1Dès les premières manifestations graphiques figuratives préhistoriques, l’animal étant le sujet privilégié, on peut ainsi qualifier l’art préhistorique d’art animalier. Cette remarquable présence des représentations zoomorphes se retrouve également dans les sites rupestres de l’arc alpin et tout particulièrement dans l’art du Valcamonica et de la Valtellina où ils sont présents au cours de toutes les phases chronologiques pré- et protohistoriques, des premiers témoignages épipaléolithiques jusqu’à l’âge du Fer et à la phase historique.

2Le bestiaire renvoie à parts égales à des espèces sauvages et domestiques (selon le dernier recensement, Sansoni 2017) : par ordre décroissant, on trouve des canidés (n ≥ 1000) ; des équidés (n = 912) ; des cervidés (n = 508 avec les ramures isolées) ; des caprinés (n = 223) ; des ornithomorphes (n = 215) ; des bovinés (n = 106) ; des suidés (n = 59) ; des serpentiformes (n ≥ 20) et des animaux imaginaires. Les caprinés arrivent donc en quatrième position sur l’ensemble du bestiaire et en seconde parmi les seules espèces sauvages. On peut détecter leur présence dans les différentes phases chronologiques avec une forte prévalence dans les représentations datant du Chalcolithique, un seul cas dans les phases précédentes et relativement peu au cours des phases suivantes de l’âge du Bronze (4) et de l’âge du Fer (60).

3Deux espèces sont reconnaissables : le chamois et le bouquetin qui dans la nature partagent les mêmes habitats et habitudes, mais qui se distinguent par leur taille, par les proportions corporelles et par les cornes. Ces deux animaux sont dotés d’une encornure, présente chez les mâles et les femelles, bien que de taille différente. Chez ces deux espèces, les cornes diffèrent à la fois dans leur taille globale, leur forme et leur courbure : les chamois ont de petites cornes recourbées en crochet, alors que les bouquetins ont des cornes plus longues avec un profil semi-circulaire. Dans les gravures, seules les cornes nous permettent de distinguer les deux animaux, même si l’attribution à l’une ou à l’autre espèce est souvent difficile en raison de la stylisation ou de la faible précision des représentations. Par exemple, nous avons souvent affaire à des animaux dotés de grandes cornes semblables à celles des bouquetins, mais avec une courbure en crochet évoquant le chamois. Dans le décompte des caprinés gravés et dans l’attribution aux deux espèces, nous avons donc choisi de donner plus de poids à la forme et à la courbure des cornes plutôt qu’à leur taille car nous pensons que celle-ci peut avoir souvent été délibérément exagérée. Cependant, même avec ce critère, il n’est pas toujours possible d’attribuer avec certitude une espèce à la représentation et de nombreux cas restent douteux. Cette difficulté de discrimination ne semble pas constituer un vrai problème au niveau de l’étude symbolique. En effet, en tenant compte de l’affinité des deux animaux, de la répartition des figures dans les différentes aires, de leur emplacement à l’intérieur des compositions et des associations récurrentes avec d’autres motifs, on peut raisonnablement supposer que les bouquetins et les chamois ont exercé, avec des nuances minimes, la même fonction et donc qu’ils ont eu une valeur symbolique similaire, en particulier dans le contexte culturel et artistique du Chalcolithique. Par conséquent, dans la phase d’étude, nous avons retenu le terme générique de capriné regroupant ces deux espèces.

Les caprinés de l’Épigravettien et de l’Épipaléolithique

4Le bestiaire alpin s’ouvre à l’Épigravettien avec l’élégante figure sur galet de Riparo Tagliente (Vérone ; fig. 1). À elle seule, elle traduit l’intérêt paléolithique pour le bouquetin. Ce fragment de galet, gravé d’un trait sûr, est accompagné de figures de lion, d’élan, de bison et d’aurochs, auxquels s’ajoutent plusieurs formes géométriques (Cremaschi et al. 1979: 35-40).

1. Riparo Tagliente (Vérone, Italie) : galet gravé d’un bouquetin. Épigravettien

5Il n’existe qu’un seul exemple certain de la phase ancienne à Luine au Valcamonica (fig. 2) : il s’agit d’un exemplaire gravé en plein air dans un style plutôt rigide, situé à côté d’un grand élan dont les contours sont mieux définis (Anati 1982). Ils sont accompagnés d’un cerf, de trois autres élans et d’un animal indéterminé, tous situés dans la même zone de la basse vallée. La datation, sur base stylistique, est traditionnellement attribuée à l’Épipaléolithique (environ VII^e mill. av. J.-C.), même si récemment elle a pu être vieillie en interprétant le cerf comme un cheval tournant la tête vers l’arrière, comme il en existe au Paléolithique supérieur (Martini et al. 2009). Ces datations sont confortées par des éléments issus de divers sites mésolithiques (VII^e-VI^e mill. av. J.- C.) ainsi que par des vestiges provenant d’un nouveau site (Cividate Camuno) daté du XI^e mill. av. J.-C. Mais, quelle que soit l’attribution chronologique, l’ensemble s’accorde avec les caractères décadents des dernières phases prénéolithiques de l’aire alpine et de ses abords. En dehors de cela, il existe le groupe historié controversé de Totes Gebirge (Autriche ; Burgstaller 1971, Anati 1980), un ensemble très difficile à lire dont on a même douté de l’existence (Pichler 2000) : sans en arriver à ce point et sans pouvoir complètement faire confiance aux anciens relevés, on note qu’un capriné a été signalé, parmi les élans, les bovins et les figures anthropomorphes, dans un contexte qui, bien qu’attribué à la phase historique, ne détonnerait pas parmi les plus grands sites mésolithiques / épipaléolithiques d’Europe centrale.

2. Luine, R. 4 (Valcamonica, Italie). Figure d’élan et de bouquetin, Épipaléolithique

Les caprinés du Chalcolithique

6Les caprinés attribuables à cette phase sont actuellement au nombre de 131, dont 117 sur 16 roches du Valcamonica et 14 distribués sur 5 monuments de la Valtellina¹. Il existe une nette domination des bouquetins regroupés surtout dans la zone de Cemmi où l’on en décompte 52, à l’inverse des chamois, absents ici, mais concentrés sur le plateau d’Ossimo-Borno où ils représentent 69 % des capridés gravés dans ce secteur (n = 34).

7En analysant les figures de cette phase, on se rend compte que leurs auteurs étaient des observateurs attentifs du comportement animal : les caprinés sont en effet souvent représentés en groupe, généralement en files ou en colonnes, ce qui reflète leur nature d’animaux grégaires organisés en groupes hiérarchiques (fig. 3). Les représentations de couples (n = 6 exemples) sont moins fréquentes, mais quand même significatives. Elles peuvent être liées au comportement des caprinés sauvages pendant la saison de reproduction. Les figures isolées sont rares et pourraient évoquer des individus âgés qui vivent loin de la harde. En outre, on observe que ces animaux sont souvent en position oblique, comme au cours d’une escalade, ou placés dans la partie supérieure des blocs gravés, positions transposables à leur habitat de haute altitude. La localisation au sein de la composition est sans aucun doute d’une importance primordiale si l’on considère la vision frontale-ascensionnelle des scènes gravées sur des parois verticales, propre aux monuments chalcolithiques.

3. Stèle Tirano-Lovero (Valtellina, Italie) : chamois associé au symbole solaire et armes. Chalcolithique (âge du Cuivre)

8Parmi les principaux (phase III A1, 2 900-2 400 av. J.- C.), la présence du soleil rayonnant est récurrente dans la partie supérieure à côté des haches, des hallebardes, des cerfs et des caprinés, tandis qu’au centre se trouvent habituellement des poignards et des animaux, rarement des figures humaines et des « voûtes » ou pendentifs « à lunettes ». Enfin, on trouve dans la partie basse des scènes de labours ou des lignes qui représentent probablement le sol labouré. Le positionnement des caprinés majoritairement dans la partie haute peut alors indiquer leur portée symbolique et leur lien, comme la hallebarde et la hache, en tant qu’attribut / complément ou équivalent en miroir au disque solaire. Ce dernier est sans doute le symbole clé et central des compositions, l’unique à pouvoir être représenté seul dans le registre supérieur. Les caprinés occupent toutefois plusieurs autres emplacements sur l’ensemble de la surface gravée, ce qui pourrait traduire différents rôles symboliques homologues, excluant en toute logique le fait qu’ils puissent être insérés dans la composition comme « remplissages »².

9D’emblée, il est nécessaire de souligner que les caprinés sont toujours présents dans des compositions à caractère majoritairement masculin, caractérisées par la présence de symboles solaires, d’armes, de labours et justement d’animaux. Dans ces compositions, les bouquetins et les chamois sont généralement accompagnés d’autres animaux : les associations les plus fréquentes sont celles avec les cervidés de mêmes proportions dans le registre supérieur, mais il faut noter également les compositions aux zoomorphes très nombreux où se rencontrent également les canidés, les suidés et les bovins attelés. C’est le cas des deux rochers de Cemmo ou des compositions d’Ossimo 7 et 8. Les seules exceptions à cette tendance sont le rocher de Bagnolo 1, où un seul capriné apparaît à côté d’un symbole solaire et d’une paire de haches, et les fragments de Campolungo 4 et de Caven 4, dans lesquels cependant, la présence d’autres animaux dans les parties manquantes des compositions ne peut pas être exclue. L’association récurrente la plus significative est celle des caprinés avec le disque solaire, symbole présent dans 12 des 22 compositions examinées, en combinaison avec les caprinés sous toutes leurs formes : du plus ancien simple disque rayonnant (phase III A1, 2 900-2 400 av. J.- C.), jusqu’à la représentation d’un anthropomorphe à couronne solaire typique de l’horizon campaniforme (phase III A2, 2 400-2 200 av. J.-C.). L’association avec les caprinés est très étroite dans au moins 6 monuments et parmi eux le rocher de Cemmo 2 est particulièrement significatif. Ce dernier présente 5 bouquetins disposés en demi-cercle au-dessous du disque rayonnant. Une hache et une hallebarde complètent le panneau initial en position latérale et plus en contrebas un suidé et deux poignards de type Remedello (fig. 4).

4. La roche erratique de Cemmo 2 (Valcamonica, Italie)

10Considérant l’ensemble du corpus des monuments chalcolithiques des deux vallées, on remarque que les animaux jouent généralement un rôle en apparence secondaire dans les compositions, à l’exception du cerf mâle qui est souvent comparé au symbole solaire, et qui parfois semble même le remplacer : tel est le cas de Plas, où le bois de cerf lui-même, de forme ovoïde, se substitue au soleil rayonnant, et de Cemmo 1, où un cerf aux bois circulaires est placé à l’intérieur d’un groupe de congénères aux bois rectilignes. Ces deux cas, ainsi que trois autres similaires, avec des cerfs possédant des bois circulaires près du disque solaire, témoignent d’une proximité symbolique certainement très forte mais avec des nuances variées lorsqu’il s’agit du bouquetin. Ce dernier semblant presque se substituer dans de plus nombreux cas au cerf plus voyant. Dans les monuments présentant les caprinés et les symboles solaires, on constate également que, dans 70 % des cas, le cerf mâle est absent ou relégué à une position « marginale » (Borno 1 et Cemmo 2). Il est donc évident que chamois et bouquetins ne jouent pas du tout un rôle symbolique secondaire dans le complexe du registre supérieur (fig. 5). Dans ce rapprochement cerf-caprinés, il est donc possible de voir la même logique que dans l’association hache et hallebarde au registre supérieur et probablement existe-t-il entre ces deux groupes une relation de syntaxe symbolique particulière. Une hypothèse astronomique, mettant en jeu les astres solaire et lunaire, a été proposée en s’appuyant sur la juxtaposition des caprinés au symbole solaire (Tagliabue 2011).

5. Fragment de Cemmo 20 (Valcamonica, Italie)

11L’association ou la proximité avec un autre symbole, le rectangle frangé, considéré comme le symbole d’une troisième divinité, possiblement masculine, et associé aux divinités solaire et féminine, est également fréquente (Casini in AA VV 1994: 93-96). L’appartenance des caprinés à ce contexte symbolique de la première phase (III A1) n’est cependant attestée que dans 3 monuments sur les 21 étudiés, tous au Valcamonica. Cela pourrait aussi indiquer que les caprinés n’ont pas dans ce cas un rôle central, mais qu’ils sont insérés, avec leur signification propre, dans la composition avec d’autres animaux. Autre association fréquente, celle des caprinés avec les poignards de type Remedello et donc avec les figures de sangliers qui leur sont liées. Une telle association ou proximité dans le registre intermédiaire se retrouve dans 13 monuments (60 % des monuments examinés), dont 6 avec une correspondance numérique ou d’orientation entre les deux sujets, ce qui renforce encore plus l’association. Le cas du rocher de Borno 1 (face A) est intéressant car il est le seul pour lequel la correspondance entre les poignards et les bouquetins concerne le nombre (7) et l’orientation des éléments (5 tournés vers la droite et 2 tournés vers la gauche), tandis que dans d’autres cas, la correspondance concerne seulement le nombre (Borno 4) ou plus souvent la seule orientation (Cemmo 1, Ossimo 7, Anvoia C30- 7, Campolungo 4, Tirano-Lovero) (fig. 6). Nous pouvons aussi constater que seulement 21 % (n = 27) des caprinés sont tournés vers les bords extérieurs de la composition tandis que les 79 % (n = 101) restants sont orientés vers l’intérieur, c’est-à-dire vers l’axe central idéal qui, lorsqu’il est présent, intègre dans le registre supérieur le symbole solaire. De manière plus générale, on enregistre une nette prédominance des animaux tournés vers la droite selon le plan de lecture (70 % des figures).

6. Monument Borno 1, face A (Valcamonica, Italie)

12Si l’on tient compte du fait que la face historiée (gravée ?) des monuments retrouvés en position primaire avérée³ est tournée vers l’est, donc vers le soleil levant, on peut considérer que les figures tournées vers la gauche sont virtuellement orientées au sud et celles tournées à droite, le sont au nord. De tels cas, croisés avec d’autres éléments « orientés » (excluant ainsi, outre le soleil et les disques, les symboles féminins tels que les voûtes, les pendentifs, les lignes parallèles, les disques concentriques, les éléments en forme de peigne et les arcades en chapeau de gendarme) indiquent l’existence d’une règle de positionnement des motifs dans un cadre de correspondances qui ne doit rien au hasard. Nous ne pouvons pas actuellement spéculer sur les valeurs symboliques et rituelles de cette règle, si ce n’est en rappelant les points communs possibles avec le même phénomène attesté dans le contexte funéraire continental contemporain (région centre-orientale) : ici, avec des règles qui varient régionalement, nous avons habituellement des tombes dans lesquelles les inhumés sont disposés avec le corps et la tête orientés différemment selon le sexe, l’âge (nourrissons) et avec des correspondances précises dans le placement des objets composants les trousseaux⁴. Sur le plan chronologique, il y a une prépondérance absolue des figures attribuées au Chalcolithique II (style III A1 ; 2 900-2 400 av. J.- C.) correspondant à la phase II de la nécropole de Remedello, dans laquelle d’ailleurs apparaissent aussi tous les autres zoomorphes (souvent des cerfs, des suidés et des bovins attelés). Ici, les caprinés sont représentés de manière assez simple et schématique avec un corps linéaire duquel part le cou en dessinant un angle obtus net, avec les jambes perpendiculaires au corps conférant une attitude statique et peu naturaliste aux animaux, surtout si on les compare à ceux de la période suivante (phase III A2 ; 2 400-2 200 av. J.-C., correspondant à l’horizon Campaniforme du Chalcolithique III), où l’on trouve des formes plus sinueuses du corps, avec le dos arrondi et les pattes obliques, dans une attitude dynamique comme traduisant l’idée de course ou de saut.

13Avec les derniers sursauts de l’âge du Cuivre et le début de l’âge du Bronze, les figures zoomorphes semblent perdre de l’importance jusqu’à presque disparaître au profit des figures humaines gravées sur les monuments et recouvrant parfois les gravures précédentes.

L’âge du Bronze et l’âge du Fer

14Avec le début de l’âge du Bronze, s’achève donc la phase millénaire des compositions monumentales avec leurs représentations ordonnées sur des parois verticales. Cette rupture est le prélude à des siècles d’un important hiatus figuratif, interrompu seulement par de rares expressions historiées sur quelques affleurements. Les riches phases suivantes, du Bronze final à l’époque romaine, verront un retour des figurations d’animaux, en particulier de cerfs, de chevaux, d’oiseaux et de chiens, avec la disparition complète des suidés et des réapparitions sporadiques de chamois et de bouquetins, mais comme privées du rôle symbolique « supérieur » qu’ils jouaient au cours du III^e millénaire.

15Le Chalcolithique exprime donc le plus grand intérêt pour la figure du capriné sauvage. Par la suite, son image perd beaucoup d’importance, étant réduite à une figuration marginale surtout évoquée dans des scènes cynégétiques, du moins lorsque ces dernières sont suffisamment explicites. Le champ strictement symbolique semble se concentrer autour de la figure du cerf, qui paraît aussi absorber de manière « princière » des attributions précédemment dévolues aux caprinés. Il faut donc attendre les phases finales de l’âge du Bronze pour trouver, parmi les rares figurations zoomorphes attribuables à la période, le bouquetin représenté dans une double scène de chasse dans la R.16 de Campanine : dans un cas, comme cible d’un probable archer, dans l’autre cas, blessé par une lance et pourchassé par un chien. Au cours de l’âge du Fer, en particulier dans les phases anciennes et moyennes du Valcamonica (ix^e -v^e siècles, et plus tardives ailleurs), on constate un faible regain d’intérêt pour le bouquetin, dans des scènes parfois d’une grande beauté figurative : des bouquetins sont gravés pourchassés par des cavaliers (R.7, Pia d’Ort), des chiens de chasse (R.39 Pià d’Ort, R.5 Bedolina et Les Lozes en Aussois, France) ou confrontés à des chasseurs armés de lances et accompagnés de chiens (Arcelle Neuve, France et Torrenshlucht, Hallein, Autriche ; fig. 7 et 8).

7. Pià d’Ort, R. 39 (Valcamonica, Italie). Élégante scène d’un bouquetin pourchassé par un chien

8. La Roche aux Bouquetins, Arcelle Neuve (Haute-Maurienne)

16Âge du Fer tardif. D’après Arcà (2009).Dans trois cas au moins, le bouquetin apparaît dans des scènes de « chasse mythique », aux côtés d’un guerrier armé d’une épée (R.24 et 36, Pia d’Ort, Fort Charles Albert, France) ou d’un couple de duellistes (R.35 Naquane). Dans plusieurs autres cas, les bouquetins et les chamois sont représentés dans des scènes complexes sans relation apparente avec d’autres sujets (R.27 Seradina I, R.25 Pià d’Ort, R.5 Cereto, R.34 Naquane). Enfin, ils peuvent être pratiquement isolés, comme des figures distinctes (R.3 et 5 Cereto ; R.4, 10, 34, 35 Naquane ; R.39 Pià d’Ort) ou en harde (R.5 Bedolina, R.35 Naquane), parfois avec les cornes anormales. Cinq scènes se distinguent de l’ensemble de par le modelé photographique typique de l’âge du Fer : deux scènes d’allaitement, avec une étagne cadrées dans une scène de chasse avec orants (R.5 Bedolina) et avec un chamois dans une chasse mythique (R.36 Pià d’Ort, fig. 9), une typologie rare, retrouvée uniquement dans deux autres cas dans l’art du Valcamonica (avec biche et jument) ; une scène avec le bouquetin en position verticale, tourné vers une figure d’orant ithyphallique placé en haut (R.39 Pià d’Ort, fig. 10) position déjà connue en contexte Chalcolithique, ce qui donne à nouveau une importance rituelle et réaliste aux talents de grimpeur de l’animal ; une scène avec un anthropomorphe qui attrape ses énormes cornes (fig. 11) ; enfin, une scène de probable sacrifice avec le zoomorphe, dans ce cas il peut s’agir d’une chèvre domestique, qui répond à un orant ithyphallique et comme tirée par la queue par un personnage également ithyphallique tenant en main un probable poignard (fig. 12). Ces scènes montrent qu’un rôle symbolique marginal est maintenu jusqu’à la fin du cycle protohistorique.

9. Le Crus, R. 36 (Valcamonica, Italie)

10. Pià d’Ort, R. 39 (Valcamonica, Italie). Figure de bouquetin paraissant se hisser vers des orants ithyphalliques

11. Naquane, R 14 (Valcamonica, Italie)

12. Pià d’Ort, R. 39 (Valcamonica, Italie). Scène probable de sacrifice de bouc

17Cette dernière scène potentiellement sacrificielle peut évoquer la valeur symbolique du bouc domestique comme animal de grande exubérance reproductive, valeur qui sera par la suite soulignée dans le mythe et dans le rituel classiques : le bouc fait partie intégrante des faunes et des satyres, il suit Dionysos et Aphrodite, il symbolise Sylvanus, Saturne Phan et Mendes, et il fait partie en Égypte, avec le bœuf et le mouton, des trois animaux sacrificiels de prédilection. Sous cet angle, il prendra l’image de la sorcellerie et/ou du démon de la période chrétienne, ce qui en fait l’emblème de choix de la lascivité. À l’opposé, on trouve l’histoire symbolique de la chèvre, docile, fertile et maternelle, comme dans le mythe d’Amalthée qui allaite Zeus enfant ou celle de Aigis accompagnant Aphrodite, dans le bouclier en peau de chèvre de Pallas Athena ou encore dans l’image de la corne d’abondance qui est celle d’une chèvre. Dans un registre plus divin, on trouve l’association avec Agni, le dieu hindou du feu et de la foudre, qui chevauche un bouc de même pour Thor, le dieu germanique de la foudre dont le char est tiré par des boucs : cet aspect uranien est, comme on le voit, une trace résiduelle probable d’une vision d’origine indo-européenne, dont l’expression, avec le bouc dans sa version sauvage, se retrouve aussi dans les nombreuses représentations rupestres d’Asie centrale. C’est justement dans l’art rupestre allant des régions scythes à l’Altaï, au III^e et II^e millénaires, qu’une importance commune semble portée au disque solaire (rayonnant ou en « auréole » sur les anthropomorphes), au cerf et aux armes dans des ensembles qui, en particulier dans l’aire Ouzbeko-Turkmène et altaïque (la plus lointaine), offrent d’étonnants parallèles avec les Alpes du III^e millénaire. Ici, des indices se révèlent d’une sorte de passage de témoin symbolique depuis les plus anciennes figures de capriné sauvage aux longues cornes jusqu’aux formes de type domestique, qui apparaissent occasionnellement dans les expressions protohistoriques plus récentes. Selon cette logique évolutive, on peut retenir qu’au moins une partie de la valeur symbolique originale portée par les individus sauvages se transpose aux espèces domestiques. Sur la base des données du Chalcolithique alpin et de celles issues du cortège d’Agni et de Thor, il faut imaginer le chamois et surtout le bouquetin, dès l’origine, comme des animaux symboles du soleil et des sommets, avec toutes les valeurs spirituelles que cela implique