1Ongulé sauvage emblématique des Pyrénées, le bouquetin est attesté dès le début des recherches en archéologie dans plusieurs gisements pléistocènes, notamment du Magdalénien, Espalungue dans les Pyrénées-Atlantiques (Garrigou & Martin 1864), La Vache en Ariège (Garrigou 1867), mais aussi dans de nombreux sites naturels. Parmi les centaines de cavités pyrénéennes, La Vache est « le gisement absolu » en raison de son incomparable quantité de vestiges de bouquetin (plus de 71 000 restes osseux provenant des fouilles Romain Robert dans la salle Monique, Pailhaugue 1993, 1995, 1996, 1998 et 2003).

2L’histoire du bouquetin n’est pas cantonnée au seul massif pyrénéen ni à une seule espèce. Pour l’appréhender, il faut nous intéresser à la biogéographie et la description (typologie) sommaire des « sites » à bouquetin pléistocènes et holocènes pour les Pyrénées et ses régions proches : la Dordogne et le sud de la Charente au nord, les Cantabres et les Asturies orientales à l’ouest, la région des Causses jusqu’au littoral languedocien à l’est, les pré-Pyrénées espagnoles et le littoral barcelonais au sud. Cette approche biogéographique est essentielle pour le Sud-Ouest l.s. (Pyrénées françaises et espagnoles et leurs bassins versants) qui constitue la confluence des aires de répartition des trois espèces de bouquetin reconnues à ce jour d’un point de vue paléontologique pour le Pléistocène supérieur (Crégut-Bonnoure, ce volume) : le bouquetin des Alpes (Capra ibex Linné, 1766), le bouquetin des Pyrénées (Capra pyrenaica Schinz, 1838) et le bouquetin du Caucase (Capra caucasica Guldenstädt & Pallas, 1783) ; ce dernier est considéré comme l’ancêtre du second, d’où son appellation Capra caucasica praepyrenaica Crégut-Bonnoure, 2002. Leur répartition géo-chronologique respective est par conséquent intéressante à étudier. Par ailleurs, les problématiques pour les gisements à Caprini Simpson, 1945 (origine anthropique, animale ou naturelle dans les sites) commencent à être abordées dans plusieurs régions (Espagne, Sud-Est de la France, Europe centrale) dans lesquelles ces ongulés sont présents et/ou abondants. La révision taphonomique de séries pyrénéennes où l’espèce est parfois abondante permet de participer à cette réflexion en tenant compte à la fois de la fréquence de ce groupe dans les cortèges fauniques (présent ou espèce dominante), du contexte topographique des gisements (développements karstiques horizontaux ou verticaux, en plaine ou en altitude), du degré de fragmentation des os (faible ou importante) ainsi que de la reconnaissance des traces sur les surfaces osseuses (animale et/ou anthropique).

3Les considérations taphonomiques présentées ci-après permettent d’évaluer la fonction de quelques gisements régionaux dans lesquels le bouquetin a été retrouvé et d’interpréter son statut au sein des ensembles paléontologiques.

En montagne : un « âge du bouquetin » ?

4Si le Sud-Ouest et les Pyrénées françaises, notamment ariégeoises, ont joué un rôle prépondérant dans la progression des connaissances sur la Préhistoire, peu d’informations concernent directement les bouquetins, l’essentiel des découvertes ayant porté sur la chrono-stratigraphie des gisements et sur la reconnaissance de l’art pariétal paléolithique. L’« âge de l’ours » et l’« âge du renne » ont été reconnus dans de très nombreux gisements, datés respectivement de la première (Fosse et al. 2001) et de la seconde moitié du Pléistocène supérieur (Delpech 1983, Kuntz 2011). Dans les Pyrénées espagnoles et leur prolongement le long de la cordillère cantabrique, l’ours des cavernes est bien présent dans de nombreuses grottes durant les stades isotopiques* 5-3 (Altuna 1972, Fosse & Quiles 2006) et l’ongulé dominant jusqu’au Tardiglaciaire est souvent le cerf (El Juyo, Lumentxa, Santimamiñe, etc.). À partir des années 1950-70, les fouilles extensives de sites « intacts », datant du Solutréen jusqu’au Magdalénien final, font émerger l’importance du bouquetin dans l’économie de subsistance des chasseurs-cueilleurs, dans quelques stations des Pyrénées centrales, notamment en Ariège (La Vache ⎘, Koby 1958a, 1958b ; Les Églises ⎘, Clottes 1982, 1983 et 1989) mais surtout dans les gisements espagnols, du Pays basque (Bolinkoba ⎘, Ermittia, Erralla) jusqu’aux Cantabres (Rascaño) et Asturies (Collubil, La Riera, Tito Bustillo ⎘). C’est précisément en Espagne, où le renne est quasi absent dans les sites archéologiques, que la fréquence du bouquetin est la plus élevée et que des observations précises sur les stratégies de chasse et d’exploitation de cet ongulé ont été réalisées (Altuna 1972, 1981, Altuna & Mariezkurrena 1984, 1985, Straus 1987, 1992).

5Bien que des synthèses paléontologiques régionales aient été publiées depuis la fin du xix^e siècle, sur les faunes pléistocènes d’une manière générale (Harlé 1899, Altuna 1972, Delpech 1983, Castaños 1986, Clot & Duranthon 1990, Arribas 2004) ou sur le bouquetin en particulier (Astre 1952, Couturier 1962, Clot 1982, Crampe 1991, Straus 1987, 1992, Crégut-Bonnoure 1992, 2002, 2020, García-Gonzáles 2012, Sauqué et al. 2015, Yravedra & Cobo-Sanchez 2015), aucun bilan synoptique sur la répartition dans le temps et l’espace pour les trois espèces de bouquetin n’a été réalisé auparavant.

6C’est Édouard Harlé (Harlé 1899) qui le premier mentionne le bouquetin dans trois gisements pyrénéens d’après les collections du Muséum d’histoire naturelle de Toulouse, puis ensuite Gaston Astre (Astre 1952) dans une vingtaine de grottes, vallée de l’Aveyron incluse. Dans sa synthèse sur les bouquetins eurasiatiques, Marcel Couturier fait état de vingt-huit sites pour l’ensemble de la chaîne versant français (Couturier 1962), auxquels il convient d’ajouter trente-six stations pléistocènes du Sud-Ouest, jusqu’à la Charente. André Clot (Clot 1982) inventorie trente-cinq cavités des Pyrénées occidentales et centrales (Ariège exclu) et ce même auteur (Clot & Duranthon 1990), signale par la suite quarante-huit sites (avec une estimation étendue à « une centaine » de gisements) pour l’ensemble des Pyrénées françaises et zones adjacentes, en incorporant des découvertes spéléologiques de sites holocènes en (haute) montagne. Jean-Paul Crampe (Crampe 1991) actualise l’inventaire d’A. Clot (Clot 1982) en ajoutant des pièges d’âge holocène et des sites archéologiques protohistoriques (87 gisements répartis depuis les Pyrénées-Atlantiques jusqu’à l’Aude). Françoise Delpech (Delpech 1983) rapporte la présence du bouquetin alpin dans 54 niveaux/sites du Sud-Ouest. L’espèce n’y est jamais importante, à l’exception de l’abri des Battuts. L’autrice décrit également la grotte des Églises (fouilles Jean Clottes) dans le Tarasconais, dont tous les niveaux, rapportés au Magdalénien supérieur, renfermaient principalement du bouquetin des Pyrénées (4 920 restes) ainsi que Rhodes II, du Magdalénien final et de l’Azilien où le bouquetin est encore présent, associé au cerf et au sanglier. La grotte des Églises est le premier gisement des Pyrénées françaises qui présente les caractéristiques de sites spécialisés dans la chasse au bouquetin (Capra pyrenaica). Côté espagnol, Jesus Altuna (Altuna 1972) a identifié et/ou passé en revue de nombreuses séries archéologiques provenant du Pays basque et des régions limitrophes (du Pays basque français jusqu’aux Asturies) et fait apparaître quatre-vingt-onze mentions (niveaux/sites) de bouquetin. Dans ces gisements, l’espèce n’est le taxon majoritaire que dans les niveaux magdaléniens d’Urtiaga (couche D), d’Erralla et d’Ermittia. Il en va de même pour les quarante-sept sites/niveaux de Biscaye à bouquetin étudiés par Pedro Castaños (Castaños 1986) : seuls Bolinkoba, Polvorin (Aurignacien ?) et Urratxa III renferment d’importantes quantités de restes attribuables à cette espèce. Compilant les données publiées pour le Paléolithique des Pyrénées espagnoles et françaises, Oscar Arribas (Arribas 2004) rapporte la présence du bouquetin dans cent trois cavités, depuis le Pays basque jusqu’à la Catalogne, avec au moins vingt-six gisements dans cette dernière région (données principalement issues des travaux de Jordi Estévez [Estévez 1980] et Jordi Nadal [Nadal 1998]).

7En partant des données publiées par tous ces auteurs, en reprenant le détail des mentions de bouquetin par site et/ou niveau (Pléistocène), en ajoutant des informations inédites, des découvertes spéléologiques (Holocène) et en étendant le cadre géographique à tout le Sud–Ouest l.s. le bouquetin est mentionné dans au moins huit-cent-six sites/niveaux (cf. annexe en fin de chapitre). Cet inventaire a pour finalité de proposer une typologie des gisements à bouquetin (origine anthropique ou naturelle, tanières à carnivores). Chaque point représente sur les cartes un gisement et, pour les sites multi-stratifiés, un niveau. Toute mention spécifique de bouquetin, parfois ancienne, a été considérée comme valide, même si ces séries paléontologiques n’ont été ni illustrées ni retrouvées depuis leur publication initiale. Les bornes du cadre chronologique vont de la seconde moitié du Pléistocène moyen (stade isotopique 7 et plus vraisemblablement stade isotopique 6) à l’âge du Bronze. Les attributions chrono-culturelles ou chronologiques ont souvent été difficiles (calages et corrélations inter-cultures, contemporanéité des taxons), notamment pour les gisements fouillés anciennement ou dépourvus de données radiométriques. Les divisions retenues pour les présentations cartographiques (chrono-culture, stratigraphie, rapprochements biochronologiques) sont classiques et assez lâches, faute de datations directes et nombreuses sur les restes de bouquetin.

Des bouquetins dans les plaines

8Comme le soulignait avec justesse Frédéric Édouard Koby : « La lignée du bouquetin ne remonte pas très haut dans le passé et se perd vite dans les brouillards » (Koby 1958b : 34). Les gisements renfermant du bouquetin ne couvrent effectivement que les 200 derniers millénaires environ (fin du Pléistocène moyen et intégralité du Pléistocène supérieur et de l’Holocène), même si, pour les périodes plus anciennes du Pléistocène moyen, d’autres caprinés tel le tahr (Hemitragus) ont pu parfois être abondants dans les séries paléontologiques ; la grotte de l’Escale (Bouches-du-Rhône), fouillée par Eugène et Marie-Françoise Bonifay, renferme (couche B) 4 072 restes de tahr (Coumont 2006 : 107) et, dans les Pyrénées-Orientales, la Caune de l’Arago en a livré plus de 2 000 vestiges (Rivals 2002). Sur les huit-cent-six mentions recensées, six-cent-soixante-quinze concernent le Pléistocène. L’aire de répartition géographique des bouquetins atteint son apogée au cours de la seconde moitié du Pléistocène supérieur (fig. 1). Elle s’étage depuis les sites de plaine (Charente, Dordogne, littoral méditerranéen) jusqu’aux altitudes inférieures à 1000 m dans les Pyrénées. Le bouquetin alpin est le capriné exclusif des cortèges fauniques du Sud-Ouest (194 occurrences), alors que le bouquetin du Caucase apparaît dans quelques gisements/niveaux (54 occurrences) du Massif central oriental, du couloir rhodanien, du littoral méditerranéen et dans les Pyrénées centrales (Ariège). Il ne semble pas y avoir de spéciation sympatrique* entre les deux espèces. La forme pyrénéenne est quant à elle, à de très rares exceptions près, cantonnée sur les deux versants de la chaîne montagneuse et dans la cordillère cantabrique où elle constitue une composante importante des cortèges fauniques (337 occurrences), notamment à partir du Paléolithique supérieur.

1. Répartition des bouquetins au Pleistocène (n = 616)

9Le bouquetin alpin est identifié à la fin du Pléistocène moyen (Bourgeois-Delaunay, abri Suard, couches profondes de Combe Grenal) et perdure tout au long du Pléistocène supérieur au moins jusqu’au Solutréen (Combe Saunière, Cuzoul de Vers, Fourneau du Diable…). À la différence des gisements à bouquetin des Pyrénées, il n’existe aucun site dans le Sud-Ouest et zones limitrophes (Lot, vallée de l’Aveyron, Massif central) de chasse spécialisée au bouquetin alpin. L’espèce n’est qu’exceptionnellement présente dans les sites magdaléniens de Dordogne (Laugerie-Haute-Est, Delpech 1983), du Lot (Sainte-Eulalie, Combe Cullier [Ibid.], Cuzoul de Vers, Petit-Cloup-Barrat, Castel & Chauvière 2014) et de la vallée de l’Aveyron (Gandil ; Griggo 1997) dans lesquels prédomine le renne. Le bouquetin alpin est encore reconnu à l’Azilien (Pégourié 7 et Tastevin) et sa disparition, dans le Sud-Ouest, pourrait dater de ces périodes. Aucune identification indubitable n’a été rapportée pour les périodes plus récentes.

10La présence du bouquetin du Caucase a été proposée pour la première fois par Léon Pales (Pales 1976-1977) à partir d’un crâne particulièrement bien préservé provenant de Soulabé. L’espèce a depuis été identifiée d’un point de vue paléontologique dans plusieurs gisements du Sud de la France (Cottier III en Haute-Loire, Moula en Ardèche, Baume Longue dans le Gard, l’Hortus et grotte Marie dans l’Hérault, la Crouzade, l’Arche et Tournal dans l’Aude, Bouxès dans l’Aveyron, la Caune de l’Arago – complexe supérieur – dans les Pyrénées-Orientales, Malarnaud, Le Portel en Ariège ; Crégut-Bonnoure 2002, 2005, 2020, Rivals & Testu 2006, Magniez 2010). Ces gisements présentent des enregistrements sédimentaires de la première moitié du Pléistocène supérieur et des séquences chrono-culturelles moustériennes et aurignaciennes. La diagnose porte notamment sur la morphologie des dents mais aussi sur les chevilles osseuses des crânes dont cinq exemplaires remarquables (mâles) ont été recueillis à l’Arche (Rivals & Testu 2006), Malarnaud (Griggo 1991), au Portel (Crégut-Bonnoure 1992, Gardeisen 1994), à Soulabé (Pales 1976-1977, Crégut-Bonnoure 2002, 2020), à Tournal (Magniez 2010). Les séries les plus importantes proviennent de l’Hortus (2 564 restes identifiés, 65 individus ; Lebègue et al. 2010) et de Soulabé (au moins 1025 restes, 21 individus ; Fosse et al. 2019). Cette espèce semble perdurer jusqu’à la fin du stade isotopique 3.

11Le bouquetin des Pyrénées est particulièrement fréquent dans les gisements pyrénéens et dans les zones limitrophes. Sa répartition géo-chronologique globale est encore sous-estimée car dans les gisements du Pléistocène moyen final (stades isotopiques 6-5e), les caprinés, souvent rares, sont majoritairement rapportés à Capra sp. (comme à Cap de la Bielle, couche 7 et Olha I dans les Pyrénées françaises). Il semble néanmoins que dans la première moitié du Pléistocène supérieur, l’espèce est bien présente des deux côtés des Pyrénées (confusion avec C. caucasica ?) car reconnue au moins à Arlanpe D. Au Paléolithique supérieur, l’espèce est abondamment chassée, dans les Pyrénées centrales (Ariège, Andorre) et occidentales (Pays basque espagnol, Cantabres). À l’extrême fin du Tardiglaciaire, elle est encore épisodiquement présente dans quelques sites de basse altitude (piémont) en France (Bignalats CBJ-ni, Duruthy 2, Tute de Carrelore) et se réfugie progressivement vers les zones de haute montagne. Une seule date radiométrique directe, conventionnelle, est disponible et provient de la Coume dets Arrats (945 mètres d’altitude) dans les Hautes-Pyrénées (11 630 ± 280, Ly-2761, soit 13 525 ± 325 cal BP ; Clot & Duranthon 1990 : 41). Pour le versant espagnol, plusieurs dates AMS ont été effectuées très récemment dans le cadre d’études paléogénétiques et couvrent le Paléolithique supérieur, essentiellement final (Arlanpe A : 33 700 ± 220 cal BP ; Arlanpe B :19 060 ± 125 cal BP ; Silibranka I : 12 605 ± 55 cal BP – Magdalénien supérieur –, Urratxa : 13 490 ± 65 cal BP, 11 175 ± 55 cal BP ; Ureña 2015 : 244, tab. 7 et 11).

La conquête de la haute montagne

12Les recherches archéologiques ont été focalisées sur les gisements pléistocènes, très peu sur ceux des périodes postglaciaires débutant il y a 10 000 ans (Holocène ; Protohistoire). De fait, la présence du bouquetin est certainement sous-estimée pour cette période. Néanmoins, le développement des recherches archéozoologiques pour ces sites à faune domestique dominante, ainsi que les découvertes d’aven-pièges naturels, ont permis depuis une trentaine d’années de combler ponctuellement ces lacunes. Le problème principal réside dans la distinction entre bouquetin et chèvre domestique (Capra hircus). Le bouquetin alpin semble avoir disparu de toute l’aire géographique étudiée : un seul site du Languedoc (Camprafaud, couche 18) pourrait en renfermer de rares vestiges osseux. L’espèce identifiée dans une centaine de gisements situés dans les zones de relief faiblement anthropisées est le bouquetin des Pyrénées (Crampe & Crégut-Bonnoure 1994). Au Postglaciaire (fig. 2), il est encore bien présent, depuis l’océan Atlantique jusqu’à la Méditerranée (cf. annexe en fin de chapitre ; gisements épipaléolithiques/mésolithiques et néolithiques). De nombreux pièges naturels contemporains du Chalcolithique et de l’âge du Bronze suggèrent que son aire de répartition se confine dans la partie occidentale des Pyrénées et vers les zones de (très) haute montagne, jusqu’aux plus hauts sommets, désormais libérés de glaciers pérennes, entre 1 600 m et 2 500 m d’altitude (gouffre des Bouquetins [1 850 m], Laruns [1 900 m], Chourrugue Ouest [1 920 m], Permayou inférieur [2 240 m] dans les Pyrénées-Atlantiques et les Hautes-Pyrénées ; AN-15 [1 718 m], D-2 [1 978 m], Brecha del Rincon B-8 [2 130 m], MS-2 [2 390 m], CS-59 [2 500 m] en Aragon). Un massacre de bouquetin a même été retrouvé dans un névé à 2 640 m d’altitude au sommet de la vallée d’Estaing dans les Hautes-Pyrénées (Clot 2001). Il n’existe aucun site d’altitude comparable ni en Haute-Garonne, où le bouquetin a pourtant trouvé refuge jusqu’à la fin du xix^e siècle (cf. infra), ni en Ariège. De même, aucune mention n’est rapportée pour les sites en plaine ou dans le Massif central et ses marges durant cette période. Peu de dates directes permettent de sérier précisément les étapes de disparition de l’espèce ; côté français, quatre dates directes conventionnelles par la méthode du ¹⁴C avec malheureusement des fourchettes chronologiques importantes, s’agissant de datations réalisées anciennement (Zazpigagn, 5 990 ± 120, Ly-4191, soit 6 851 ± 156 cal BP et 580 ± 110, Ly-4192 ; PT10, 5 260 ± 120, Ly-2760, soit 6 044 ± 139 cal BP ; Permayou inf., 1 520 ± 120, Ly-2762, soit 1 443 ± 118 cal BP ; Clot & Duranthon 1990 : 41) et une date plus récente réalisée par la méthode radiocarbone de spectrométrie de masse par accélérateur (AMS) (Chourrugue Ouest, 3 645 ± 65 cal BP ; Ureña 2015 : 244, tab. 7 et 11) sont disponibles et, côté espagnol, seules trois dates AMS, récemment obtenues (AN-015 : 3 900 cal BP ; CS-59 : 5 500 cal BP ; MS-2 : 7 000 cal BP ; García-Gonzáles 2012 : 242), confirment que l’espèce est, globalement, encore présente jusqu’au début de notre ère. À l’époque historique, le bouquetin demeure fréquent dans le Haut-Béarn, les Gaves et le Haut-Aragon (vallée d’Ordesa – Mont Perdu). Cette région a abrité jusqu’à la fin du xx^e siècle les ultimes individus, derniers survivants des chasses-trophée (Bouchet 1988). En Haute-Garonne, l’espèce a perduré dans les confins du Luchonnais et de la Maladeta côté espagnol jusqu’à l’extrême fin du xix^e siècle, d’après des trophées exposés au Muséum d’histoire naturelle de Toulouse et au musée de Luchon (Gourdon 1908, 1929, Bouchet 1988). En Ariège, un magnifique crâne, annoncé d’âge néolithique (Astre 1952), provient de la Caouño de Montségur (fig. 4). La persistance du bouquetin ibérique aux temps historiques reste posée pour cette région des Pyrénées car ni Gaston Phébus (xiv^e siècle), ni Jean-Claude Bouchet (Bouchet 1988) n’en font mention. Gaston Astre (Astre 1952 : 141) rapporte le souvenir d’un chasseur de haute montagne dans la zone du Laurenty (Ariège/Aude) qui pourrait en avoir tué un couple vers les années 1920-1925. Quoi qu’il en soit, la configuration géologique particulière ariégeoise (très peu de zones calcaires au-delà de 1 500 m d’altitude) apparaît beaucoup moins favorable à la découverte d’indices de présence du bouquetin pour les périodes protohistorique et historique que les zones plus occidentales. En Espagne, le même déséquilibre géographique que sur le versant nord apparaît, et seules de récentes prospections spéléologiques, menées depuis les années 1990-2010, ont permis de contribuer significativement à la découverte de sites holocènes dans la partie occidentale (Haut-Aragon) des Pyrénées, en haute altitude (Nebot & Pauné 1995, 1996, 1997, García-Gonzáles 2012, Sauqué et al. 2015). La survie jusqu’à la fin du xx^e siècle du bouquetin dans cette zone frontalière (Gavarnie-Ordesa) est à l’origine du projet de réintroduction du bouquetin (Crampe 1994, 2020). L’espèce réoccupe désormais la haute montagne non seulement dans les Hautes-Pyrénées (Cauterets), mais aussi en Ariège (Ustou) suite à plusieurs lâchers (Alzieu et al., ce volume).

2. Répartition des bouquetins à l’Holocène (n = 102)

Considérations taphonomiques

13Dans son inventaire des gisements pyrénéens préhistoriques et historiques, Gaston Astre (Astre 1952) ne retient que l’aspect anthropique (chasse, exploitation) des accumulations aussi bien pour la fin du Pléistocène (fin du Paléolithique supérieur) que pour le Postglaciaire (Mésolithique, Néolithique, xviii^e-xx^e siècles). La synthèse effectuée par André Clot (Clot 1982, Clot & Duranthon 1990), intégrant les sites holocènes, met en évidence un piégeage naturel occasionnel dans les cavités (gouffres). Le développement des recherches sur les gisements à bouquetins, d’ordre géographique (découvertes de nouveaux gisements) et méthodologique (étude/révision taphonomique des séries paléontologiques), dépasse cette division et un inventaire des sites fait émerger, pour les Pyrénées, une origine complexe et diversifiée des séries paléontologiques. Si la chasse, parfois sélective, est indubitable pour la seconde moitié du Paléolithique supérieur, d’autres causes, encore peu documentées (activités des carnivores, refuge naturel de bouquetins dans les cavités dont ils consomment le salpêtre), ont également contribué à la mise en place d’ensembles osseux tout au long du Quaternaire.

Chasse ou exploitation par l’Homme…

14Dans les gisements de montagne et dans les zones extra-pyrénéennes, le bouquetin est marginal dans les cortèges fauniques contemporains de l’Homme de Néandertal (Moustérien). L’espèce est souvent le second taxon identifié, en association avec le cerf, les grands bovidés ou encore le cheval (Altuna 1989, 1992, Altuna & Mariezkurrena 1988, Yravedra & Cobo-Sanchez 2015). L’origine anthropique de ces restes se pose en raison de la prédominance des traces d’activités des carnivores dans de nombreux sites à stratigraphie complexe (Axlor, Bourgeois-Delaunay, Lezetxiki, Malarnaud, Le Portel, Soulabé ; Altuna 1990, Villaluenga Martinez 2013, Yravedra & Cobo-Sanchez 2015 ; et cf. infra). Quelques indices d’ordre économique apparaissent dans ces contextes mixtes d’un point de vue taphonomique (action des carnivores et/ou anthropique). À Combe Grenal, de rares os de bouquetin des couches 23 et 21 présentent des traces de découpe (fig. 3), en apparente association avec des os de renne (ongulé dominant) ingérés par les hyènes. À Soulabé, un métatarse présente sur l’une de ses faces (dorsale) quelques stries liées au dépouillement (fig. 3). Il s’agit du seul os pouvant être attribué à une activité anthropique, la plupart des autres restes présentant des traces laissées par des dents de carnivores (cf. infra). Au Portel, les restes osseux de bouquetin sont peu abondants (n = 152) et sont dispersés sur toute la stratigraphie. Les analyses (Gardeisen 1994, 1999) ont néanmoins montré que l’espèce est mieux représentée dans les niveaux assimilés à des tanières de carnivores (os mâchonnés par des loups (Canis lupus) ?, dans les couches B, F2), tout en ayant également (F2) été exploitée par les Néandertaliens (fracturation, points d’impact).

3. Exemples de restes de bouquetins présentant des traces d’activités anthropiques (Archéologie) et trophées de chasse xix^e siècle

15À Axlor, le bouquetin est la seconde espèce la plus fréquente, constituant de 20 à 40 % des ongulés (Altuna 1990). L’extrême rareté des carnivores (quelques restes de loup dans les niveaux VI et IV) suggère une acquisition et une exploitation anthropique des bouquetins (Altuna 1992). Au début du Paléolithique supérieur (Aurignacien), l’espèce est commune dans les gisements des deux versants pyrénéens (cf. annexe), mais toujours en quantité très faible. C’est à partir du Gravettien (Bolinkoba VI, Castaños 1986 ; Amalda, avec des débats sur de possibles attributions taphonomiques à des carnivores, cf. infra) et surtout du Solutréen en Espagne (La Riera, niveaux 4-7 ; Bolinkoba IV, V, Ibid.) qu’apparaissent les sites de chasse intensive au bouquetin. De véritables niveaux monospécifiques, constitués entre 80 et 95 % de restes de cette espèce sont mis en évidence (Altuna & Mariezkurrena 1985, Straus 1987) et perdurent jusqu’à l’extrême fin du Pléistocène supérieur (Tardiglaciaire) et au tout début du Postglaciaire (Azilien). Au cours du Magdalénien l.s., ce type de gisements s’étend de part et d’autre des Pyrénées (Rascaño, Ekain, Ermittia, Erralla, en Espagne ; La Vache, Les Églises, Rhodes II en Ariège et Belvis dans l’Aude) puis se poursuit en haute montagne à l’Holocène (Azilien ; Balma de la Margineda en Andorre ; Balma Guilanya, E, EJ, K, Clot de l’Hospital, El Filador en Catalogne). Les sites sont nichés dans le fond des vallées ou en altitude modeste (sites les plus élevés : Belvis, 960 m, Balma de la Margineda, 1000 m), au pied de massifs correspondant aux biotopes privilégiés des bouquetins (pelouses). Leur emplacement topographique conditionne un traitement différencié des carcasses : très faible représentation des éléments riches en viande dans les sites d’abattage des ongulés (Rascaño : Altuna 1981), plus fortement présents dans les sites d’occupation des préhistoriques (découpe de quartiers puis transport vers l’habitat, la Riera : Altuna 1986 ; La Vache : Pailhaugue 1993, 1995, 2003). Dans ces derniers sites, la chasse porte principalement sur des adultes puis les jeunes individus (Rascaño, Ekain, Les Églises, La Vache) sans préférence d’après le sex-ratio (mâles et femelles étant représentés), exception faite de la grotte de La Vache. Dans ce gisement en effet, 1433 bouquetins adultes ont été dénombrés contre 398 non adultes (Pailhaugue 2003 : 107) et 60 % des adultes seraient des femelles (Pailhaugue 2003 : 112). La chasse préférentielle en hiver et printemps prévaut dans de nombreuses localités (Ermittia, Les Églises, La Vache, Belvis), excepté au Clot de l’Hospital (au printemps) et Erralla V (fin de l’été et début de l’automne, Altuna & Mariezkurrena 1985). L’exploitation intense des carcasses s’inscrit dans une dynamique rationalisée des matières premières, depuis la consommation de la viande et de la moelle (fracturations et découpe importantes relevées dans les gisements espagnols Erralla, Ermittia) et français (La Vache, Les Églises) jusqu’à la confection d’objets symboliques (incisives et/ou canines sciées et/ou percées, art mobilier ; cf. contributions dans ce volume). Parmi les traitements d’ordre économique, la consommation de viande cuite puis le rejet d’éléments squelettiques dans les foyers sont fréquents. Quoique notée à La Vache (Pailhaugue 2003), cette pratique semble avoir été sous-estimée, de nombreuses boîtes crâniennes et de chevilles osseuses de bouquetin étant rougies et/ou partiellement noircies par des expositions au feu (fig. 3). L’importance du bouquetin dans l’économie de subsistance est telle que des segments anatomiques de bas de pattes en connexion anatomique retrouvés parmi les déchets alimentaires ont été interprétés comme des dépôts rituels (Erralla V : Altuna et al. 1984).

16Les témoins avérés de consommation du bouquetin perdurent ensuite au cours de l’Holocène (Mésolithique/Néolithique et âge du Bronze) davantage dans les sites des massifs rocheux catalans que sur le versant nord des Pyrénées (Balma Guilanya, C-C1, Cingle Vermell, Cova del Parco Ib, Ia2, Llo, Lo Lladre).

…mais aussi par les carnivores…

17Chez les bouquetins modernes, la mortalité liée à la prédation semble faible. Le renard et l’aigle royal sont souvent cités comme les prédateurs principaux des cabris (Crampe 1991 : 119) ; le loup consomme rarement des individus adultes. En dépit de cette apparente invulnérabilité, les bouquetins figurent souvent dans le registre pléistocène dans des cortèges fauniques riches en carnivores. Frédéric Édouard Koby (Koby 1958) rapporte que dans les grottes à ours des cavernes (Ursus spelaeus), il semble y avoir une diachronie entre les restes osseux de ces deux espèces, les bouquetins étant globalement plus nombreux dans les parties supérieures des remplissages qu’au cœur des couches à ours. Dans les Pyrénées, le bouquetin est toujours insignifiant dans les sites monospécifiques à ours des cavernes (Amutxate, Baio, Toll, Troskaeta, etc.), voire même absent (Cova Eiros, Haristoy, Tella Sin, etc.). Il ne semble y avoir aucune relation entre ours et bouquetin. Pour les Pyrénées françaises, l’absence de dates radiométriques directes sur ces taxons limite à ce jour les interprétations. Il en est de même pour les grottes à hyène des cavernes (Crocuta spelaea) qui ne renferment pas (Camiac, Labeko Koba) ou très peu (Bourgeois-Delaunay, Canyars, Esquilleu, Gerde, Haurets, Marie, Toixoneres) de restes de bouquetin. Cela s’explique autant par le régime alimentaire de ces prédateurs sociaux, qui repose principalement sur les ongulés grégaires de plus grande taille (équidés, grands bovidés, rhinocérotidés, mammouth) que par l’implantation topographique des tanières (vallées, paysages ouverts). À la grotte de Castel 2, le bouquetin est retrouvé en contexte de tanière d’ours et/ou d’hyène des cavernes, sans que les destructions observées sur les ossements puissent leur être rapportées (Pernaud et al. 2004). À Tournal, l’espèce n’est guère abondante tout au long d’une stratigraphie complexe, où se mêlent fréquentations par les Hommes du Paléolithique moyen et supérieur mais aussi par l’ours des cavernes, l’hyène, le loup et la panthère (Panthera pardus ; Magniez 2010) ; quelques ossements de petites dimensions présentent des modifications de surface liées à la consommation (niveau B/C) ou à la digestion par un carnivore (fig. 4), hyène ou loup (tous deux pouvant ingérer des os de petit gabarit, Fosse et al. 2012). Le bouquetin est en revanche plus commun dans les gisements à plus forte diversité de carnivores, notamment en présence de canidés (loup, voire dhole [Cuon alpinus]) et de félidés (panthère). À Gabasa I, de nombreux restes présentent des marques de carnivores, dans les niveaux d’occupation par l’hyène et par le loup, qui est le carnivore dominant (Blasco-Sancho 1995). L’association proie–prédateur entre le bouquetin et le loup se pose dans ce cas et pourrait être étendue à d’autres sites, après une étude taphonomique du matériel, dans lesquels le loup est abondant (Malarnaud : Dufour 1989) ou présent à proximité des restes de bouquetin (Arrikrutz : Altuna 1972 ; niveaux inférieurs du Portel : Gardeisen 1994). Dans des gisements d’Espagne méditerranéenne, le dhole est présenté comme agent d’accumulation des restes de bouquetin (niveau pré-Gravettien d’El Parpalló, Morales Pérez et al. 2012). Il convient de noter que ce carnivore est présent dans de nombreux sites à bouquetin alpin (l’Observatoire à Monaco : Boule & Villeneuve 1927, Brugal et al. 2020 ; Bayol : Crégut-Bonnoure com. pers. ; grotte Chauvet-Pont d’Arc : Fosse & Philippe observations inédites), caucasien (l’Hortus : Pillard 1970 ; Malarnaud : Dufour 1989 ; Soulabé : archives Léon Pales) ou ibérique (Bolinkova VI : Castaños 1986 ; Ekain IXb et Xa : Villaluenga Martinez 2013) mais toujours en association avec le loup et la panthère. Des études néotaphonomiques* ont démontré depuis peu que la panthère moderne pouvait accumuler des restes d’ongulés dans les grottes (De Ruiter & Berger 2000). Le rapprochement trophique entre le bouquetin et la panthère est pressenti à Soulabé car les traces de dents sont modérées (éraflures, piquetages et rongements et non perforations), sur des os longs essentiellement complets (fig. 4). Le rôle joué par les loups pourrait être également envisagé (Fosse et al. 2019). À Imanolen Arrobia (Guipuscoa), le bouquetin des Pyrénées est l’ongulé dominant (NRD¹ = 426, NMI² = 13) de cette cavité qui aurait été principalement occupée par les panthères ; les bouquetins sont en large majorité des sujets non adultes et près de la moitié (47 %) des restes porte des traces de mâchonnement et de très rares perforations (Castaños et al. 2017).

4. Restes de bouquetins rongés (Soulabé) et ingérés (Tournal) par les Carnivores

18Enfin, deux grottes ont été interprétées comme tanières de ce même carnivore car seule cette espèce est identifiée parmi les prédateurs : Vilhonneur (cave chaude) en Charente, où deux squelettes complets de panthère ont été retrouvés avec d’infimes restes de bouquetin digérés (Tournepiche, com. pers.) et la grotte de S’Espasa en Catalogne où un squelette a également été recueilli avec de nombreux éléments de bouquetin (Estévez 1975-1976, Sauqué et al. 2017). L’association bouquetin – panthère est donc progressivement mise en évidence d’un point de vue taphonomique dans les Pyrénées, à l’instar de sites plus méridionaux d’Espagne (Raco del Duc : Sauqué & Sanchis 2017 ; Zafarraya : Barroso Ruiz et al. 2012). Il convient d’évoquer ici les niveaux VII et IV d’Amalda où le bouquetin est abondant mais dont l’interprétation en tant que tanière fait débat (Yravedra 2005 vs Altuna & Mariezkurrena 2010). La panthère ou le lynx sont ici avancés comme agent accumulateur principal, en raison de l’importante fréquence de traces de carnivores sur les os (Yravedra 2005, Yravedra & Cobo-Sanchez 2015). Il en est de même pour le niveau VI d’Erralla (Altuna & Mariezkurrena 1985). En résumé, les bouquetins apparaissent comme des proies potentielles des loups et plus assurément des panthères pléistocènes dans des zones de reliefs marqués. Dans ces gisements, l’impact des carnivores a souvent été relevé sur les restes d’isard également (espèce dominante des spectres fauniques, Yravedra & Cobo-Sanchez 2015).

19Pour l’Holocène, le bouquetin est fréquent dans de nombreuses cavités occupées par l’ours brun, Ursus arctos, sur le versant nord (Arriutort, Maquisards, Üthurri, Zazpigagn : Clot 2001) ou sud (Bucardo : Sauqué et al. 2015) sans que des évidences d’ordre chronologique (rares dates 14C conventionnelles sur le bouquetin, Clot & Duranthon 1990) ou taphonomique (restes osseux complets, absence de traces de carnivores) puissent être avancées avec certitude. La consommation du bouquetin à l’état de cadavre par l’ours brun n’a pas encore été mise en évidence (occupations volontaires diachroniques bouquetin/ours brun ?) dans les Pyrénées. Les os de bouquetin portent en revanche quelques traces de dents de renard et/ou de petits rongeurs.

…et piégés dans des « oubliettes » !

20Marcel Couturier (Couturier 1962 : 1116) rapporte que les bouquetins se réfugient parfois à l’entrée des cavités lors d’orages ou d’épisodes de foudre estivaux. Ces conditions climatiques particulières peuvent être une cause de mortalité naturelle. Un autre facteur de l’intrusion de cet ongulé dans des réseaux karstiques est lié à la recherche de salpêtre ; la topographie intérieure des galeries explique le piégeage dans les puits et oubliettes pouvant jalonner leur parcours. Dans le registre paléontologique, l’hypothèse du foudroiement est avancée pour justifier la présence de sept bouquetins retrouvés dans le niveau IV, naturel et pré-Magdalénien de la galerie horizontale du site pléistocène d’Erralla (Altuna & Mariezkurrena 1985). Dans d’autres sites, c’est sans doute la combinaison des deux facteurs, biologique (refuge) et topographique (piège) qui explique la présence de plusieurs bouquetins (Illobi : Villaluenga Martinez 2011). Soulabé pourrait également être rangé en partie dans cette série de grottes-pièges, car de nombreux restes de bouquetin, rongés ou intacts, ont été trouvés dans la galerie inférieure, de part et d’autre d’un puits de 8,30 m. Les premiers remontages inter-couches suggèrent une dynamique de dépôt gravitationnelle. Dans quelques cavités, la récupération de nombreux éléments squelettiques d’un même individu en un espace restreint, suggère une mort in situ de bouquetins (Barranco Jardin J-1 et J-5 : Sauqué et al. 2015). Les exemples liés à des piégeages individuels ou récurrents (chute, glissement) dans des systèmes karstiques sont bien plus nombreux pour l’Holocène. Les découvertes spéléologiques ont fourni d’importants sites, aussi bien côté français (gouffre des Bouquetins, BSE 21, Chourrugue Ouest, Coume dets Arrats, Erbinia, Permayou, PT 10, PT 16 : Clot & Duranthon 1990, Crampe 1991, Cazenave et al. 1994) qu’espagnol (AN-015, Los Batanes, Brecha del Rincon B-8, C-32, CB-41, CS-53, CS-59, CS-61, MS- 2, SO-4 : Nebot & Pauné 1996, 1997, García-González 2012, Sauqué et al. 2015). Le gisement-piège de référence, est, pour le versant français, le gouffre de Chourrugue Ouest à Gèdre, découvert par Jean-Pierre Besson en 1990, où une douzaine de squelettes subcomplets ont été recueillis ; côté espagnol, le site de Los Batanes, daté de l’extrême fin du Tardiglaciaire, a livré « plusieurs centaines » de restes de bouquetins (Sauqué et al. 2015), provenant de la désarticulation d’animaux piégés au fond d’un puits. L’attribution fonctionnelle à un piège naturel repose sur la présence de tous les éléments osseux composant le squelette, souvent complets, avec notamment les restes crâniens (fig. 5) et une prédominance de sujets adultes mâles (AN- 015, Barbat, Barranco Jardin J-1, Barrancon Jardin J-5, Bucardo, gouffre des Bouquetins, Erbinia, MS-2, PT10 : Clot 1988, 1990, Crampe 1991, García-Gonzalez 2012, Nebot & Pauné 1996, Sauqué et al. 2015) par rapport aux femelles (CS-59 et SO-4 : Nebot & Pauné 1996). Parfois, une prédominance des individus subadultes sur les adultes est observée (Chourrugue Ouest, Los Batanes, Illobi). Dans des gouffres à individu unique, les juvéniles semblent être également plus fréquemment piégés que les adultes (C-32 : Nebot & Pauné 1996). Enfin, la fréquentation volontaire d’une cavité par les bouquetins est exceptionnellement déduite à partir d’empreintes des sabots (Fontanet et Niaux en Ariège, La Baume Latrone dans le Gard, Chauvet-Pont d’Arc en Ardèche (Garcia 2005) pour le Paléolithique supérieur, grotte du Brouillard dans les Pyrénées-Atlantiques pour l’Holocène).

5. Crânes de bouquetins retrouvés dans des gisements (pro parte) naturels dans les Pyrénées

Conclusions

21Ce tour d’horizon montre tout l’intérêt que revêt le groupe des bouquetins pour les recherches en archéologie paléolithique (circum-) pyrénéenne. Au Pléistocène, les trois espèces (alpine, caucasienne ou pyrénéenne) s’observent aussi bien dans des contextes de tanières de canidés et/ou de félidés (au moins pour la première moitié du Pléistocène supérieur) que dans les plus anciens niveaux d’occupations humaines. La chasse et l’exploitation de cet ongulé émergent au Paléolithique moyen mais se développent, comme dans la plupart des massifs montagneux d’Europe, au cours du Paléolithique supérieur. Dans les Pyrénées françaises, le bouquetin est, avec le bison, une espèce majeure dans l’économie des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique supérieur.

22L’Ariège en a livré, au travers des grottes voisines de La Vache et de Niaux, un inestimable témoignage archéologique. À partir de l’Holocène, le bouquetin se raréfie drastiquement. Les découvertes spéléologiques suppléent alors le registre archéologique pour livrer des informations biogéographiques, chronologiques et écologiques importantes.

23Progressivement, dans les Pyrénées l.s. et zones adjacentes, les bouquetins apparaissent non seulement dans des gisements d’origine anthropique, mais aussi dans des sites d’origine carnivore (première moitié du Pléistocène supérieur) et naturelle (Pléistocène et Holocène). Cet inventaire des gisements à bouquetin(s) éclaire une réflexion pluridisciplinaire (biochronologie, taphonomie, archéozoologie) qui pourrait être comparée à d’autres régions riches en gisements pléistocènes et holocènes présentant une configuration similaire (Espagne, Sud-Est de la France, Italie, Croatie, Slovénie, Suisse, Autriche, Roumanie) afin d’étoffer les reconstitutions éthologiques de cette espèce au fil du temps.