Version classiqueVersion mobile

Industrie entre Méditerranée et Europe

 | 
Mauve Carbonell

III. Politique et patrimoine

« Le Pavillon de l’Industrie » au Creusot

Une nouvelle mise en scène de l’industrie ?

Ivan Kharaba

Texte intégral

1Dans la désindustrialisation massive qui touche la France, il existe des territoires qui résistent. Le Creusot en fait partie. On peut même le qualifier de contre-exemple à la désindustrialisation. Depuis 1782, date de l’installation de la fonderie par François-Ignace de Wendel, l’industrie creusotine a su traverser les crises. Cette capacité à résister est liée à plusieurs facteurs : le savoir-faire séculaire, des productions de hautes technologies, des usines adossées à des centres de recherches et développements ou encore une capacité d’adaptation à l’évolution des marchés et à la conjoncture. Soulignons un dernier élément qui n’est pas étranger à la résistance de l’industrie dans la cité bourguignonne, la culture industrielle des habitants. L’identité industrielle est érigée en fierté.

  • 1 Les publications sur la dimension patrimoniale du Creusot sont nombreuses, retenons ici l’ouvrage d (...)
  • 2 Les collections d’objets issus de l’activité industrielle ou de ses représentations sont conservées (...)
  • 3 Sur l’habitat social et l’organisation de la ville du Creusot voir Christian Devillers, Bernard Hue (...)
  • 4 Le seul bâtiment industriel qui a fait l’objet d’une sauvegarde patrimoniale est la halle des grues (...)

2Depuis la fin du xviiie siècle, Le Creusot est un classique de l’histoire industrielle et technique de la France. Des générations d’historiens ont écrit sur l’industrie creusotine, sur l’usine Schneider et Cie, les politiques sociales, l’urbanisation de la ville-usine… . Paradoxalement, depuis les années 1970, les chercheurs s’intéressent de plus en plus à la dimension patrimoniale de la ville1 et à la grande crise de 1984-1985 qui a emporté le groupe industriel Creusot-Loire, auquel l’usine du Creusot était rattachée. La multiplicité de ces écrits a occulté la réalité industrielle du Creusot que nous venons de rappeler. La création du premier écomusée au Creusot n’est pas étrangère à ce regard patrimonial. Si le patrimoine est très riche au Creusot, à travers les collections d’objets, les archives2, le bâti social, l’organisation de la ville3… il l’est finalement très peu par les bâtiments industriels4. Et c’est normal, car ils accueillent toujours des activités productives. D’un autre côté, la médiatisation de la liquidation du groupe Creusot-Loire et les manifestations qui s’en suivirent ont fortement marqué les contemporains. Néanmoins, malgré l’importance de la crise et son impact social, l’industrie a survécu. Elle a été reprise en appartements, la sidérurgie est aujourd’hui entre les mains d’Industeel-France, filiale d’ArcelorMittal, les constructions mécaniques se répartissent entre GE Oil & Gas, Alstom Transport, NFM technologies et Framatome. Ce dernier a aussi repris la chaudronnerie nucléaire. D’autres groupes se sont implantés sur le site, comme Safran, BSE Electronic, Haulotte ou encore le groupe Matière.

  • 5 Ivan Kharaba, « Les Musées et l’objet industriel… », op. cit.

3Dans cette ville industrielle à très forte historicité, qui a symbolisé pendant des décennies la puissance industrielle de la France, s’est développée très tôt une préoccupation particulière pour exposer auprès d’un large public les productions ainsi que les réalisations sociales. Dès 1855, Eugène Schneider, co-fondateur de la société Schneider et Cie et de la dynastie des maîtres de forge, participe à la réalisation de la première exposition universelle parisienne de 1855. On le trouve dans la commission restreinte chargée d’organiser l’évènement aux côtés de messieurs Arlès-Dufour, Henriquel-Dupont, Legentil, Le Play, de Lesseps, Morin, de Mouchy, Pereire, Thibaudeau et Visconti. Acteur de la réalisation de cette première exposition, Eugène Schneider en perçoit tout l’intérêt pour sa société particulièrement pour les marchés étrangers5. Dès lors la société Schneider et Cie participe à l’ensemble des expositions universelles qui se tiennent à Paris et à de nombreuses expositions industrielles en France et de par le monde. Pour participer à ces diverses manifestations, la société Schneider et Cie constitue une collection d’objets industriels et de maquettes qui forment aujourd’hui une partie de la collection de l’Académie François Bourdon. Le complément de la collection Schneider et Cie provient des objets qui ont été réunis pour constituer le musée Schneider. Ce dernier a été créé à la fin du xixe siècle, à l’initiative d’Eugène Schneider, le petit fils du premier Eugène. Ce musée est implanté dans une aile du Château de la Verrerie. Il n’est pas ouvert au grand public, seulement aux élèves des écoles Schneider et à quelques visiteurs invités. Plus tard, à l’époque de Creusot-Loire, l’usine perpétue cette tradition d’exposition en créant, dans la salle du Jeu de Paume du Château de la Verrerie le « Centre des techniques » dans lequel, à côté des collections anciennes, sont exposés de nouveaux objets illustrant les productions contemporaines.

  • 6 Voir le catalogue de cette exposition édité par l’Académie François Bourdon, Le métal, la machine e (...)

4À sa création en 1985, l’Académie François Bourdon hérite de l’ensemble de ces collections, ou du moins des pièces qui ont résisté à l’épreuve du temps. Elles forment un ensemble d’environ un millier d’objets qui vont des médailles reçues par les Schneider aux maquettes de production, halles industrielles, ponts ou encore locomotives, bateaux, machines à vapeur mobiles et fixes ; on compte aussi des tableaux, des statues et bien évidemment les bustes des maîtres de forge. Enfin, les deux pièces maîtresses sont incontestablement les grands plans en relief qui représentent pour le premier l’usine du Creusot en 1836 et pour le second l’usine en 1900. Ils ont été réalisés pour être présentés dans le pavillon de la société Schneider et Cie de l’exposition universelle de 1900 qui s’est tenue à Paris. À P artir de cette collection, l’Académie François Bourdon a réalisé, en 1995 dans la salle du jeu de Paume du Château de la Verrerie, une première exposition permanente intitulée « Le Métal, la Machine et les Hommes6 ». En 2012, cette exposition arrivant à son terme, s’est posée la question de son remplacement et avec elle la double problématique de la mise en scène de l’histoire industrielle du Creusot et de celle de l’industrie d’aujourd’hui. Au cours des dernières années, l’ancienne exposition avait mis en lumière le manque cruel de discours sur l’industrie d’aujourd’hui. Le visiteur en sortait avec le sentiment erroné que l’industrie avait disparu au Creusot. La nouvelle exposition devait casser cette représentation et permettre au visiteur de comprendre le dynamisme économique creusotin, d’où l’interrogation de la mise en scène de l’industrie. Comment montrer, au regard des collections anciennes, l’industrie actuelle ? Comment faire comprendre que l’industrie creusotine est une « grosse » industrie sans être une industrie grossière, mais au contraire une industrie de très haute précision ? Le discours envers les jeunes est aussi un sujet important. Un des leitmotivs de l’histoire industrielle est la question de la main-d’œuvre. Hier, l’industrie était demandeuse d’ouvriers en nombre, aujourd’hui elle a besoin de disposer d’une main-d’œuvre qualifiée voir très qualifiée. Paradoxalement, dans un contexte de chômage de masse, on déplore un déficit de jeunes formés à ses métiers. Comment sensibiliser la jeunesse aux formations qui débouchent sur des emplois dans l’industrie ? Comment parvenir à casser la représentation genrée de ces métiers et faire en sorte que les jeunes filles s’engagent aussi dans ces formations ? Enfin, la dernière problématique, qui n’est pas la moindre, concerne la mise en scène des collections et leur présentation. Comment donner aux visiteurs du plaisir à la visite sur des thématiques liées à la technique et à l’industrie ? Comment susciter des émotions du même ordre que celles que l’on éprouve devant une magnifique œuvre d’art ?

Montrer et donner à comprendre l’industrie d’hier à aujourd’hui : le centre d’interprétation

5L’objectif du Pavillon de l’Industrie est certes de montrer l’industrie mais surtout de la donner à comprendre d’hier à aujourd’hui. La notion « d’aujourd’hui » est importante. Nous avons constaté que la représentation que se fait le public de l’économie creusotine est erronée. Au mieux, il n’a aucune représentation, il ne sait pas qu’il existe des industries au Creusot. Au pire, ils pensent qu’elles ont disparu lors de la crise du milieu de la décennie 1980 suite à la faillite du groupe Creusot-Loire.

  • 7 Serge Chaumier et Daniel Jacobi, dir., Exposer des idées. Du musée au Centre d’interprétation, Pari (...)

6Au-delà de ce premier message qui veut montrer que Le Creusot est un exemple réussi d’une continuité industrielle, le Pavillon de l’Industrie porte deux autres messages forts, « l’industrie a sa place dans le paysage économique français » et « il y a des places à prendre pour les jeunes dans les métiers industriels ». Ces trois messages sont constitutifs du Pavillon de l’Industrie, et en cela ils font de ce lieu un centre d’interprétation, où prime la communication au public sur les collections. On rejoint ici la définition d’un centre d’interprétation qui veut qu’il ne résulte pas de la démarche de constitution d’un patrimoine mais l’important est ce que l’on veut dire et communiquer au public7. Ce dernier est au centre de la démarche. Pour lui donner à comprendre l’industrie dans toute ses dimensions le choix a été fait de s’appuyer sur une tablette interactive et sur une collection variée d’objets patrimoniaux et des objets illustrant les productions industrielles d’aujourd’hui.

  • 8 Le travail sur les messages et la programmation des collections a été réalisé par un petit groupe d (...)

7La conception du Pavillon de l’Industrie a suivi la démarche classique pour ce type de réalisation, en commençant par la création d’un projet scientifique et culturel, la mise en place des grands messages, la programmation des collections8 puis leur mise en scène par une architecte scénographe. Ces derniers points ont nécessité un double travail avec deux prestataires différents. La mise en scène des objets réels a été réalisée par une architecte scénographe, mais de plus, comme le choix a été fait d’utiliser une tablette numérique comme outil de médiation, il a fallu travailler la programmation des collections virtuelles présentes dans la tablette ainsi que leur scénographie.

  • 9 Les deux plans en relief ont été réalisés par Digeon fils et Cie. Celui de 1836 fait 215 cm sur 120 (...)

8Pour donner à voir cette industrie sur le temps long, depuis sa création en 1782 à aujourd’hui, le parcours repose sur des objets historiques, issus des collections de l’Académie François Bourdon et des objets contemporains mis à dispositions par les industriels partenaires. Ce parcours est divisé en cinq séquences. La première s’appuie sur les deux plans en reliefs représentant l’usine du Creusot en 1836 et l’usine du Creusot en 19009. Ces deux plans placés à proximité l’un de l’autre, permettaient aux visiteurs de voir l’important développement du site industriel sous la gestion de la société Schneider et Cie depuis le rachat de l’usine en 1836.

  • 10 Adolphe et Eugène Schneider achètent l’usine du Creusot en décembre 1836. Ils en deviennent proprié (...)
  • 11 G. Bruno, Le tour de France par deux enfants, Paris, Éd. Belin, 1877, p. 109-117.
  • 12 Industeel a implanté dans l’ancienne grande forge ses activités de laminages. Framatome occupe les (...)

9Le premier plan en relief, représentant l’usine du Creusot en 1836, permet de développer un discours sur le contexte et la création de la fonderie de fonte en 1782 par François-Ignace de Wendel. Là, est mis en avant la haute technicité de cette entreprise qui utilise, dès son origine, des technologies de pointe importées de Grande-Bretagne, comme le coke, le haut-fourneau au coke et la machine à vapeur mise au point par James Watt. Autour du second plan en relief, plusieurs discours sont développés. Le premier porte sur l’extension de l’usine du Creusot depuis son rachat par les frères Adolphe et Eugène Schneider10. Le plan en relief permet de montrer la transformation radicale de la plaine des Riaux, où était implantée l’ancienne fonderie. À partir de 1860, l’usine déborde de son berceau d’origine, pour s’agrandir vers le sud-est. On y découvre le bâtiment de la grande forge, celui des presses et pilons ainsi que les ateliers d’artillerie nord et sud. Le développement de l’usine depuis son rachat par les frères Schneider témoigne de la puissance industrielle du Creusot dans le dernier tiers du xixe siècle, qui devient le symbole industriel de la France et « la plus grande usine d’Europe » pour reprendre le titre du chapitre qui lui est consacré dans le manuel scolaire « Le tour de France par deux enfants11 ». Au-delà d’un discours historique, le plan en relief permet aussi de matérialiser une partie de l’industrie d’aujourd’hui quand elle occupe les bâtiments d’hier. C’est le cas de l’ensemble des halles industrielles construites à partir de 1860 qui hébergent les établissements d’Industeel France, de Framatome, de Thermodyn GE Baker Hughes et d’Alstom transport12. Dans le parcours proposé aux visiteurs c’est la première fois que l’on présente le temps présent de l’industrie creusotine. Au-delà du récit, le parti a été pris de montrer des films institutionnels d’AREVA NP (aujourd’hui Framatome) et Industeel.

  • 13 Les statues présentées sont celles sculptées par Henri Bouchard en 1921 « l’Employé » H. 220 cm ; « (...)
  • 14 Les bustes des maîtres de forge sont ceux d’Adolphe Schneider, sculpté en 1846 par Augustin-Alexand (...)

10Le grand plan en relief de l’usine du Creusot, montre les spécificités de l’urbanisation de la ville, avec l’usine qui en occupe le centre et les quartiers qui se développent autour. La présence sur ce plan de logements, d’une cité ouvrière, d’écoles et de l’hôtel-Dieu permet de faire la transition avec la partie suivante, « des femmes et des hommes » consacrée à la question sociale et à la présentation de la dynastie des maîtres de forge. Les visiteurs découvrent notamment de magnifiques statues d’employés et d’ouvriers du Creusot13 ainsi que les bustes des représentants de la dynastie des Schneider14.

11Autour de ces derniers, le discours porte exclusivement sur leurs dimensions politiques et industrielles. Comme pour la partie sur l’industrie, la présentation des salariés évoque à la fois les temps passés et le présent. Si la distance historique facilite le discours sur les salariés d’hier et permet quelques anecdotes, l’écriture d’un discours sur les salariés d’aujourd’hui est un exercice un peu plus compliqué. Le biais a été pris de l’évoquer à travers la question de la baisse des effectifs dans l’industrie qui s’accompagne d’une augmentation de la qualification des ouvriers ainsi que de la diminution forte de la pénibilité autorisant l’emploi de femmes.

12La troisième séquence aborde la formation et la recherche. Autour d’objets emblématiques, le discours porte sur la formation initiale mise en place par la société Schneider dès 1837, sur les savoir-faire et la recherche. Les propos historiques sont illustrés par les objets présentés, comme un uniforme d’écolier Schneider. Des objets pédagogiques permettent de comprendre des principes mécaniques simples ; des instruments de laboratoire de recherche ou encore la maquette du marteau-pilon expérimental de François Bourdon illustrent la dimension recherche. Les maquettes réalisées par les élèves des écoles Schneider, comme celles du marteau-pilon de 100 tonnes et d’une machine à vapeur fixe de 150 chevaux, portent la question des savoir-faire, tout comme un vase à pampres réalisé par Honoré Balzon vers 1890. La spécificité de ce vase entouré d’une guirlande de feuilles est d’avoir été réalisé sans soudure, simplement par étirement d’une seule pièce de métal. La partie contemporaine, liée à la recherche et à la formation, est traitée uniquement en numérique, sur la tablette, à travers le témoignage de la directrice du Centre de recherche sur les matériaux du Creusot et celui d’un professeur de l’université de Dijon qui explique le futur de la métallurgie des poudres. Pour la formation et les métiers de l’industrie, plusieurs vidéos présentent, à travers des témoignages de jeunes embauchés, quelques-unes des filières. Enfin, le visiteur a accès en wifi, toujours via la tablette numérique, à la base de données du site metalemploi.org qui lui permet de découvrir en temps réel les offres d’emploi dans les métiers de la métallurgie et des constructions mécaniques en France. Le seul rappel qui est fait dans la scénographie physique du Pavillon de l’Industrie du temps présent, c’est une immense photographie, prise en 2015, de jeunes étudiants au travail à l’IUT du Creusot. Cette photographie est placée au regard d’une photographie d’une classe d’élèves d’une école Schneider prise au début du xxe siècle.

13La dernière séquence, intitulée « De l’acier aux machines » est consacrée aux productions. Elle est traitée, selon le même principe, d’hier et d’aujourd’hui. Les productions d’hier sont présentées à travers des objets, maquettes et tableaux issus des collections de l’Académie François Bourdon. Les productions actuelles sont illustrées par des objets et maquettes mis à notre disposition par les industriels partenaires. Cette dernière partie est l’élément emblématique de la scénographie physique du Pavillon de l’Industrie. Là, sont présentés des exemples de productions actuelles issues des industries du territoire. Ainsi le visiteur peut, par exemple, découvrir une demi-plaque entretoise d’un générateur de vapeur d’une centrale EPR, un rotor de compresseur centrifuge, un échantillon de tôle plaquée d’acier inoxydable sur base d’acier au carbone ou encore un longeron de bogie de RER. Toutes ces productions sont issues des établissements creusotins des groupes Framatome, GE Baker Hughes, Industeel-France ou encore Safran. La dernière partie de la scénographie est consacrée aux productions des Petites et Moyennes Industries du territoire. Ainsi sont présentées par exemple la chaise A de Tolix, fabriquée à Autun ou encore une aube de turbine à gaz produite par Turbine Casting.

14Toujours dans la volonté de donner à voir l’industrie d’aujourd’hui, la visite est ponctuée par la projection d’un film sur grand écran. Film de commande, il offre un beau moment d’émotion autour d’images très belles montrant des femmes et des hommes au travail dans différents établissements industriels du Creusot. Il n’y a aucun commentaire, seuls les lieux où sont réalisées les séquences sont légendés. Lorsque l’industrie est bruyante, l’ambiance sonore est restituée, quand ce n’est pas le cas, une musique dynamique accompagne les images.

15La mise en scène des collections réelles a été réalisée avec une volonté de casser le côté obscur de l’industrie et des techniques. Obscur, dans le sens de peu accessible à la majorité des publics, non pas par la réalité des faits industriels et techniques mais par la représentation que la plupart de nos contemporains s’en font. Pour ce faire, la scénographie a été réalisée avec une volonté de « mise en lumière » des collections et des espaces. Des tons clairs ont été privilégiés accompagnés d’un éclairage chaleureux.

16Au-delà des collections, dans le Pavillon de l’Industrie, le discours prime à l’instar des messages à faire passer aux visiteurs. Comme cela a été dit plus haut, les messages sont portés par une tablette numérique remise à chacun des visiteurs.

La tablette numérique comme outil de médiation

17L’usage de l’audio-guide et du visio-guide n’est pas nouveau. Bon nombre de musées ou sites patrimoniaux utilisent ces outils de médiation. L’usage de la tablette est beaucoup moins fréquent. Le choix de la tablette interactive, remise au visiteur dont l’utilisation est comprise dans le billet d’entrée, s’est imposé pour plusieurs raisons. La première est le discours. Doté d’un casque, le visiteur écoute un discours dynamique porté par deux comédiens, une jeune femme et un jeune homme. Pour casser les représentations genrées sur les métiers de l’industrie la jeune femme est la sachante technique. Elle explique aux visiteurs les dimensions techniques et industrielles à travers un discours didactique. Le jeune homme porte le discours historique qui est, lui aussi, très didactique. L’enjeu est une vulgarisation de faits qui peuvent être complexes afin de permettre aux visiteurs de passer un bon moment tout en apprenant quelques notions simples sur l’industrie sidérurgique et des constructions mécaniques. Pour ce faire, le discours des comédiens est agrémenté de films représentant des scènes de fonctionnement de four à coke, de fabrication de fonte, d’acier et de diverses productions. Des photographies illustrent les discours, notamment ceux sur la dimension urbanistique et sociale avec des vues de cités ouvrières au xxe siècle, des écoles, les soins, les trois piliers de ce que l’on appelle communément le paternalisme. Des documents d’archives permettent d’apporter un complément. Des animations de synthèse très didactiques et vulgarisatrices donnent la possibilité de comprendre quelques notions techniques comme la fabrication de la fonte dans un haut-fourneau, le fonctionnement d’une machine à vapeur alternative, d’une turbine à vapeur, d’un compresseur centrifuge ou encore d’une centrale nucléaire. C’est la grande valeur ajoutée de la tablette qui permet une bonne visualisation grâce à son écran de 10 pouces. La dimension tactile de la tablette, outre la navigation, permet aussi quelques jeux qui agrémentent la visite et accentuent la dimension didactique, voire même ludique.

18La tablette numérique porte aussi la volonté d’illustrer la modernité de l’industrie. L’image de la tablette est positive et d’une grande modernité, à l’instar de l’industrie du Creusot. C’est encore un outil peu fréquent que le public n’a pas l’habitude de voir dans un tel lieu. De surcroit la tablette retenue est l’une des rares assemblées en France et devinez où… au Creusot !

19Outil de médiation, la tablette comprend l’ensemble des contenus scientifiques du centre d’interprétation, y compris les cartels des objets. La relation entre les objets réels et les cartels passe par un numéro apposé à proximité des objets qui renvoie au cartel présenté dans la tablette. C’est un choix important qui a été fait de ne pas poser de cartels à proximité des objets. L’objectif est d’inciter le visiteur à utiliser la tablette. C’est elle qui lui permet de comprendre les différentes séquences évoquées plus haut. Et bien évidemment, elle lui sert à se repérer et à se déplacer au sein du Pavillon de l’Industrie.

20Au même titre que la mise en scène des objets, les contenus de la tablette ont bénéficié d’une véritable scénographie. Là encore, le maître-mot est de mettre en regard le passé et le présent de l’industrie. Chaque séquence est illustrée par une photographie ancienne suivie d’une photographie contemporaine. Le discours, porté par les deux comédiens, est entrecoupé d’animations (films, photographies, animations virtuelles, jeux…) que le visiteur peut interrompre à sa guise. La capacité de mémoire de la tablette permet un contenu très riche et volumineux, ce qui autorise des perspectives d’enrichissement intéressantes. La limite n’est pas dans les volumes, mais plus dans la capacité actuelle du système Android. Ce dernier est moins souple qu’un système sur PC et n’autorise pas d’exécuter toutes les volontés d’un commissaire enthousiaste de l’usage de cet outil !

21Le visiteur a le choix de faire la visite complète du Pavillon de l’Industrie avec un contenu interactif. Cette visite prend à peu près deux heures. Il a aussi la possibilité de choisir l’option « 45 mn ». Dans ce dernier cas, le visiteur est pris en charge par la tablette, au même titre qu’il serait pris en charge par un guide. Il ne bénéficie plus de l’interactivité. Le contenu est transformé en un film qui permet une visite rapide. La dernière option est celle des seuls cartels. Le visiteur ne dispose que des cartels et peut donc faire une visite comme dans un musée classique, cette option est intéressante pour un groupe accompagné d’un guide. L’ensemble des contenus est accessible en français et en anglais.

Les usages du Pavillon de l’Industrie

22Dès l’origine, le Pavillon de l’Industrie a été pensé en lien étroit avec les industriels du territoire, l’Éducation nationale ainsi que les collectivités locales. Pour sa conception puis le suivi de sa réalisation un comité de pilotage a été mis en place. Il était formé de représentants des industriels partenaires, de la ville du Creusot et de la Communauté Urbaine Le Creusot-Montceau, du Rectorat de l’Académie de Dijon et de quelques personnes qualifiées. Ce comité de pilotage a joué un rôle très important dans la conception du Pavillon de l’Industrie, dans les messages qu’il devait porter, dans ses objectifs et dans ses usages futurs. Pour sa conception, une demande forte est apparue, celle de la possibilité de réaliser dans ce lieu des manifestations comme des conférences, séminaires, repas… pour une capacité de 150 personnes. Cette demande a été portée par les industriels. Ils avaient la volonté de pouvoir organiser des séminaires ou autres manifestations au sein du Pavillon de l’Industrie. Le calibrage à 150 places correspond à un besoin d’espaces intermédiaires qu’il semble peu fréquent de trouver dans des lieux signifiants, contrairement à des structures pouvant accueillir plus de 150 personnes. L’architecte-scénographe a répondu à cette sollicitation en créant un espace polyvalent permettant d’accueillir 150 personnes qui sert aussi à la projection du film sur l’industrie d’aujourd’hui.

Fig. 1 : Pavillon de l’Industrie vue coté cour

© Ville du Creusot

Fig. 2 Pavillon de l’Industrie vue coté jardin

© Ville du Creusot

  • 15 La privatisation du Pavillon de l’Industrie, se fait, sauf exceptions, en dehors des jours ou des h (...)
  • 16 Les entreprises qui ont apporté du mécénat au Pavillon de l’Industrie sont Altead Crédit-Agricole-C (...)
  • 17 Cérémonies de remise des médailles du travail ; séminaires ; réunion de comité centraux d’établisse (...)
  • 18 Sylvère Piquet, Jean-Michel Tobelem, « Les enjeux du mécénat culturel et humanitaire », Revue Franç (...)

23Dans le cadre du mécénat des entreprises au profit du Pavillon de l’Industrie, il leur a été accordé la possibilité de privatiser15 le lieu, sous certaines conditions, trois fois par an pour une durée de trois années16. Les mêmes conditions ont été accordées aux collectivités locales qui ont alloué des subventions. Dès les semaines qui ont suivi l’ouverture du Pavillon de l’Industrie les entreprises partenaires l’ont privatisé, pour réaliser différentes manifestations17. On connait les enjeux du mécénat pour les entreprises, mais au-delà « la communication par l’évènement18 » auquel les mécènes ont recours, il y a une véritable fierté des entreprises locales à mettre en scène leurs manifestations au sein du Pavillon de l’Industrie, de ses collections porteuses de l’image industrielle du territoire. Il en est de même pour la ville du Creusot qui y organise régulièrement des manifestations, comme les populaires réunions de quartier ; ou encore la Communauté Urbaine Le Creusot-Montceau quand elle signe l’accord avec l’Université de Bourgogne, la Région Bourgogne Franche-Comté et le Pôle nucléaire de Bourgogne pour créer l’association Excalibure qui portera la recherche sur la métallurgie des poudres.

  • 19 http://www.pavillon-industrie.fr/connexion-enseignant.
  • 20 http://statistiques.pole-emploi.org/bmo/.

24Parmi les usages importants du Pavillon de l’Industrie, il y a les scolaires. Lors de sa conception un comité pédagogique a été mis en place en lien avec le Rectorat de l’Académie de Dijon. Enseignants de diverses disciplines, des Inspecteurs Pédagogiques Régionaux, le Centre d’Information et d’Orientation ainsi que les enseignants détachés auprès du service éducatif de l’Académie François Bourdon ont travaillé sur les messages à apporter aux scolaires sur les questions liées à l’industrie. De ce travail, il est ressorti la nécessité de profiter des capacités de la tablette numérique pour permettre aux enseignants qui souhaitent visiter le Pavillon de l’Industrie avec leur classe de disposer de modules pédagogiques qu’ils peuvent assembler à leur guise pour réaliser un parcours pédagogique. À terme, ils pourront faire travailler leurs élèves sur les matériaux (fonte, fer, aciers spéciaux, supers alliages, …), l’énergie, les constructions mécaniques avec les techniques utilisées, les questions sociales… L’ensemble des ressources est mis gratuitement à disposition des enseignants via le site Internet du Pavillon de l’Industrie19. Ensuite, ils auront aussi accès à l’ensemble des modules pédagogiques. D’ores et déjà, la question des métiers de l’industrie est traitée sur la tablette à travers des fiches réalisées par le CIO ou encore des témoignages vidéo de jeunes embauchées dans les industries partenaires. L’enjeu est important car, aussi paradoxale que cela puisse paraître l’industrie a du mal à recruter comme le montre régulièrement l’étude réalisée par Pôle emploi « Besoin de main-d’œuvre des entreprises – BMO20 ». La cause principale est bien connue, c’est l’inadéquation entre le profil recherché par l’entreprise et la formation des candidats potentiels. Revaloriser auprès des jeunes les filières de l’industrie c’est aussi un des objectifs du Pavillon de l’Industrie.

25À côté de l’écriture d’une histoire industrielle et s’appuyant sur les travaux des historiens, le centre d’interprétation permet de vulgariser auprès d’un large public le fait industriel. Ancré dans un territoire éminemment industriel, contre-exemple de la désindustrialisation qui touche la France, il est le fruit d’une part d’une tradition de mise en scène de l’industrie, comme nous pouvions la voir dans les expositions universelles du xixe siècle. D’autre part, il répond à un besoin des acteurs du territoire de montrer et d’expliquer l’industrie d’aujourd’hui avec ses enjeux. Ainsi, il porte un discours positif et militant sur la nécessaire place de l’industrie dans l’économie. Il est aussi un des lieux où les plus jeunes peuvent découvrir les métiers et filières qui lui sont liés. Les choix technologiques qui ont été fait pour la médiation avec les publics à travers l’usage de la tablette numérique, placent le Pavillon de l’Industrie dans une modernité qui illustre celle de l’industrie d’aujourd’hui et qui ouvre sur celle du futur.

Notes

1 Les publications sur la dimension patrimoniale du Creusot sont nombreuses, retenons ici l’ouvrage de Louis Bergeron, Le Creusot, une ville industrielle, un patrimoine glorieux, Paris, Belin Herscher, 2001 ou encore celui de Octave Debary, La fin du Creusot ou l’art d’accommoder les restes, Paris, Éd. du comité des travaux historiques et scientifiques, 2002.

2 Les collections d’objets issus de l’activité industrielle ou de ses représentations sont conservées par l’Écomusée de la Communauté Urbaine Le Creusot-Montceau et par l’Académie François Bourdon. Sur les collections d’objets de l’Académie François Bourdon, voir Ivan Kharaba, « Les Musées et l’objet industriel : comment une collection d’objets industriels a été constituée », Revue Musées et collections publiques de France, no 256, 2009. L’association des chemins de fer du Creusot conserve et exploite une locomotive 242P17 fabriquée au Creusot. L’Académie François Bourdon conserve et gère aussi, notamment, les archives industrielles issues de l’usine du Creusot. Ce fonds est classé archives historiques depuis 1989. Ivan Kharaba, « Les archives industrielles de l’Académie François Bourdon au Creusot, entretien avec Florent Le Bot », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no114, 2012, p. 199-206.

3 Sur l’habitat social et l’organisation de la ville du Creusot voir Christian Devillers, Bernard Huet, Le Creusot : naissance et développement d’une ville industrielle, 1782-1914, Seyssel, Champ-Vallon, 1981.

4 Le seul bâtiment industriel qui a fait l’objet d’une sauvegarde patrimoniale est la halle des grues et locomotives dans la plaine des Riaux qui accueille aujourd’hui la bibliothèque universitaire. L’ancienne cristallerie a fait l’objet d’une réappropriation par l’usine et les Schneider qui l’ont transformée au début du xxe siècle en Château, le Château de la Verrerie.

5 Ivan Kharaba, « Les Musées et l’objet industriel… », op. cit.

6 Voir le catalogue de cette exposition édité par l’Académie François Bourdon, Le métal, la machine et les hommes, deux cents ans d’industrie au Creusot, 1997.

7 Serge Chaumier et Daniel Jacobi, dir., Exposer des idées. Du musée au Centre d’interprétation, Paris, Éd. Complicités, 2009, p. 10.

8 Le travail sur les messages et la programmation des collections a été réalisé par un petit groupe de scientifiques : Madame Claudine Cartier, Conservateur en chef du patrimoine, spécialiste de l’industrie et des techniques ; monsieur Denis Woronoff, historien, professeur émérite à l’Université Paris 1, spécialiste de l’histoire industrielle ; Philippe Bourge, ancien directeur du centre de recherche sur les matériaux d’Industeel-France et Ivan Kharaba, commissaire du Pavillon de l’Industrie.

9 Les deux plans en relief ont été réalisés par Digeon fils et Cie. Celui de 1836 fait 215 cm sur 120 cm, le plan de 1900 fait 650 cm sur 274 cm. Ils sont faits de bois, de plâtre et de verre.

10 Adolphe et Eugène Schneider achètent l’usine du Creusot en décembre 1836. Ils en deviennent propriétaires le 1er janvier 1837 sous le nom de société Schneider frères et Compagnie qu’ils créent à cette occasion. En 1845, après le décès d’Adolphe Schneider, la société change de nom et devient Schneider et Compagnie. En 1966, année de sa transformation en société anonyme, la société devient Schneider SA. Aujourd’hui la société s’est spécialisée dans la fabrication de matériels électriques. Elle porte le nom de Schneider Electric SE.

11 G. Bruno, Le tour de France par deux enfants, Paris, Éd. Belin, 1877, p. 109-117.

12 Industeel a implanté dans l’ancienne grande forge ses activités de laminages. Framatome occupe les anciens bâtiments des forges et pilons où l’entreprise a une activité de grosse chaudronnerie et d’usinage notamment pour des pièces destinées au nucléaire. Implanté dans l’ancien atelier d’artillerie nord, Thermodyn GE Baker Hughes fabrique des petites turbines à vapeur et des compresseurs centrifuges ; enfin Alstom, installé dans les anciens bâtiments d’artillerie sud, fabrique des boggies, systèmes de roulement des TGV, tramways, métros, …

13 Les statues présentées sont celles sculptées par Henri Bouchard en 1921 « l’Employé » H. 220 cm ; « l’Ouvrier » H. 220 cm et la statue d’Auguste Cornu sculptée en 1921, intitulée « Le lamineur au repos » H. 217 cm.

14 Les bustes des maîtres de forge sont ceux d’Adolphe Schneider, sculpté en 1846 par Augustin-Alexandre Dumont ; Eugène Schneider, sculpté par Jules Franceschi en 1870 ; Henri Schneider sculpté par Émile Peynot en 1924 ; Eugène Schneider (petit-fils du premier) sculpté par Paul Landowski en 1956 et enfin le buste de Charles Schneider sculpté aussi par Paul Landowski en 1951.

15 La privatisation du Pavillon de l’Industrie, se fait, sauf exceptions, en dehors des jours ou des horaires d’ouverture au public.

16 Les entreprises qui ont apporté du mécénat au Pavillon de l’Industrie sont Altead Crédit-Agricole-Centre Est, Industeel France, EDF, Framatome (ex Areva-NP), Thermodyn. Le CIEGOS, comité d’établissement inter-entreprises a aussi apporté son soutien financier à la réalisation du centre d’interprétation. Pour des raisons fiscales liées au statut de l’Académie François Bourdon d’association reconnue d’intérêt publique il n’est pas possible de facturer la location du Pavillon de l’Industrie. L’Académie François Bourdon réalise déjà un chiffre d’affaires important dans le cadre de ses prestations de gestion d’archives intermédiaires pour le compte d’industriels. La croissance du chiffre d’affaires au regard des subventions et du mécénat placerait l’Académie dans une situation fiscale qui pourrait lui faire perdre son statut d’association reconnue d’intérêt publique.

17 Cérémonies de remise des médailles du travail ; séminaires ; réunion de comité centraux d’établissement ; moment conviviaux…

18 Sylvère Piquet, Jean-Michel Tobelem, « Les enjeux du mécénat culturel et humanitaire », Revue Française de gestion, no 167, 2006/8, p. 57.

19 http://www.pavillon-industrie.fr/connexion-enseignant.

20 http://statistiques.pole-emploi.org/bmo/.

Table des illustrations

Légende Fig. 1 : Pavillon de l’Industrie vue coté cour
Crédits © Ville du Creusot
URL http://books.openedition.org/pup/docannexe/image/46790/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 66k
Légende Fig. 2 Pavillon de l’Industrie vue coté jardin
Crédits © Ville du Creusot
URL http://books.openedition.org/pup/docannexe/image/46790/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 57k

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search