréquentent tout au long de l’année.

29À cet effet, les bouquetins ont été en quasi-totalité (68 sur 90) équipés d’un collier spécifique, s’ajoutant au marquage auriculaire de couleur permettant une identification individuelle. Chaque collier est pourvu d’un dispositif GPS qui donne la position de chaque animal toutes les 6 heures : ce dernier fonctionne avec une batterie dont la durée de vie est d’environ 1 an et demi pour les colliers des étagnes (fig. 5 à 7) et de 3 ans pour ceux des boucs (grâce à une batterie plus lourde). Les colliers sont aussi dotés d’une fréquence radio individuelle (VHF) permettant de compléter la localisation sur le terrain.

5. Couple de bouquetins en période hivernale (Ustou, Ariège)

6. Bouc d’âge et son « harem » en période hivernale

7. Illustration de l’ouverture d’un collier muni d’un GPS (système « drop off ») sur une étagne (Ustou, Ariège)

30Enfin, ils sont équipés d’un dispositif d’ouverture à distance, déclenché (appelé « drop-off ») en cas de fin d’émission du signal (généralement par épuisement de la batterie) ou pour toute autre raison nécessitant le retrait du collier (blessure, accrochage…) : celui-ci peut alors être récupéré puis, réutilisé pour équiper un nouvel animal d’un lâcher suivant. Ainsi au 1^er septembre 2017, 25 bouquetins ariégeois étaient encore pourvus d’un collier équipé d’un GPS (fig. 8).

8. Superbe bouc d’âge muni de tous ses dispositifs de marquage et de son collier

31Aux informations transmises par GPS s’ajoutent bien sûr les observations de terrain des techniciens affectés au suivi, assuré tout au long de l’année : de fréquentes difficultés limitent en montagne le nombre de journées d’observation, principalement d’ordre météorologique (pluie, brume, neige en épaisseur excessive…) ou d’accessibilité (zones trop pentues ou d’approche difficile). Parallèlement, l’équipe du PNR n’a pas hésité à solliciter le concours des montagnards (naturalistes, chasseurs, pêcheurs, simples randonneurs…) pour lui signaler la présence de bouquetins à tel ou tel endroit et communiquer leur observation sur un site internet collaboratif (http://www.bouquetin-pyrenees.fr). Ce système fonctionne plutôt bien et apporte des informations utiles malgré les difficultés éprouvées parfois par les participants pour identifier formellement un bouquetin lors d’observations trop lointaines (confusion possible avec l’isard).

32Globalement, l’ensemble du suivi est performant au PNRPA, même si l’équipe est d’effectif plus faible que celle du PNP qui assure en parallèle d’autres missions et permet un maillage territorial supérieur.

La sédentarisation des bouquetins en Ariège

33Après les lâchers règne toujours une certaine incertitude, voire une inquiétude sur le devenir immédiat des bouquetins. Deux composantes majeures sont relevées : la mortalité possible peu après le lâcher et la dispersion excessive par comportement exploratoire.

34Dans le cas de l’Ariège, seules 3 mortalités rapides (sur 90 sujets lâchés) sont à déplorer. La cause en est principalement organique et métabolique : état congestif généralisé et défaillance rénale suite à des stress thermiques importants et défaut d’abreuvement, défaillance cardiaque par myopathie de stress. Cette faible mortalité témoigne de la qualité et de la sécurité de l’acheminement des bouquetins (délais de transports, conditionnements) depuis leur lieu de capture.

35Autre phénomène : la dispersion géographique qui est une constante chez cette espèce et correspond à des comportements exploratoires, a parfois conduit au franchissement de plusieurs crêtes et vallées.

L’exploration du territoire

36Ces dispersions sont souvent temporaires et la plupart des bouquetins reviennent à proximité des sites de lâcher, témoignant d’une certaine fidélisation à cette zone. Les cas erratiques vrais aboutissant à la sédentarisation ont été peu nombreux : une étagne est arrivée tout de même à Porta à environ 40 km, à proximité du Col du Puymorens dans les Pyrénées Orientales et elle est, à l’heure actuelle, toujours seule. Un couple venu d’Ustou arrivé dans la haute vallée ariégeoise du Vicdessos (Soulcem) a fait souche localement avec un cabri né en 2016 et un autre en 2017 (prouvant aussi que boucs et étagnes peuvent si nécessaire supporter la monogamie !).

La sédentarisation progressive

37Ce processus est conforme aux connaissances déjà acquises dans les Alpes comme en Espagne. Des petits groupes se constituent et se déplacent ensuite tant versant nord (français) que sud (espagnol) au gré des saisons et de la disponibilité alimentaire : il serait trop long de détailler ici leur composition et leurs zones préférentielles de vie. Retenons qu’il s’agit de groupes composés de 5 à 20 individus (10 en moyenne), pouvant être mixtes. Au-delà du nombre d’individus dans chaque groupe, le point essentiel au succès de la sédentarisation demeure la présence de plusieurs groupes sociaux assez proches, pouvant se rencontrer au gré de la saison, de leur localisation et de leur cycle biologique. Des échanges d’un groupe à l’autre peuvent donc se faire, expliquant les variations d’effectif dans les groupes de 5 à 20 bouquetins.

38Le site d’Ustou, lieu principal des lâchers a été attentivement observé et il s’est avéré être particulièrement adapté à la sédentarisation du bouquetin, grâce à ses zones d’hivernage variées. Les escarpements rocheux de moyenne altitude (1 500-1 600 m) du versant sud moins enneigé au cours de l’hiver et les crêtes d’altitude (2 200-2 400 m), se sont avérés très complémentaires, cependant sous réserve d’un enneigement modéré. Globalement, le ratio places d’hivernage / population est actuellement largement favorable « au confort » et au développement local de la population.

L’accroissement de la population

39L’accroissement de la population et son enrichissement numérique sont des critères déterminants pour la réussite d’une introduction. Il résulte globalement de la balance entre le nombre de nouveau-nés viables et le nombre de sujets morts (fig. 9).

9. Graphique synthétisant la dynamique de population des bouquetins en Ariège

40En Ariège, la mortalité des adultes a été très modérée et s’élève (hors mortalités immédiates) à 10 individus depuis le début de la réintroduction : 5 mortalités sont imputables à des avalanches et dérochements et 3 résultent (après autopsie) des conséquences de mauvaises adaptations au milieu (problème probable d’acclimatation, de choix alimentaires ?), en tout cas non liées à des états pathologiques infectieux et/ou parasitaires. Les autres restent des cas indéterminés car l’état des cadavres lors de leur découverte n’a pas permis de les autopsier.

41Côté renouvellement, 2 cabris sont nés en 2015 (issus de saillies en Espagne), 8 (dont des jumeaux) en 2016 (sur environ 50 reproducteurs mâles et femelles) et 15 en 2017 (naissances entre mai et mi-juillet à partir d’un effectif de 40 étagnes non isolées en situation de reproduire, soit une « fécondité » globale proche de 40 % en 2017).

42Par ailleurs, le suivi de reproduction des étagnes a révélé que, sur les 7 étagnes ayant mis bas des 8 cabris en 2016, 5 étaient issues des lâchers de 2014 (fig. 10 et fig. 11) : cela tendrait à montrer qu’il existerait un délai d’adaptation d’au moins une année pour retrouver une performance normale de reproduction. Il apparaît donc difficile de rechercher un taux d’accroissement important dès la réintroduction. À titre d’information, une introduction est considérée comme satisfaisante si l’effectif initial est multiplié par 4 en 5 années et par 6 ou 7 en 10 ans. A contrario, elle est considérée comme « avortée », non réussie avec un taux d’accroissement médiocre ou très faible (< 5 %).

10. Étagne et son cabri au mois de septembre (USTOU, Ariège)

11. Les cabris jumeaux et leur mère (USTOU, Ariège)

43Des taux d’accroissement exceptionnels (30-35 %) ont pu être décrits dans les Alpes avec des populations nouvellement installées dans des biotopes particulièrement favorables. Plus près des Pyrénées, il est décrit un accroissement de 20 à 30 % avec un taux de gémellité augmenté dans des populations espagnoles bien installées : cette réussite est due à la réunion idéale, d’une disponibilité alimentaire suffisante et d’une distribution spatiale et sociale optimale. À cela s’ajoute la présence en nombre suffisant de mâles « d’expérience », à savoir des boucs de plus de 5 ans dans la force de l’âge (fourchette de 5 à 10 ans), qui aurait aussi un impact important sur le taux d’accroissement des populations. Ce fait paraît corroboré par des observations identiques au PNP et au PNRPA, faisant état, pour certaines étagnes, de naissances gémellaires dès l’année suivant leurs lâchers en 2015 et 2016.

Premier bilan

44À l’issue de l’année 2017, le bilan de la réintroduction du bouquetin en Ariège est très encourageant et témoigne d’une dynamique incontestablement positive.

Le maintien du statut sanitaire (optimal) des animaux

45Un consensus général sur l’état sanitaire des sujets introduits a été un préalable incontournable. Bien que vivant à l’état sauvage, le bouquetin connaît des maladies infectieuses et parasitaires qui pour partie lui sont propres et d’autres communes à d’autres espèces de ruminants domestiques et sauvages. Chaque population présente un profil sanitaire spécifique avec lequel les animaux sont plutôt en équilibre. Toute introduction dans un autre milieu à profil sanitaire différent peut générer l’expression de ces maladies, parfois de façon grave (évolution épizootique) chez d’autres espèces.

46Pour éviter de telles conséquences, une consultation officielle a été menée en 2012 auprès des autorités sanitaires pyrénéennes puis en 2013 auprès des autorités espagnoles ayant abouti à un plan de maîtrise sanitaire (PMS). Une liste des maladies à dépister individuellement dans la population-source, après capture et quarantaine, a été établie fin 2013 : à celle-ci s’est ajoutée une enquête sur le statut global de la population pépinière (Sierra de Guadarrama) vis-à-vis de ces maladies. Ce ne sont donc que des bouquetins indemnes qui sont introduits après analyses libératoires : le PNRPA et le département de l’Ariège ont été particulièrement exigeants en la matière, compte tenu de contextes locaux antérieurs très impactants connus lors des épizooties de fièvre catarrhale (FCO) de 2008 à 2010 et de pestivirose chez l’isard (virus BDV 4, proche de la Border disease). Cette démarche a permis de partir sur de solides bases sanitaires compatibles avec l’épanouissement de la population et avec la coexistence avec les autres espèces sauvages (notamment isard) et domestiques (ovins et bovins transhumants). Cette situation très favorable peut ne pas être éternelle : il a été convenu d’élaborer une gestion fine permettant d’évaluer l’état sanitaire des populations de bouquetins dans le temps.

47À l’heure actuelle, la veille sanitaire « passive » par collecte des cadavres et autopsie a d’ores et déjà été mise en place sous l’impulsion du PNRPA, de la FDC 09 et du Laboratoire Vétérinaire Départemental de l’Ariège. Les suivis des taux de reproduction et de mortalité sont en complément de bons indicateurs. Dans un futur proche, on peut envisager d’associer à ce suivi « visuel » de l’état général des bouquetins in situ, un suivi sanitaire « actif » par capture (téléanesthésie, piégeage) sur un échantillon représentatif de la population. Cela permettrait d’anticiper toute présence d’un pathogène majeur avant que la ou les maladies concernées aient pu s’exprimer, pour éviter par exemple, une situation sanitaire similaire, à celle dramatique que connaissent les bouquetins alpins du Massif de Bargy, victimes de la brucellose ces dernières années.

La valorisation technique et touristique de la réintroduction

48C’est par un des points essentiels que nous conclurons notre propos. S’il est acquis que l’accroissement de la biodiversité par la réintroduction du bouquetin des Pyrénées est l’objectif fondateur du programme, il n’empêche que l’arrivée d’un animal nouveau constitue – pour reprendre les mots mêmes du visionnaire Michel Sebastien – « un attrait supplémentaire pour le tourisme, pour la curiosité, pour les flux économiques ». Dans la même veine, Michel Sebastien disait dès 2005, « un PNR a pour mission l’expérimentation et donc dans le cadre d’études scientifiques, la réintroduction du bouquetin par celui-ci se justifie pleinement » (fig. 12).

12. Premiers bonds sur les montagnes ariégeoises d’un jeune bouc

49Des actions dans ces directions sont déjà mises en œuvre par le PNRPA, en cherchant toujours à privilégier l’appropriation du bouquetin pyrénéen par la population locale et régionale, essentielle pour en assurer la réussite. Le volet communication a été fortement développé par la création d’outils pédagogiques, par celle d’un site Internet dédié (http://www.bouquetin-pyrenees.fr), par le montage d’une exposition permanente au Château de Seix.

50Plus en aval, se développent les premières actions de valorisation touristique avec une coopération avec les Offices de tourisme et la création de sorties programmées d’observation des bouquetins, encadrées par des accompagnateurs en montagne. Ce volet de valorisation du bouquetin constitue aussi une formidable occasion de faire connaître « aux consommateurs de la Nature », l’écosystème montagnard global de l’Ariège et son volet d’agro-pastoralisme indissociable d’une montagne vivante, équilibrée, paisible à l’image du « bouquetin nouveau » et flamboyante à l’image du « bouquetin ancien » représenté tant de fois, de la Préhistoire au Moyen Âge, par nos ancêtres pyrénéens (fig. 13).

13. Très beau bouc d’âge issu des derniers lâchers (Aulus, Ariège)