1La question des débuts des occupations humaines dans les zones de montagnes met en évidence les capacités d’adaptation des groupes humains dans ces environnements à fortes contraintes naturelles (changements saisonniers marqués ; topographie escarpée impliquant des voies de pénétration privilégiées ; qualité des matières premières disponibles variable). Des occupations aux marges des Pyrénées sont bien documentées, mais rares sont celles qui le sont au cœur même de la chaîne, exceptée la grotte du Noisetier (Mourre et al. 2008 ; fig. 1). De fait, la découverte de sites de plein air (tels que Roca San Miguel, Domingo & Montes 2016, ou Lanne-Darré, Mourre & Colonge 2007) est difficile dans ce type d’environnement, ce qui limite d’autant le nombre de lieux d’occupation identifiés. L’importance de la fréquentation humaine au Paléolithique ancien et moyen en contexte montagnard demeure probablement sous-estimée. Il peut s’agir d’un état de fait archéologique ou bien d’un état des recherches actuelles liées à la difficulté de prospecter ces zones. La possibilité que la chaîne pyrénéenne fonctionne comme une barrière à la fois naturelle et culturelle a souvent été évoquée pour différentes phases du Paléolithique (Cazals et al. 2007). À l’inverse, la présence de certains matériaux sur les deux versants pourrait témoigner de traversées à l’époque préhistorique (Utrilla Miranda et al. 2010a), y compris durant les phases glaciaires, l’extension maximale des glaciers pyrénéens ayant toujours laissé quelques passages ouverts (Calvet 2004).

1. Sites pyrénéens datant du Paléolithique ancien et moyen

2Depuis les premières implantations humaines jusqu’à la disparition des derniers Néandertaliens dans les Pyrénées, le climat n’est pas resté constant. Les chronologies isotopiques permettent d’identifier les oscillations des températures terrestres. Des phases glaciaires et interglaciaires se sont succédé au sein desquelles d’importantes oscillations de températures ont pu varier de manière abrupte (Sánchez-Goñi 2006). Durant les événements les plus froids, il est probable que l’occupation de la zone pyrénéenne ait été plus ponctuelle. De plus, l’asymétrie générale de la chaîne pyrénéenne sur ses versants nord et sud implique des différences climatiques. Sur le versant nord, le profil en section de la chaîne est plus abrupt, les vallées sont plus encaissées et l’humidité y est plus importante, alors que le versant sud accuse des pentes plus douces qui descendent vers la vallée de l’Èbre où l’ensoleillement est plus intense. De même, des variations existent entre l’Ouest et l’Est, soumis à des influences océaniques ou méditerranéennes. Ces variations géomorphologiques et climatiques influent aussi sur la composition de la flore et de la faune qui s’adaptent à ces changements.

3Le peuplement de l’Europe correspond au moment où les premières espèces humaines quittent l’Afrique aux environs de 2 millions d’années (Homo ergaster ?). Aux abords des Pyrénées, le site de Gran Dolina (Atapuerca, Espagne) a livré les plus vieux fossiles humains retrouvés en Europe de l’Ouest datant entre 1,2 million d’années et 800 000 ans ; ils appartiennent à Homo antecessor, qui s’intègrerait dans la variabilité des Homo heidelbergensis. Ces derniers (~800 000 – 200 000 ans) ont aussi été identifiés à Atapuerca (Sima de los Huesos) et, en territoire pyrénéen, dans la Caune de l’Arago (Tautavel, France) et dans la grotte de la Terrasse (Montmaurin, France). Homo heidelbergensis évolue vers l’Homme de Néandertal entre ~400 et 200 000 ans. Dans les Pyrénées, quelques rares restes humains néandertaliens ont été mis au jour dans la grotte de Gabasa (Huesca) et dans celle du Noisetier (Hautes-Pyrénées). Il est aussi possible que ces deux espèces aient coexisté durant un temps sur les mêmes territoires. La résolution chronologique actuelle pour ces périodes ne permet pas d’être plus précis. De la même façon, la question des causes de l’extinction des populations néandertaliennes peu avant 40 000 ans et le rôle simultané joué par l’arrivée de l’Homme anatomiquement moderne en Europe occidentale est l’un des sujets encore les plus débattus actuellement où des hypothèses de compétition ou d’hybridation des populations sont défendues. Les causes liées à la disparition des Néandertaliens relèvent probablement de facteurs multiples (Braga et al. 2016).

4Les industries lithiques associées aux plus anciennes occupations humaines sont des industries sur galet dont l’objectif est d’obtenir des outils massifs à tranchant simple ; des choppers et chopping-tools. Ces industries deviennent plus complexes dans leur processus de fabrication et plus diversifiées pendant les occupations acheuléennes, incluant dans leur gamme d’outils des bifaces, des hachereaux et des trièdres. Sur le territoire pyrénéen, ils sont connus à Tautavel (fig. 2 – Barsky & de Lumley 2010), Lanne-Darré, Duclos (Colonge et al. 2012) et sur quelques terrasses des affluents de l’Èbre, sous la forme de trouvailles isolées (Montes et al. 2016). C’est durant cette phase que les outils retouchés sur éclats se généralisent, principalement des racloirs et des denticulés. Plus légers et maniables, ces outils sur éclats vont se diversifier et devenir majoritaires dans les outillages de pierre conçus par les populations néandertaliennes jusqu’à totalement supplanter les macro-outils dans certaines régions.

2. Outils du Paléolithique ancien et moyen des Pyrénées

5Des concepts de production d’éclats plus complexes qu’auparavant, permettant de contrôler la morphologie des produits recherchés, vont alors se systématiser, notamment les débitages Levallois et Discoïde. C’est généralement l’apparition du débitage Levallois qui marque la transition entre le Paléolithique ancien et moyen, au sein d’un processus de continuité. Une phase de coexistence entre des sites attribuables au Paléolithique ancien et moyen semble présente entre les stades isotopiques 8 et 6 (Colonge et al. 2014, Santonja et al. 2015).

6Cependant, surtout dans la partie occidentale de la chaîne pyrénéenne et en Cantabrie, certaines industries du Paléolithique moyen contiennent encore des outils emblématiques du Paléolithique ancien (des hachereaux et des bifaces). Ce phénomène peut s’interpréter comme une perduration des macro-outils depuis le Paléolithique ancien, ou bien comme des phases d’abandon et de réapparition successives à différents moments en fonction des besoins liés aux changements climatiques et/ou des traditions techniques des groupes (Deschamps 2014). Dans d’autres régions d’Europe aussi, la production de bifaces est présente dans différentes industries du Paléolithique moyen. Concernant les hachereaux, leur perduration tardive dans des industries du Paléolithique moyen de l’ouest des Pyrénées et du nord-ouest de l’Espagne est une caractéristique unique dans toute l’Europe.

7Ces populations de chasseurs-cueilleurs-collecteurs ont des modes de vie nomades. La complémentarité saisonnière des disponibilités des ressources animales et végétales, a probablement joué un rôle important qui a influé sur les choix de mobilité des groupes humains. Dans les Pyrénées, les cervidés, les bovidés et les équidés constituent les proies les plus fréquemment chassées. Le Bouquetin l’est plus rarement, mais des traces de découpe sur ses restes osseux ont été identifiées dans la grotte du Noisetier, occupée par les Hommes de Néandertal (bien qu’une partie ait aussi été accumulée par des prédateurs, Mourre et al. 2008, Mallye et al. 2012, Fosse et al., ce volume).

8La question des comportements dits « modernes » chez l’Homme de Néandertal est complexe. Si les Néandertaliens n’ont pas produit de figuration artistique dans les grottes, à l’image de ce qui est connu pour le Paléolithique supérieur, certains de leurs comportements sont évocateurs d’une grande complexité cognitive et d’une pensée symbolique.

9Au Paléolithique moyen, quelques sites témoignent d’une activité de chasse où une espèce est spécifiquement chassée en masse. C’est le cas du site de Mauran (Haute-Garonne) qui a été interprété comme un site de chasse spécialisé de bisons (Farizy et al. 1994, Rendu et al. 2012) ou de Gabasa (Huesca) qui correspond à une halte de chasse spécialisée dans l’acquisition et le traitement de carcasses de cerfs et de chevaux (Montes 1988, Blasco 1995, Blasco et al. 1996, Utrilla et al. 2010b). D’autres types de sites spécialisés dans l’acquisition de matières premières et la production d’éclats (par exemple les sites du Prissé et Jupiter, Deschamps et al., sous presse) peuvent être mis en évidence pour cette période. Des sites correspondant plutôt à des campements de base où peuvent être effectuées des activités domestiques plus diversifiées sont aussi documentés. Dans ces sites, le nombre d’outils sur éclat est souvent important, témoignant parfois de cycles d’utilisation et de réaffûtage intense. Des matières premières régionales d’origines diversifiées convergent dans ce type d’occupation. Enfin, l’exemple du niveau H de l’abri Romani (Catalogne) est un cas exceptionnel aux alentours du versant sud des Pyrénées où des négatifs de vestiges en bois végétal situés à proximité de zones de foyers sont conservés (Carbonell & Castro-Curel 1992) et pourraient être interprétés comme des éléments de vaisselle.

10Ces différents types d’occupations spécialisées, associés à d’autres types de sites où les activités sont plus diversifiées, paraissent indiquer le développement d’une planification importante des déplacements au sein du territoire et de la gestion des ressources. L’existence d’une pensée symbolique semble aussi s’exprimer notamment à travers les pratiques funéraires, bien que le caractère intentionnel des sépultures néandertaliennes fasse régulièrement l’objet de débats (Rendu et al. 2016). Néanmoins, des ornements personnels ont été retrouvés dans des sites du Paléolithique moyen (Zilhão 2012) ainsi que des colorants qui ont manifestement été utilisés (un bloc d’hématite présentant des traces de raclage est présent à Olha II ; Deschamps 2009). Certains attribuent même une esthétique volontaire aux bifaces dont la symétrie ne constituerait pas seulement une nécessité fonctionnelle.

11Finalement, les occupations du Paléolithique ancien et moyen dans les Pyrénées paraissent indiquer une conquête graduelle du milieu montagnard. La diversification des fonctions d’occupation des sites au Paléolithique moyen paraît être l’expression d’une complexification de la structuration économique et sociale des groupes humains néandertaliens par rapport à leurs ancêtres Homo heidelbergensis. La poursuite des recherches sur ces périodes permettra à l’avenir de mieux identifier le statut de la chaîne pyrénéenne comme barrière ou au contraire comme voie de passage à différentes phases au cours du Paléolithique ancien et moyen. Notamment, la concentration de sites sur le versant sud entre les cours fluviaux du Segre et de la Cinca (fig. 1, n^o 59-74,) pourrait s’interpréter soit comme le résultat d’une conquête d’un territoire depuis le nord à travers la Cerdagne (fig. 1, n^o 42-45), soit comme une impasse sur les bords des contreforts pyrénéens qui agirait comme une sorte de rideau infranchissable. À l’Ouest, les sites de Gatzarria (versant nord) et Abauntz (versant sud), où des occupations néandertaliennes ont eu lieu dans la même phase chronologique indiquent, ici aussi, de possibles passages nord-sud. Le statut de la chaîne pyrénéenne a probablement varié au fil du temps entre des phases clémentes où les passages étaient facilités et des phases plus rigoureuses où au moins le cœur de la chaîne constituait un obstacle.