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L’Australie et le monde

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Fabrice Argounès

Chapitre six. Canberra en responsabilité locale

Revendication d’une influence de l’équateur au Pôle sud

Texte intégral

L’Australie est une puissance régionale significative dans notre voisinage. Nous ne réclamons pas ce titre comme un droit et nous ne l’avons pas cherché. Mais les faits sur le terrain sont incontestables.
Alexander Downer, 2006a.

Une des responsabilités principales de l’Australie au sein de l’alliance [avec les États-Unis] est de re-sécuriser le Pacifique Sud [...]. L’Australie doit prendre sa part des responsabilités vis-à-vis de l’alliance dans la région. Un échec amènerait la région à regarder vers d’autres grandes puissances pour l’économie et la sécurité.
Kevin Rudd, 2007.

  • 1 Fiji Government announces 2010 Budget, Radio Fiji, 27 novembre 2009.

1Depuis les origines même de sa politique étrangère, l’Australie s’affirme comme un acteur majeur dans son voisinage, dans la sous-région du Sud-Est asiatique mais surtout dans le Pacifique Sud, où elle est devenue l’acteur de référence pour le régionalisme, l’aide aux États insulaires ou la gestion des crises, jusqu’à apparaître depuis la fin du xxe siècle comme puissance quasi-hégémonique dans la région et véritable gendarme du Pacifique. Le régionalisme océanien est un exemple de l’influence australienne, depuis ses liens avec la Nouvelle-Zélande jusqu’à ses rapports avec les plus petits États insulaires. Il représente également une insertion au cœur du Pacifique et une part de l’identité revendiquée par l’Australie, la Pacificness. Dès le xixe siècle, l’Australie a cherché à assurer sa sécurité dans son environnement insulaire en tentant d’influencer Londres pour éviter l’installation de puissances coloniales rivales et parfois en intervenant directement, comme en Papouasie, par craintes de l’impérialisme allemand en Mélanésie. Durant les deux guerres mondiales, le Commonwealth d’Australie est intervenu militairement dans le Pacifique pour s’assurer le contrôle sur des îles et archipels, et pour lutter contre la présence d’autres puissances impériales, l’Allemagne au cours de la Première Guerre mondiale et le Japon lors de la Seconde. Canberra s’est appuyée, dès l’immédiat après Guerre, sur l’organisation régionale naissante, la Commission du Pacifique Sud, afin de participer à une gestion commune, entre puissances occidentales, des îles et archipels du Pacifique et après les indépendances tardives dans la région, elle s’est présentée comme « Grand frère » des nouveaux États indépendants, parmi les plus petits du monde. En tant que puissance coloniale, elle a résisté très longtemps à la décolonisation de la Papouasie finalement acquise en 1975 et reste très présente dans cet État, le deuxième plus peuplé de la région, avec 6 millions d’habitants, devant les 4 millions de la Nouvelle-Zélande. Elle cherche à mettre en place un système régional pour dominer l’ensemble des États et territoires insulaires et préserver une domination dans ces territoires. Depuis la fin des années 1990, Canberra est surtout la seule puissance du Pacifique à pouvoir intervenir chez ses voisins. Son budget de la défense représente plus de 90 % de l’ensemble des dépenses militaires en Océanie depuis les années 1990, et son poids augmente régulièrement depuis la stagnation du budget néo-zélandais (SIPRI 2013). Le pays dépense 19 milliards de dollars américains en 2009 qu’il faut comparer au budget néo-zélandais d’un milliard de dollars et aux deux budgets les plus importants des États insulaires : 48 millions pour Fidji1 et 37 millions pour la Papouasie Nouvelle-Guinée (SIPRI 2013). L’Australie est également le seul État à pouvoir organiser des interventions dans la région, comme en 1999 au Timor Oriental ou en 2003 aux Îles Salomon où elle représente l’essentiel des troupes de la mission d’assistance RAMSI. Les autorités australiennes ont fait leurs ces limites structurelles des capacités militaires et revendiquent surtout une place dans le voisinage. C’est une des raisons de l’activisme australien dans sa région proche que le Livre Blanc de 2000 présente comme un espace de projection idéal : « […] L’armée est particulièrement organisée et taillée pour des opérations de stabilisation dans notre voisinage immédiat » (Department of Defence 2000 : 44). Alexander Downer développe un argument proche avec le lien entre puissance locale et possible usage de la puissance, pour expliquer les interventions australiennes dans le voisinage : « L’Australie est une puissance régionale significative dans notre voisinage. Nous ne réclamons pas ce titre comme un droit et nous ne l’avons pas cherché. Mais les faits sur le terrain sont incontestables » (Downer 2006a).

2L’Australie s’est réinvestie dans la région en utilisant tous les leviers à sa disposition pour influencer le devenir de la région Pacifique, par des accords qui renforcent son poids dans l’économie régionale, par une véritable « théologie » de la gouvernance qui fixent les normes en vigueur dans la région, jusqu’à l’exclusion de certains États des instances régionales, et par des interventions dans les pays insulaires voisins, actions militaires et de police où les effectifs australiens forment l’essentiel des troupes. Les formes de son leadership dans le Pacifique apparaissent à la fois plus nombreuses et plus profondes depuis deux décennies, même si les critiques sont également plus importantes. Dans un processus actuel de dilution du Pacifique Sud dans un espace plus large asiatique et pacifique, dans lequel les acteurs émergents asiatiques prennent une place des plus importantes dans les enjeux économiques, diplomatiques et sécuritaires, la politique australienne s’inscrit dans une forme de résistance pour maintenir un rôle central dans la région. Les autres voisinages australiens, dans l’Océan Indien ou dans l’Océan Antarctique, participent également à la politique étrangère ambitieuse de Canberra pour maintenir la ZEE au troisième rang mondial, derrière les États-Unis et la France, et affirmer sa place dans l’Antarctique, où elle prétend à une souveraineté sur plus du tiers du continent glacé.

L’Australie puissance coloniale : l’exemple de la Papouasie Nouvelle-Guinée

  • 2 Proclamation, Territory of Papua, Government Gazette Extraordinary, Published by Authority, Vol. 1, (...)

3Alors que le continent australien est encore divisé entre les différentes colonies de peuplement, les dirigeants de Nouvelle-Galles du Sud ou du Queensland lorgnent sur les espaces insulaires proches pour le contrôle d’un véritable empire colonial « subimpérial » dans le Pacifique. En 1883, la Colonie australienne du Queensland commence l’annexion du sud-est de la Nouvelle-Guinée, devenue protectorat britannique (British New Guinea) l’année suivante. Le Commonwealth d’Australie devient la puissance tutélaire le 18 mars 1902, par transfert d’autorité depuis le Royaume-Uni2. Le territoire fut agrandi avec le mandat de la SDN sur les anciennes possessions allemandes au nord de la Papouasie et dans l’ancien archipel Bismarck. À partir de 1919, l’Australie disposait de sa principale colonie de l’autre côté du Détroit de Torres. De par sa proximité, elle était intégrée à l’idée de nouvelle frontière australienne au même titre que le nord du Queensland et le Territoire du Nord. Néanmoins, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’imaginaire dominant en Australie reproduisait les clichés sur une terre « d’épaisse jungle » et de « peuples primitifs » (Bolton 1990 : 39) et la gestion australienne fut marquée par un minimum d’investissements, même en comparaison avec d’autres colonies du Pacifique et par une assez faible interférence avec la population locale sur les hauts plateaux. Les projets de représentation de la colonie au sein du Parlement furent jugés prématurés, au moment de la mise en place de l’administration australienne :

  • 3 Senator Stewart’s Papua Act Amending Bill, 1906/5998, (4 pages), File of Papers, Department of Exte (...)

[...] Compte tenu des conditions locales, notamment le petit nombre d’habitants blancs et le fait qu’ils ont été dispersés sur une zone très large de la Possession induite [La Papouasie], les ministres ont mis de côté l’idée [de la représentation élective], présentée comme prématurée3.

4Dans les années 1930, une ruée vers l’or modeste donna un peu d’intérêt pour la colonie mais c’est surtout la progression japonaise lors de la Seconde Guerre mondiale qui a enclenché un renouveau d’intérêt stratégique pour la Papouasie. L’héroïsme de la population papoue, lors de la tentative de progression japonaise depuis Rabaul au Nord vers Port Moresby au Sud, le long de la piste de Kokoda, entraina une sympathie nouvelle pour les « Fuzzy-Wuzzy Angels », mais sans reconnaissance de droits nouveaux à la fin de la guerre, en particulier sous la pression des colons australiens. Au début des années 1950, le gouvernement Menzies s’appuya sur deux hommes pour la gestion de cette colonie, Paul Hasluck, ministre des territoires de 1951 à 1963 et Donald Cleland, administrateur de la Papouasie de 1952 à 1966. Les premières réformes mises en place dans cette colonie étaient exclusivement médicales et sociales à partir de la construction d’écoles et d’hôpitaux qui ne touchaient qu’une petite partie de la population.

5Durant des années, et jusqu’au tout début des années 1970, une part importante des décideurs australiens évoquaient l’indépendance de la Papouasie Nouvelle-Guinée comme un processus à très long terme, presque centenaire ou au moins destiné aux générations futures et une critique classique du devenir de ce pays repose sur l’idée que la « précipitation » (pourtant pour une indépendance tardive en comparaison avec d’autres exemples) australienne sous pression internationale est une des raisons des difficultés de ce pays. La Papouasie devient un enjeu essentiel de la diplomatie australienne à partir de l’année 1960, avec une vague d’indépendance sans précédent sur le continent africain (17 pays) et les tensions au sein des organisations internationales auxquelles était rattachée l’Australie. La « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux », dans la résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations-Unies, en 1960, entraina une plus grande pression sur les pays colonisateurs ou mandataires, et l’Australie en faisait partie.

  • 4 Résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale des Nations-Unies en date du 14 décembre 1960.

5. Des mesures immédiates seront prises, dans les territoires sous tutelle, les territoires non autonomes et tous autres territoires qui n’ont pas accédé encore à l’indépendance, pour transférer tous pouvoirs aux peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve, conformément à leur volonté et à leurs vœux librement exprimés, sans aucune distinction de race, de croyance ou de couleur, afin de leur permettre de jouir d’une indépendance et d’une liberté complètes4.

6Le gouvernement Menzies accepta le principe d’une indépendance future de la Papouasie Nouvelle-Guinée lors de la réunion du Commonwealth de 1960 et chercha rapidement à donner des preuves d’une évolution dans ce domaine, même si les autorités supposaient encore qu’une indépendance réelle serait effective dans les années 1990. Pour préserver les intérêts australiens sur place, certains dirigeants évoquaient l’importance de la PNG comme glacis protecteur face à l’Asie, sa possible intégration de force dans l’Indonésie, comme la Papouasie Occidentale, et d’autres proposaient, avec peu de soutien dans l’opinion, qu’elle devienne un État australien (Downs 1980). La politique australienne pour la Papouasie continua dans le cadre d’une gestion des populations qui « Interdit aux gens de boire de l’alcool, la pratique de sports de contact ou (pour les hommes) de porter des vêtements au dessus de la ceinture » (Welsh 2004 : 536). Une Université de Papouasie Nouvelle-Guinée fut inaugurée en 1966 ainsi qu’un programme éducationnel avec des enseignants – comme Michael Somare, Oala Oala Rarua ou Vincent Eri qui devinrent des dirigeants politiques après l’indépendance – mais en 1964, le gouvernement australien avait précisé que les professeurs locaux devaient être moins payés que les expatriés. À propos de la future bureaucratie de PNG, un des conseillers australiens insistait sur le fait que « des salaires élevés n’étaient pas requis pour des hommes qui pourraient porter des laps-laps [vêtements traditionnels] » (Bolton 1990 : 197-198). En quelques années, la Papouasie Nouvelle Guinée se dota d’un Papua New Guinea Legislative Council, remplacé en 1964 par un Parlement élu aux pouvoirs limités et des partis politique, le Pangu Pati, dirigé par Michael Somare et le Papuan People Party de Julius Chan, participèrent aux premières élections démocratiques en 1972. Gough Whitlam accéléra le processus pour une indépendance effective en 1975 sous la présidence de Somare. La Papouasie Nouvelle-Guinée devient alors indépendante mais fortement liée à l’Australie.

Le Pacifique Sud jusqu’à la fin de la Guerre froide

7Dès la fin du xixe siècle, les premières interventions dans le sud-est de la grande île de Papouasie, au nom de la couronne britannique, pour contrer les visées coloniales allemandes, ne sont que les prémisses d’un engagement à long terme dans la région, en particulier dans l’espace dit mélanésien, de la Papouasie-Nouvelle-Guinée aux îles Fidji. En 1911, ce subimpérialisme s’inscrit dans le cadre d’une ambitieuse politique de contrôle des territoires, sur le continent lui-même, avec le passage du Territoire du Nord sous contrôle fédéral, en Antarctique, ou le Premier ministre Deakin lance une exploration spécifiquement australienne, et dans le Pacifique avec le transfert de l’administration anglaise aux Australiens. C’est l’Australie de « l’Équateur au Pôle » pour reprendre les termes de Deakin. À la fin de la Première Guerre mondiale, les mandats australiens, néo-zélandais ou japonais, confiés par la SDN, élargissent les perspectives australiennes au-delà du voisinage immédiat et imposent un des principaux acteurs asiatiques au cœur des préoccupations régionales des Australiens, puisque les anciennes colonies allemandes de Micronésie, au nord de l’équateur, sont insérées dans l’Empire du Japon à partir de 1919 et jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et intégrées au projet de « Grande Asie orientale ». Ces territoires sont enlevés au Japon en 1945 au moment de sa capitulation.

8Dès 1942, le devenir du Pacifique dans l’après Guerre fait l’objet de négociations. La délégation anglaise, influencée par les représentants australiens, propose un Conseil de la Zone Pacifique chargé de maintenir la paix et de développer l’économie régionale lors de la Conférence sur la coopération des Nations-Unies dans le Pacifique et l’Extrême Orient, à Mont-Tremblant, au Canada. Avec la capitulation du Japon, en 1945, le Pacifique devient un « lac américain » ou « lac ANZUS » jusqu’à la période contemporaine et est intégré dans un espace dominé par les Américains. L’Australie, la Nouvelle-Zélande et leurs territoires (Nauru ou Papouasie Nouvelle-Guinée pour l’Australie et Cook ou Tokelau pour la Nouvelle-Zélande) – sont alliés aux États-Unis. Les autres territoires insulaires sont sous administration américaine, comme les États micronésiens (Guam, Marshall, États fédérés de Micronésie, Palaos) ou territoires des alliés de Washington, comme l’Angleterre avec Fidji et la France avec la Nouvelle-Calédonie. L’Australie s’intègre dans cet environnement et renforce sa place dans la région à travers son soutien à la mise en place de la Commission du Pacifique Sud et une aide au développement tournée principalement vers ses voisins insulaires (Voir Mohamed-Gaillard 2010). Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Australie s’est intégrée au régionalisme naissant, qui devient un outil essentiel dans la région. La Conférence des Mers du Sud, insufflée et présidée par le ministre australien des Affaires étrangères, H.V. Evatt, réunit les pays colonisateurs, Royaume-Uni, France, Australie, Nouvelle-Zélande, États-Unis, autour d’un projet d’organisation régionale dans le Pacifique (Cumpston 1995 : 187). Elle donne naissance à la Commission du Pacifique Sud le 29 juillet 1948 qui vise à coordonner les rapports avec la région et à assurer la stabilité régionale, tout en préservant la domination de ces grands pays sur leurs archipels :

[Les États-Unis et la France] y participent en raison de leur présence même dans le Pacifique Sud, pour des raisons de prestige et de réalisme ; mais ils refusent qu’une organisation régionale puisse concurrencer leurs liens préférentiels avec leurs territoires, et mettre en cause leurs intérêts majeurs et leur politique » (Goy 1998 : 219, voir également Mohamed-Gaillard 2010 : 277-303).

9Elle est surtout un élément de la volonté australienne de privilégier le multilatéralisme dans l’aide au développement régional. Dans les années 1950 et 1960, l’aide au développement australienne dans la région Pacifique reste plus faible que celle des États-Unis de la France et à un niveau proche de celle du Royaume-Uni (Mohamed-Gaillard 2010 : 184). Dans le cadre de la politique de puissance moyenne, le continent Asie est plus présent dans les discours et les objectifs des dirigeants australiens que les îles du Pacifique.

  • 5 Spender, “Cablegram From Department of External Affairs to All Posts”, Cablegram, Canberra, 2 janvi (...)

L’Australie qui est, avec la Nouvelle-Zélande, le pays occidental qui a le plus d’intérêts directs en Asie, doit développer une politique dynamique vers les pays asiatiques du voisinage, qui sont les peuples avec qui nous devons vivre, non seulement aujourd’hui et demain, mais pour l’éternité. Nous devrions faire preuve de leadership pour des développements dans cette zone5.

10La première organisation, fondée en 1947, est la Communauté du Pacifique (CPS) – Secretariat of the Pacific Community (SPC), centrée sur l’aide au développement des pays insulaires du Pacifique. La CPS fut fondée sous le nom de Commission du Pacifique sud (South Pacific Commission), par six États qui administraient les territoires du Pacifique, l’Australie, les États-Unis, la France, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. En 1951, un article de l’ethnologue Jean Poirier, dans le Journal de la Société des Océanistes présente les valeurs mises en avant pour la création de la Commission du Pacifique Sud. Ce qui permet de comprendre les enjeux et les débats autour des actions de la Commission dans les pays insulaires :

La Commission du Pacifique Sud poursuit ses travaux sur les trois plans de son programme : développement sanitaire, économique et social des sociétés indigènes des mers du Sud. […] L’objectif essentiel de la Commission du Pacifique sud est l’élévation du niveau de vie des populations indigènes. L’esprit de la Commission est réaliste, les problèmes auxquels elle semble avoir donné la priorité sont d’ordre médical et économique. […] Les problèmes que pose le ‘développement social’ n’ont pas échappé à la Commission mais tout se passe comme si on les considérait comme étant plus théoriques, d’une utilité pratique moins immédiate, peut-être même moins évidente. […]. Le rôle de la Commission pourrait devenir tout à fait essentiel. Ce dont il s’agit avant tout, en effet, c’est de sauvegarder les populations des Mers du Sud, de préserver leurs valeurs, d’éviter que l’européanisation et l’américanisation des mœurs, des styles de vie, des mentalités, ne détruisent tout des anciennes structures. Ces valeurs d’ordre moral ou spirituel comportent des incidences directes sur le plan pratique. Un peuple ne peut pas survivre à la perte totale de ses traditions, de ses mythes, de sa culture. […] L’objectif fondamental nous semble être l’adhésion des sociétés indigènes à leur propre devenir. Il serait vain de sauvegarder la race par les vaccinations et les dispensaires si on ne se préoccupe pas des mentalités : les problèmes d’ordre psychologique et moral ne sont pas plus importants que les problèmes d’ordre économique ou sanitaire ; mais on ne peut que constater qu’ils les conditionnent. Il nous semble donc que la Commission remplirait exactement son rôle si elle mettait à l’étude de façon systématique et approfondie cette politique de l’acculturation (Poirier 1951 : 222-225).

11La CPS correspond à une des premières organisations régionales au monde et englobe aujourd’hui tous les territoires et États du Pacifique avec quatre des six fondateurs, hors Pays-Bas et Royaume-Uni. La CPS reçoit des fonds d’aide régionaux d’Australie, de France, de Nouvelle-Zélande mais également de Taiwan et de la Chine populaire qui forment les principaux donateurs.

12Mais l’organisation phare pour le régionalisme océanien est le Forum des Îles du Pacifique (FIP) – Pacific Islands Forum (PIF) – anciennement Forum du Pacifique Sud. L’organisation est née le 5 août 1971, à la suite des premières décolonisations, et elle compte 16 membres en 2015 : Australie, Îles Cook, Îles Marshall, États fédérés de Micronésie, Fiji, Kiribati, Nauru, Nouvelle-Zélande, Niue, Palaos, Papouasie Nouvelle-Guinée, Iles Salomon, Samoa, Tonga, Tuvalu, Vanuatu. Le FIP s’est construit sur la critique des essais nucléaires français en Polynésie et a servi d’organisation cadre à la mise en place du traité de Rarotonga du 6 février 1985, qui fait du Pacifique Sud un espace dénucléarisé (Mrgudovic 2008 : 133).

13Le Pacifique Sud ne devient un espace de la Guerre froide, toujours très marginal, qu’à partir des années 1970, lorsque le Vietnam, opposé à la Chine, s’associe de manière plus marquée à Moscou en mettant à sa disposition la base de Cam Ranh Bay, qui permet aux bombardiers stratégiques et aux navires russes de couvrir tout l’Océan Indien et le Pacifique Sud. Parallèlement, une intense activité diplomatique soviétique apparaît dans les années 1970, d’abord à l’égard des petits États de l’Océan indien (les Seychelles par exemple) puis vers les micro-États du Pacifique. Au lendemain de la mise en place de relations diplomatiques entre l’URSS et le Vanuatu, le Premier ministre, Malcolm Fraser, affirme en 1979 « que l’Australie empêcherait les Soviétiques de s’implanter dans le Pacifique en soutenant les économies chancelantes des pays pauvres de la région » (Fraser, cité dans Pons 1988 : 167). Et au milieu des années 1980, alors que l’ANZUS chancelle avec l’exclusion des Néo-Zélandais, l’Australie réaffirme son alignement avec Washington en participant à un containment globalisé contre l’URSS et en affirmant la place du Pacifique dans ce conflit larvé. Dans le même temps, l’Australie assure son leadership régional en accompagnant le processus de décolonisation en cours dans la région, plus tardif que sur les continents asiatique et africain. En 1960, la Papouasie Occidentale, encore administrée par les Pays-Bas, est annexée par l’Indonésie, et l’île de Nauru, riche de ses phosphates, se voit accorder l’indépendance effective le 31 janvier 1968. Mais les principales îles du Pacifique deviennent indépendantes plus tard, à partir de la décennie suivante. Fidji et Tonga sont indépendants en 1970, la Papouasie Nouvelle-Guinée et Tuvalu en 1975, les îles Salomon en 1978, Kiribati en 1979 et le Vanuatu en 1980. Dans les décennies 1970 et 1980, l’Australie s’affirme comme le « Géant du Pacifique » (Pons 1988) face à de multiples États insulaires qui pèsent moins de la moitié de la population australienne et moins de 10 % de sa richesse. L’Australie représente plus de 85 % de la richesse de l’Océanie en 1985 et la Nouvelle-Zélande est le seul pays de la région à être un de ses principaux partenaires commerciaux.

L’Australie au cœur du régionalisme océanien contemporain

  • 6 Australia-New Zealand Closer Economic Relations Trade Agreement, Treaty, Article 1.1.

14Depuis la fin du xxe siècle, l’Australie a renforcé sa place dans le Pacifique Sud et a cherché à imposer les normes, les règles et les arrangements qui gouvernent les relations régionales, politiques comme économiques. À partir de son rapport privilégié avec le deuxième pays le plus riche de la région, la Nouvelle-Zélande, et du processus de régionalisation en cours, Canberra construit un modèle unique de gouvernance régionale pour contrebalancer l’effacement partiel des anciennes puissances coloniales et l’émergence des acteurs asiatiques dans la région. La Nouvelle-Zélande est le partenaire de référence de l’Australie dans sa région. La multiplication des échanges économiques entre Canberra et Wellington est à l’origine d’une série d’accords économiques dont la première pierre est le New Zealand Australia Free Trade Agreement (NAFTA) de 1965, qui permet à 4/5e du commerce trans-tasmanien – du nom de la mer de Tasman qui sépare les deux pays – de circuler sans droits de douane dès les années 1970. Le 1er janvier 1983, l’Australia-New Zealand Closer Economic Relations Trade Agreement (ANZCERTA ou CER pour Closer Economic Relations) prend effet entre les deux pays, étendu en 1988 et 1992, qui mène à l’achèvement du libre échange complet des marchandises dès 1990. Cet accord a été considéré comme un modèle d’accords bilatéraux durant cette période : « [Il] a été décrit par l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) comme l’accord de libre échange le plus complet, efficace et mutuellement compatible » au monde (Diplock 2004 : 4). Les objectifs du CER apparaissent dans l’article premier du traité : « Renforcer l’ensemble des relations entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande, développer des relations économiques plus étroites entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande […], éliminer les barrières douanières entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande d’une manière graduelle et progressive […] et développer le commerce6 ». Le CER est une vitrine pour les deux pays et désormais un élément de poids dans les négociations avec les partenaires asiatiques, comme dans le cadre plus récent de la signature du traité de libre échange avec l’ASEAN – ASEAN-Australia-New Zealand Free Trade Area (AANZFTA) –, en 2010. Néanmoins, il est surtout essentiel pour la Nouvelle-Zélande dont l’Australie est le principal partenaire commercial. Il a une certaine importance pour Canberra, mais la Nouvelle-Zélande et ses quatre millions d’habitants n’ont qu’un faible poids dans l’économie australienne – neuvième partenaire commercial avec 3,5 % du total des échanges australiens en 2010 (DFAT 2011) – et cet accord reste plus proche d’une extension du marché intérieur australien que du processus de régionalisation.

  • 7 Agreement On Trade And Commercial Relations Between The Government Of Australia And The Government (...)
  • 8 Treaty on Development Co-operation between the Government of Australia and the Government of Papua (...)

15Les relations économiques avec le reste du Pacifique Sud restent relativement faibles en comparaison avec les immenses marchés chinois ou japonais. Les pays océaniens sont des partenaires anecdotiques dans la hiérarchie du commerce australien (importations et exportations). Si la Papouasie Nouvelle-Guinée émerge au 20e rang en 2010, les Fidji apparaissent au 54e, les Salomon au 77e, Vanuatu au 78e, les Samoa au 79e et Tonga au 134e pour ne présenter que certains des pays les plus importants. Mais elles permettent de maintenir l’Australie au cœur du jeu économique océanien, en dépit de la concurrence de plus en plus vive des acteurs asiatiques. Le plus important des États océaniens, la Papouasie Nouvelle-Guinée et ses six à sept millions d’habitants en 2014, est un des plus liés politiquement et économiquement à son grand voisin. Après la Joint Declaration of Principles de 1987 qui assurait un parapluie australien pour la sécurité de la Papouasie Nouvelle-Guinée, les deux pays ont signé de nombreux accords commerciaux, dont le PNG-Australia Trade and Commercial Relations Agreement – PATCRA II) en 19917 et le Treaty on Development Cooperation de 19928. La Papouasie est également le principal bénéficiaire de l’aide au développement australienne, qui participe directement au budget de l’État papou.

  • 9 AID/WATCH, Where is your AID money go on ?, Aid/Watch guide to Australian Aid, 20 novembre 2008.

16Canberra remplace les anciennes puissances coloniales – hormis la France dans ses territoires – comme principal partenaire politique et stratégique, en Papouasie Nouvelle-Guinée, mais également aux Salomon ou au Vanuatu (Mc Dougall 2007 : 867-868). Les États indépendants de la région ont tous un niveau de vie plus bas que l’Australie et reçoivent une aide extérieure qui est essentielle pour garantir le maintien des pouvoirs régaliens de ces gouvernements (Rolfe 2006 : 100). Dans la région, l’aide australienne a d’ailleurs subi de nombreuses critiques, à propos du programme économique néolibéral recommandé, autour de la réduction de leur secteur public, de l’adoption du libre échange et de l’imposition de pratiques de gouvernance australienne. « L’aide effet boomerang », ou boomerang aid, est très souvent critiquée dans la région dans le cadre des contrats des consultants australiens auprès des agences gouvernementales australiennes ou des gouvernements locaux, ou encore à propos des contrats des entreprises9. En parallèle du renforcement des liens avec Wellington, Canberra s’est réinvestie dans le Forum des Îles du Pacifique depuis la fin des années 1990 autour d’un « Plan Pacifique » (Pacific Plan) pour la mise en place d’une ambitieuse intégration régionale. Ce Plan est finalement ratifié en octobre 2005 à partir de la coopération régionale, de la fourniture de biens et de services régionaux et sur l’intégration régionale. Le troisième point – notamment autour du Pacific Island Countries Trade Agreement (PICTA), hors Australie et Nouvelle-Zélande, de l’Economic Partnership Agreement (EPA), autour des accords avec l’UE, et du Pacific Agreement on Closer Economic Relations (PACER) Plus – sert de cadre pour les relations économiques et commerciales entre l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les autres membres. Ce Plan a été très critiqué par certains dirigeants du Pacifique pour la trop grande dépendance vis-à-vis des grands voisins et pour l’imposition d’accords commerciaux avec eux avant toute démarche avec d’autres partenaires – notamment l’UE. Mais le PACER est présenté en Australie comme un élément essentiel de la construction régionale, que les gouvernements successifs organisent autour d’une volonté de régulation économique d’un voisinage en développement, plutôt que d’une intégration ambitieuse entre égaux.

  • 10 Article 1. B. 3., “Advancing Commonwealth Fundamental Political Values”, The Millbrooke Commonwealt (...)
  • 11 Chair of PIF says Fiji has benne suspended, Radio New Zealand, 2009.

17L’utilisation des outils du régionalisme par Canberra va bien au-delà des accords économiques, en particulier dans le cadre de la promotion de la bonne gouvernance. Jusqu’au début des années 2000, la référence sur les questions de gouvernance était liée à des organisations multilatérales, comme l’ONU ou le Commonwealth, mais elles sont « régionalisées » dans le cadre du FIP, sous influence australienne. La déclaration d’Harare du 20 octobre 1991 et le programme d’action de Milbrooke, dans le cadre du Commonwealth, étaient les références pour la démocratie, l’État de droit et la bonne gouvernance, jusque pour la gestion des crises dans les États insulaires du Pacifique liés à la couronne anglaise. Après le coup d’État de 2000 aux îles Fidji, une délégation du Commonwealth se rendit dans l’archipel, en vue d’un programme de sanctions10, d’ailleurs fortement marquée par la présence de diplomates australiens (Alley 2001 : 229). Pourtant Canberra a entrainé ses partenaires océaniens du Forum des îles du Pacifique à mettre en œuvre un mécanisme multilatéral de sécurité régionale et une série de normes régionales, pour répondre aux risques pesant sur les États les plus fragiles : il s’agit de la Déclaration de Biketawa. Comme pour la déclaration d’Harare, celle-ci fait la promotion du partage de valeurs communes entre les membres et marque la vocation reconnue au Forum d’intervenir dans les affaires d’un de ses membres pour y rétablir l’ordre, comme pour l’exemple des Îles Salomon au début des années 2000. Elle fut utilisée également lorsque les chefs d’État et de gouvernement annoncèrent des mesures ciblées contre le régime militaire de Fidji établi en 2006 (Voir Hayward-Jones 2009). Le FIP avait menacé de suspendre Fidji en août 2008 si des élections n’étaient pas organisées par le contre Amiral Bainimarama en mars puis en mai de l’année suivante. En conséquence, et au nom de la déclaration de Biketawa, la suspension de Fidji fut effective le 2 mai 2009 et signifiée par le Premier ministre de Niue, Toke Talagi, alors président du FIP11. Cette déclaration servit également de référence pour la mise en place de la force régionale d’intervention aux Salomon – la RAMSI – en 2003 aussi bien que pour intervenir à Nauru – la PRAN – en 2004.

  • 12 Wilson Duncan, “Leader Assess Pacific Plan Progress”, Islands Business, avril 2005, p. 3.

18La légitimité et l’approbation nécessaires aux actions australiennes dans la région est construite dans le cadre des organisations régionales, jusqu’à laisser à la puissance australienne des pouvoirs exceptionnels dans cette région. Ainsi, l’Eminent Persons Group du Forum des Îles du Pacifique (FIP), une assemblée d’anciens dirigeants de la région, énonçait dans les années 2000 un principe remettant en cause la souveraineté nationale des États insulaires du Pacifique au nom de la gouvernance « parce que la faiblesse d’un seul État est une faiblesse pour nous tous […]. De nouvelles réflexions sur les relations entre des États souverains pourraient être nécessaires » (Eminent Person Group 2004). Au-delà des interventions australiennes, c’est en particulier autour de la mise en place de l’accord de libre échange PACER Plus et du Plan Pacifique que la souveraineté nationale est remise en cause. En mars 2005, la déclaration finale de la rencontre des Leaders du Pacifique va jusqu’à proposer que « les pays du Pacifique [devraient peut-être] renoncer à leur souveraineté dans le cadre du Plan12 ». D’autres exemples de limitation de souveraineté des États insulaires sont apparus autour des programmes mis en place pour l’immunité juridique des policiers australiens (AFP) sur le sol des États du Pacifique comme la Papouasie Nouvelle-Guinée ou le royaume des Tonga, exigés par l’Australie. De même, les perquisitions des forces australiennes aux Salomon lors de l’affaire Julian Moti, du nom d’un avocat australien ami du Premier ministre salomonais, soupçonné d’abus sexuels sur mineur au Vanuatu dans les années 1990. Elle a déclenché également, en 2006, une vague de protestation contre l’arrogance australienne. Alors qu’il était en Papouasie Nouvelle-Guinée, son extradition demandée par l’Australie a été empêchée après que Moti se soit réfugié dans l’ambassade des Îles Salomon à Port Moresby et ait réussi à s’enfuir dans un avion militaire papou. L’Australie a alors décrété un gel des relations bilatérales avec les ministres de Papouasie Nouvelle Guinée et limité le montant d’une aide bilatérale de 600 M $ AUS aux îles Salomon en attente d’une lutte plus efficace contre la corruption. La souveraineté même du pays a été niée, puisque le 20 octobre, des policiers de l’opération RAMSI ont perquisitionné le bureau du Premier ministre Manasseh Sogavare, alors aux Fidji, pour prendre des documents pouvant mener à Julian Moti. Tandis que John Howard répondait maladroitement aux critiques des pays voisins :

Au cas où quelqu’un aurait un doute, nous n’avons violé aucune souveraineté, et toute accusation que l’Australie aurait quelque chose à voir avec ce raid est fausse. Je pense que le commissaire de police avait un mandat des îles Salomon pour faire cela (Howard 2006).

  • 13 Scoop Independent News, 24 octobre 2006.

19Le Vanuatu et les Fidji se sont associés aux critiques pour dénoncer l’intervention des policiers australiens dans le bureau de Manasseh Sogavare. Un groupe composé de ces quatre pays, le Melanesian Spearhead Group, a dénoncé l’action du gouvernement de Canberra et demandé que l’Australie ne soit plus à la tête de l’opération RAMSI. De plus le groupe évoque : « Ces actions sont certainement une violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des Îles Salomon, et hors des principes de souveraineté de la Charte des NU13 ». Si de nombreuses voix se font entendre dans la région face à la domination très visible de l’Australie, l’architecture régionale reste fortement marquée par la centralité de Canberra pour toutes les questions politiques et économiques liées au régionalisme océanien. Les principaux enjeux politiques, économiques et sociaux sur le devenir de la région dépendent des choix australiens (voir Hurrell 2005 : 49).

Des questions comme l’accès des principaux marchés pour les produits insulaires, l’accès [aux pays anglo-saxons] pour les travailleurs saisonniers et occasionnels et d’autres enjeux minimes mais importants pour l’économie de la région dépendront de la position de l’Australie. On attend beaucoup de l’Australie en tant que leader régional, il est moins certain que l’Australie apportera les réponses que la région veut entendre (Rolfe 2006 : 96).

Gendarme du Pacifique : l’arc mélanésien au cœur de la sécurité australienne

20L’arc dit « mélanésien », élargi vers l’ouest par les espaces archipélagiques, est central dans la stratégie régionale australienne et les événements en son sein ont toujours été suivis par les gouvernements successifs. Cette zone contient notamment la Papouasie Nouvelle-Guinée, les îles Salomon, le Vanuatu, ou Fidji et correspond à la sphère d’influence régionale de référence pour Canberra. C’est à partir de la fin des années 1980 que le « voisinage » – « voisinage immédiat », ou « région immédiate » dans une définition proche du niveau sub-régional – devient très présent dans les discours des dirigeants australiens concernant les questions de sécurité régionale, comme avec Alexander Downer en 2009.

Nous abordons les enjeux dans notre région immédiate dans la même optique que pour le tableau d’ensemble. Il ne s’agit pas de choisir entre l’un ou l’autre – mais de se concentrer sur ce qui est important et de comprendre où nous pouvons faire la différence. La stabilité de notre voisinage est une préoccupation essentielle pour le gouvernement. Nous avons répondu à la crise au Timor Oriental et nous avons eu raison de le faire. Et nous répondons à la situation troublée des îles Salomon » (Downer 2003).

L’Australie et le maintien de la paix : les principales opérations (+ de 250 hommes) depuis 1989 (en gras dans le voisinage australien)

L’Australie et le maintien de la paix : les principales opérations (+ de 250 hommes) depuis 1989 (en gras dans le voisinage australien)

Source Firth, 2007 : 224

21Cet arc correspond à un espace unique, dans lequel la puissance australienne revendique la possibilité d’interdire son accès à une autre puissance régionale. C’est un pré carré de la puissance régionale australienne :

[…] Nous devons avoir les capacités de mener des opérations militaires indépendantes dans la défense de l’Australie par le contrôle des approches maritimes et aériennes et en interdisant à un adversaire potentiel d’acquérir les capacités d’opérer dans notre voisinage immédiat (Rudd, cité dans Smith 2009).

22Pour mener à bien ces projets, la politique australienne dans la région repose sur des piliers qui sont précisément définis à la fin des années 1980 et au début des années 1990. C’est le début d’une nouvelle politique dans le Pacifique Sud. En 1987, l’Australie signe avec Port-Moresby une Joint Declaration of Principles, qui place la Papouasie Nouvelle-Guinée sous le parapluie australien. L’article 13 (d) de la déclaration stipule : « [Si la Papouasie est attaquée], l’Australie doit être préparée à envoyer des forces pour résister à une agression extérieure contre la Papouasie Nouvelle-Guinée ». Mais Canberra insiste également sur les risques internes à ces États. La fin des années 1980 marque une évolution notable dans le rapport de l’Australie avec les pays mélanésiens, puisque le premier coup d’État aux Fidji en 1987, les troubles aux Vanuatu à la fin des années 80 et la guérilla sécessionniste dans l’île de Bougainville, en Papouasie Nouvelle-Guinée, installent une période d’incertitude nouvelle dans la région. Gareth Evans écrit dès 1989 :

[Les Australiens] ne devraient pas être gênés par l’utilisation des capacités militaires dont nous disposons, avec prudence et sensibilité, afin de garantir la sécurité commune de l’Australie et de la région. […] L’Australie n’interviendrait que dans des circonstances inhabituelles et extrêmes (Evans 1989c).

  • 14 Voir Shibuya Eric, Rolfe Jim (dir.), Security in Oceania in the 21st Century, Honolulu, Asia-Pacifi (...)

23Le document du ministère de la Défense australien, Australia’s Strategic Planning in the 1990’s, daté de 1992, est symbolique de l’évolution de la position australienne car il affirme que l’Australie doit se préparer à un rôle plus actif dans le Pacifique sud, jusqu’à l’usage de ses forces armées pour assurer la sécurité de ses partenaires (1992 : 24-27). Les prémisses d’une politique régionale interventionniste apparaissent en 1987, au moment d’un coup d’État du général Sitiveni Rabuka aux îles Fidji qui amène l’Australie à envoyer des navires de la Royal Australian Navy au large de Suva, la capitale, en vue de protéger les citoyens australiens au moment des émeutes (Shibuya, Rolfe 2003)14. En avril 1987, les élections législatives aux îles Fidji, indépendantes depuis 1970, et dirigées depuis cette époque par le Premier ministre Ratu Mara portèrent au pouvoir une coalition de petits partis dirigés par le Parti Travailliste Fidjien (Fidjian Labor Party). Le nouveau Premier ministre Timoci Bavadra mit en place un gouvernement composé de nombreux indo-fidjiens, les descendants des coolies indiens amenés par le colonisateur britannique entre 1879 et 1916 pour travailler la canne à sucre. Les tensions ethniques entrainées par l’arrivée de ce gouvernement s’ajoutaient aux nombreux projets en matière de politique étrangère prônés par Bavadra et en particulier la volonté du pouvoir de s’engager dans une politique anti-nucléaire plus militante et d’intégrer le groupe des pays non alignés. Le général Rabuka orchestra un coup d’État le 14 mai 1987, et renversa le Premier ministre et des émeutes anti indiennes éclatèrent le 21 mai. De nombreux indiens prirent la fuite et l’Australie, comme la Nouvelle-Zélande, menacèrent le régime Rabuka de la fin de l’assistance économique et du boycott des importations de sucre (principal produit d’exportation de Fidji : 37 % en 1987 et encore 27 % en 2010). Rabuka abrogea la Constitution fidjienne, qu’il percevait comme trop bénéfique aux Indo-Fidjiens, et pour faire accepter cette abrogation mena un second coup d’État le 28 septembre puis le 5 décembre remit le pouvoir entre les mains de Ratu Mara. Il faut noter que le premier coup d’État de 1987 fut un des déclencheurs des tensions ethniques et de la fragilité politique de Fidji dans les années 1990 et 2000.

24De même, les forces australiennes furent placées en alerte au moment des émeutes au Vanuatu, en 1988. Mais il faut attendre l’arrivée au pouvoir de John Howard, en 1996, pour une multiplication des opérations australiennes dans son environnement immédiat. Depuis la deuxième partie des années 1990, l’Australie développe une politique de puissance de voisinage, autour d’un arc de responsabilité que Kim Beazley, leader du parti travailliste au début des années 2000, présente comme une « mini-Monroe doctrine » (2003 : 19), dans une comparaison avec la Doctrine Monroe américaine. Le Think Tank conservateur Australian Strategic Policy Institute (ASPI), dans son dossier Strategic Assessment 2002, intitulé Beyond Bali, résume le point de vue dominant dans le gouvernement sur les nouvelles interventions, en défendant l’obligation du changement de politique par rapport à la situation précédente.

Depuis plusieurs décennies, nous avons cherché à protéger les intérêts australiens en soutenant la domination coloniale, sous une forme ou une autre. Quand la décolonisation d’après guerre a atteint le Pacifique dans la décennie 1970, nous avons reconnu que la meilleure façon de préserver notre intérêt national était de construire des relations bilatérales avec nos voisins indépendants les plus proches, soutenus par des programmes d’aide généreux. Mais en dépit de nos efforts, la viabilité à long terme de la Papouasie Nouvelle-Guinée, du Vanuatu et des Salomon comme État nation est maintenant incertaine. […] La politique australienne depuis la décolonisation a toujours insisté sur la nécessité de permettre à ces pays de gérer leurs propres problèmes et d’éviter que l’Australie soit trop présente dans leurs affaires internes. Il semble que dans la mesure où nos relations avec la Mélanésie sont concernées directement, cette approche ne fonctionne plus (Borgu 2002 : 29).

25Au-delà des enjeux du régionalisme, le voisinage immédiat de l’Australie a toujours été considéré comme une priorité stratégique, depuis la période coloniale. L’Australie pèse de tout son poids dans une aire géographique relativement vaste, mais peu peuplée, en intervenant directement, entre la fin des années 1990 et la fin des années 2000, avec ses ADF (Australian Defence Forces) ou ses AFP (Australian Federal Police), dans six pays indépendants en un peu plus de 10 ans (Timor Oriental, Papouasie Nouvelle-Guinée, Iles Salomon, Vanuatu, Tonga, Nauru).

Depuis 2003 et le développement du Plan Pacifique, l’Australie est devenue beaucoup plus entreprenante dans son approche de la région, en particulier à travers son leadership et ses interventions aux Salomon, au Vanuatu, à Fidji et en Papouasie Nouvelle-Guinée, afin d’aider à résoudre les conflits et les problèmes de gouvernance (Rolfe 2006 : 95).

26Dès l’arrivée au pouvoir de John Howard, le gouvernement de coalition se tourne vers la Papouasie Nouvelle-Guinée. Le pays, ancienne colonie, était confronté depuis 1989 à un conflit majeur dans l’île de Bougainville, province de la Papouasie Nouvelle-Guinée mais culturellement proche des îles Salomon et surtout riche en ressources minières. Depuis le début de ce conflit, les forces armées papoues – Papua New-Guinea Defence Force (PNGDF) –, dont la mise en place par l’Australie répondait à la volonté de résister à des pressions indonésiennes, ne parviennent pas à prendre le dessus sur la guérilla bougainvillaise (White 2007 : 119). En 1997, le gouvernement de Papouasie décide d’utiliser des mercenaires de la société Sandline pour détruire les forces séparatistes, mais l’opération entraîne une mutinerie des PNGDF. Howard choisit de réagir énergiquement en menaçant d’utiliser les forces armées australiennes pour intervenir directement en Papouasie Nouvelle-Guinée, contre les mercenaires et face aux menaces potentielles contre le gouvernement de Papouasie. Finalement, le conflit à Bougainville trouve une solution à partir de l’année suivante avec la mise en place d’un accord de paix qui assure une autonomie substantielle à la province (Mc Dougall 2004 : 340). À partir de cette date, l’Australie se place comme potentiel gendarme du Pacifique sud-ouest au nom de la lutte contre l’instabilité régionale et d’une politique interventionniste en faveur de la bonne gouvernance.

27La régionalisation du maintien de la paix est un des éléments les plus notables de la politique australienne en la matière. Le deuxième élément est la mobilisation de moyens beaucoup plus importants pour cette spécialisation régionale. Si les soldats australiens n’ont jamais dépassé le millier dans les opérations en Afrique, l’Australie mobilise 5 500 hommes en 1999 pour l’intervention au Timor Oriental et en maintient plus de 2 000 tout au long de la dernière décennie pour ses deux opérations principales, à nouveau au Timor et dans les îles Salomon.

Interventions : Iles Salomon et Timor Oriental (Principaux pays de la région – hors Australie)

Timor-Oriental (1999) Îles Salomon (2003)
Malaisie Fidji
Nouvelle-Zélande Nouvelle-Zélande
Philippines Papouasie Nouvelle-Guinée
Singapour Tonga
Thaïlande Vanuatu

Source : Australian Department of Defence.

28L’opération des îles Salomon, en 2003, a été menée sous l’autorité du Forum des Îles du Pacifique et non sous celle des Nations-Unies, ce qui a obligé l’Australie à préciser son inscription dans un processus de maintien de la paix spécifique à la région océanienne. L’archipel des îles Salomon, en Mélanésie, n’a pas connu un intérêt aussi important que le Timor Oriental durant la période précédant l’intervention australienne à travers l’opération RAMSI (Regional Assistance Mission to Solomon Islands). À partir de la fin de l’année 1998, des violences ethniques apparurent sur l’île de Guadalcanal après que des jeunes hommes de l’île (les Gualés) se soient attaqués à des immigrants venant de l’île de Malaita. Face à ces violences, les Malaitais qui vivaient dans la capitale, Honiara, ont formés une milice, la Malatian Eagle Force (MEF). Entre 1998 et 2000, les violences contre les immigrés de Malaita, organisé surtout par la milice Istabatu Freedom Movement (IFM) ont causé la mort de près de 250 personnes et le départ de 20 000 Malaitais. En juin 2000, après deux ans d’affrontements, la MEF a réussi à s’emparer d’un dépôt d’armes du gouvernement, entrainant le quasi-effondrement du pays. En dépit des demandes répétées du gouvernement de cet État insulaire, l’Australie n’est intervenue qu’en 2003. Avant cette date, l’Australie et la Nouvelle-Zélande s’impliquèrent dans l’accord de paix de Townsville (Townsville Peace Agreement) entre les groupes armés et au travers d’une International Peace Monitoring Team en 2001, chargée de vérifier le respect de l’accord. Mais en dépit de ces efforts, les systèmes politique et économique du pays restèrent effondrés. À la demande des autorités salomonaises, l’Australie et la Nouvelle-Zélande réunirent les deux groupes ainsi que des représentants nationaux et provinciaux, pour signer en octobre 2000, l’accord de paix de Townsville (Townsville Peace Agreement). La pression des groupes armés et une certaine corruption des pouvoirs publics affectent les fonctions régaliennes de l’État salomonais et déclenchent un processus proche de la guerre civile. L’irruption de gangs armés et de policiers corrompus dans la capitale Honiara s’est généralisée à partir de l’année 2001. Ainsi, « Laurie Chan, ministre des Finances, a signé en décembre 2002 un chèque de 3,6 millions de dollars des Salomon pour “salaires impayés” après avoir été menacé (par revolver) par les officiers de police » (Fraenkel 2004 : 125). En juillet 2003, le Premier ministre salomonais Allan Kemakeza demande à nouveau son aide à l’Australie qui met en place une opération de restauration de la paix, menée par des forces de police, Opération Helpem Fren pour la RAMSI. Canberra s’assure d’une demande d’assistance votée par le parlement des Îles Salomon, d’une résolution du Forum des îles du Pacifique et de la participation symbolique d’États insulaires autour de policiers fédéraux australiens – Australian Federal Police (AFP) – chargés de rétablir l’ordre. Ils sont aidés par une cinquantaine de fonctionnaires envoyés dans la plupart des ministères, et principalement dans celui des finances. La Participating Police Force (PPF) mise en place aux Salomon a d’abord était épaulée par un nombre important de militaires, 1800 soldats, qui restent plus nombreux que les policiers dans les années suivantes. La RAMSI repose sur trois éléments : la loi et la justice, les réformes économiques et la bonne marche du gouvernement (Morgan, McLeod 2006 : 419). En avril 2006, à la suite de l’élection de Rini comme Premier ministre, des émeutes éclatent et entrainent un renforcement de la RAMSI. L’Australie reste depuis 2003, comme depuis 2006, le cœur du déploiement de force de cette opération. Depuis que l’opération RAMSI a été mise en place en 2003, les interventions australiennes dans la région, par les Forces armées – ADF – ou par les forces de police – AFP –, ciblent de nombreux autres pays de la région. En Papouasie Nouvelle-Guinée, un programme d’assistance en matière de sécurité, le Programme de coopération augmenté – Enhanced Cooperation Program (ECP) – est annoncé en 2003 et préparé en 2004, mais il est abandonné pour l’essentiel en 2005 (Morgan, McLeod 2006 : 422-424). L’ECP devait éviter que l’aide économique soit détournée par ce que le gouvernement australien présente comme la mauvaise gouvernance et la corruption. L’Australie prévoyait d’envoyer 230 policiers et 64 civils pour renforcer la sécurité, superviser l’aide bilatérale et épauler la bureaucratie papoue.

29L’ECP était organisé pour placer des policiers australiens dans des positions clés au sein des Forces de Police de Papouasie Nouvelle-Guinée et des fonctionnaires dans les ministères clés. Mais en 2005, en plus des réticences des politiciens papous néo-guinéens, la cour suprême de Papouasie Nouvelle-Guinée, plus haute instance juridique, juge inconstitutionnelle l’immunité des policiers australiens sur le sol du pays, au nom de la souveraineté nationale. Les 154 policiers déployés sont rapatriés immédiatement et l’aide en partie suspendue, tandis que les dirigeants de Papouasie Nouvelle-Guinée critiquaient cette décision brutale et dangereuse. Quelques jours avant, le 16 mai 2005, 14 policiers australiens avaient déjà été renvoyés de l’île de Bougainville après des élections amenant des autonomistes au pouvoir. Et ce type d’ultimatum australien avait déjà eu lieu en 2003 et 2004 au Vanuatu et à Nauru. Mais l’Australie est également apparue comme un soutien important à la gouvernance en envoyant des conseillers dans les principaux ministères du Vanuatu en 2003 (Morgan 2004 : 42), et des policiers aux îles Tonga en 2006 pour faire face à des problèmes d’insécurité. Enfin, l’Australie joue un rôle majeur sur la petite île de Nauru, peuplée de 11 000 habitants, à travers la Pacific Regional Assistance to Nauru (PRAN) de 2005 à 2009, qui permet à ce pays asphyxié par une dette équivalente à 2000 % de son PNB de préserver les apparences de l’indépendance (Folliet 2009). Cet espace océanien est la zone où le poids de la puissance régionale australienne est le plus déterminant. En deux décennies, l’Australie a multiplié les interventions militaires ou policières dans une zone où elle demeure encore la seule puissance en mesure d’intervenir.

« Le développement le plus significatif dans la politique en direction de la région »

30L’intervention australienne au Timor-Oriental – ou Timor Lorosa’e –, en 1999, symbolise cet interventionnisme australien. En dépit de la géographie de Timor, dans l’espace insulindien plutôt que dans l’espace mélanésien et en lien direct avec l’Indonésie, l’île représente l’évolution australienne la plus importante dans la région au tournant du siècle. En 1975, lors de l’invasion indonésienne faisant suite à la décolonisation portugaise du Timor-Oriental, le gouvernement Fraser élu un mois plus tôt, chercha d’abord à ne pas condamner l’Indonésie ; le commerce avec son voisin immédiat et les liens avec le reste de l’Asie du Sud-est étaient plus importants que le soutien aux droits du peule timorais (Schwarz 1994 : 207). Dès 1974, Gough Whitlam avait évoqué le Timor lors d’une rencontre avec le Président Suharto à Java : « un Timor indépendant ne serait pas un État viable, mais un danger potentiel pour la région » (Whitlam, cité dans Durand 2002 : 22). Ces déclarations reflétaient les craintes australiennes d’une région de micro-États fragiles et instables, à l’époque potentiellement foyers d’un gouvernement communiste et plus récemment d’une potentielle entreprise terroriste. En dépit d’une campagne très forte dans l’opinion publique australienne contre les violences indonésiennes dans l’ancienne colonie portugaise, Canberra – et Washington – cherchèrent à maintenir le lien avec Jakarta et éviter l’indépendance du Timor. Le Timor-Oriental a été longtemps administré comme une colonie indonésienne, marge orientale en rébellion – un des « pacificateurs » du Timor, le colonel indonésien Kalangie pouvait regretter « qu’il ne soit pas plus facile de civiliser ces peuples arriérés » (Defert 1998 : 102) – mais l’Australie a toujours privilégié les bons rapports avec l’allié indonésien jusqu’à la fin des années 1990. Les gouvernements successifs travaillistes de Bob Hawke et de Paul Keating, en dépit de positions différentes dans l’opposition, ont toujours affiché leur proximité avec l’Indonésie présentée comme une porte ouverte pour l’Asie du Sud-est. Avec l’arrivée au pouvoir d’Habibie, qui succéda à Suharto en mai 1998, suite à la crise économique asiatique, l’Indonésie évoque la question d’une autonomie de la province timoraise. En 1998 et 1999, les forces indonésiennes en place au Timor et les milices locales multiplient exactions et déplacements de population pour lutter contre les indépendantistes. Peu après, l’intervention australienne a pris le contre-pied de 25 années de politique étrangère australienne organisée autour de la reconnaissance par Canberra de l’annexion par la force du Timor Oriental par l’Indonésie et un changement essentiel dans la politique de voisinage. Cette intervention fut même présentée comme « le développement le plus significatif dans la politique en direction de la région Asie-Pacifique depuis la guerre du Vietnam » (Cotton 2003 : 36).

31Le 11 juin 1999, l’United Nations Mission in East Timor (UNAMET) est mise en place pour organiser un référendum d’autodétermination, dont Darwin, capitale du Territoire du Nord, est la base arrière. Quand le résultat du référendum est annoncé le 4 septembre, les violences des milices pro-indonésiennes se multiplièrent, facilitées par les forces armées indonésiennes. Face à la crise et à ses conséquences, l’Australie décide « de changer sa politique de l’autruche pour un rôle de gendarme de la région » (Durand 2002 : 24). Avec l’accord de Jakarta, les premiers soldats australiens entrent dans la capitale Dili le 20 septembre 1999, pour protéger les expatriés, l’UNAMET et les Timorais, dans le cadre d’une force internationale de restauration de la paix : l’INTERFET (International force in East-Timor). L’engagement australien est le plus important depuis la guerre du Vietnam avec un pic de 5 500 soldats sur 11 500 pour toute la force internationale (Firth 2005 : 189). L’Australie reste la force la plus importante dans les missions suivantes et maintient plus de 400 soldats sur place depuis 2002. L’INTERFET a été mise en avant par le gouvernement comme une intervention régionale avec l’accord et/ou la coopération des États de la région.

32L’Australie a alors radicalement transformé son regard sur la politique régionale en devenant la puissance de référence pour la mise en place d’un nouvel État indépendant en Asie du Sud-Est, avec le soutien de troupes canadiennes, anglaises, néo-zélandaises et portugaises mais également avec un contingent important de pays asiatiques, comme la Thaïlande, Singapour, les Philippines et la Malaisie : 209 soldats malaisiens ont participé à l’INTERFET, 140 soldats philippins, 23 soldats singapouriens et 16 soldats thaïlandais à la MINUT.

Les pays de la région de l’Australie ont apporté une solide contribution à l’INTERFET. Les Philippines, Singapour, la Thaïlande, la Malaisie, Singapour et la Corée du Sud y participent. La Thaïlande a fourni le Commandant en second – le Major Général Songkitti Jaggabatara – Net le deuxième contingent en nombre d’hommes. Le gouvernement est reconnaissant pour leur soutien. Nous remercions également le Japon qui, incapable d’engager des troupes pour des raisons constitutionnelles, apporte 100 millions de dollars pour payer la participation des pays en développement qui participent à l’INTERFET. La Chine a été un soutien tout au long de la démarche de l’ONU et la contribution de la Nouvelle-Zélande a été son plus important déploiement de forces à l’étranger depuis la Seconde Guerre mondiale […] (Howard 1999).

33À partir du Timor Oriental, les principales opérations de maintien de la paix régionales et internationales de l’Australie ont été organisées à travers une armature australienne et dans le cadre de la mobilisation des moyens régionaux. L’Australie est revenue au Timor Oriental au début des années 2000 après des troubles dans l’île. L’Australie et le Timor-Lorosa’e ont eu des différends de voisinage, en dépit de l’importante présence économique australienne dans le nouvel État indépendant. Les hydrocarbures en particulier ont joué un rôle dans les problèmes de délimitations de la ZEE et du Plateau continental entre l’Australie, l’Indonésie et le Timor. En Mer du Timor, la délimitation des limites du plateau continental entre l’Australie et l’Indonésie en 1971, avant la Convention de Montego Bay, avait laissé une zone non délimitée au niveau de la colonie portugaise de Timor Oriental, le « Timor Gap ». Durant la décennie après la main mise de Jakarta sur le Timor-Oriental, en 1975, l’Australie a renégocié une frontière à son avantage, à partir de 1978, et a d’ailleurs été le seul État occidental à reconnaître « de fait » l’annexion, puis de jure, dès décembre de la même année et jusqu’à la remise en cause par l’État du Timor, indépendant en 2002 (Argounès 2006). Le traité de Timor de 2003 prévoyait la mise en place d’une zone commune (Joint Petroleum Development Area) qui prévoyait 90 % des ressources pour le Timor et 10 % pour l’Australie, mais à l’exclusion du principal gisement de Greater Sunrise (82 % pour l’Australie, alors qu’il était en majorité dans la zone de Timor). Devant les critiques du Timor, un nouvel accord a été conclu en 2006 (Treaty on Certain Maritime Arrangments in the Timor Sea) qui gèle les revendications des deux États et qui partage les revenus du Champ de Greater Sunrise à égalité, en plus de droits de pêche pour le Timor oriental. Alors que la pratique de la Cour Internationale de Justice pour des exemples proches est de tracer une ligne médiane, l’Australie a maintenu un avantage important sur les richesses de la Mer de Timor et a annoncé qu’elle excluait la compétence de la CIJ sur ses espaces maritimes en 2003 afin de négocier en position de force (Ortolland, Pirat 2010). L’Australie reste un acteur de référence au Timor-Oriental mais ce dernier a amorcé à la suite d’un réchauffement des relations avec Jakarta, une intégration plus importante au sein de l’ASEAN comme État officiellement candidat. De plus, la Chine a multiplié les investissements et les aides pour ce pays et « Dans les dernières années, le tapis rouge a été déroulé à Pékin pour les dirigeants […] du Timor Oriental » (Wyndibank 2005). Le pays s’insère dans l’espace sino-centré, comme les autres acteurs de la région.

Une dilution du Pacifique occidental dans l’espace asiatique

34Les changements dans l’équilibre des puissances affectent le voisinage même de l’Australie. Le Pacifique n’est plus un lac américain. Une des raisons pour lesquelles Canberra multiplie les interventions dans la zone pacifique réside dans la volonté de faire face à l’élargissement du système asiatique en Océanie, dû à l’essor des principales puissances asiatiques et en particulier de la Chine. Paradoxalement, l’affichage de la puissance australienne est le fruit de l’affaiblissement de son leadership unique dans son voisinage. Le premier objectif est de maintenir une zone sécurisée en faveur de l’île-continent, pour garantir la sécurité de l’Australie en dépit des changements dans l’équilibre des puissances.

L’intérêt stratégique le plus direct pour l’Australie continue d’intégrer la stabilité, la bonne santé et les dispositions amicales des pays les plus proches de nous – un arc (inner arc) insulaire interne à notre voisinage depuis l’Indonésie à l’ouest, vers la Papouasie Nouvelle-Guinée, les Îles Salomon et le Sud-ouest du Pacifique (Department of Defence 1997 : 10).

35Cet inner arc correspond aux mêmes limites géographiques que « l’arc d’instabilité » présenté par les dirigeants australiens comme un espace de projection de puissance de l’Australie : « Nous avons comme intérêt national essentiel d’aider à éviter l’installation dans les États voisins de forces étrangères qui pourraient être utilisées pour attaquer l’Australie » (Department of Defence 2000 : 31). La sous-région mélanésienne est présentée comme nécessaire non seulement à la protection de l’Australie elle-même, mais également à la place du pays dans la région Asie-Pacifique. Il faut attendre les années 1990 pour voir apparaître dans les ouvrages gouvernementaux le principe d’un lien direct entre l’Océanie et l’Asie mais à partir de ce moment, ce lien devient une véritable norme. Paul Dibb par exemple donne un rôle à cette zone d’influence pour le statut de l’Australie en temps que « puissance moyenne régionale » (1995 : 47), puisque l’intérêt australien pour la gestion de cette zone d’instabilité s’inscrit dans le rapport aux grandes puissances asiatiques. Robert Ayson précise également la place du lien à Washington, à propos de l’arc d’instabilité.

C’est également un message potentiel pour les États-Unis : qu’ils peuvent se retrouver du côté des perdants dans la bataille pour l’influence extérieure dans le Pacifique. Le terme d’arc invite les stratèges à s’asseoir et à prendre connaissance [de la situation], dans un rôle assez semblable aux préoccupations des années 1980 sur la pénétration soviétique dans le Pacifique (Ayson 2007 : 223).

36En effet, à partir des années 1990, le rapport de force en Océanie se fait exclusivement à l’avantage des puissances de l’Asie Pacifique et surtout de la Chine. La pénétration soviétique ou les tensions avec la France laisse la place à l’insertion des acteurs asiatiques dans cet espace, alors que les États-Unis se concentrent quasi-exclusivement sur l’espace micronésien (États Fédérés de Micronésie, Îles Marshall, Guam, et Palaos). L’élargissement de la zone d’intérêts maritimes immédiats de la Chine, de la Mer de Chine vers les Philippines et l’Australie, déplace le système asiatique vers le Pacifique.

  • 15 Chinese Military Sea, The New York Times, 24 avril 2010.

Maintenant, les amiraux chinois disent qu’ils veulent des navires de guerre pour escorter les navires commerciaux essentiels à l’économie du pays […] en Asie du Sud-Est et pour aider à sécuriser les intérêts chinois dans les mers de Chine du Sud et de l’Est, riches en ressources naturelles. […] Un autre élément de la nouvelle stratégie maritime chinoise est l’extension de sa portée opérationnelle au-delà de la Mer de Chine méridionale et des Philippines vers ce qui est nommé la « seconde chaine d’îles », les rochers et les atolls du Pacifique15.

37Les grands récits historiques liés à la place de la Chine dans la région trouvent également un élargissement vers des espaces éloignés du cœur continental chinois. Ainsi, au « métarécit » sino-centré du système des tributs, rappelé par David Kang, qui repose sur le principe de la centralité de l’Empire chinois en Asie de l’est depuis des siècles, les officiels chinois ajoutent les grandes expéditions de Zheng He qui permettent d’élargir l’espace mémoriel de référence de la puissance chinoise (2007 : 189). Ainsi, dans un discours de 2003, Hu Jintao a mis en avant la découverte du continent australien par l’eunuque Zheng He dans les années 1420 (Pelletier 2011 : 169). L’usage de l’histoire de Zheng He par la diplomatie chinoise a connu un développement très important dans les années 2000, autour de la volonté de construire un récit sino-centré dans une aire géographique large – Asie de l’est, Asie du Sud, Afrique orientale –, de présenter un anti-Christophe Colomb et enfin de marquer néanmoins la particularité des rencontres de Zheng He, qui demandait à ses hotes de reconnaître la préeminence de l’Empereur de Chine (Pelletier 2011 : 166). L’utilisation de la figure de Zheng He et de sa supposée exploration pacifique, est un élément de l’utilisation de l’histoire par la Chine, pour son soft power (Voir Yoshihara, Holmes 2008 : 123-137, Kurlantzick 2007 : 683-704, Cohen 2007).

Le peuple chinois a toujours eu des sentiments amicaux envers le peuple australien. […] En 1420, les flottes expéditionnaires chinoises de la dynastie Ming ont atteint les côtes australiennes. Pendant des siècles, les Chinois ont traversé de vastes mers et se sont installés dans ce qu’ils appelaient la « terre du Sud », ou aujourd’hui l’Australie. Ils ont apporté la culture chinoise à cette terre et ont vécu en harmonie avec la population locale, contribuant ainsi fièrement à l’économie australienne, à sa société et à sa culture pluraliste (Hu Jintao 2003).

  • 16 Chinese military sea, The New York Times, 24 avril 2010.
  • 17 President Hu Jintao meets with Samoan Prime Minister, Ministry of Foreign Affairs of the People’s R (...)

38Dans les États insulaires, la présence chinoise est incontournable, pour les questions diplomatiques, l’aide au développement ou encore les phénomènes diasporiques. « […] Il est désormais routinier que la première visite outre-mer faite par un nouveau chef de gouvernement de la région se fasse à Pékin, et non à Canberra, Washington ou Wellington » (Windybank 2005). La Chine a encouragé les visites d’États et restructuré son aide au développement – qui reste assez opaque – afin d’être l’un des principaux donateurs en Océanie. La majorité des récentes infrastructures de la région – ministères, aéroports, stades, routes – est sortie de terre grâce à l’appui financier de Pékin. Le pays est devenu omniprésent en quelques années. Les richesses naturelles de ces États insulaires, qu’ils disposent de zones économiques exclusives (ZEE) immenses et poissonneuses comme Kiribati, de forêts primaires comme les îles Salomon ou de mines importantes comme la Papouasie Nouvelle-Guinée, attirent les capitaux et les entreprises asiatiques et sont massivement exportées vers l’Asie. Pékin a déclaré avoir des « intérêts communs » (Bertil 2007) en matière militaire avec les États du Pacifique et cherche notamment à utiliser des ports pour sa marine (People’s Liberation Army Navy – PLAN), dans le cadre de sa recherche de bases potentielles et de la volonté d’élargir la portée de la PLAN16. Compte tenu de leur situation géographique, les États insulaires deviennent des partenaires potentiels d’une stratégie « du collier de perles » pour l’espace Pacifique, comme la Birmanie et le Pakistan pour l’océan Indien, et des relais pour le contrôle des routes maritimes par lesquelles transitent les matières premières, vitales dans la croissance du géant chinois. Ainsi, en août et en septembre 2010, deux navires de la marine chinoise effectuent une tournée exceptionnelle dans le Pacifique, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, au Vanuatu, aux Tonga, en Nouvelle-Zélande et en Australie. Pékin apparaît ainsi comme un partenaire obligé, non seulement pour les relations politiques, économiques mais aussi stratégiques. Et les États insulaires de la région trouvent leur place dans ce nouveau rapport de force. Ainsi, en mars 2008, le contre amiral Franck Bainimarama, homme fort de Fidji, ostracisé par l’Australie et la Nouvelle-Zélande suite à son coup d’État de 2006 et à son refus d’organiser des élections, fait parvenir une lettre au gouvernement chinois indiquant son soutien à l’action chinoise au Tibet, afin de s’assurer de l’aide économique chinoise, et des bons rapports avec cette puissance montante, face aux pressions des alliés traditionnels de Fidji, comme la Nouvelle-Zélande. « La république populaire de Chine est depuis longtemps un ami de Fidji et nous saluons la contribution chinoise dans l’économie fidjienne17 ». D’autres gestes symboliques, moins polémiques, sont très présents chez certains dirigeants océaniens, comme lorsque le Vanuatu ou les Samoa ont envoyé des dons en direction de la Chine pour venir en aide aux victimes du tremblement de terre au Sichuan, en mai 2008.

39La proximité géographique permet le développement de l’influence d’autres États asiatiques comme la Malaisie ou l’Indonésie en Mélanésie, tandis que le Japon ou la Corée utilisent leur puissance financière pour développer des alliances politiques avec tous les pays insulaires. Le Japon organise le Pacific Islands Leader Meeting (PALM) qui réunit l’ensemble des chefs d’État ou de gouvernement des États insulaires du Pacifique et d’Australie et de Nouvelle-Zélande au Japon. Face à cette évolution, les interventions australiennes dans sa région reposent sur deux piliers : d’une part la volonté de ne pas laisser des acteurs asiatiques comme l’Indonésie ou la Chine intervenir en Mélanésie et d’autre part préserver le poids de l’Australie. L’intervention aux Salomon fait notamment suite aux craintes australiennes d’une intervention de l’Indonésie dans une zone située dans le voisinage du pays archipel (Dobell 2007). Les différentes interventions au Timor Oriental s’inscrivent dans la même optique. En 2007, Kevin Rudd reconnaît le poids de la montée en puissance de nouveaux acteurs dans la définition de la politique étrangère en Océanie, et comme facteur explicatif de la politique d’aide au développement et d’interventionnisme.

Une des responsabilités principales de l’Australie au sein de l’alliance [avec les États-Unis] est de re-sécuriser le Pacifique Sud […]. L’Australie doit prendre sa part de responsabilités vis-à-vis de l’alliance dans la région. Un échec amènenerait la région à regarder vers d’autres grandes puissances pour l’économie et la sécurité (Rudd, cité dans Hartcher 2007).

40C’est surtout la présence chinoise dans le Pacifique sud – déployée en quelques années – qui entre en compétition avec l’ambitieuse politique australienne bâtie dans le cadre du Pacific Plan et des interventions australiennes dans la région. Plan de développement des îles du Pacifique Sud, signé en 2003 dans le cadre du Forum des îles du Pacifique, et inspiré par l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ce Plan Pacifique vise à développer le libre échange dans la région et à assurer le développement des États insulaires par les échanges avec ces deux pays. L’Australie a pris en compte ces évolutions, et elle agit dans la région en tant que puissance principale dans son pré carré pour contrebalancer l’essor des puissances asiatiques et pour gérer l’émergence d’un « ordre océanien » centré sur Pékin.

The Australian Man’s Burden : Pacificness occidentale ?

  • 18 Tarakabutaulakata, 2004.

41Dans le Pacifique Sud, face à l’influence grandissante des acteurs émergents, certaines formes d’interventionnisme de l’Australie s’appuient sur ces références pour légitimer une forme de domination sur un voisinage principalement insulaire. Les différentes formes d’influence australienne épousent des légitimités successives au sein de la société internationale, comme puissance colonisatrice, puis au sein de l’équilibre des puissances et des systèmes d’alliance, ou en accompagnant le « développement » des États voisins. Mais les valeurs jugées comme internationalement légitimes à un moment donné, et les actions qui peuvent être raisonnablement acceptées, ne sont plus les mêmes dans une autre période et les pratiques discursives de légitimation des dirigeants australiens ont changé dans les deux dernières décennies. À l’intérieur d’un arc entre Indonésie et îles Fidji, le voisinage immédiat est en lien étroit avec l’identité australienne et sa légitimité internationale : comme espace principal d’altérité par rapport à l’île-continent, légitimée par la notion d’instabilité, mais également comme espace d’intervention, justifiée par le principe de responsabilité, et enfin comme espace de normativité, reposant sur une certaine forme de domination, qu’épouse le vocabulaire de la gouvernance. Ces notions répondent à des changements importants dans la région, compte tenu de la multiplication des risques de déstabilisation des sociétés océaniennes et de l’émergence des puissances asiatiques, mais sont aussi au miroir du discours des puissances dominantes traditionnelles sur certaines régions du monde, et relayées par les Australiens comme « normes de référence » adaptées à leur voisinage immédiat. Le premier pilier de la légitimation des actions australiennes ces deux dernières décennies concerne l’identité du voisinage, qui devient un espace légitime pour les interventions extérieures (Clark, 2005). L’expression « arc d’instabilité » a été utilisée à partir de la crise économique asiatique de 1997-1998 pour présenter le voisinage nord de l’Australie et définir de la sorte une sous-région de l’espace asiatique et pacifique. Fraenkel évoque ce prisme nouveau au sein de l’exécutif australien comme le succès de « la thèse d’une africanisation du Pacifique » (Fraenkel, 2003), visant à présenter l’ensemble des voisins comme un territoire instable uniforme. En 1999, dans un article très médiatisé sur la situation régionale, Paul Dibb, David Hale et Peter Prince décrivent les voisins de l’Australie en termes polémiques : une « Indonésie balkanisée », une « Papouasie-Nouvelle-Guinée brisée », et face à cette situation, une « Nouvelle-Zélande impuissante ». Et au début des années 2000, dans une des premières définitions de l’arc d’instabilité, celui-ci englobe la chaîne des États faibles, fragiles ou artificiels dans une région qui va de la province séparatiste d’Aceh en Indonésie à l’ouest et les îles Fidji, frappées par un coup d’État, dans l’Océan Pacifique (Reilly 2002). « L’arc d’instabilité » répond à – et parfois précède – une référence globale émergeant dans les discours et écrits américains. Les termes australiens répondent à un profil légitimé par le principal allié et première puissance mondiale. Les difficultés internes à l’Indonésie permettent à l’Australie de s’investir au Timor oriental en 1999, mais ce sont les États mélanésiens indépendants qui sont l’objet d’attentions particulières à la suite des tensions civiles et militaires. Robert Ayson parle de trois principaux « chocs » qui influencent la politique australienne dans la région dans les années 2000 (Ayson 2003) : la crise financière asiatique de 1997, les attaques du 11 septembre 2001 et l’attentat de Bali en 2002. Le Premier ministre John Howard et son ministre des Affaires étrangères Alexander Downer insèrent eux-mêmes l’expression failed states dans le vocabulaire diplomatique pour les îles Salomon afin de justifier l’intervention en 2003, un usage sans précédent dans la région, même pour le Timor oriental. Ces nombreuses menaces offrent un double système de légitimation (instabilité interne, menace régionale) pour l’interventionnisme australien en Mélanésie. Intimement liée à la rhétorique de l’instabilité, l’idée d’une responsabilité spécifique de l’Australie vis-à-vis de sa région – en tant que puissance prépondérante, au nom d’une destinée, si ce n’est « manifeste », au moins « responsable » (Keating 2000) – est un élément essentiel de sa politique régionale, et cette responsabilité spécifique fut autoproclamée jusqu’à devenir « autoréalisatrice ». En complément de la multiplication des références à « l’arc d’instabilité », le gouvernement communique sur le même espace autour d’un « arc de responsabilité » australien, que Kim Beazley, leader du parti travailliste au début des années 2000, présente comme une « mini-doctrine Monroe » (Beazley 2003). Les conceptions que les élites politiques australiennes nourrissent sur leurs actions dans la région et puisent leurs racines dans l’histoire même de l’Australie, dès l’époque coloniale et « dominionale », lorsqu’elle est une colonie de peuplement anglais dans un environnement océanien. Elle apparaît dans les premiers projets d’une « doctrine Monroe » pour l’Océanie18, lorsque l’Australie était à la fois colonie(s) et puissance sub-coloniale (Tarakabutaulakata, 2004). Bien que tous les gouvernements australiens depuis les années 1980 aient utilisé la rhétorique du « partenariat » dans leur approche aux États insulaires du Pacifique, cela a généralement été considéré comme un mince masque pour une approche dominée par l’idée que l’Australie a un droit naturel à diriger et n’a pas besoin de gagner une légitimité politique particulière (Fry 2008). Dans un deuxième temps, l’Australie construit sa domination sur des interventions militaires et policières directes dans certains États de la région, à partir d’un modèle d’intervention : la mission des Nations unies au Timor oriental. L’essayiste australien Paul Kelly présente en 1999 cet exemple comme intimement lié à des valeurs occidentales portées par l’Australie, dans une période de doute par rapport au modèle asiatique en essor :

Le déploiement au Timor oriental, où nos troupes développent nos valeurs dans la région, signifie que l’Australie peut renouveler sa fierté dans ses valeurs. [Il ajoute que] pour Howard, ce déploiement […] apporte une nouvelle donne pour traiter avec l’Asie à partir de nos propres conditions et non pas imposées à nous. Nous pouvons être nous-mêmes (Kelly 2009).

42L’illusion d’une intervention idéale et de la mise en place d’un nouvel État démocratique est interprétée par John Howard comme un exceptionnalisme australien dans la région. Pour ses dirigeants, l’Australie peut alors engager une politique ambitieuse de gestion du voisinage au nom d’une responsabilité particulière. Le Livre blanc de la Défense de 2009, rédigé sous l’autorité de Kevin Rudd (2007-2010) résume les principes du gouvernement travailliste, dont le vocabulaire reste marqué par la responsabilité et le leadership :

L’Australie continuera d’avoir des responsabilités particulières pour aider nos voisins dans le cadre des besoins humanitaires et de secours, et de soutenir leur stabilité et leur sécurité. Compte tenu de notre taille et de nos ressources, l’Australie devra jouer un rôle de leader dans le Pacifique Sud si ces États sont submergés par des crises humaines ou naturelles.

43L’Australie utilise également des outils normatifs qui permettent de légitimer ses actions de police dans la région jusqu’à permettre d’envisager un processus de déterritorialisation de la gouvernance australienne par-delà ses frontières. Ainsi, dans les États insulaires, le gouvernement australien insiste d’abord sur l’importance de la gouvernance, de la « bonne gouvernance », placée « au centre de tous [les] programmes » (Downer, 2003b) par le ministre des Affaires étrangères Alexander Downer lors d’un discours en 2003. La Mélanésie s’inscrit dans un imaginaire particulier, largement relayé par les dirigeants australiens qui insistent sur les formes de violence ou bien sur les faiblesses des structures sociales et politiques de la région. Face à ces acteurs délégitimés, les valeurs démocratiques australiennes deviennent un élément de renforcement de sa place dans la région et le modèle australien de gouvernance, légitimés par des normes partagées avec l’ensemble des États de l’OCDE et les puissances traditionnelles. La « responsabilité » australienne connaît une évolution décisive dans les années 2000, par les nombreuses décisions d’extraterritorialité concernant les forces australiennes et de limitation de souveraineté des États insulaires. Les programmes mis en place pour l’immunité juridique des policiers australiens sur le sol des États du Pacifique, comme en Papouasie-Nouvelle-Guinée ou dans le royaume des Tonga. Ce discours coïncide avec une écriture de l’espace qui définit une identité pour l’Australie autant que pour son voisinage. Axe d’instabilité et axe de responsabilité : ce dernier correspond à une part essentielle de son « fardeau » sur la scène internationale.

Le Territoire Antarctique Australien : une Australie jusqu’au Pôle Sud, dernier enjeu issu du subimpérialisme

44Depuis plus d’un siècle, l’Australie développe une « responsabilité manifeste » en Antarctique, au nom d’une histoire britannique, d’une proximité géographique, d’un leadership scientifique ou d’une responsabilité environnementale. Plus largement, l’Antarctique est le seul horizon au sud de l’île-continent et s’inscrit dans une logique de continuité territoriale – et « merritoriale » – jusqu’au Pôle Sud, à travers certains territoires ultramarins australiens et son immense ZEE liée.

  • 19 Terres Australes, août 1923 – juillet 1929, « Annexion de terres antarctiques par le gouvernement b (...)
  • 20 Dépêche de Melbourne, 7 mars 1925, no 8, cité dans Terres Australes, août 1923 – juillet 1929 l’amb (...)

45Dès le xixe siècle, des explorateurs australiens firent partie des expéditions britanniques menées dans les eaux antarctiques ou aux abords du continent lui-même. Mais la réalité d’un intérêt « national » australien pour l’Antarctique repose sur les décisions du Commonwealth d’Australie au début du xxe siècle. En 1905, le gouvernement d’Alfred Deakin lança une politique de « grands travaux » sur le continent australien, mais proposa dans le même temps de développer une exploration du continent antarctique par les Australiens eux-mêmes. Cette politique fédérale, aux côtés de la gestion directe du Territoire du Nord par le gouvernement et de l’administration de la Nouvelle-Guinée, participait d’un développement de la politique australienne sur de nouveaux fronts pionniers, dans le territoire australien, dans une démarche subimpériale ou autour d’objectifs scientifiques. La première expédition australienne en Antarctique eut lieu de 1911 à 1913, et put fournir de nombreuses informations marines, géologiques et météorologiques. Elle fut dirigée par Douglas Mawson, ancien responsable de la recherche dans les expéditions de Shackleton. L’Australie était également un des points de départ des expéditions britanniques dans la région polaire et prit une importance particulière dans les ambitions antarctiques du Royaume-Uni. Au début des années 1920, le dominion australien cherche à assurer son contrôle sur un secteur antarctique au Sud de l’île-continent, dont la Terre Adélie, découverte par le Français Dumont d’Urville en 1840 et revendiquée par Paris peu avant la Première Guerre mondiale. Ces positions gênent l’inscription d’un secteur britannique géré par l’Australie au Sud de l’île-continent, alors que le gouvernement britannique annexe dès 1923, par un Ordre du Conseil publié au Journal Officiel le 1er août 1923, les côtes de la Mer de Ross, qui deviennent « dépendance de Ross » administrées par la Nouvelle-Zélande19. La France réagit en multipliant les démarches juridiques dans la région. L’émotion soulevée en Australie à l’annonce du décret du gouvernement français de novembre 1924, relatif aux pêcheries d’éléphants de mer à Kerguelen, Crozet, Saint-Paul, Amsterdam et terre Adélie, fut interprétée par les médias et l’opinion publique australienne comme une véritable annexion20. Les journaux australiens de cette époque font remarquer que quand « Adélie » fut découverte et baptisée par Dumont D’Urville en janvier 1840, ce dernier n’y demeura qu’une heure, sans explorer la côte et remonta aussitôt vers le nord. En revenche, l’expédition australienne, à la tête de laquelle se trouvait Sir Douglas Mawson, avait en janvier 1912 séjourné 2 ans en terre Adélie, faisant des observations scientifiques et délimitant la terre.

  • 21 Informations, Bulletin du Comité de l’Afrique Française, août-septembre 1938.

46En 1926, lors de la Conférence Impériale, le Royaume-Uni revendiqua près des deux tiers du continent, sans revendication concurrente des principales nations européennes, et organisa le partage du continent entre Londres et ses dominions pour donner l’illusion d’une pluralité des revendications (Welsh 2004 : 416). Et en dépit de l’expédition de l’amiral américain Richard Byrd, en 1929 et de leurs ambitions dans la région, les États-Unis ne remirent pas en cause les démarches britanniques. Pour appuyer ces revendications, Mawson prit la tête, entre 1929 et 1931, d’une expédition britannique, australienne et néo-zélandaise (BANZARE) avec l’utilisation d’aéronefs. En 1936, le gouvernement britannique, dans le dernier acte de partition impériale d’un continent, organisait le partage entre le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et l’Australie, offrant à cette dernière la responsabilité sur plus du tiers du continent antarctique (Ayres 1999). Dans la période impériale, les revendications françaises sur la terre Adélie, coin enfoncé au cœur du Territoire Antarctique Australien (Australian Antarctic Territory – AAT), en dépit des critiques australiennes, furent négociées entre Londres et Paris, au cours des années 1920 et 1930 menant à ce que terre Adélie soit officiellement présentée comme « colonie » française en 193821. Mais ces accords internationaux, fruit de l’impérialisme des puissances européennes, dont la Norvège était partie prenante, furent remis en cause par des acteurs sud-américains (Chili et Argentine) qui se déclarèrent puissance possessionnée en Antarctique, et surtout par les démarches américaines. Dès 1924, le ministre Hugues, à la tête du Département d’État des États-Unis précisait que :

L’opinion de ce département est que la découverte de terres inconnues pour la civilisation, même lorsqu’elle est couplée avec une prise de possession formelle, ne forme pas une revendication valide en matière de souveraineté, à moins que la découverte ne soit suivie par une véritable colonisation du pays découvert (Miller 1928 : 249-250).

47Dans l’après guerre, les enjeux de la Guerre froide rendent plus difficile les positions australiennes en Antarctique et le gouvernement fédéral s’engage dans les négociations pour la signature du traité de l’Antarctique en 1959 qui gèle les revendications passées mais qui fait de l’Australie une des principales puissances scientifiques et d’Hobart, en Tasmanie, le principal port relais pour les grandes expéditions internationales vers le continent. Durant les années 1960 et 1970, la sanctuarisation de l’Antarctique permet de détourner les principaux enjeux de la Guerre froide de ce continent.

48À partir des années 1980, à partir des pratiques diplomatiques de la puissance moyenne, l’Australie utilise un système d’alliance diversifié pour transformer puis imposer l’agenda environnemental sur l’Antarctique. Le 20 mai 1980, la « Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique » (CCAMLR), créée par la Convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique, dite « convention de Canberra », a été signée dans la capitale et l’Australie a joué un rôle pour cette protection. La CCAMLR est la seconde organisation du système du Traité sur l’Antarctique de 1959, avec la réunion consultative du traité sur l’Antarctique (RCTA). Après la découverte de nombreuses réserves de matières premières sous le continent antarctique, plusieurs États cherchent à encadrer l’exploitation de ces ressources minières dans le cadre de la préparation de l’Antarctic Minerals Convention qui remet en cause certains principes du traité de 1959. Mais le Premier ministre australien Bob Hawke, aux côtés du Premier ministre français Michel Rocard, en 1989, parvient à faire adopter un moratoire sur la prospection et l’exploitation (minière et pétrolière) en Antarctique dans le cadre de la Convention ou the Regulation of Antarctic Mineral Resource Activity. Les deux pays, avec le soutien de la Belgique et de l’Italie, mais également de Jacques Cousteau et du Sénateur américain Al Gore, futur vice-président, parviennent à assurer une majorité pour la préservation du continent blanc comme réserve naturelle. Cette prise de position mène au Protocole additionnel au traité de l’Antarctique (traité initialement signé en 1959) sur la protection de l’environnement nommé protocole de Madrid, signé en 1991 et entré en vigueur en 1998. Les articles 2 et 7 du Protocole de Madrid précisent les objectifs et les enjeux.

  • 22 Protocole additionnel au traité de l’Antarctique sur la protection de l’environnement, Protocole de (...)

Article 2 – Objectifs et désignations. Les Parties s’engagent à assurer la protection globale de l’environnement en Antarctique et des écosystèmes dépendants et associés. Elles conviennent, par le présent Protocole, de désigner l’Antarctique comme réserve naturelle, consacrée à la paix et à la science. Article 7 – Interdiction des activités relatives aux ressources minérales. Toute activité relative aux ressources minérales, autre que la recherche scientifique, est interdite22.

49La même année, l’Australie a proposé la création d’un groupe de pays du pourtour de l’Océan Antarctique : en 1995, l’Afrique du Sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Argentine, le Chili et l’Uruguay – et le Brésil en 1997 – se sont réunis dans le Group of Temperate Southern Hemisphere Countries on Environment (Valdivia Group) du nom de la ville de Valdivia au Chili où a eu lieu le premier sommet. En dépit de sa faible activité, un des enjeux de ce groupe repose sur la mobilisation des acteurs de l’hémisphère Sud autour d’un projet présenté par l’Australie comme exemplaire d’une vision sud-hémisphérique sur l’Antarctique et les océans avoisinants.

50Avec l’essor des activités des acteurs émergents en Antarctique dans les années 2000, et en particulier de la Chine, qui ouvre sa cinquième base sur le continent en 2014, les enjeux politiques et stratégiques de la gestion du continent reviennent dans l’agenda politique australien. L’Australie organise sa politique antarctique et subantarctique à partir de son Territoire antarctique et des îles Heard et MacDonald dans le sud de l’Océan Indien, mais surtout des ZEE liées. Face aux défis de la gestion des immenses espaces maritimes, de nouvelles pratiques ont émergé dans la décennie 2000. Le respect de la souveraineté sur ces Zones Économiques nécessite un investissement conséquent qui ne peut être assuré par chaque nation de manière isolée, en dépit de la volonté de maintenir les formes de la souveraineté nationale, et l’Australie a partagé ses efforts avec la France qui possède des îles dans la région (Crozet, Saint-Paul, Kerguelen). Les deux pays ont signé le 24 novembre 2003, un traité bilatéral pour lutter contre les activités de pêche illégale, entré en vigueur près de deux ans plus tard, le 1er février 2005, et centré sur la mutualisation des moyens des deux pays pour rentabiliser le coût très élevé des déploiements des moyens de surveillance sur les ZEE (à 5 000 kilomètres de l’Australie). Cet accord est mentionné dans le partenariat stratégique entre les deux États, datant de 2012, qui déclarent poursuivre :

leur coopération bilatérale […] en continuant, notamment, à assurer des patrouilles conjointes dans les zones maritimes adjacentes aux Terres australes et antarctiques françaises et au territoire australien des îles Heard-et-McDonald et réaffirm[ent] clairement et fermement leur attachement au Traité sur l’Antarctique et réitère[nt] leur soutien au régime de protection de l’environnement inscrit dans le Protocole de Madrid […].

51Cette collaboration apparaît désormais comme un élément central de gestion des espaces maritimes de l’hémisphère sud entre puissances traditionnelles et acteurs émergents puisqu’un accord similaire est en discussion entre la France et l’Afrique du Sud, qui sont voisins dans cette partie de l’Océan Indien (les Îles Marion et Prince Edward pour l’Afrique du Sud et Crozet pour la France ont des frontières maritimes contigües). Les espaces maritimes et terrestres antarctiques et subantarctiques sont également le théâtre de la compétition internationale pour l’accès aux ressources sous marines entre les principales puissances mondiales, en dépit des régimes de protection hautement institutionnalisés. La Russie et l’Ukraine ont empêché à plusieurs reprises, lors de réunion de la CCAMLR, en novembre 2012, juillet 2013, octobre 2013, et encore après la mise en place des plus grandes aires marines protégées (AMP) du globe à l’initiative de la France, de l’Australie et de l’U.E. pour l’une, et des États-Unis et de la Nouvelle-Zélande pour l’autre, avec le soutien d’une écrasante majorité d’États membres, comme le Royaume-Uni (Koubbi 2013). De même, la Chine ou d’autres émergents dans certains cas, organisent une forme de résistance à la sanctuarisation des espaces terrestres et maritimes autour du continent austral afin de maintenir des possibilités pour la prospection et l’exploitation des immenses ressources en minerais et en hydrocarbures de cette zone.

52L’Australie fait ainsi de ces espaces un enjeu stratégique face à ces appétits et s’appuie sur le régime existant, dont elle est un des garants et un des bénéficiaires, face à des acteurs non possessionnés mais de plus en plus ambitieux. L’Australie, en dépit d’une baisse des crédits consacrés à l’Antarctique, cherche à maintenir sa politique de continuité « territoriale » jusqu’au continent blanc, qu’elle perçoit comme un prolongement stratégique sous couvert de protection de l’environnement et d’engagement multilatéral.

Notes

1 Fiji Government announces 2010 Budget, Radio Fiji, 27 novembre 2009.

2 Proclamation, Territory of Papua, Government Gazette Extraordinary, Published by Authority, Vol. 1, samedi, 1er septembre, 1906/6921, National Archives of Australia, 1906.

3 Senator Stewart’s Papua Act Amending Bill, 1906/5998, (4 pages), File of Papers, Department of External Affairs, National Archives of Australia, Commonwealth of Australia, 1906.

4 Résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale des Nations-Unies en date du 14 décembre 1960.

5 Spender, “Cablegram From Department of External Affairs to All Posts”, Cablegram, Canberra, 2 janvier 1950.

6 Australia-New Zealand Closer Economic Relations Trade Agreement, Treaty, Article 1.1.

7 Agreement On Trade And Commercial Relations Between The Government Of Australia And The Government Of Papua New Guinea [Patcra II], Canberra, 21 février 199. Voir Article 2.

8 Treaty on Development Co-operation between the Government of Australia and the Government of Papua New Guinea, Waigani-Canberra, 18 mars-29 mai 1992.

9 AID/WATCH, Where is your AID money go on ?, Aid/Watch guide to Australian Aid, 20 novembre 2008.

10 Article 1. B. 3., “Advancing Commonwealth Fundamental Political Values”, The Millbrooke Commonwealth Action Programme on the Harare Declaration, 12 novembre 1995.

11 Chair of PIF says Fiji has benne suspended, Radio New Zealand, 2009.

12 Wilson Duncan, “Leader Assess Pacific Plan Progress”, Islands Business, avril 2005, p. 3.

13 Scoop Independent News, 24 octobre 2006.

14 Voir Shibuya Eric, Rolfe Jim (dir.), Security in Oceania in the 21st Century, Honolulu, Asia-Pacific Center for Security Studies, 2003.

15 Chinese Military Sea, The New York Times, 24 avril 2010.

16 Chinese military sea, The New York Times, 24 avril 2010.

17 President Hu Jintao meets with Samoan Prime Minister, Ministry of Foreign Affairs of the People’s Republic of China, 17 septembre 2008.

18 Tarakabutaulakata, 2004.

19 Terres Australes, août 1923 – juillet 1929, « Annexion de terres antarctiques par le gouvernement britannique », 31 janvier 1924, E 278 3, Série E, carton 278, A 366 1, 2, 3, Archives du ministère des Affaires étrangères.

20 Dépêche de Melbourne, 7 mars 1925, no 8, cité dans Terres Australes, août 1923 – juillet 1929 l’ambassade de France en Australie, Série E, carton 278, A 366 1,2,3, Archives du ministère des Affaires étrangères.

21 Informations, Bulletin du Comité de l’Afrique Française, août-septembre 1938.

22 Protocole additionnel au traité de l’Antarctique sur la protection de l’environnement, Protocole de Madrid, 1995.

Table des illustrations

Titre L’Australie et le maintien de la paix : les principales opérations (+ de 250 hommes) depuis 1989 (en gras dans le voisinage australien)
Légende Source Firth, 2007 : 224
URL http://books.openedition.org/pup/docannexe/image/49433/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 32k

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