Conclusion
p. 235-237
Texte intégral
La Grand Strategy australienne n’a pas changé depuis la colonisation blanche. Nous [les Australiens] avons toujours cherché à garantir l’Australie dans un ordre mondial stable, libéral et prospère. Nous avons toujours été une nation commerçante avec un lien stratégique solide avec la puissance maritime occidentale qui est alors dominante […].
Lyon, Leah 2008 : 40.
1Londres, Washington, New York, Pékin et Jakarta restent des références pour Canberra sur de nombreuses décennies, mais la hiérarchie de ces villes tend à prendre une forme nouvelle difficilement imaginable à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Tout en maintenant les traditions de la Grand Strategy australienne, plus que jamais primordiale au début du xxie siècle, l’Australie a fait évoluer ses fondamentaux en quelques années pour adapter sa politique étrangère. Qu’il soit idéalisé, redouté ou revendiqué, l’espace régional à géométrie variable est toujours perçu dans le cadre de la recherche de la sécurité et de la prospérité du Commonwealth d’Australie. Les stratégies internationales de l’Australie dévoilent une nécessaire adaptation aux évolutions d’un « monde régional » – de l’Asie de l’Est au Pacifique occidental – qui domine dorénavant les principaux enjeux politiques, économiques et stratégiques de l’Australie. Britishness, Anzusness et Globalness apparaissent au service de l’Asianness, de la Pacificness et de la Regionness, et finalement de l’Australianness. Entre Océan Pacifique, Océanie, Asie, Insulinde, Océan Indien, Hémisphère Sud, Occident, Orient ou Commonwealth, les affirmations identitaires globales ou régionales de l’Australie connaissent des tensions et des transitions qui correspondent aux transformations à l’œuvre dans l’espace asiatique et pacifique et à la multiplication des partenaires stratégiques ou commerciaux du Commonwealth d’Australie. L’affaiblissement relatif des États-Unis se reflète dans les mutations d’un ordre mondial encore largement dominé par ces derniers, et l’Australie adapte sa politique régionale pour maintenir à tout prix cet ordre mondial, jusque dans les normes portées par le régionalisme et par le lien à la puissance américaine. Le pays refuse toute « finlandisation » de sa politique étrangère mais cherche à maintenir une cohérence fragile face à son principal partenaire commercial qui est aussi la principale menace pour les dirigeants (Argounès 2012).
2L’Australie cherche à s’adapter aux transformations du système, depuis la primauté du niveau mondial qui imposait ses rapports de force et qui garantissait la prospérité australienne, vers un système régional dominant, de plus en plus cohérent et structuré, centré sur l’Asie de l’Est et élargi à l’Australie dès les années 1990, pour les enjeux économiques, politiques, stratégiques et institutionnels. Face à ces évolutions, Canberra construit sa politique étrangère sur une responsabilité régionale, des micro-États insulaires proches à la région dans son ensemble, afin d’essayer de garantir tous les aspects de sa sécurité, stratégique ou ontologique (Argounès 2013). Le voisinage immédiat est perçu comme l’espace de responsabilité par excellence, considéré comme structurellement fragile, en particulier la Mélanésie (Papouasie Nouvelle-Guinée, Vanuatu, Salomon, Fidji), et dans lequel l’Australie est reconnue par les principales puissances comme l’acteur de référence, mais où l’influence chinoise est de plus en plus forte. L’Asie du Sud-est est l’autre voisinage, en transformation rapide et avec une puissance régionale essentielle, l’Indonésie, et d’autres puissances émergentes comme la Malaisie et le Vietnam qui prennent une ampleur nouvelle. Cet espace est une véritable zone frontière pour l’Australie, sensible pour sa sécurité nationale, mais de plus en plus pour un lien au marché régional dont l’ASEAN n’est plus un maillon faible mais un moteur, et à une idée de véritable « communauté asiatique » élargie.
3Ces opportunités offertes par le système dominé par les États-Unis, comme les limites de la prépondérance américaine, réelles ou imaginées par les décideurs politiques, déterminent le comportement australien mais montrent également la réalité et l’imaginaire de la présence américaine dans cette partie du monde. « L’alliance américaine est un élément fondamental de la posture internationale de l’Australie. C’est une part déterminante de l’histoire que Canberra raconte au monde sur ce qu’est l’Australie et sur les valeurs qu’elle professe. C’est également une part déterminante de l’histoire que les Australiens se racontent eux-mêmes » (Sheridan 2006 : 320). Désormais, l’imaginaire construit autour de la Chine prend également une place prépondérante dans cette histoire racontée, au monde ou à eux-mêmes.
4Autrefois « extrême-Occident » dans un environnement asiatique, l’Australie a opéré un rapprochement sans précédent avec la région asiatique en écrivant une nouvelle géographie régionale pour légitimer sa présence dans une région offrant toutes les opportunités. Les dirigeants australiens, parfois en porte à faux avec leur opinion publique, cherchent à renforcer, à travers le régionalisme comme par les liens bilatéraux, l’insertion dans un monde asiatique, celui du développement de la puissance chinoise et des principaux enjeux pour le Commonwealth d’Australie. Le chercheur australien Graeme Dobell proposait en 2009 un résumé de ces enjeux en se référant à l’ambitieux accord de libre échange avec la Chine, mis sur les rails en 2005 : « le projet d’accord de libre échange bilatéral et la très bonne santé des relations commerciales avec la Chine permettent à l’Australie d’envisager une politique de défense très ambitieuse pour se protéger… de la Chine » (Dobell 2009).
5 L’émergence de l’Asie affecte l’ensemble de la planète et l’Australie est le premier pays dit « occidental » touché par cette évolution. Entre adaptation économique et inscription dans un ordre régional dominé par les puissances asiatiques, les choix australiens offrent à voir les principaux enjeux du xxie siècle. Le principe d’une « relocalisation », même perçue comme imparfaite, de l’Australie est central pour les identités australiennes sur la scène internationale (Higgott, Nossal 1998 : 278). Les formes de la puissance australienne restent centrées sur des alliances et des normes portées par un « vieux monde », plutôt que sur les normes d’intégration dans un « nouveau monde asiatique » qui continue d’être vu comme menaçant pour les dirigeants australiens (Higgott, Nossal 1998 : 281). Si une part de l’acceptation de l’émergence de la puissance chinoise dans la région repose sur l’imaginaire historique asiatique de la domination chinoise millénaire, d’un métarécit sino centré (Kang 2007 : 189), il ne prend pas en compte le fait que la société australienne s’est au contraire construite sur un imaginaire historique marqué par la domination britannique puis américaine et sur l’image d’une société australienne au miroir des sociétés occidentales dominantes et en lien avec l’Atlantique, jusqu’à être un quasi-membre de l’OTAN. Mais entre Washington et Pékin, le monde et la région, l’Australie s’insère bien dans le siècle asiatique.
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