La symbolique du bouquetin

Marcel Otte

doi:10.4000/books.pup.42258

La symbolique du bouquetin

Marcel Otte

p. 261

Texte intégral

1De tous les pays, la symbolique abonde relativement aux bouquetins, souvent assimilés aux boucs. Une sorte de résonance universelle martèle son association paradoxale autant à la vie qu’à la mort. Il incarne une puissance fécondante, mais possède aussi une valeur obscure, nocturne, tragique. Comme une incarnation d’un principe vital en perpétuelle régénération, éphémère et fatale. C’est l’animal sacrifié par excellence, porteur des maux à expier, mais aussi il est un gage de fertilité pour les jeunes mariés. Considéré comme impur en Afrique, comme tabou en Indonésie, il est aussi associé aux rituels du feu aux Indes. Partout, c’est l’animal à fuir, porteur de vices ambigus et tentants. C’est l’animal à combattre et à vaincre. Il doit être pourchassé, sans fin et sans espoir. Il condense nos illusions, il incarne nos perversions, il revient donc perpétuellement nous hanter, car il représente nos conflits existentiels qui, fatalement, passent par le drame de nos vies.

2Pourtant, par l’élégance de ses sauts acrobatiques, il nous fascine surtout, comme un défi à nos propres limitations physiques. Et il semble se moquer car son regard lointain nous fixe, furtivement, intensément. À l’instant suivant, il est parti, très vite, très loin, comme dans un jeu avec la pesanteur et par de minuscules aspérités rocheuses, improbables. Sa silhouette s’intègre dans les hautes montagnes comme si elle en surgissait, en prolongeait l’existence, venait la couronner. Le jeu de ses cornes, courbes et parallèles, est si parfait qu’il est venu agrémenter tout galet plat des Pyrénées, toute paroi dressée, du Zagros à l’Atlas. Ces signes, en une sorte de grand « V » ouvert, entrent aux titres de schémas dans des combinaisons innombrables, où il ne s’agit plus que de conventions, et non plus d’images représentatives. Cette combinatoire visuelle et harmonieuse vient orner les blasons, s’assortir aux monnaies, aux vases, aux sigles, aux décors mobiliers. L’aspect paisible prise par la forme de cette encornure majestueuse, la désigne au titre de récipients, de poignées, élégantes et confortables. Superbe dans son allure, comme dans sa silhouette, le bouquetin évoque une sagesse tranquille et inaccessible ; c’est probablement ce qui nous attire et ce qui nous manque.

Auteur

Marcel Otte

Professeur de Préhistoire, Université de Liège, Président de la Commission « Paléolithique Supérieur d’Eurasie » UISPP et Conseil International de Philosophie et des Sciences Humaines, 4000 Liège, Belgique – marcel.otte[at]ulg.ac.be

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