Marseille au XIVe siècle
Commune autonome ou simple pièce sur l’échiquier politique angevin ?
p. 325-340
Texte intégral
1Pour examiner l’architecture des pouvoirs souverains de Marseille et décrire la construction de son identité urbaine particulière, nous nous placerons tout d’abord à la limite extrême du « long Moyen Âge » envisagé par Jacques Le Goff, c’est-à-dire à la veille de la Révolution française1. La place de Marseille en Provence et son positionnement vis-à-vis de l’autorité centrale constituent alors déjà un thème majeur dans la mémoire propre de la ville.
2Voici la façon dont sont rédigés les cahiers de doléances pour les États Généraux de 1789 :
[Marseille] ne doit (cependant) être confondue avec les autres villes du Royaume. C’est une ville libre qui ne tient ni à la province ni aux terres adjacentes. C’est un État à part et isolé, une ville qui n’a été ni conquise ni réunie. Sa Majesté lui adresse ses ordres comme Comte de Provence, et les Rois, ses prédécesseurs, avaient autorisé les Marseillais à ne déférer leurs commandements qu’en tant qu’ils porteraient la qualité de Seigneur de Marseille2.
3L’expression « la qualité de Seigneur de Marseille », correspond à la structure du gouvernement de Marseille depuis la fin du Moyen Âge. Cette titulature est systématique à partir des années 1250-1260, lorsque Charles d’Anjou impose son autorité sur la ville3. Cependant en invoquant cette tradition, les Marseillais de 1789 font preuve d’une mémoire sélective : ils dénient le statut de « terre adjacente », qui était pourtant jalousement défendu par leurs prédécesseurs de la fin du Moyen Âge.
4Remarquons aussi la coquetterie marseillaise à mettre en avant une situation singulière vis-à-vis de la tutelle souveraine, à construire une image d’indépendance teintée d’insoumission. Cela rejoint une tonalité de l’historiographie locale que l’on retrouve déjà sous la plume de Louis-Antoine de Ruffi un siècle plus tôt4. Ainsi Ruffi peut-il affirmer, de façon outrancière, que
Les Comtes de Provence ne la [Marseille] possédèrent que fort peu de tems, & ce injustement, et sans aucun tître, l’aïant usurpée sur les Rois de Bourgogne […] Car comme il y a fort peu de Villes en France qui aïent de si beaux privilèges ; J’ose dire qu’il n’y en a point qui les aïent si justement mérités5.
5Nous examinerons ici cette idée d’une exception marseillaise, qui s’appuie sur une part de réalité historique, sur les intentions et revendications affichées par les Marseillais médiévaux. En effet, ces derniers entendent au xive siècle être régis par un statut spécifique, celui de « terre adjacente ». Il s’agira donc, pour le xive siècle, de retrouver les origines de ces prétentions marseillaises à un traitement particulier de la ville et d’en observer les diverses manifestations et implications à cette même époque. La période que nous étudierons plus précisément, entre les années 1340 et la fin du xive siècle, est celle de la remise en cause de l’autorité souveraine. Les Angevins de Naples, qui sont à la fois titulaires du trône de Sicile et des comtés de Provence et de Forcalquier, sont en effet déchirés par des luttes dynastiques durant la majeure partie du règne de la reine Jeanne (1343-1382).
6Les sources institutionnelles marseillaises, matériau principal de la présente étude, se font l’écho de la relation entre l’universitas Massilie – c’est-à-dire la représentation politique municipale telle qu’elle se nomme dans les registres de délibérations du conseil de ville – et la seigneurie des souverains de Naples, incarnée à Marseille par les officiers de tutelle issus de la cour comtale d’Aix, capitale provençale.
Marseille, ville adjacente
7Fondamentalement, la position « adjacente » revendiquée par la ville indique l’aspiration à se dégager, au moins en partie, d’une organisation étatique plus large, l’administration comtale de la Provence par les Angevins et leurs relais aixois.
8La volonté du conseil de Marseille que la ville soit traitée séparément du comté de Provence est ancienne. Au xiiie siècle, dès avant l’avènement des Angevins, cette question est l’enjeu de tensions avec la tutelle comtale. En 1230, on peut lire sous la plume des légistes du comte Raimond Bérenger V que « le terme de Provence s’étend du Rhône et de Tarascon jusqu’à la Turbie dans le sens de la longueur et en largeur de la Durance jusqu’à la mer et il est de notoriété publique en Provence que Marseille appartient au comté de Provence6 ». En 1243, le même Raimond Bérenger oblige la ville à se déclarer « en Provence et dans le comté de Provence7 ».
9Lorsque Charles Ier d’Anjou établit sa domination sur la ville au milieu du xiiie siècle, il tient compte de l’exception marseillaise, même si nulle part un statut « adjacent » n’est explicitement mentionné. De 1252 à 1262, le remaniement des statuts de la ville et surtout les chapitres dits « de paix » successivement imposés, maintiennent un certain nombre de privilèges aux citoyens marseillais, en particulier celui de non extrahendo – de ne pouvoir être jugés en-dehors de la ville –, ainsi que l’exemption des taxes et péages en Provence, le droit de battre monnaie, ou encore celui de nommer des consuls dans les villes étrangères.
10Sur ces fondements quelque peu incertains, le terme exact ou l’idée de « terre adjacente » apparaissent dans les chartes et registres médiévaux, comme un fil discret mais continu et très durable. On peut y associer l’idée de natio Massilie – nation de Marseille – qui se manifeste de façon non moins subreptice. Jean-Paul Boyer a décrit le processus d’édification progressive, validée par l’écrit, de ce statut adjacent8. La notion de terre adjacente est bientôt reprise par les souverains eux-mêmes, ainsi le roi Robert en 1331, qui admet par lettre l’existence de territoires gouvernés conjointement à ses comtés de Provence et de Forcalquier, parmi lesquels Marseille, mais aussi la principauté d’Orange, le comté de Gap, Avignon, Arles, Embrun, les vallées de Sault et d’Oule et Uzès ; on retrouve précisément l’expression « terre adjacente » dans une autre lettre de la reine Jeanne datée de septembre 13509.
11La position adjacente de Marseille détermine ses relations vis-à-vis de l’extérieur. C’est ce statut qui permet en 1358 au conseil d’énoncer, en réponse à une demande de la commune de Gênes, que
L’universitas de Marseille n’est pas astreinte ni tenue d’observer lesdites conventions faites par les seigneurs de sainte mémoire, en tant que séparée des autres terres et lieux des comtés de Provence et Forcalquier au regard des autres territoires et lieux soumis à la domination de notre très illustre dame, reine de Jérusalem et de Sicile, en vertu des chapitres et libertés accordés par privilèges et conventions10.
12Tous ces éléments participent de l’identité politique de Marseille, pour qui la fidélité dynastique sert de monnaie d’échange contre une relative latitude de gouvernement.
13Durant les années 1348-1352 les Provençaux refusent la nomination d’un sénéchal originaire de l’extérieur du comté. Le conseil de Marseille se désolidarise et justifie le refus de s’associer au reste des communautés et barons du comté au nom du fait que Marseille est « séparée de la Provence ».
14Observons la proposition formulée par les ambassadeurs aixois en séance du conseil le 3 septembre 1350 et la réponse qui leur est faite : des décisions ont été adoptées par les communautés provençales, en vue de former une ligue pour protéger la concorde et la paix ; si Marseille choisit de rejoindre cette ligue, elle en sera considérée par les autres communautés « comme la tête, la maîtresse et [elles] obéiront à ses ordres comme étant la plus noble de toutes les autres de Provence11 ».
15Les Marseillais refusent immédiatement, et la teneur de leur réponse est significative : les Marseillais arguent de leur « véritable séparation » des autres communautés de Provence, « en raison de leurs franchises et libertés », « suivant les droits anciens »12. Ces formules imprécises renvoient plutôt à une forme d’identité politique, une tradition qui prétend tout de même se fonder sur un ensemble juridique de chapitres ou ordonnances, mais de façon relativement indistincte. Le refus du conseil de Marseille l’entraîne dans un conflit de plusieurs années avec le reste de la Provence, durant lesquelles la ville soutient systématiquement les sénéchaux nommés par la reine Jeanne, contre le Provençal Raymond d’Agoult.
16Cette identité adjacente détermine, on le voit, des prises de position particulières dans les conflits provençaux et angevins, faisant du conseil de Marseille le meilleur soutien des souverains, qui de leur côté reconnaissent effectivement le particularisme de la ville. L’instauration d’un dialogue privilégié entre la ville et le prince est cultivée par la dynastie angevine dès ses débuts, notamment lors des serments échangés mutuellement entre la population marseillaise et son seigneur, en particulier à partir de celui prêté par Charles II en 128813. Le statut de terre adjacente se construit dans la fidélité constante à la couronne, mise en scène dans les cérémonies de serment et effectivement réalisée dans les évènements.
17Dans la conjoncture de crise multiforme qui se développe et s’amplifie après 1348, la redéfinition de la relation entre les sujets et le souverain n’est pas une particularité marseillaise. Face aux demandes de subsides nécessaires à la défense puis à la reconquête du trône de Naples par la reine Jeanne et ses successeurs, les communautés provençales se réunissent en assemblées représentatives de plus en plus fréquentes, qui obtiennent d’être régulièrement convoquées à la fin des années 1350. Les barons et villes de Provence entendent influer sur le choix des grands officiers de la cour d’Aix ; ils obtiennent en février 1348 le privilège de l’indigénat, au profit des nobles et juristes provençaux14. Sur ce terrain parlementaire précisément, Marseille se détache du reste du comté : le conseil de ville refuse de déléguer pour les assemblées d’états, ne députant qu’occasionnellement des ambassadeurs, avec simple mandat d’observateurs15 ; la ville portuaire ne contribue pas financièrement comme le reste du pays, refusant de participer à l’effort commun. Les Marseillais préfèrent consentir séparément à des dons gracieux à la couronne, ou participer directement à l’effort militaire et naval16.
18C’est ainsi le cas le 18 avril 1368 : le conseil de Marseille refuse alors la demande du sénéchal Giraud Adhémar de députer deux ambassadeurs vers la réunion des états d’Aix, qui entendent remédier à la guerre alors faite en Provence par Du Guesclin. Le premier officier du comté a beau prendre la précaution d’affirmer que cette convocation se veut « sans préjudice aux libertés traditionnelles » des Marseillais ; il peut invoquer à deux reprises la « nécessité évidente », flatter la ville en la désignant comme « pour ainsi dire tête de la région », sa demande est rejetée par le conseil, qui recommande que la communication avec le sénéchal se poursuive par lettre, comme à l’habitude. Aucun délégué marseillais n’est donc élu et le 29 avril 1368, c’est un ambassadeur des états qui se déplace depuis Aix jusqu’au conseil de Marseille, muni d’une demande d’aide militaire écrite par le sénéchal. Cette aide est effectivement fournie par la ville, sous la forme de deux galères armées17.
19Marseille n’accepte ainsi aucune exception à son refus de participer à la structuration représentative à l’œuvre en Provence. Et ce alors que, ainsi que l’affirme Giraud Adhémar, « l’affaire concerne absolument tous les fidèles et les sujets de la reine18 » – et l’on remarquera la délicatesse diplomatique du grand officier, qui sciemment n’inclut pas les Marseillais sous une appellation plus précise, telle que « tous les sujets des comtés de Provence et de Forcalquier ».
20Pour autant, rien ne permet d’affirmer que l’effort consenti par les Marseillais est inférieur à celui des Provençaux19. Mais symboliquement et sur le terrain juridico-diplomatique de l’architecture des pouvoirs angevins, Marseille se tient à l’écart de la Provence et préserve son autonomie de décision en n’étant pas contrainte par une délibération collective des États.
21En cela, l’attitude et les prérogatives de Marseille se rapprochent de celles d’Arles, autre ancien consulat important du xiiie siècle, qui lui aussi au siècle suivant revendique le titre de « terre adjacente ». Comme Marseille, la municipalité arlésienne n’envoie que de simples ambassadeurs aux assemblées provençales, dont elle rejette les convocations mal rédigées. Elle refuse en outre de participer aux contributions du pays autrement que par l’octroi de dons gratuits aux souverains20.
22Mais sans doute, en comparaison d’Arles, la position côtière de Marseille et son importance supérieure sur les plans démographique et économique21 lui permettent-elles de mettre davantage en valeur son statut adjacent. Disposant d’une flotte militaire et marchande, offrant son soutien aux entreprises militaires royales et assurant la circulation de l’information et des personnes dans les territoires angevins, Marseille est un point d’appui stratégique majeur pour le pouvoir souverain de Naples, une forme d’interface dans une position à mi-chemin de la frontière et de la porte d’entrée sur la Provence, pour utiliser les concepts de la géographie22. La situation frontalière, ou plus exactement dans le cas de Marseille la position de bordure côtière, instaure un rapport spécifique à l’autorité souveraine. Comme l’affirme Claude Gauvard, « les populations frontalières sont à la pointe des idées qui circulent, sans doute parce que plus que d’autres, elles répondent aux interpellations du prince et ne se privent pas, en échange, de requérir privilèges, dons et faveurs23 ». D’une façon proche, la place stratégique de Marseille dans l’architecture du pouvoir napolitain peut jouer un rôle stimulant pour la conscience politique au sein du conseil de ville.
Les pratiques angevines du gouvernement, en particulier aux origines de la dynastie sur le trône de Sicile au milieu du xiiie siècle, tendent pourtant à abolir les juridictions particulières, à l’instar de ce qu’avait souhaité Frédéric II précédemment24. De cette volonté uniformisatrice de la part du pouvoir royal procèdent aussi les enquêtes angevines des premières décennies du xive siècle, celle dirigée par Leopardo da Foligno entre 1331 et 1333 en particulier25. Un des effets de ces enquêtes est de dégager les pouvoirs de domination à l’échelon des comtés de Provence et de Forcalquier et au-delà, des territoires angevins, suivant une démarche d’emboitements spatiaux au moment où l’horizon politique se dilate26.
23Les assemblées représentatives provençales étudiées par Michel Hébert relèvent d’un processus similaire d’uniformisation. En effet, alors même que s’affirment les communautés des comtés de Provence et de Forcalquier face au souverain ou en son absence, les pratiques de la représentation et de la délibération qui se développent dans ces assemblées, à la faveur de l’éclipse du pouvoir royal au milieu du xive siècle, participent de la structuration politique et identitaire du pays – d’ailleurs, dans la lettre de convocation d’avril 1368 précédemment citée, le sénéchal utilise le terme de « patrie » provençale27.
Contre l’intégration provençale, l’alliance avec le trône angevin
24Le refus marseillais de déléguer aux États de Provence marque une volonté de se tenir à l’écart du processus d’institutionnalisation à l’œuvre à l’échelle du comté. Dans les années de la tension la plus vive avec la capitale comtale, entre 1348 et 1352, puis de 1382 à 1387, le conflit se livre précisément sur le terrain des privilèges et franchises revendiqués par Marseille en tant que terre adjacente : le conseil de ville s’oppose aux impositions « nouvelles » et aux prétentions des Provençaux à les juger hors de la ville. Le privilège de non extrahendo est ainsi remis en cause par la capture de deux ambassadeurs marseillais en mars 1349, ou au sujet du meurtre d’Aixois commis à Marseille dans la rue dite du Lupanar. Les impositions nouvelles – notamment des péages, assimilés à des saisies de biens – sont l’objet d’âpres négociations mettant un terme au conflit des sénéchaux entre le 31 juillet et le 20 août 135128.
25Outre les états de Provence, c’est en fait à toute centralisation de l’autorité autour de la cour d’Aix que le conseil de Marseille cherche à se dérober. Face au sénéchal, les Marseillais procèdent de la même façon que dans le cas d’une convocation aux assemblées représentatives : le 12 octobre 1348, l’ambassadeur qui est dépêché auprès du sénéchal Raimond d’Agoult, en réponse à la demande écrite de ce dernier, ne reçoit dans ses lettres de créance que le mandat exclusif d’écouter ce que le sénéchal aura à lui dire, sans lui répondre29. Ainsi, l’envoyé élu par le conseil ne pourra être contraint à rien par le premier officier de Provence.
26Dans les troubles de la seconde moitié du xive siècle, le statut adjacent de Marseille apparaît ainsi comme dirigé à la fois contre la cour d’Aix, l’administration comtale, et contre les assemblées représentatives qui se structurent à l’échelle du comté, c’est-à-dire principalement contre les autres communautés et puissances provençales.
27Les contextes de crise politique exacerbent la conscience marseillaise de terre adjacente, celle d’une spécificité autorisant à ne pas être soumis à une commune loi provençale, mais à la sienne propre. Cette revendication est parfois mêlée à une hostilité marquée des Marseillais envers tous les Provençaux, indistinctement : ainsi en mars 1349, à la suite de l’agression dont sont victimes deux ambassadeurs marseillais de la part de Provençaux, le syndic Amiel Boniface intervient en séance du conseil de ville et préconise d’interdire désormais, à jamais, la citoyenneté marseillaise à tout Provençal30. Cette proposition n’est finalement pas retenue, mais émanant d’un des personnages les plus importants de l’assemblée municipale, elle est significative. Son écriture dans les registres de délibérations, qui lui donne un caractère de décision envisageable, éventuellement remise à plus tard, démontre que la fracture entre Marseille et la Provence n’est pas seulement institutionnelle, mais qu’elle marque aussi les consciences.
28La tension entre la cour d’Aix et le conseil de Marseille oblige les individus à se déterminer, amenant à relativiser l’idée d’une stricte opposition entre les conseillers marseillais et les officiers qui représentent la tutelle sur place. Le cas du juge du palais Jacques d’Ausane mérite d’être relevé, comme celui d’un officier venu d’Aix qui fait cause commune avec les Marseillais au cours du conflit. En novembre 1348, il se distingue des autres officiers royaux qui ont quitté la ville. Le conseil exige du sénéchal que le juge soit récompensé par une augmentation de salaire. Cette requête est renouvelée le 25 janvier suivant, à la demande de l’intéressé, à la suite d’une longue période durant laquelle le conseil a pu être légalement convoqué grâce à Ausane31. Une alliance se dessine alors entre l’assemblée et le juge, qui par sa présence cautionne et permet la tenue des réunions. Cette communauté d’intérêts se confirme quelques jours plus tard, le 6 février 1349, lorsque le conseil ordonne aux officiers royaux de désobéir aux lettres reçues de la chambre des rationaux d’Aix, qui usurperaient les privilèges judiciaires de la ville ; l’assemblée décide aussi que tout officier poursuivi pour cette désobéissance sera défendu aux frais de la cour royale. Ces dispositions s’appliquent vraisemblablement au seul Jacques d’Ausane, unique officier présent en séance et en ville – les autres ayant de nouveau pris la fuite32. Cet homme a désormais partie liée avec le conseil de Marseille, auquel il fait appel pour maintenir l’ordre en lieu et place du viguier et de ses subordonnés le 25 juin 134933. Cela lui vaut les poursuites de ses anciens maîtres : le 12 juillet suivant on apprend que la Chambre des rationaux d’Aix diligente une enquête contre Ausane, au sujet de la prise de contrôle de l’universitas sur les revenus royaux. Ausane est par ailleurs sous le coup d’une sentence d’excommunication et à sa demande, le conseil envoie des ambassadeurs vers Avignon et Aix pour le défendre34. En 1350-1351, on retrouve le même homme comme membre de l’assemblée et son nom est mentionné comme « citoyen et habitant de la ville », ce qui lui vaut d’être désigné juge municipal par le conseil, avec une autorité suffisante pour convoquer lui-même l’assemblée en novembre 135035.
29Ce Jacques d’Ausane est ainsi un exemple d’officier royal que l’on peut qualifier de « rallié » au conseil, au point de choisir de poursuivre sa carrière dans la ville et d’en acquérir la citoyenneté. On devine un autre cas d’officier royal sinon gagné à la cause du conseil, du moins avec lequel des accommodements finissent par être trouvés au cours du conflit, le juge du palais Simon de Girone, en 1350-1351. L’institution municipale exerce sur place une attraction capable de rivaliser ponctuellement avec celle de la cour d’Aix – tout comme est vraie la réciproque, certains Marseillais choisissant le camp provençal du sénéchal Raymond d’Agoult durant le conflit36.
30Le conseil cherche à retenir les juristes dont manque cruellement la ville, face à la puissance de la cour comtale d’Aix sur ce terrain. C’est ce que l’on peut observer au début du l’année municipale 1348-1349, lorsque l’assemblée fait officiellement la proposition au juge du palais sortant Cingon de Filhan de rester et d’être « agrégé à la communauté des autres citoyens [en raison de] sa science et de son industrie, nécessaires à la ville et aux citoyens37 ». Presque simultanément, Guillaume de Montolieu, jurisperitus et membre éminent de l’assemblée marseillaise, est promu viguier de Tarascon par le sénéchal d’Agoult. Montolieu se voit alors interdire de quitter Marseille pour exercer son office, au motif que la ville « a besoin de son conseil38 ». Les rapports entre les deux autorités, la cour comtale et la municipalité marseillaise sont ainsi marqués par des rapports de rivalité, de concurrence, davantage que par une lutte acharnée des Marseillais pour abolir leur tutelle.
31Les équilibres provençaux du pouvoir sont nettement centrés sur la cour d’Aix et sur le sénéchal qui y siège39. Les épisodes du conflit des sénéchaux de Provence en 1348-1352 démontrent que Marseille rejette de façon récurrente l’autorité de la cour d’Aix, au profit de l’établissement d’une relation directe au souverain. Pour autant, la ville ne se place pas tout à fait en-dehors du cadre provençal : Marseille appuie les tentatives de la reine d’imposer un homme de confiance à la tête du comté – le Napolitain Giovanni Barrili contre le sénéchal Raymond d’Agoult, issu de la haute noblesse provençale. Ainsi le conseil est prêt à se soumettre aux officiers de la reine et cherche à imposer leur autorité au reste du comté, se plaçant comme le meilleur allié de la couronne.
32Ce positionnement correspond à un choix stratégique initié au début de l’année 1348. La lettre du 3 janvier de cette année, par laquelle la reine Jeanne accorde aux Marseillais l’unification de la ville, instaure une relation particulière entre la ville et sa souveraine, qui prête serment public de respecter les libertés et privilèges de Marseille40. L’acte écrit de cette cérémonie qualifie Jeanne de « Reine de Jérusalem et de Sicile, comtesse de Provence et de Forcalquier, dame de Marseille ». L’autorité municipale tient à ce titre et le rappelle par la suite lorsqu’il l’estime utile. Ainsi en octobre 1350, quand le conseil reçoit le nouveau sénéchal de Provence ; alors que dans les lettres dont ce dernier est porteur, Jeanne ne mentionne pas son titre de « dame de Marseille », l’enregistrement rectifie la titulature de la reine. Par cet ajout, l’assemblée marseillaise renouvelle et met en valeur son lien direct à la couronne, une façon d’amoindrir au moment opportun l’autorité du haut officier qu’elle reçoit41.
33L’issue du conflit des sénéchaux, qui voit triompher le sénéchal Raymond d’Agoult, est significative : après l’échec de toutes les tentatives de le destituer, à l’été 1349, tout comme en juillet 1351, le conseil cède à la plupart des exigences provençales, de peur que la cour comtale ne refuse de nommer, comme chaque année, les officiers royaux de tutelle sur la ville42. C’est sur le terrain juridique, par souci de préserver la légitimité garantie par les officiers issus de la cour d’Aix, que Marseille finit par céder à celle-ci. Les statuts et chapitres de paix de la ville disposent en effet que sans la présence de ces représentants de la tutelle comtale, l’assemblée municipale ne peut être régulièrement convoquée.
34Les rapports de forces institutionnels sont en fait installés sur le long terme et inscrits dans la réalité sociale et économique des territoires. Aix est durablement assise comme centre administratif et juridique majeur dans le comté. L’importance du milieu juriste et notarial à Aix renforce le statut de capitale provençale et de siège de la cour comtale43. Par ailleurs, malgré ses manifestations d’indépendance lors des crises politiques angevines, Marseille reste en situation de dépendance institutionnelle vis-à-vis du comté de Provence et de la cour d’Aix.
35Le conseil de Marseille aspire sans doute à développer d’autres réseaux, d’échelle plus vaste que la Provence, qui l’éloignent de l’administration comtale aixoise, du fait de ses horizons commerciaux élargis et de la position côtière de la ville, point de contact privilégié avec le trône de Naples. Cependant, la défense du statut adjacent de Marseille n’est pas si originale au xive siècle. Elle rejoint une dynamique générale à la Provence, dont les communautés revendiquent elles aussi de plus grandes marges de manœuvre vis-à-vis de la tutelle. Mais pour ces dernières, le rapport de forces s’exerce essentiellement par le biais des réunions représentatives d’états, qui sont devenues le véritable lieu de rencontre et de négociations entre les pouvoirs à l’échelle du comté44.
36Ainsi, le statut d’exception défendu par les Marseillais tend-il à devenir de plus en plus commun, à mesure que des marges d’autonomie sont concédées un peu partout dans leur environnement provençal45. Ces similitudes conduisent Jean-Paul Boyer à écrire que les réticences marseillaises devant l’intégration à l’ensemble provençal s’expliquent essentiellement par une volonté assez vaine de protéger la gloire ancienne de la ville, alors que la diffusion des libertés dans le système angevin ne menaçait en rien les siennes, au contraire46. Il faudrait sans doute plutôt y voir l’ambition marseillaise d’établir une relation à l’autorité royale privilégiée, individualisée et qui lui soit profitable.
37Quelques décennies plus tard, lors de la succession conflictuelle de la reine Jeanne (1381-1387), Marseille se trouve longtemps isolée dans son choix de soutenir Louis Ier d’Anjou, puis après la mort de ce dernier, Louis II et Marie de Blois. La ville devient le point d’appui majeur de la seconde maison d’Anjou en Provence, contre l’Union d’Aix, regroupant la plupart des communautés provençales autour de Charles de Duras, responsable de l’emprisonnement puis de la mort de la reine Jeanne47.
38Durant ces années de la guerre de l’Union d’Aix, qui tourne au conflit ouvert à partir de 1382, Marseille se présente comme la championne de la fidélité à Jeanne, cherchant à la sauver puis à la venger, prétendant honorer sa mémoire au travers de son soutien à Louis d’Anjou, tardivement adopté par la reine48. Ainsi le conseil de ville, outre l’engagement armé contre le camp durassien, organise en juillet 1385 les fastes du deuil royal, puis un mois plus tard l’entrée solennelle de Louis II et Marie de Blois49. C’est à ce moment que sont placées de part et d’autre de la porte du Lauret, deux statues célébrant la tradition angevine, non loin du couvent Saint-Louis-des-Mineurs, conservant les reliques du saint dynastique, Louis d’Anjou, l’évêque. La première statue est celle de Saint Lazare portant un manteau aux armes de Jérusalem, en référence à la titulature du royaume de Naples, de Sicile et de Jérusalem ; la seconde représente Saint-Louis d’Anjou aux armes de la reine Marie de Blois50. Ainsi sont symboliquement réunies les deux maisons angevines au moment de leur délicate succession, à l’entrée principale de la ville et par la volonté politique de celle-ci.
39Cette relation d’appui indéfectible à la couronne permet donc une nouvelle fois aux Marseillais de s’opposer à la tutelle aixoise. Ils en obtiennent un nouveau règlement municipal, accordé durant le même été 1385, qui efface le rôle dirigeant du viguier sur la tenue du conseil de ville51. Marie de Blois transfère même pour un temps la capitale comtale d’Aix vers Marseille, afin de récompenser cette dernière pour sa fidélité. Cette décision correspond d’ailleurs à une revendication marseillaise parsemant ça et là les relations à la couronne à la fin du Moyen Âge52 – nouvelle démonstration que la cité portuaire s’inscrit bien davantage dans une relation de rivalité vis-à-vis de la cour comtale d’Aix, dans un cadre angevin mais aussi nettement provençal, qu’elle ne chercherait à s’en détacher. Finalement, la victoire finale de la seconde maison angevine en 1387 ne se solde pas par une défaite nette des intérêts aixois, tant la reddition de la capitale comtale à Marie de Blois est négociée au prix de concessions importantes de la part de la souveraine53.
40En conclusion, il convient donc de relativiser la revendication marseillaise « adjacente », qui recouvre la volonté de la ville de ne pas être comprise politiquement et juridiquement dans l’ensemble provençal administré par la cour comtale d’Aix. Ce « statut » non écrit et en tant que tel formellement absent du corpus statutaire de la ville54, est consolidé par les événements et les troubles de la seconde moitié du xive siècle. En contrepartie de sa fidélité aux souverains en difficulté, Marseille se renforce, par exemple en unifiant en 1348 les différentes parties de la ville sous une même autorité municipale. La ville s’oppose sur la longue durée à un pays provençal qui prend au même moment le parti opposé de s’affronter à l’autorité royale. Cette configuration et cet équilibre géopolitique conflictuel se reproduisent presque à l’identique lors de la guerre de l’Union d’Aix dans les années 1380, où le conseil de Marseille se trouve pendant de longs mois le seul allié de la seconde maison d’Anjou. Rebelle à une assimilation provençale centralisatrice, Marseille fait symétriquement preuve d’un loyalisme et d’une fidélité sans failles vis-à-vis de la couronne angevine. La réputation marseillaise d’insoumission est largement une construction identitaire et historiographique postérieure au Moyen Âge, à la fin duquel la ville apparaît bien davantage comme une simple pièce sur l’échiquier géopolitique angevin que comme une commune disposant d’une réelle indépendance politique.
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Notes de bas de page
1 J. Le Goff, Un long Moyen Âge, Tallandier, 2004.
2 J. Fournier, éd., Cahiers de doléances de la Sénéchaussée de Marseille pour les États généraux de 1789, Marseille, Imprimerie nouvelle, 1908, p. 369-370.
3 C’est ainsi le cas dès les chapitres de paix successifs conclus en 1257 et 1262 : Archives municipales de Marseille (désormais : AMM), AA1 fols. 120-142.
4 Antoine de Ruffi semble à l’origine de l’utilisation du terme de « République » pour caractériser politiquement la commune du xiiie siècle, dans le titre de son ouvrage et derechef dans la préface ; A. et L.-A. de Ruffi, Histoire de la ville de Marseille, contenant tout ce qui s’est passé de plus mémorable depuis sa fondation, durant le temps qu’elle a été République et sous la domination des Romains, Bourguignons, Visigots, Ostrogots, Rois de Bourgogne, Vicomtes de Marseille, Comtes de Provence et des rois très chrétiens, recueillie de plusieurs auteurs, Marseille, C. Garcin, [1re éd. 1642, H. Martel, 1696], huitième page de la préface. Par cette qualification, l’historien moderne entend un gouvernement indépendant de toute autorité supérieure. Par la suite, cette idée fut reprise et amplifiée pour la connotation démocratique du mot, en relation avec la mythologie républicaine contemporaine, par des auteurs divers, dont le récent A. Dell’Umbria, Histoire universelle de Marseille, De l’an mil à l’an deux mille, Marseille, Agone, 2006, est un des représentants les plus outranciers.
5 A. et L.-A. de Ruffi, op. cit., 1696, p. 128, 141.
6 On notera la formulation latine : publica fama est per Provinciam ; T. Pécout, Raymond Bérenger V, L’invention de la Provence, Paris, Perrin, 2004, p. 30.
7 Traité de paix conclu entre le comte et la commune, le 22 juin 1243. Archives départementales des Bouches-du-Rhône (désormais : AD13), original ; AMM, AA13 pièce 4, copie et AA21 vidimus de 1499. Texte publié dans V.-L. Bourrilly, Essai sur l’histoire politique de la commune de Marseille des origines à la victoire de Charles d’Anjou (1264), Aix-en-Provence, Dragon, 1925, p. 384 ; analysé par T. Pécout, « La commune, le droit et le comte excommunié », in Marseille au Moyen Âge, entre Provence et Méditerranée, Les horizons d’une ville portuaire, Méolans-Revel, Désiris, 2009a, p. 188-196, qui voit dans l’accord de 1243 « un premier pas vers l’intégration de Marseille aux institutions du comté de Provence ».
8 Sur l’apparition du terme exact de « terre adjacente », J.-P. Boyer, « René et Marseille : les serments de 1437 », in J.-M. Matz et N.-Y. Tonnerre, dir., René d’Anjou (1409-1480), Pouvoirs et gouvernement, Rennes, PUR, p. 47-76, 2011, p. 60 ; sur la natio Massilie, J.-P. Boyer, « Cis donta l’orguel de Marseille, Une identité entre commune et municipalité (mi xiiie-mi xive siècle) », in P. Gilli et E. Salvatori, dir., Les identités urbaines au Moyen Âge : Regard sur les villes du Midi français. Actes du colloque de Montpellier 8-9 décembre 2011, Turnhout, Brepols, p. 225-250, 2014.
9 La lettre de Robert est conservée aux AD13, B 489. Elle est analysée dans J.-P. Boyer, op. cit., 2014. La lettre de Jeanne datée du 2 septembre 1350 est ainsi formulée : quod in comitatibus nostris Provincie et Forcalquerii et terris aliis eisdem adjacentibus ; séance du conseil de ville du 7 octobre 1350, AMM, BB21 fol. 50r.
10 Quod universitas Massilie ad observandum dictas conventiones factas per dominos nostros sancte memorie non astrigitur nec ligatur tamquam exempta ab aliis terris et locis comitatuum Provincie et Forcalquerii, velut pre aliis terris et locis suppositis dicioni illustrissime domine nostre Jerusalem et Sicilie Regine capitulis et libertatibus privilegiata et conventionata ; AMM, BB22 fol. 133v. Lors de cette séance du 22 février 1358, les Génois exigent notamment que leur soient remis les bannis de leur commune réfugiés à Marseille et que soit mis fin à toute entreprise contre Gênes, au nom de plusieurs conventions passées avec les différents comtes de Provence, depuis le début du xiiie siècle.
11 Universitates ipse Provincie civitatem hanc habebunt et reputabunt capud et dominam dicte lige, tamquam nobiliorem ceteris Provincie et suis mandatis et ordinationibus hobedire ; AMM, BB21 fol. 37v.
12 Verumptamen ceparata est […] propter suas franquesias et libertates […], sequendo etiam vestigia antiquorum. Outre ces raisons, les Marseillais, tout comme leurs interlocuteurs aixois, disent agir au nom de la paix et de la fidélité à la reine, pro honore et prothectione reginalis excellencie et statu pacifico hujus terre. AMM, BB21, fol. 38r.
13 M. Aurell, J.-P. Boyer, « Une journée qui fit Marseille : le 5 décembre 1288 », in T. Pécout, Marseille au Moyen Âge, entre Provence et Méditerranée, Les horizons d’une ville portuaire, Méolans-Revel, Désiris, 2009, p. 207-213.
14 Ils parviennent à faire respecter ce droit après 1352, au terme du conflit des sénéchaux. Sur l’assemblée de février 1348, M. Hébert, Regeste des états de Provence, 1347-1480, Paris, CTHS, 2007, p. 5-7. Sur la convocation régulière après ce moment décisif de la « fondation » des états en Provence ; M. Hébert, « Les assemblées représentatives et la genèse de l’État moderne en Provence (xiiie-xve siècle) », Genèse de l’État moderne en Méditerranée. Approches historique et anthropologique des pratiques et des représentations. Actes des tables rondes de Paris (24-26 septembre 1987 et 18-19 mars 1988), Rome, EFR (168), 1993, p. 271.
15 C’est ainsi le cas le 8 novembre 1378, AMM, BB27 fol. 253.
16 Une demande de subside par lettre royale est lue au conseil de ville le 14 juillet 1351, à laquelle il est répondu le lendemain qu’elle est « préjudiciable à la ville et à ses libertés pour plusieurs raisons », quia dicte litere videntur prejudiciales huic civitati libertatibusque ejusdem pluribus de causis ; AMM, BB21 fols. 140-141, 145r.
17 Vosque licet non consueveritis ex libertatibus vestris, quas intendimus pro viribus observare, ad talia consilia convocari nec mittere vel venire negociaturi cum aliis dicte patrie sitisque quasi caput regionis ; AMM, BB26 fols. 40v-41r. Concernant la séance du 29 avril 1368, ibid., fols. 46-47r. M. Hébert, op. cit., 2007, p. 85-86 et n. 407.
18 Quia in universo negocium istud tangit omnes fideles et subditos reginales ; AMM, BB26 fol. 40v.
19 L’assemblée des états d’Aix les soumet en avril 1368 à une taille d’un florin par feu pour la défense du pays. M. Hébert, op. cit., 2007, p. 85.
20 L. Stouff, Arles à la fin du Moyen Âge, Aix-en-Provence, PUP, 1986, p. 167-172, 174-176.
21 Selon Louis Stouff, se fondant sur les travaux antérieurs d’Édouard Baratier, Arles ne compterait que 5 000 habitants au début du xve siècle, contre une estimation du double à Marseille. É. Baratier, La démographie provençale du xiiie au xvie siècle avec chiffres de comparaison pour le xviiie siècle, Paris, SEVPEN. 1961, p. 113. L. Stouff, op. cit., 1986, p. 124-130.
22 Pour reprendre le géographe R. Brunet, Les mots de la géographie, dictionnaire critique, Paris, Reclus - La Documentation Française, 1993, p. 226, 282, le littoral est l’interface entre le terrestre et le maritime, tandis que la frontière est la ligne de contact et d’échanges entre deux ensembles territoriaux.
23 Claude Gauvard, « Introduction », in T. Pécout, dir., Quand Gouverner c’est enquêter, Les pratiques politiques de l’enquête princière (Occident, xiiie-xve siècles). Actes du colloque international d’Aix-en-Provence et Marseille, mars 2009, Paris, De Boccard, 2010, p. 19 ; C. Gauvard, « L’opinion publique aux confins des États et des Principautés au début du xve siècle. Les principautés au Moyen Âge », in Actes des congrès de la Société des Historiens Médiévistes de l’Enseignement supérieur public, Bordeaux 1973, Bordeaux, SHMESP, 1979, p. 127-152.
24 C’est ce qu’affirme J.-P. Boyer, « Communautés villageoises et État angevin. Une approche au travers de quelques exemples de Haute Provence Orientale (xiiie-xive s.) », in Genèse de l’État moderne en Méditerranée. Approches historique et anthropologique des pratiques et des représentations. Actes des tables rondes de septembre 1987 et mars 1988 à Paris, Rome, EFR, 1993, p. 246, en particulier pour la période qui s’ouvre après 1266.
25 Enquêtes qui font l’objet d’un travail d’édition intégrale toujours en cours, sous la direction de Thierry Pécout, aux éditions du CTHS (tome 1 paru en 2008 ; tome 10 en cours de parution).
26 C. Gauvard, op. cit., 2010, p. 18-19.
27 Ad procurandum locuum istarum hujus patrie, BB26 fol. 40v ; venire negociaturi cum aliis dicte patrie, fol. 41r. M. Hébert, op. cit., 1993. Plus récemment, M. Hébert, Parlementer, Assemblées représentatives et échange politique en Europe occidentale à la fin du Moyen Âge, Paris, De Boccard, 2014, en particulier au sujet de la construction d’une assise territoriale, p. 260. L’auteur y reprend notamment l’idée que « s’assembler, c’est faire du territoire » développée dans M. Detienne, « Des pratiques d’assemblée aux formes du politique, Pour un comparatisme expérimental et constructif entre historiens et anthropologues », in M. Detienne, dir., Qui veut prendre la parole ? (Le genre humain, 40-41), 2003, p. 13-30.
28 AMM, BB20 fols. 96-99r, 153-153, 146-147 ; BB21 fols. 147-171.
29 Quod unus eligatur providus de consilio supradicto, qui accedat Aquis ad presenciam dicti domini Seneschalli […] qui nullum mandatum habeat a consilio [memorari, dumtaxat] tantummodo audiat quid proponetur per ipsum dominum Senescallum ; AMM, BB20 fol. 49.
30 Quod nullus natus in comitatibus Provincie et Forcalquerii in consiliarium consilii Massilie de cetero eligatur, seu tanquam consiliarius recipiatur in eo, et quod premissa perpetuo in civitate Massilie observentur. Séance du 18 mars 1349 ; AMM, BB20 fol. 96v.
31 Jacques d’Ausane est alors secondé dans ses convocations par un conseiller, le juriste Guillaume de Montolieu – en l’absence du viguier et alors que le sous-viguier a été incarcéré sur décision du conseil. Les co-convocations de l’assemblée par Ausane et Montolieu se font les 20 décembre 1348, 2 janvier, 8 janvier et 10 janvier 1349 ; AMM, BB20 fols. 66v, 68r, 10r, 73r, et pour la séance du 25 janvier 1348, fols. 79-81.
32 AMM, BB20 fol. 82. Lors de toutes les séances suivantes, qui précèdent la prestation de serment du sénéchal Barrili le 13 mars 1349, Ausane est le seul officier mentionné comme convocateur dans les enregistrements. AMM, BB20 fols. 27r, 29r, 85r, 89r.
33 À la demande de Jacques d’Ausane, le conseil organise alors une milice de huit hommes par sizain. AMM, BB20 fols. 157v-158.
34 AMM, BB20 fols. 163-164.
35 Jurisperitus, civis et habitator Massilie ; séances du 28 août et du 26 novembre 1350, AMM, BB21 fols. 32v, 76v.
36 C’est le cas des nobles Imbert d’Alamanon et de Bertrand de Bouc, qui quittent la ville pour aider les Aixois, puis sont dépêchés par les états d’Aix pour négocier avec leur propre ville d’origine ; séances des 25 septembre 1348 et 23 mars 1349 ; AMM, BB20 fols. 31v, 101.
37 Pro sua sciencia et industria que necessarie sunt ipsi civitati et civibus presentialiter valde ; in curie Massilie consorcio aliorum civium, agregando eumdem. Séance du 23 août 1348 ; AMM, BB20 fol. 6v.
38 Cum dicta civitas suo indigeat consilio ; le consentement de l’intéressé est probable, mais une peine est brandie par le conseil pour lui permettre de justifier son refus de l’office royal. Séance du 24 août 1348 ; AMM, BB20 fol. 8.
39 Ce dernier étant placé en situation de nouer le dialogue entre le prince et les sujets, et ce dès le début du xive siècle, comme l’a montré Laure Verdon. Elle affirme notamment que « la potestas déléguée au sénéchal apparaît aux yeux des notables comme le meilleur garant de l’équité du pouvoir en Provence » ; Laure Verdon, La Voix des dominés, Communautés et seigneurie en Provence au bas Moyen Âge, Rennes, PUR, 2012, p. 99 et L. Verdon, « Le roi, la loi, l’enquête et l’officier : procédure et enquêteurs en Provence sous le règne de Charles II (1285-1309) », in C. Gauvard, dir., L’Enquête au Moyen Âge, Rome, Collection de l’EFR (399), 2008, p. 319-329.
40 La division de Marseille remontait au xiie siècle, entre la ville basse marchande et la ville haute sous autorité épiscopale. F. Otchakovsky-Laurens, « 1348, Marseille s’unifie, son assemblée s’affirme », Rives méditerranéennes, 42, 2012, p. 13-28. La cérémonie de serment est elle-même hautement symbolique de la relation nouée entre Marseille et Jeanne ; T. Pécout, « Marseille et la reine Jeanne », in Marseille au Moyen Âge, entre Provence et Méditerranée, Les horizons d’une ville portuaire, Méolans-Revel, Désiris, 2009b, p. 215-221, qui édite et traduit l’acte conservé aux AMM, AA72 n° 5.
41 AMM, BB21 fol. 55r.
42 Séances du conseil comprises entre le 15 juillet et le 20 août 1351 ; AMM, BB21 fols. 145-171.
43 N. Coulet, Aix en Provence. Espaces et relations d’une capitale (milieu xive-milieu xve s.), Aix-en-Provence, PUP, 1988, p. 582-583.
44 M. Hébert, Tarascon au xive siècle, histoire d’une communauté urbaine provençale, la Calade, Édisud, 1979, p. 190.
45 Lors des états de février 1348, la reine Jeanne accorde le privilège d’indigénat pour les offices des comtés de Provence et de Forcalquier. Un échange de serments se déroule lors de la même assemblée, d’une grande proximité avec la cérémonie tenue à Marseille le mois précédent. Cette parenté des rituels se prolonge dans les décennies suivantes, avec le serment de Marie de Blois devant les états d’Apt en mai 1385 précédant son équivalent marseillais en août suivant. Une municipalité comme celle de Draguignan obtient durant cette période du xive siècle une latitude de gouvernement autonome élargie, en liant sa cause aux autres communautés représentées aux états de Provence. H. Bresc, « Les municipalités provençales entre autonomie et dépendance : Draguignan (1360-1440) », in L. Crocq, dir., Le Prince, la ville et le bourgeois (xive-xviiie siècles), Paris, Nolin, 2004, p. 25-45.
46 J.-P. Boyer, op. cit., 2011, p. 64-65.
47 A. Venturini, « Vérité refusée, vérité cachée : du sort de quelques nouvelles avant et pendant la Guerre de l’Union d’Aix (1382-1388) », in La Circulation des nouvelles aux Moyen Âge. Actes des congrès de la SHMESP, Rome-Paris, Collection de l’École française de Rome - Publications de la Sorbonne, 1994, p. 179-189 ; É.-G. Léonard, « La captivité et la mort de Jeanne Ire de Naples », Mélanges d’art et Histoire, École française de Rome, 1924, p. 44-77.
48 E.-R., Labande, « Louis Ier d’Anjou et Marseille », Le Moyen Âge, 54, 1948, p. 297-325.
49 La cérémonie funéraire suit la séance du 6 juillet 1385, AMM, BB30 fols. 5-6. L’entrée royale a lieu le 19 août 1385, N. Coulet, « Entrées royales au xive siècle : un rituel du faste et de la cohésion municipale », in T. Pécout, dir., Marseille au Moyen Âge, entre Provence et Méditerranée, Les horizons d’une ville portuaire, Désiris, Méolans-Revel, 2009, p. 224, citant le Journal de Jean Le Févre (BnF, ms. Français 5015, fol. 77).
50 Les préparatifs et la commande des ces statues, aujourd’hui perdues, sont évoqués pour la première fois lors de la séance du 8 avril 1385, AMM, BB30 fols. 138v-141.
51 Les officiers municipaux ne sont désormais plus désignés officiellement par le viguier, mais choisis par tirage au sort parmi les membres du conseil ; AMM, AA8-1.
52 Les Marseillais font cette demande en 1332 auprès du roi Robert, puis en 1438 au roi René. J.-P. Boyer, op. cit., 2011.
53 Les chapitres de paix aixois de 1787 rétablissent la capitale rebelle dans ses privilèges et en ajoutent de nouveaux (serment de fidélité par les grands officiers de respecter ces chapitres), occasionnant une délibération du conseil de Marseille où celui-ci renonce au statut de capitale et de siège de la cour. Archives municipales d’Aix-en-Provence, AA2 fols. 19-26, 33, 34-40, et N. Coulet, op. cit., 1988, p. 73-86.
54 R. Pernoud, Les statuts municipaux de Marseille, Monaco-Paris, Archives du Palais - A. Picard, 1949.
Auteur
Aix Marseille Univ, CNRS, TELEMME, Aix-en-Provence, France
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