Introduction : les origines de l’asile

1Une légende entoure la naissance de l’ancien monastère Saint-Paul à Saint-Rémy-de-Provence. Un certain Paul, originaire de Reims, s’était dès son enfance distingué par sa grande piété et son tempérament vertueux. Fuyant les invasions barbares, il avait avec sa famille quitté la Champagne et suivi la vallée du Rhône en direction de la Provence. Finalement établi dans les Alpilles, en un lieu retiré appelé Macerius, aujourd’hui le Mont-Gaussier, près de Saint-Rémy, il était devenu garçon de ferme. Cependant ses mérites étaient connus au-delà de la région. Et lorsque Torquatus, évêque de Trois-Châteaux, vint à mourir, une délégation partit à la recherche de Paul pour lui demander de le remplacer. Elle le trouva en train de labourer un champ. Modeste, il refusa tout d’abord la dignité qu’on lui offrait. Comme les envoyés du Tricastin insistaient, il planta dans la terre la verge de bois sec avec laquelle il guidait ses bœufs en déclarant qu’il accepterait leur proposition quand le bâton fleurirait. Celui-ci se couvrit aussitôt de verdure et de fleurs. Obéissant à la volonté divine qui s’était de la sorte exprimée, Paul se rendit à Trois-Châteaux où il fut reçu triomphalement, ordonné prêtre puis sacré évêque, et donna à la ville son nom actuel : Saint-Paul-Trois-Châteaux. À Saint-Rémy, dans le champ même où s’était déroulé le miracle et en souvenir de lui, la population éleva une chapelle, point de départ du futur monastère1.

2La réalité historique est moins limpide2. Les mentions les plus anciennes d’églises au pied du Mont-Gaussier datent du x^e siècle. L’une d’elles s’appelle Saint-André et Saint-Paul. Occupée à partir du siècle suivant par des chanoines soumis à la règle de Saint-Augustin, elle perd le vocable de Saint-André, gagne celui de Mausole, référence au mausolée romain qui se dresse à proximité, obtenant ainsi le nom sous lequel elle est depuis désignée, Saint-Paul-de-Mausole. Dans le courant du xii^e siècle, l’église et le cloître sont reconstruits et, en dehors de certaines modifications parmi lesquelles la réfection de la façade de l’église au xviii^e siècle, l’ensemble architectural prend alors l’apparence générale, robuste et harmonieuse, que l’on continue aujourd’hui d’admirer. À la suite d’importantes difficultés aux xiv^e et xv^e siècles liées à la guerre de Cent Ans et au Grand Schisme, le monastère entre dans une longue période de décadence et le chapitre cathédral d’Avignon, auquel la communauté des chanoines était rattachée depuis 1316, finit en 1605 par céder Saint-Paul à l’ordre de la « Stricte Observance » de saint François d’Assise.

3Un groupe de moines de cette obédience, appelés observantins ou cordeliers, prend alors possession des lieux et ce sont eux qui commencent à y recevoir, moyennant pension, des malades mentaux. Les premières traces de cette activité apparaissent au cours de la seconde moitié du xviii^e siècle dans deux délibérations de la municipalité de Saint-Rémy3. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de défendre les religieux de Saint-Paul menacés de disparition. En mars 1768, un édit du roi prévoit la fermeture des petits monastères d’hommes « autres que les hôpitaux, les cures, les séminaires et écoles publiques dument autorisés », excepté ceux dont les évêques et archevêques auront signalé l’intérêt. Peu nombreux, les observantins saint-rémois sont visés par ce programme et le conseil de la communauté décide d’informer l’archevêque d’Avignon (dont dépend alors la paroisse de Saint-Rémy) de leurs divers mérites. En septembre 1790, c’est l’Assemblée constituante qui décrète la suppression de tous les ordres religieux, hormis ceux chargés de l’éducation publique et des maisons de charité. La municipalité se prononce à nouveau en faveur du maintien des moines.

4La première de ces délibérations insiste sur leurs bienfaits spirituels, sur les « pieux exemples » qu’ils donnent à la population, celle-ci leur vouant une « vénération générale », et sur « les services journaliers [qu’ils] rendent à cette ville et surtout aux habitants de la campagne où leur couvent se trouve situé où ils sont à la portée d’entendre la messe ». La présence de malades à Saint-Paul n’est signalée qu’en conclusion : les observantins « reçoivent pensionnaires dans leur couvent les personnes qui ont le malheur de tomber dans la démence et même ceux qui sont enfermés par lettre de cachet4 ».

5En septembre 1790, par contre, la religion n’a plus, on le sait, bonne presse, les lettres de cachet sont abolies depuis le mois de mars et le seul aspect en faveur de la conservation en l’état du monastère consiste dans sa fonction d’asile. C’est autour de cet argument qu’est construit cette fois le plaidoyer du maire de Saint-Rémy et de ses officiers : Saint-Paul est « un dépôt pour les pauvres insensés5 », « une maison de charité entièrement consacrée aux malheureux dont la raison est égarée » et fait donc partie des exceptions prévues par le décret de l’Assemblée nationale. Elle « est située en campagne, à un mille de la ville, dans un site des plus heureux ; et gouvernée par des religieux Cordeliers, exercés depuis longtemps à cette œuvre de charité, et qui sont les honorables dépositaires de la confiance d’un grand nombre de familles affligées de cette funeste maladie ». À l’inverse de celle de 1768, cette pétition n’eut pas l’effet escompté. Inventoriés comme biens nationaux, le monastère, son jardin et une terre attenante furent vendus aux enchères le 17 avril 1791 à trois particuliers de Saint-Rémy, Paul Andrieu, « ménager », Antoine Laugier et Imbert Gautier, négociants6.

6Au xviii^e siècle, en France, les fous qui vivent hors de leurs familles ne sont pas encore regroupés dans des asiles : on en trouve dans les couvents, dans les rues et le long des routes, dans les prisons, les hôpitaux et, à partir de 1767, les dépôts de mendicité. Lorsqu’ils sont enfermés, ils côtoient des délinquants, des malades souffrant d’affections physiques ou de simples indigents sans domicile. Les établissements spécialisés sont peu nombreux et les moyens de traitement extrêmement limités. La folie, écrit Voltaire, est « une maladie qui empêche un homme nécessairement de penser et d’agir comme les autres. Ne pouvant gérer son bien, on l’interdit7 ; ne pouvant avoir des idées convenables à la société, on l’en exclut ; s’il est dangereux, on l’enferme ; s’il est furieux, on le lie8 ». À cette époque cependant, dans le cadre du mouvement philanthropique apparu au début du règne de Louis XVI, se développent une réflexion sur les malades mentaux et une volonté de les considérer avec humanité9.

7En Provence, en dehors des asiles publics de Marseille, Aix et Avignon – créés tous les trois à la fin du xvii^e siècle10 – et du monastère de Saint-Paul-de-Mausole, fonctionnent alors deux autres maisons privées également tenues par des observantins : ils font partie des quelques communautés religieuses qui se sont spécialisées dans l’accueil payant des insensés et, à la veille de la Révolution, environ le quart des malades mentaux du royaume sont internés dans leurs couvents11. À Manosque, dans les Basses-Alpes (actuel département des Alpes-de-Haute-Provence), le père Poution, supérieur du couvent de l’Observance, s’occupe d’une douzaine de fous qu’il soigne avec succès en utilisant la douceur, la persuasion ou la ruse. Il croit aux vertus de la promenade et de l’air pur, à celles de la parole, de la patience et de l’exemple. À l’administrateur du département du Var venu le visiter en 1789, il donne les explications suivantes :

Les bains me sont d’une grande ressource avec les furieux, mais il ne faut jamais les faire prendre à contrecœur. Un remède qu’on ordonne comme une punition produit rarement un bon effet. J’ai été tellement convaincu de ce principe que plusieurs fois, pour engager mes malades à prendre les bains, je m’y suis mis avec eux12.

8Le docteur Philippe Pinel, fondateur de la psychiatrie française moderne, citera en 1801 le père Poution parmi les précurseurs du « traitement moral », ensemble de méthodes purement psychologiques qu’il préconise et dont se réclameront la plupart des aliénistes13 du xix^e siècle14.

9Poution est une exception. Les témoignages liés à une plainte dont les observantins du couvent de Saint-Pierre-des-Canons, près de Salon, dans les Bouches-du-Rhône, furent l’objet vers 1767 donnent la mesure du cynisme et de la cruauté dont les malades mentaux furent souvent et pendant longtemps victimes15. À Saint-Pierre, comme à Saint-Paul et à Manosque, une partie des personnes séquestrées le sont par lettres de cachet et aux aliénés véritables se mêlent des individus dont, pour une raison ou pour une autre, on (généralement la famille) a voulu se débarrasser : fils ou filles accusés de libertinage ou de dilapidation de biens, maris violents, épouses dépravées, ecclésiastiques en conflit avec leur hiérarchie, etc.16 « Égoïstes, ignorants, ivrognes17 », les trois religieux qui composent la communauté de Saint-Pierre-des-Canons ne voient en leurs pensionnaires, quels qu’ils soient, qu’une source d’enrichissement. Dépouillé de ses vêtements à son admission, chacun vit sur la paille dans une loge humide creusée dans le roc.

Comme un trésor dont on est jaloux, on le terre, on le cache aux yeux de tous ; c’est un trésor, en effet, qui, même enfoui, rapporte une grosse rente. On paie 400 livres par an pour lui, dont 300 au moins sont bénéfice pour le couvent ; les moines ont intérêt à le garder le plus longtemps possible et ils ne manquent pas de tout faire pour y arriver18.

10Isolés les uns des autres, enchaînés, menottés, battus, torturés, ceux qui n’étaient pas fous le deviennent. La peur de les voir mourir et de perdre ainsi une partie de leurs revenus « est le seul frein que les frères mettent à leur colère ». L’un des prisonniers réussit à dénoncer ces abus auxquels le pouvoir royal met fin en 1784 en prenant le contrôle de l’établissement. Ce qui n’empêche pas celui-ci de subir quelques années plus tard le même sort que Saint-Paul-de-Mausole : bien que défendus de façon identique par la population du village, les religieux sont chassés en 1790, leurs possessions confisquées et vendues à des laïcs19.

11On ignore tout du comportement des observantins de Saint-Paul avec leurs pensionnaires, en dehors du fait que, comme à Saint-Pierre-des-Canons, ils étaient très attachés au gagne-pain que ces malheureux constituaient. En 1791, deux moines seulement habitent le monastère et, s’ils sont d’accord pour quitter les lieux, ils refusent d’abandonner les fous qui leur ont été confiés. Selon les nouveaux propriétaires, Paul Andrieu et Antoine Laugier (d’Imbert Gautier, troisième signataire de l’acte d’achat du couvent, très vite il n’est plus question), les religieux qui dirigeaient « l’établissement et qui trouvaient un intérêt considérable, cherchent à perpétuer pour eux seuls le bénéfice auquel ils étaient accoutumés et se proposent d’amener avec eux les malades et de se les partager comme on partage un héritage ». Dans la pétition qu’ils adressent au maire le 26 avril 1791, moins d’un mois après l’acquisition du monastère, Andrieu et Laugier disent leur intention de « se consacrer au même genre d’utilité pour lequel [le domaine national de Saint-Paul] a mérité et obtenu la confiance du public et de continuer d’y recevoir et d’y traiter les personnes que de fâcheux accidents ont privées de la raison ». Ils prient la municipalité « de défendre aux religieux de Saint-Paul de tourmenter et laisser sortir aucun pensionnaire de la maison sans qu’ils […] aient auparavant justifié d’un pouvoir spécial de la part des parents. Les malades ne sont point leur propriété. » Et ils demandent le soutien de la ville pour l’accomplissement de leur projet, promettant en échange de soumettre à l’agrément des édiles locaux les préposés auxquels ils envisagent de confier l’asile :

Un économe honnête, un prêtre vertueux et humain en auront le premier la régie, le second la surveillance et la direction ; un médecin et un chirurgien y feront un service assidu et réglé ; l’objet de leurs visites ne sera pas simplement les honoraires qu’on leur donnera, mais d’apporter la guérison des malades20.

12Dans le même temps, à destination du public, cette fois, et au moyen d’une affiche, Laugier et Andrieu font savoir que, malgré le départ des moines, Saint-Paul continue à « servir d’hospice à des malades insensés » et vantent la parfaite adaptation du lieu :

Sa situation sur le penchant d’une colline, un édifice vaste et d’une position heureuse, le calme qui y règne, des jardins clos et spacieux, des bains commodes, un air pur, des eaux saines, justifient sa destination, et portent dans l’âme des infortunés qui l’habitent des consolations et des secours qui adoucissent leurs maux ou en triomphent21.

13Ce sont moins les soins dispensés par les observantins qui ont obtenu la confiance des familles, assurent Laugier et Andrieu en 1791, « que la situation avantageuse de la maison et l’influence salutaire de l’air qu’on y respire22 ». Déjà abordé dans la délibération municipale du 22 septembre 1790, ce thème des qualités intrinsèques de l’asile, propres à soulager les fous, voire à les guérir, sera repris avec insistance au siècle suivant, à propos de Saint-Paul comme dans les théories des aliénistes les plus réputés.

14L’emplacement de Saint-Paul est effectivement privilégié. À une centaine de mètres du monastère se dressent les Antiques, monuments romains devenus depuis emblématiques de Saint-Rémy. Réputés et visités dès le xvii^e siècle par des voyageurs fascinés par l’Antiquité, ils ont été, plus souvent que Saint-Paul, l’objet de représentations artistiques23. Parmi elles figure, datant de l’époque de l’éviction des observantins, une gravure réalisée par Née et sur laquelle on reconnait à l’arrière-plan Saint-Paul et son clocher. Même si l’ambiance insouciante qui s’en dégage n’a rien à voir avec celle, supposée, des loges des internés, l’estampe donne une idée de l’environnement du monastère établi à quelques kilomètres au sud de Saint-Rémy, sur le piémont des Alpilles, chaîne de montagnes peu élevées mais escarpées et sauvages. Un chasseur et son chien passent, des personnages devisent au pied du mausolée et de l’arc qui se dressent sur une esplanade aménagée à l’occasion de la visite une dizaine d’années plus tôt, en 1777, du comte de Provence. Tout autour sont couchés à intervalles réguliers des blocs de pierre servant de bancs. Comme les monuments eux-mêmes des siècles auparavant, comme les pierres des murs de Saint-Paul et les lauses imbriquées sur les toits de l’église et de son clocher, ces blocs ont été extraits des carrières voisines (fig. 5). Tout près sont encore enfouis les vestiges de l’ancienne ville de Glanum détruite vers 270 par des envahisseurs germaniques, dont les Antiques constituent les seuls éléments visibles et dont les ruines ne seront mises au jour qu’à partir de 1921 (fig. 6).

15L’entreprise de Laugier et Andrieu ne fit pas long feu : le 1^er octobre 1807, ils vendent l’établissement à un médecin saint-rémois, Louis Mercurin24. Faute là encore de documents, nous ne pouvons qu’imaginer les causes de leur échec. Antoine Laugier était négociant et Paul Andrieu agriculteur, professions qui, même à cette époque, n’étaient pas de celles auxquelles on confiait spontanément un malade. Bien intentionnés mais mal préparés à la tâche qui les attendait, ils durent d’autre part se heurter rapidement à l’impossibilité de trouver les collaborateurs exemplaires dont ils avaient rêvé ainsi qu’aux problèmes financiers liés à pareille organisation. Mais ils n’interrompirent jamais totalement leur activité. L’un des aliénés présents en 1839 dans l’établissement y est interné depuis le 7 juin 179025. Nommé Basile Frédéric Petity-de-Saint-Vincent, sa naissance en juin 1764 à Saint-Paul-Trois-Châteaux, où il vivait au moment de son admission, rappelle les origines légendaires de l’asile. Et sa vie fait le lien entre la période des moines franciscains de l’observance et celle du fameux docteur Mercurin.

16Saint-Rémois fortuné, notable respecté, qualifié sinon spécialisé – la psychiatrie en est à ses balbutiements et les spécialistes des maladies mentales sont rares –, Louis Mercurin va faire de Saint-Paul une maison de santé renommée. En 1835, une seconde maison, Saint-Bernard, ouvre à Saint-Rémy. Cette concentration dans une ville peuplée de seulement cinq-mille habitants étonne d’autant plus qu’en France, à cette époque, plus de la moitié des départements ne disposaient d’aucune structure de ce type26. Dans celui des Bouches-du-Rhône, outre les asiles publics d’Aix et Marseille, une unique autre maison privée existait, celle du docteur Guiaud, à Marseille également. Si Saint-Bernard et la maison Guiaud ont vécu peu de temps – les deux ont disparu peu après 1850 –, la vocation médicale de Saint-Paul a fait preuve, au contraire, d’une remarquable vitalité : née avant la Révolution, elle est en 2020 toujours d’actualité. Pourtant, malgré la longévité de l’établissement et bien que le peintre Vincent van Gogh y ait été soigné pendant un an, de mai 1889 à mai 1890, séjour au cours duquel il a réalisé une part importante de son œuvre, l’histoire de l’activité de Saint-Paul dans le domaine des pathologies mentales n’a jusqu’ici suscité que peu d’intérêt. Médecin de la maison entre 1919 et 1965, Edgar Leroy est l’un des rares à avoir abordé ce sujet dans le cadre de publications portant sur la période antérieure à l’achat de l’asile en 1807 par Louis Mercurin et, pour le xix^e siècle, sur Van Gogh et sur Marie Lafarge, célébrité d’un autre genre, condamnée pour le meurtre de son mari et détenue à Saint-Paul en 1851-185227.

17De la prise en mains de Saint-Paul par Louis Mercurin au lendemain de la Première Guerre mondiale, cet ouvrage se propose de resituer la maison dans le contexte local et national de l’assistance aux malades mentaux et de parcourir son histoire suivant deux fils conducteurs : d’une part la composition du groupe de ses pensionnaires, les modifications qui l’ont affectée et l’évolution lente et limitée de leurs conditions de vie et de traitement ; et, de l’autre, le jeu au contraire très mouvant des conflits entre responsables à l’intérieur de l’établissement. De petite maison de force tenue avant la Révolution par des moines, vouée à la séquestration d’aliénés et d’individus placés par leurs familles à des fins de correction, Saint-Paul est devenu dans la première partie du xix^e siècle un asile privé laïque exclusivement consacré aux malades mentaux des deux sexes et dirigé de main de maître par un homme jouissant de tous les pouvoirs, le docteur Mercurin. Les tensions se sont ensuite accumulées au fur et à mesure du morcellement desdits pouvoirs, morcellement généré par une succession d’événements : loi de 1838 sur les aliénés organisant la surveillance par l’autorité publique des asiles privés, nomination d’un nouveau médecin puis d’un directeur extérieur à la famille propriétaire, indivision de Saint-Paul après la mort de Louis Mercurin et surtout installation en 1846 d’un groupe de sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, communauté remplacée vingt ans plus tard par celle de Saint-Joseph-de-Vesseaux28. L’histoire de Saint-Paul au xix^e siècle est entre autres celle de sa féminisation : l’univers de l’asile, qui était au départ et à tous les niveaux majoritairement masculin, s’est peu à peu concentré autour des religieuses et des malades femmes.

18Inégales, les sources sur lesquelles j’ai pu m’appuyer ont elles aussi leur histoire. Rares jusqu’à la fin des années 1830, elles deviennent plus abondantes après la promulgation de la loi de 1838. À partir de cette date, l’action du pouvoir central qui, en passant par le préfet des Bouches-du-Rhône, le sous-préfet et le maire de Saint-Rémy, conduit du ministre de l’Intérieur à la direction de la maison, génère une documentation au sein de laquelle les rapports des inspecteurs généraux et départementaux constituent les pièces les plus utiles, conservée de façon plus ou moins lacunaire, mais par bonheur complémentaire, dans les archives respectives des différents protagonistes. Les sources changent encore de nature dans le dernier quart du xix^e siècle, époque marquée par des écrits aussi exceptionnels que les lettres de Vincent van Gogh. Aux témoignages des responsables de l’établissement et des autorités s’ajoute ainsi, enfin, celui de quelques malades.