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Industrie entre Méditerranée et Europe

 | 
Mauve Carbonell

II. Entreprises, stratégies et marchés

Introduction

Texte intégral

  • 1 Philippe Mioche, dir., L’alumine de Gardanne de 1893 à nos jours. Une traversée industrielle en Pro (...)
  • 2 Philippe Mioche, « L’usine d’alumine de Saint-Louis-les-Aygalades », in Myriame Morel-Deledalle, di (...)
  • 3 Ivan Grinberg, Philippe Mioche, Aluminium de Grèce, l’usine aux trois rivages, Grenoble, PUG, 1996, (...)
  • 4 Philippe Mioche, « Un Cameroun qui gagne grâce à ALUCAM ? », in Ivan Grinberg et Maurice Lappara, d (...)
  • 5 Philippe Mioche, « Pechiney en Australie : Une histoire de l’électrolyse de Tomago (1978-1985) », C (...)
  • 6 Philippe Mioche, « La manufacture de tabac de la Belle-de-Mai », in Marseille – La manufacture de t (...)
  • 7 Philippe Mioche, « L’Énergie électrique du littoral méditerranéen, succès ou boulet pour l’économie (...)
  • 8 Philippe Mioche, « La longue santé du chlore à Saint-Auban (1916-2002) », in Hervé Joly, Alexandre (...)
  • 9 Philippe Mioche, Jean Domenichino, « De la nationalisation à la fermeture (1946-2003) », in Xavier (...)
  • 10 Boris Grésillon, Olivier Lambert, Philippe Mioche, De la terre et des hommes. La tuilerie des Mille (...)
  • 11 Philippe Mioche, Barbier Dauphin, une industrie du terroir provençal, 1868-2007, Mirabeau, REF.2C É (...)
  • 12 Philippe Mioche, « Solvay à Dombasle (1870-1914) », in Pierre Lamard, Nicolas Stoskopf, dir., L’ind (...)
  • 13 Xavier Daumalin, Philippe Mioche, Olivier Lambert, Une aventure industrielle en Camargue. Histoire (...)
  • 14 Philippe Mioche, « Un investissement mouvementé : Solvay en Espagne, 1908-1942 », Rives méditerrané (...)
  • 15 Philippe Mioche, « Histoire du chemin de fer sucrier de Beauport (1863-1990) », Bulletin de la soci (...)

1Si Philippe Mioche est un spécialiste reconnu de l’histoire de la sidérurgie et de la métallurgie des non-ferreux de la seconde moitié du xxe siècle, notamment dans ses aspects européens, il s’est aussi intéressé de près à l’histoire des entreprises – y compris du point de vue environnemental et patrimonial –, qu’il s’agisse de multinationales étudiées à partir d’usines particulières, de sociétés familiales ou encore d’entreprises gérées par l’État. En témoignent les nombreux travaux menés, seul ou en collaboration, sur les usines d’alumine (Gardanne1 et Saint-Louis-les-Aygalades2) et d’aluminium (Aluminium de Grèce3, ALUCAM au Cameroun4 ou Tomago en Australie5), la Manufacture de tabac de la Belle-de-Mai6, l’Énergie électrique du littoral méditerranéen7, l’usine de chlore de Saint-Auban8, les Houillères du bassin Centre-Midi9, la tuilerie des Milles10, l’établissement Barbier Dauphin de Meyrargues11, les soudières Solvay de Dombasle12, Salin-de-Giraud13 et Torrelavega, en Espagne14, ou encore le site sucrier de Beauport, en Guadeloupe15. Il était donc logique de rendre hommage à ce volet peut-être moins connu de son parcours de chercheur.

2Les contributions rassemblées dans cette partie relèvent du même champ historiographique et s’inscrivent dans trois grandes thématiques. Celle de l’innovation, tout d’abord, et de son rôle clé dans la croissance des entreprises. C’est ce que démontre Thierry Renaux à propos de la soudière de Salindres lorsque, à partir des années 1860, Henry Merle y introduit les procédés Le Chatelier et Sainte-Claire Deville pour extraire l’alumine de la bauxite et produire de l’aluminium. Moins pour cette dernière production d’ailleurs, contrairement à certaines représentations traditionnelles de l’historiographie, que pour l’alumine dont les débouchés étaient alors bien plus importants, au point d’inciter Henry Merle à tenter une intégration verticale en exploitant des gisements de bauxite en Provence. Innovation toujours, avec l’analyse proposée par Marco Bertilorenzi à propos de la stratégie suivie par Saint-Gobain en Italie au tournant des xixe et xxe siècles pour s’implanter dans un marché émergeant convoité par d’autres poids lourds de la production verrière, tels que Glaver Libbey Owens, Pilkington ou l’Union des glaceries. Grâce à son établissement de Pise, une usine nouvelle à la pointe de la modernité technologique pour la production de glace, grâce aussi à son alliance avec le réseau de la Vetreria Milanese Lucchini-Perego, la politique d’innovation développée par Saint-Gobain – symbolisée, entre autres, par la production du verre SEKURIT à Pise dès 1928 pour les besoins de l’automobile –, permet à la société française de contrôler une grande partie de la branche verrière italienne, d’aider à sa modernisation et de contenir la progression de ses concurrents internationaux. Elle réussit ainsi à se ménager la bienveillance des autorités fascistes soucieuses d’obtenir les technologies utiles à la réussite de sa politique autarchique. Innovation encore, même si le projet avorte, avec le Laboratoire physico-chimique conçu par Pechiney au milieu des années 1980 pour essayer de relancer son activité après sa nationalisation (1982). Nous y reviendrons.

3La deuxième thématique abordée est celle des relations jamais simples entre les entreprises et l’État. Pendant la Première Guerre mondiale, tout d’abord, avec l’exemple de Worms & Cie (Hubert Bonin), une société familiale spécialisée dans le négoce du charbon avec l’Angleterre, l’armement maritime et la gestion logistique portuaire. Au-delà des faits de guerre bien connus (mobilisation du personnel, réquisitions diverses, torpillage de navires lors de la guerre sous-marine), Worms & Cie est confrontée, comme la plupart des sociétés de l’époque, à l’intervention grandissante de l’État et à la nécessité de s’insérer dans une économie mixte administrée par les pouvoirs publics en fonction des besoins du ravitaillement et de la guerre. Les résultats financiers ne sont pas nécessairement négatifs pour les entreprises concernées – à la faveur de la guerre Worms & Cie accentue sa vocation de transporteur du cabotage et ses opérations logistiques –, mais ce recul de l’initiative privée constitue un choc culturel rarement accepté de gaité de cœur. De son côté, Hans Otto Frøland nous montre comment Alcan a pris le contrôle d’un gisement de bauxite du Var pour s’assurer la bienveillance de l’État français dans ses projets d’expansion sur le sol africain. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’exploitation du sous-sol, riche en bauxite, de la Guinée française se précise ; le canadien Alcan est alors sur les rangs pour obtenir des concessions qui lui permettront de sécuriser ses approvisionnements. En reprenant dans les années 1950 la Société anonyme de bauxite et alumine de Provence (SABAP), il obtient une carte d’entrée pour participer aux négociations avec les pouvoirs publics. Cette acquisition fut ainsi avant tout d’ordre politique ; l’investissement dans le Var étant conçu comme un tremplin vers les terres africaines.

4La difficulté des relations entre les entreprises et l’État se constate encore au sein des entreprises nationalisées, notamment lorsque les pouvoirs publics leur assignent des objectifs pas toujours compatibles avec leur situation financière ou industrielle. Les marges de manœuvre sont variables, mais certaines entreprises parviennent à résister. Dans leur analyse, Ivan Grinberg et Olivier Lambert montrent que la localisation du projet de Laboratoire physico-chimique de Pechiney (LPCP) résulte d’une conjonction d’intérêts entre la stratégie de l’entreprise nationalisée et la politique d’aménagement du territoire conçue par le gouvernement Fabius. Mais il s’agit avant tout d’un concours de circonstances, plus que d’une stratégie définie et portée d’un commun accord. Lorsque la stratégie de Pechiney s’infléchit et débouche sur un changement de cap, c’est bien l’entreprise qui reste maître de son destin, en dépit des engagements pris auprès des pouvoirs publics et des collectivités territoriales qui, en définitive, pèsent peu dans la balance. L’échec du LPCP souligne que même en tant qu’actionnaire majoritaire voire unique, les pouvoirs publics peinent à imposer leurs objectifs lorsqu’ils ne répondent pas aux attentes du monde des affaires. Si la nationalisation de 1982 a permis une recapitalisation et une réorganisation du grand groupe, elle n’en a pas fait un instrument au service des différentes parties prenantes de la sphère publique. L’affaire du LPCP montre que l’entreprise a su mettre à distance les différentes sollicitations dont elle a fait l’objet de la part des milieux politiques lors de l’étude du projet. Un constat similaire peut être fait avec la contribution de Patrick Fridenson qui révèle que les conseils d’administration des entreprises publiques ne sont pas toujours de simples « chambres d’enregistrement ». Revenant sur l’échec supposé de la Régie Renault dans les négociations visant à prendre le contrôle des usines sarroises de la famille Röchling (1949), il démontre qu’en réalité son PDG Pierre Lefaucheux, appuyé par certains représentants de l’État au sein de son conseil d’administration, était peu favorable au projet conçu trois ans auparavant par le ministère de la Production industrielle, compte tenu de la situation financière de l’entreprise et de son positionnement en tant que sidérurgiste ou comme consommateur de produits métallurgiques. Il accompagne, sans adhérer jusqu’à ce que l’évolution des circonstances finisse par avoir raison du projet.

5Les entreprises familiales constituent le troisième et dernier thème de cette partie. Elles apparaissent en filigrane dans le texte de Thierry Renaux et un peu plus fortement dans celui d’Hubert Bonin, avec la figure emblématique d’Hyppolite Worms, deuxième du nom, qui succède à son père Lucien à la veille de la Première Guerre mondiale. Mais c’est surtout dans la contribution proposée par Jean-Claude Daumas que cette thématique est pleinement développée à travers une synthèse portant sur les spécificités des principales entreprises familiales françaises des années 1945-2015. Après avoir rappelé l’essor des études qui leur ont été consacrées depuis les années 1990, et le regain d’intérêt pour ce type de capitalisme depuis que leur meilleure résistance aux crises économiques a été mise en évidence par une série de travaux professionnels ou universitaires, Jean-Claude Daumas s’attarde plus longuement sur certains des éléments autour desquels se joue la durée de ces entreprises. Malgré la très grande diversité des situations, il ressort de ses analyses que la constitution d’une holding familiale (pour éviter la montée au capital d’un raider), l’entretien de l’affectio societatis par toute une série de dispositifs (fondation, assemblée familiale, journaux, cousinades, annuaires, charte, pacte d’actionnaires, etc.) et la codification de la formation et du mode de désignation des héritiers sont autant d’éléments qui contribuent au maintien de l’influence de la famille sur l’entreprise et à sa pérennité.

6Toutes ces contributions destinées à rendre hommage à l’engagement de Philippe Mioche dans l’histoire des entreprises démontrent la pertinence et la fécondité d’un champ de recherche qui reste déterminant, même si sa visibilité académique s’est un peu estompée.

Notes

1 Philippe Mioche, dir., L’alumine de Gardanne de 1893 à nos jours. Une traversée industrielle en Provence, Grenoble, PUG, 1994.

2 Philippe Mioche, « L’usine d’alumine de Saint-Louis-les-Aygalades », in Myriame Morel-Deledalle, dir., Portraits d’industrie, Marseille, Éditions Parenthèses/Musées de Marseille, 2003, p. 86-91.

3 Ivan Grinberg, Philippe Mioche, Aluminium de Grèce, l’usine aux trois rivages, Grenoble, PUG, 1996, ADG produit aussi de l’alumine.

4 Philippe Mioche, « Un Cameroun qui gagne grâce à ALUCAM ? », in Ivan Grinberg et Maurice Lappara, dir., ALUCAM. Un destin africain. 50 ans d’aluminium au Cameroun, 1957-2007, Aix-en-Provence, REF.2C Éditions, 2007.

5 Philippe Mioche, « Pechiney en Australie : Une histoire de l’électrolyse de Tomago (1978-1985) », Cahiers d’histoire de l’aluminium, no 58-59, 2017, p. 32-65.

6 Philippe Mioche, « La manufacture de tabac de la Belle-de-Mai », in Marseille – La manufacture de tabac de la Belle-de-Mai. D’un destin à l’autre, Marseille, Images en Manœuvre Éditions, 2001, p. 86-98.

7 Philippe Mioche, « L’Énergie électrique du littoral méditerranéen, succès ou boulet pour l’économie régionale ? », in Dominique Barjot, Henri Morsel, Sophie Coeuré, dir., Stratégies, gestion, management. Les compagnies d’électricité et leurs patrons, 1895-1945, Paris, Fondation EDF, 2001, p. 201-217.

8 Philippe Mioche, « La longue santé du chlore à Saint-Auban (1916-2002) », in Hervé Joly, Alexandre Giandou, Muriel Le Roux, Anne Dalmasso, Ludovic Cailluet, dir., Des barrages, des usines et des hommes. L’industrialisation des Alpes du Nord entre ressources locales et apports extérieurs, Grenoble, PUG, 2002, p. 279-290.

9 Philippe Mioche, Jean Domenichino, « De la nationalisation à la fermeture (1946-2003) », in Xavier Daumalin, Jean Domenichino, Philippe Mioche, Olivier R aveux, Gueules noires de Provence. Le bassin minier des Bouches-du-Rhône (1744-2003), Marseille, Édition Jeanne Laffitte, 2005, p. 173-258.

10 Boris Grésillon, Olivier Lambert, Philippe Mioche, De la terre et des hommes. La tuilerie des Milles d’Aix-en-Provence (1882-2006), Mirabeau, REF.2C Éditions, 2007.

11 Philippe Mioche, Barbier Dauphin, une industrie du terroir provençal, 1868-2007, Mirabeau, REF.2C Éditions, 2008.

12 Philippe Mioche, « Solvay à Dombasle (1870-1914) », in Pierre Lamard, Nicolas Stoskopf, dir., L’industrie chimique en question, Paris, Éditions Picard, 2010, p. 195-212.

13 Xavier Daumalin, Philippe Mioche, Olivier Lambert, Une aventure industrielle en Camargue. Histoire de l’établissement Solvay de Salin-de-Giraud (1895 à nos jours), Aix-en-Provence, REF.2C Éditions, 2012 ; Xavier Daumalin, Philippe Mioche, Provence, terre de chimie. Cent ans de l’Union des industries chimiques en PACA, Marseille, UIC/AD 13, 2002.

14 Philippe Mioche, « Un investissement mouvementé : Solvay en Espagne, 1908-1942 », Rives méditerranéennes, no 45, 2013, p. 55-72.

15 Philippe Mioche, « Histoire du chemin de fer sucrier de Beauport (1863-1990) », Bulletin de la société d’histoire de la Guadeloupe, no 165, 2013, p. 2-73 ; Id., « Une histoire presque tranquille : l’usine de Beauport en Guadeloupe pendant la Première Guerre mondiale », Bulletin de la société d’histoire de la Guadeloupe, no 168, 2014, p. 59-74.

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