1L’art du Levant est un art rupestre qui apparaît le long de la façade méditerranéenne de la Péninsule ibérique au cours du Mésolithique. C’est un art d’un grand naturalisme qui contraste avec les productions néolithiques qui sont toutes d’un schématisme avéré. Si les deux formes d’art ne se confondent pas, en revanche, il arrive qu’elles se superposent dans les mêmes abris, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, ce qui montre qu’elles sont en partie au moins contemporaines, mais il est très probable que les racines de l’art du Levant soient bien antérieures à l’arrivée des premiers éleveurs.

2C’est un art naturaliste qui présente de nombreuses scènes de caractère cynégétique montrant des archers, seuls ou en groupe, chassant des gibiers sauvages (bouquetins, cervidés, aurochs, sangliers). Dans la phase principale de cet art, les animaux sont représentés de manière dynamique, dans des scènes que l’on qualifie généralement de réalistes.

3Globalement, les caprinés occupent la première place avec près de 33 % de la faune représentée, toutes régions confondues. Le bouquetin arrive presque partout en tête des représentations animales et n’est dépassé par le cerf que dans la province d’Albacete. On peut donc dire que cet animal occupait une place privilégiée dans l’univers mental des chasseurs mésolithiques levantins, comme le montrent les différents types de cas dans lesquels apparaissent des caprinés sur les parois des abris.

1. L’animal en absence de présence humaine. Représentations de caprinés, statiques ou dynamiques, seuls ou en groupe en dehors de toute proximité avec l’Homme (par exemple le troupeau de caprinés de El Ramat, Tarragone ; fig. 1). Complet ou seulement évoqué par un protomé, voire par une paire de cornes, l’animal est presque toujours représenté de manière naturaliste avec un soin particulier porté aux détails anatomiques et un rendu minutieux. Les encornures à double courbure, caractéristiques du bouquetin des Pyrénées (Capra pyrenaica), sont fréquentes.

2. L’animal aux prises avec l’Homme. Viennent ensuite des scènes figurant les différents moments de la chasse depuis l’archer pointant sa flèche en direction de l’animal jusqu’à l’animal chancelant, blessé, mourant. C’est une suite d’instantanés qui s’achève par la mort inéluctable du gibier (fig. 2).

   1. Représentation de la chasse elle-même montrant un ou plusieurs archers pointant leur flèche en direction de l’animal (fig. 2-1 et 2.2). Parfois celui-ci est atteint par des flèches sans que des Hommes soient présents autour de lui.

   2. Dans de nombreux cas, on voit un bouquetin, manifestement blessé, effondré sur ses pattes repliées (fig. 2-3 à 2.6), ou tombant en position verticale ou même renversée (fig. 2.7 à 2.10).

   3. On voit parfois un animal laissant des empreintes de pas derrière lui (que l’on peut interpréter comme des traces sanglantes) et des chasseurs qui le suivent (fig. 3). Dans un cas, la scène paraît explicite : les traces aboutissent à un animal renversé (fig. 3.2).

   4. L’abbé H. Breuil a pu interpréter une représentation comme une scène de dépeçage d’un animal (Porcar et al. 1936). Cette scène est malheureusement sujette à caution en raison de sa conservation déficiente (fig. 3.4).

1. Bouquetins en absence de la présence de l’homme

2. Caprinés aux prises avec l’homme

3. Cova Remigia (Gasulla, Castellón) ; 2 - Barranc del Sord (Alicante) ; 3 - La Saltadora (Valltorta, Castellón) ; 4 - Cingle de la Mola Remigia (Gasulla, Castellón)

4Cette insistance à représenter des scènes montrant le rapport inégal entre l’Homme et l’animal est très étonnante. Les chasseurs paléolithiques ne nous ont pas habitués à cela. Il y a certes des animaux atteints par des flèches, mais ils sont la plupart du temps d’aplomb sur leurs quatre membres. Les animaux morts sont exceptionnels. Dans l’art du Levant, la mise à mort de l’animal semble au contraire un thème majeur. Les autres espèces ne sont pas mieux loties et on connaît de nombreuses scènes de chasse au cerf ou au sanglier.

5Il est d’ailleurs notable que la société des chasseurs levantins semble avoir été particulièrement violente et pas seulement envers le gibier. Des scènes figurant des Hommes atteints par des flèches et ce que l’on interprète comme des pelotons d’exécution et des embuscades sont fréquentes (Mateo Saura 2000, López-Montalvo 2011), de même que des scènes d’affrontement entre bandes (Les Dogues, Galería del Roure, Molino Las Fuentes). Récemment a été découverte une scène exceptionnelle qui représente de façon réaliste un champ de bataille où gisent de nombreux morts (La Vall, Tarragona).

6Le caractère réaliste et apparemment narratif de l’art du Levant nous invite à une lecture au premier degré qui masque certainement une spiritualité sous-jacente. La fonction symbolique de cet art rupestre apparaît dans certains assemblages que l’on ne rencontre pas dans la nature comme bouquetin-cerf-biche-aurochs (Peña del Escrito, Cuenca), selon un modèle fréquent dans l’art paléolithique. La violence qui s’exprime non seulement dans la mise à mort des animaux, mais aussi dans des affrontements entre hommes, semble le fait d’une société en proie à une grande inquiétude existentielle face à l’intrusion de colons porteurs d’un mode de vie totalement étranger.