À Florence, « lettrés » et « académiciens »
Sociabilités intellectuelles et identité urbaine au xviie siècle
p. 41-61
Texte intégral
1Érudits, collectionneurs, amateurs ne sont guère des dénominations usuellement employées dans les documents de l’âge classique. Elles sont probablement issues des reclassements opérés au cours du xixe siècle, lorsqu’un processus de professionnalisation, en cours au moins depuis le siècle précédent, a fini par distinguer ceux qui consacraient leur vie au savoir, et en retiraient revenus et statuts, et ceux pour qui les domaines du savoir étaient fréquentés en dehors ou à côté de leur vie professionnelle. Non qu’à l’âge classique ne s’affirme pas déjà une professionnalisation des métiers de l’esprit : la fameuse Piazza universale di tutte le professioni del mondo du chanoine Tommaso Garzoni, publiée à Venise en 1585, n’inventorie pas moins de 65 professions concernées par le travail intellectuel. Mais la « société » que forment ceux qui s’y adonnent se présente sous des appellations à la fois plus vagues et plus distinguées, dont la plus répandue et la plus englobante est celle de « letterato », qui désigne aussi bien nos modernes savants que des gens de lettres et, plus généralement encore, les milieux cultivés d’une ville1. Tris et différenciations s’effectuent alors au gré des transformations intellectuelles, dont la « conversion philologique » qui, selon Sebastiano Timpanaro, ferait passer, au début du xviiie siècle, du « letterato » à l’« erudito »2.
2Dans le monde italien, un des traits distinctifs de cet ensemble aux contours longtemps incertains est l’appartenance à des académies qui sont considérées, à suivre la première édition du Vocabolario degli Academici della Crusca publié à Venise en 1612, non comme un lieu de divertissement et de futilité, mais comme une « adunanza d’huomini studiosi », une assemblée de savants. Dans ce contexte, les académies italiennes ont joué, comme l’a fortement souligné Alphonse Dupront, un indéniable rôle sociologique : « Aussi sera-ce la vocation et le sens historique des académies dès la fin du xvie siècle, de constituer un milieu social où puisse se fortifier ou s’épanouir cette forme de culture neuve3. » Dupront s’en prenait ainsi à deux lieux communs historiographiques : celui qui voyait dans les académies de l’âge classique une forme routinisée, sclérosée de vie intellectuelle ; celui, qui nous importe ici, qui individualiserait à l’excès la figure du savant pour l’abstraire d’un milieu social hors duquel il ne pourrait déployer son activité.
3Le milieu intellectuel florentin au xviie siècle autorise aisément une mise à l’épreuve de cette suggestion de Dupront. Plutôt que d’isoler telle ou telle figure savante, il s’agira ici de tenter un portrait collectif, et de chercher à définir les effets intellectuels de cette vie commune autour de travaux de l’esprit qu’une historiographie austère a longtemps, en Italie, cherché à rabaisser et dévaloriser.
La « toile d’araignée » des académies
4À l’opposé des pays où les académies sont rares et ne regroupent qu’une élite restreinte d’esprits considérés comme éclairés, l’Italie présente une densité très élevée de lieux de sociabilité intellectuelle. Ce trait était bien connu des contemporains. Dès les premières lignes, l’article « Académie » de l’Encyclopédie de d’Alembert et Diderot le rappelle : « L’Italie seule a plus d’académies que tout le reste du monde ensemble. Il n’y a pas de ville considérable où il n’y ait assez de savans pour former une académie, et qui n’en forment une en effet4. » Les inventaires conduits à l’échelle de l’entière péninsule, tout imparfaits qu’ils soient, confirment largement ce simple constat : ils dénombrent quelque 400 académies créées au cours du xvie siècle, près de 900 au xviie siècle, et encore plus de 500 au xviiie siècle5. Quelle que soit l’approximation que comportent ces données, l’écart avec les pays voisins – rappelons, à titre d’exemples, les quelque 70 académies recensées par Alain Viala pour la France du xviie siècle, la trentaine d’académies de la France des Lumières étudiées par Daniel Roche ou la poignée des philosophical societies écossaises à la même époque6 – est tel qu’il rend inutile, pour une évaluation d’ensemble, d’affiner les données utilisées. Au niveau des principales villes de la péninsule, la densité associative tend à s’accroître : pour la période qui va du xvie au xviiie siècle, on connaît l’existence de 177 académies à Rome, 146 à Naples, 121 à Venise, 108 à Bologne, 69 à Florence, 63 à Sienne, 51 à Ferrare, 39 à Palerme, 37 à Padoue et 31 à Milan, pour s’en tenir aux plus importantes concentrations ; cette densité va de pair avec une extraordinaire diffusion du phénomène puisqu’un minimum de 342 centres urbains italiens ont connu l’activité d’au moins une académie durant la période7. Une enquête locale renforce encore le trait précédent : la ville de Florence, des années 1540 à la fin du xviiie siècle, a connu l’existence de près de 110 académies, soit 55 % de plus que dans l’inventaire de Michele Maylender. Par-delà ces simples évaluations, c’est l’exercice même de l’activité intellectuelle qui est façonné par ces structures de sociabilité. À partir du dossier florentin, quatre caractéristiques principales émergent avec force8.
5À Florence, les académies sont une réalité ancienne. Même si le primat historique des académies florentines, lié à la création hypothétique, dès le milieu du xve siècle, de l’académie platonicienne de Marsile Ficin, a été récemment remis en question9, leur existence remonte au moins à novembre 1540, avec la constitution formelle de l’académie des Umidi, qui se transforme, dans les mois qui suivent, en accademia fiorentina, sous l’impulsion du duc Côme Ier. Dès lors, les académies se multiplient à Florence, avec au minimum 24 créations au cours du xvie siècle, 35 au xviie siècle, et encore 27 au xviiie siècle10.
6Au-delà de la présence massive des académies, et de leur présence capillaire dans les milieux intellectuels, leur impact dépend aussi de leur stabilité. Avec l’académie Florentine (1541)11, l’académie de la Crusca, fondée en 1582, puis celle des Apatisti, fondée entre 1632 et 1637, le cœur du dispositif académique florentin demeure en effet presque inchangé jusqu’aux années 1780, lorsque le grand-duc Pierre Léopold réforme les institutions intellectuelles florentines dans leur ensemble (académies, bibliothèques, musées).
7À côté d’elles, un certain nombre d’autres académies développent leurs activités pendant quelques décennies, comme celle des Alterati (1568- vers 1630), celle, musicale, des Elevati (1607-1634)12, ou celle, très élitiste, des Svogliati (1620-1648 ?). Tout autour, des académies plus éphémères apparaissent et disparaissent au gré des regroupements d’individus ou des discussions en cours : le tissu académique dévoile alors sa réactivité, sa capacité à organiser des initiatives diverses, à soutenir des innovations savantes ou esthétiques. Ainsi, exemple fameux, pendant une dizaine d’années, de juin 1657 au printemps 1667, autour du prince Léopold de Médicis, se réunissent et travaillent une dizaine de savants, en plein cœur de l’espace de cour ; connus tardivement sous le nom d’académie du Cimento (de l’expérimentation ?), ils constituent une des premières académies scientifiques d’Europe, quelques années avant que ne se constitue la Royal Society de Londres13. Moins connue que le Cimento, l’académie des Percossi, académie littéraire ayant entre autres des activités théâtrales, est constituée vers 1646 par le peintre Salvator Rosa dans sa propre maison lorsqu’il vient s’installer à Florence ; elle cesse ses activités quelques années plus tard, avec le départ de Rosa de Florence pour Rome en 1650 ; l’entreprise avait pourtant connu un réel succès et obtenu la protection du cardinal Giovan Carlo de’ Medici14.
8Ces académies à durée relativement brève semblent particulièrement nombreuses dans les premières années du xviie siècle : à se limiter aux seules académies littéraires ou érudites, signalons, sans souci d’exhaustivité, celles des Antellesi, fondée en 1600 par Michelangelo Buonarroti le jeune, des Spensierati (1605-1609 environ), des Elevati (1607), déjà mentionnée, des Incostanti (1618), des Pellegrini (active dans les années 1620-1640), des Svogliati (créée d’abord sans nom spécifique en 1621), des Infiammati, créée en 1586, tombée en léthargie puis recréée en 1628, des Instancabili (1631), jusqu’aux Apatisti, qui s’organisent à partir de 1629.
9Cette grande variété institutionnelle, qui se double progressivement d’une diversité fonctionnelle, n’aboutit pas pour autant à la constitution de mondes séparés les uns des autres. Tout au contraire, l’appartenance simultanée de nombreux letterati à plusieurs académies au même moment, sans qu’il soit pour l’instant possible de la décrire statistiquement dans son ensemble, multiplie les liens entre individus mais aussi entre groupes ; cet entrecroisement des affiliations contribue à tramer finement un tissu intellectuel qui va de la cour grand-ducale au monde encore mal connu des artisans15. Si ces formes de multi-affiliation n’étaient pas encore très fréquentes au xvie siècle, la multiplication des académies finit par les rendre banales au siècle suivant16. La vie intellectuelle devient alors inséparable d’une sociabilité académique déclinée dans ses diverses dimensions.
Le letterato en tant qu’accademico
10Quelle que soit la sphère d’activité du letterato, ce dernier n’est jamais un individu isolé, qui passerait sa vie dans le silence de son cabinet ou s’adonnerait au travail solitaire dans une bibliothèque. Sa participation à la sociabilité académique ne fait que croître avec le développement de ces institutions. Mieux que des données quantifiées dont la relative incomplétude interdit pour l’instant un traitement statistique fiable, quelques portraits permettront d’en saisir l’étendue et l’ouverture.
Sept portefeuilles académiques
11À la fin du xvie siècle, Galileo Galilei (1564-1642) est déjà très inséré dans l’univers des académies. C’est probablement peu après avoir été admis à l’académie Florentine (il a alors un peu plus de vingt ans) qu’il prononce en séance, en 1588, deux discours sur la structure mathématique de l’Enfer de Dante17 ; il exercera beaucoup plus tard le consulat de l’académie pendant un an, en 162218. Devenu professeur à Padoue en 1592, il participe en 1599 à la formation de l’académie des Ricovrati. C’est sans doute lorsqu’il devient le précepteur du futur Côme II de Médicis qu’il est agrégé en août 1605 à la Crusca, dont il est conseiller en 1610-161119. Lors d’un voyage à Rome, il accepte de faire partie de l’académie des Lincei (printemps 1611), qui connaît alors un fort développement, en grande partie grâce à ses observations astronomiques qui ouvrent alors le débat sur Copernic20. Il entre aussi à l’académie florentine du Dessin en 161321.
12Lettré fort actif dans la première moitié du xviie siècle, Jacopo Gaddi (vers 1600-1668) fait figure d’entrepreneur académique. Membre de l’académie des Alterati (vers 1615 ?), de la Florentine (1616), de la Crusca (1626), il fonde, en novembre 1620, sa propre académie, qui prendra plus tard le nom d’académie des Svogliati (1635). Lieu important de la vie intellectuelle florentine à l’époque de Ferdinand II, elle est en particulier très fréquentée par les lettrés étrangers de passage, tels le Français Gabriel Naudé ou l’Anglais John Milton22. Gaddi est alors admis à l’académie des Incogniti, fondée à Venise en 1630 par Giovan Francesco Loredan23.
13Au milieu du siècle, le marquis Mattias Bartolommei (1640-1695) est l’un des courtisans les plus en vue de la cour du grand-duc : il devient en 1670 gentilhomme de la chambre à l’accession au trône du nouveau grand-duc Côme III. Entré très jeune à l’académie Florentine (1656) puis à celle de la Crusca (1661), aux Apatistes et à celle du Disegno, il est issu d’une famille très cultivée : son père Girolamo (1584-1662) était membre de la Crusca depuis 1613, des Apatisti depuis 1637-1638 ; assidu aux séances des Svogliati dans les années 1630, il y avait lu quelques-unes de ses pièces de théâtre, comme sa tragédie Clodovée24, et assuré, dans les années 1640, une lecture commentée de l’Éthique d’Aristote ; l’ensemble de ses drames musicaux (près d’une vingtaine de pièces) fait l’objet d’une édition à Florence en 165525. Mattias est lui aussi un écrivain de théâtre ; passionné par le théâtre espagnol du Siècle d’or, dont il possède une riche collection et qu’il traduit ou contribue à faire traduire, il est un membre particulièrement actif des académies théâtrales de la ville, dont celles des Affinati, des Infuocati et sans doute celle des Sorgenti. En 1689, il compte parmi les fondateurs d’une nouvelle institution d’éducation pour la noblesse, l’« accademia dei nobili », et figure parmi les tout premiers membres de la grande académie italienne des Arcades, fondée à Rome par Giovanni Mario Crescimbeni en 169026.
14Issu d’une famille d’Arezzo, Francesco Redi (1626-1698) arrive à Florence en 1642 lorsque son père, Gregorio, médecin renommé, devient archiatre du grand-duc Ferdinand II. Docteur en médecine de l’université de Pise (1647) et enregistré en avril 1648 au collège des médecins de Florence, il voyage pendant plusieurs années à travers l’Italie avant d’être admis à la cour. Il conduit alors une double carrière, de courtisan d’un côté, de letterato de l’autre, où il incarne une figure encyclopédique de médecin, de biologiste expérimentateur, de poète mais aussi d’érudit – il réalise un recueil, resté manuscrit, d’inscriptions antiques, déjà prêt en 1655. Homme de science, il est un membre actif de l’académie du Cimento, sous le puissant patronage du prince Léopold de Médicis, de 1657 à 1667 ; protomédecin du grand-duc en 1666, il poursuit dans la « pharmacie » (spezeria) du grand-duc des expériences de biologie animale, sur les vipères ou sur la génération des insectes, qui sont fortement insérées dans la vie de cour27. Dans les années 1670, Redi est devenu, pour reprendre l’expression d’un de ses contemporains, l’« arbitre » de la vie intellectuelle florentine : il s’est en effet construit une forte position, grâce à son entrée à l’académie de la Crusca (juillet 1655 – le prince Léopold de Médicis en est alors le protecteur), dont il exerce l’archiconsulat de 1678 à 169028 ; il est également membre de l’académie des Apatisti (probablement dans les mêmes années) et de l’académie Florentine (1666). Professeur de langue toscane à l’université (studio) de Florence en 1665, il s’intéresse à la fois à la langue – en novembre 1658, il a été désigné comme « député à la correction du vieux dictionnaire de la Crusca » (dès janvier 1659, il commence le dépouillement de nombreuses œuvres, manuscrites et imprimées, et joue ainsi, pendant plus de trente ans, un rôle central dans l’élaboration de la troisième édition du Vocabolario della Crusca, dédiée à Côme III et publiée en 169129) –, et à la poésie ; dans ce domaine, il s’efforce de favoriser un renouveau littéraire en redonnant vie aux discussions esthétiques dans l’académie et en proposant, contre Dante, un retour à Pétrarque, perçu comme un modèle de régularité poétique, retour dont il donne l’exemple en écrivant lui-même des sonnets pétrarquisants30. Rien d’étonnant dès lors à ce qu’il figure parmi les premiers membres de l’académie des Arcades (fondée en 1690), où il entre dès 1691 sous le nom d’Anicio Traustio ; il s’emploie presque aussitôt à transformer l’académie des Forzati de sa ville natale, Arezzo, académie dont il était membre, en colonie de l’Arcadie, la première à être ainsi créée dans la péninsule31. Sa réputation de savant le conduit à accepter en 1671 de devenir membre à distance, sans obligation de participer aux séances, de l’académie des Gelati de Bologne : Geminiano Montanari (1633-1687), un proche de l’académie du Cimento dans les années 1658-1661, devenu professeur de mathématiques à l’université de Bologne en 1664, propose en effet de l’associer à l’académie bolonaise, avec deux autres Florentins illustres, Carlo Dati et Lorenzo Magalotti, ainsi que Niels Stensen, un anatomiste danois alors en résidence à Florence32. C’est une des toutes premières mentions d’académicien correspondant, statut qui sera officialisé, entre autres, par l’académie royale des sciences de Paris lors de la réforme de ses statuts en 1699.
15Il serait possible d’ajouter à loisir d’autres exemples à ceux que nous venons de détailler, sans nous éclairer davantage. L’importance de la sociabilité académique ressort plus fortement encore d’un argument qui est, d’une certaine façon, un argument a contrario : même les individus qui se présentent comme les plus réticents à la vie associative, qu’il s’agisse des académies ou de la cour, n’arrivent pas à lui échapper. Evangelista Torricelli (1608-1647), un des principaux disciples de Galilée, passe généralement pour un esprit rebelle aux « mondanités » : il n’en est pas moins membre de la Crusca dès 1642, de la Florentine en 1644, et il participe à l’académie des Percossi, dans la maison du peintre Salvator Rosa33. Encore plus frappant est le cas du bibliothécaire de Côme III, Antonio Magliabechi (1633-1714), fréquemment décrit à l’époque comme le nouveau Diogène : sale, repoussant, agressif voire hétérodoxe, il se refuserait à toute forme de civilité pour consacrer la totalité de son temps aux activités de l’esprit34. Le portrait a du succès. Pour Salvo Mastellone, c’est « un misanthrope qui vit parmi les livres35 ». Or Magliabechi vit, et même vit essentiellement des relations qu’il recherche et entretient, à Florence, mais aussi hors de Florence : sa bibliothèque est un lieu de sociabilité intense, fréquentée en grand nombre aussi bien par des Florentins que par des étrangers de passage ; son réseau de correspondants s’étend bien au-delà des frontières de la péninsule et compte au cours de sa vie, des années 1660 à son décès en 1714, près de 2 300 personnes. Alors qu’il a dépassé les 60 ans et que sa renommée est à son apogée, Magliabechi adopte la vie académique. Hors de sa ville d’abord : c’est sans doute son agrégation à l’Arcadie, en 1698, à 65 ans, qui active le processus. L’année suivante, en 1699, il devient membre de l’académie Florentine, et en devient aussitôt secrétaire, charge qu’il conserve pendant quinze ans, jusqu’à sa mort36. La même année, en avril 1699, il participe à la fondation d’une académie littéraire très mal connue par ailleurs, celle des Remoti, à laquelle le grand-duc concède l’autorisation de se réunir dans la salle de l’université (studio), et dont Magliabechi devient consul en 170137. En 1702, il figure parmi les membres de l’académie des Spensierati de Rossano, petite ville du royaume de Naples, à peine recréée par l’abbé Giacinto Gimma qui, probablement, tenait ainsi à le remercier pour son agrégation la même année à l’académie Florentine, dont Magliabechi assurait la correspondance38. Nous n’avons, il est vrai, aucune trace de l’entrée de Magliabechi à la Crusca. Il n’en reste pas moins que, même si la liste est certainement incomplète, elle démontre amplement que Magliabechi a lui aussi accepté l’affiliation académique selon les deux modalités qu’elle revêt désormais : locale, elle manifeste la participation à la sociabilité intellectuelle urbaine et l’insertion dans un milieu intellectuel ; distante, elle apparaît en Italie dans les années 1670 et témoigne que la réputation d’un letterato a dépassé le « petit monde » dans lequel il vit et travaille pour contribuer à légitimer la représentation d’une « République des Lettres ». Elle rend ainsi manifeste, plus largement, le rôle des académies dans la vie intellectuelle, dès lors que les savants tendent à se représenter comme formant une communauté produite par l’entrelacement des réseaux d’échange et le partage d’intérêts et de valeurs.
Titre académique et statut intellectuel
16S’il n’est pas utile de revenir sur le rôle intellectuel des académies dans la vie intellectuelle urbaine39, il nous importe ici de préciser leur rôle dans la définition progressive du statut du letterato, dès lors notamment que sa réputation se joue hors de son espace urbain d’origine. Au moment où se répandent, en Italie, les dénominations honorifiques pour préciser le statut social des individus (comme, par exemple, cavaliere ou nobile, suivi de l’indication de la ville, sans compter les titres de noblesse), l’affiliation académique s’introduit, et d’une certaine façon s’impose comme un outil d’affirmation des hiérarchies lettrées. Dès les années 1540, plusieurs membres de l’académie Florentine mentionnent leur affiliation lors de la publication d’un ouvrage40. Les académiciens « alterati » suivent la même pratique dans les dernières décennies du siècle41. La mention de l’affiliation académique se banalise au cours du xviie siècle, dès lors qu’un auteur entend publier un ouvrage, et ce quel que soit le type d’ouvrage, poésie, théâtre, histoire, science, etc.
17Cette pratique contribuant, en retour, au prestige de l’académie, les académies édictent des règles pour encadrer la pratique en contrôlant les œuvres ainsi labellisées et en faisant, en quelque sorte, de l’affiliation un signe de distinction. Les statuts de l’académie musicale des Elevati, rédigés en 1607, prévoient ainsi qu’il est interdit de faire imprimer une œuvre « col nome di Accademico Elevato » sans qu’elle ait été au préalable soumise au censeur de l’académie et que l’avis de ce dernier n’ait été approuvé par les académiciens42. La même disposition est prévue par l’académie des Spensierati dans ses nouveaux statuts de 160743 ; cette académie envisage également la possibilité de publications collectives, sous le nom de l’académie : les œuvres de ses membres, une fois acceptées, seront recopiées sur le « livre des compositions » et imprimées dès qu’elles seront assez nombreuses, grâce à une taxe extraordinaire décidée par le prince de l’académie44. La très active académie des Svogliati, dans les années 1630-1640, soumet elle aussi les ouvrages de ses membres à une censure interne préalable, qui confère à la fois à leur auteur une forme de réputation, et tend aussi à le protéger collectivement des censures politiques et ecclésiastiques qui s’exercent alors45.
18Cette forme de présentation de l’auteur révèle alors deux séries de phénomènes. Ni stable ni exhaustive, l’affichage de l’affiliation met en relief un élément qui est inséparable du contexte de publication : statut citoyen, patronage revendiqué ou souhaité figurent ainsi seuls ou associés aux indications de la position professionnelle ou de l’affiliation académique. Ceci est visible par exemple avec les publications successives de Galilée, dont nous connaissons par ailleurs l’art consommé d’utiliser les ressources disponibles et de négocier des positions recherchées46. En 1607, lorsqu’il fait paraître à Venise sa Difesa contro alle calunnie & imposture di Baldessar Capra milanese, il se présente avec son statut socio-politique, qui a un sens fort à Venise, celui de « nobile fiorentino » (noble de la ville de Florence), qu’il fait suivre de son activité professionnelle – « lettore delle mattematiche nello studio di Padova » –, c’est-à-dire professeur dans l’université la plus prestigieuse de la République de Venise, celle de Padoue. Trois ans plus tard, le Sidereus nuncius, publié d’abord à Florence en mars 1610 puis à Venise, ne mentionne plus que le statut de « patritio fiorentino » (patricien de Florence). Galilée a commencé ses tentatives d’approche de la cour de Florence, où en avril il fait observer les satellites de Jupiter, qu’il rebaptise alors « astres médicéens », en l’honneur de son élève, le grand-duc Côme II. En juillet 1610, Galilée s’installe à Florence : des fonctions qu’il exerce désormais (premier mathématicien de l’université de Pise), il ne retient que les plus prestigieuses ; ainsi, dans son Discorso al serenissimo don Cosimo 2. gran duca di Toscana intorno alle cose, che stanno in su l’acqua, publié à Florence en 1612, il se présente comme « filosofo, e matematico della medesima altezza serenissima », mettant ainsi en avant le titre le plus prestigieux de tous, celui de philosophe47. Les travaux suivants sont publiés à Rome : Galilée n’indique alors plus que son appartenance à la fameuse académie des Lincei, comme dans l’édition, en 1613, de son Istoria e dimostrazioni intorno alle macchie solari, livre publié chez Giacomo Mascardi, et dédié à Marco Velseri « Linceo » ; l’ouvrage porte en plus sur le frontispice les armes de l’académie des Lincei. Galilée, publiant à Rome sous les auspices de cette académie, délaisse toutes ses autres fonctions et affiliations. Ce qui n’est plus totalement le cas dix ans plus tard lorsque, publiant, toujours chez Giacomo Mascardi, son fameux Il saggiatore, il fait alors figurer une titulature plus complète, mais qui ignore toujours les affiliations aux académies florentines : « acc[ademic]o linceo nobile fiorentino filosofo e matematico primario del ser[enissi]mo Gran Duca di Toscana ». L’ouvrage, dont le frontispice porte les armes du pape et de l’académie des Lincei, se présente sous la forme d’une lettre adressée au « maestro di camera » du pape, Virginio Cesarini (1595-1624), lui-même membre des Lincei, et est dédié au pape Urbain VIII Barberini, lui aussi membre des Lincei.
19Sans être aussi plastique que dans le cas de Galilée, l’indication sur le frontispice des ouvrages des affiliations académiques est à l’évidence une ressource importante dans une opération éditoriale. La publication, tout en s’insérant clairement dans son contexte (professionnel, institutionnel, citadin, clientélaire), doit donner des indications à l’éventuel lecteur pour l’aider à identifier l’ouvrage lui-même. Ainsi, alors que la pluri-affiliation est devenue la situation la plus courante au xviie siècle, les auteurs ne revendiquent le plus souvent qu’une seule affiliation, rendant ainsi manifeste une hiérarchie symbolique qu’ils reconnaissent ou qu’ils veulent soutenir. Francesco Rovai (1605-1646), membre de l’académie Florentine depuis 1620 – il en est consul en 1645 –, admis aux Apatistes dans les années 1631-1634 puis aux Svogliati dans les mêmes années, docteur en droit de l’université de Pise en 1628, est présenté comme « accademico fiorentino » lorsque son frère le chanoine Niccolò Rovai publie en 1652 ses Poesie, imprimées par la très officielle imprimerie grand-ducale et dédiées au cardinal Giovan Carlo de’ Medici, frère du grand-duc Ferdinand II et protecteur de plusieurs académies florentines. Tout au long de sa vie, Francesco Redi, dès lors qu’il publie un ouvrage – compte rendu d’expériences scientifiques aussi bien qu’œuvre littéraire –, ne fait mention que de son appartenance à la Crusca, devenue dans la seconde moitié du xviie siècle une sorte d’académie officielle, désormais plus proche du pouvoir ducal que l’académie Florentine ; plusieurs d’entre eux, comme les Osservazioni intorno alle vipere (1664) ou les Esperienze intorno alla generazione degl’insetti (1668), adoptent la forme d’une publication de l’académie, portant son emblème et sa devise sur le frontispice du livre. À la différence du titre nobiliaire ou de l’identification citadine, le « titre académique » lie l’expression du prestige à l’appartenance à un groupe défini par le partage de pratiques en un certain sens professionnelles. Ainsi le marquis Mattias Maria Bartolommei, membre des plus prestigieuses académies de la ville, n’affiche-t-il que son affiliation à des académies théâtrales dès lors qu’il publie une pièce de théâtre : à l’académie des Affinati48 quand il publie sa comédie Le glose cautele (Florence, 1668, rééditée à Bologne, 1669, 1676, 1694, et à Rome, 1676), ou à l’académie des Infuocati49 pour une autre comédie, Amorce. Opera a caso, publiée la même année à Florence avec, sur le frontispice, l’emblème de l’académie. Auteur à succès à la fin du xviie siècle, Simone Grassi (né vers 1650), florentin lui aussi, ne semble pas avoir appartenu à une importante académie florentine : sur ses publications – Li sponsali tra’ nemici, auuenimento scenico (Bologne, 1688), L’amazone del celibato, o sia La vergine parigina. Opera sagra (jouée à Florence en 1691 ; Bologne, 1691, rééd. 1694), ou Il Roggiero o vero la costanza combattuta. Opera tragicomicamorale (jouée et publiée à Florence en 1693 ; Bologne, 1693) –, il mentionne toujours qu’il est membre des Infecondi, une académie romaine qui, fondée en 1613, consacrait l’essentiel de ses séances à la lecture et au commentaire d’œuvres tant de prose que de poésie, en concurrence ouverte, à la fin du siècle, avec la toute jeune Arcadie50. Un de ses contemporains, Pietro Francesco Minacci, lui aussi florentin, auteur de plusieurs pièces à succès – Il Bernardone comedia (Rome, 1675), Le cadute auuenturose ouero la S. Teresa opera sagra, e scenica (Bologne, 1683), La finta serva, scherzo comico (Rome, vers 1680 ; Bologne, 1683), Il pazzo per gelosia, secondo scherzo dramatico (Rome, 1687), toutes publiées hors de Florence –, se présente toujours comme membre de l’académie florentine des Apatistes, comme si l’affiliation étrangère l’emportait sur toute affiliation locale.
20Il serait sans doute intéressant de poursuivre plus avant l’enquête. Elle renforcerait probablement l’importance de ces communautés de référence que sont, au xviie siècle, les académies, auxquelles les individus n’adhérent pas d’eux-mêmes mais par lesquelles ils sont cooptés. Ce mécanisme d’agrégation est en effet fondamental pour comprendre la dimension civique du letterato dans la société florentine, c’est-à-dire sa constitution comme partie prenante d’une cité, à travers le fonctionnement de l’académie et le partage d’un certain nombre de valeurs culturelles, indissociables de l’histoire florentine.
Vie académique et identité urbaine
21L’académie n’est pas seulement l’espace propre à la vie intellectuelle. Elle est une forme qui régule discussions et débats, qui propose, ou impose, les thèmes et les sujets d’investigations ou de réflexion. En ce sens, la vie intellectuelle de l’érudit ou du savant doit s’articuler à celle de l’académie, qui contribue en retour à façonner un profil spécifique de letterato, de savant, et à configurer un milieu intellectuel. À Florence, l’académie comporte ainsi une dimension profondément citadine, selon une triple acception, politique, sociale et culturelle.
Les formes citadines des rituels académiques
22Au modèle antique initial qui a pu, au xve siècle, permettre l’élaboration du modèle académique, conçu comme un groupe de disciples unis autour de l’enseignement d’un maître, s’est très rapidement ajoutée, notamment dans le cas de Florence, la forme médiévale de la cité italienne. Même si la référence antique se maintient par moments, elle s’est souvent transformée, pour devenir celle de la cité antique, grecque, et plus encore romaine. En Italie, l’académie n’est pas un équipement culturel destiné à la constitution d’une capitale qui, grâce à elle, rayonnerait en attirant des savants étrangers ou en imposant ses objets, ses critères, ses valeurs. Elle est d’abord un élément de la vie urbaine, dont le fonctionnement reprend de très près celui qui caractérise depuis l’époque communale toutes les institutions citadines51. Nombre d’actions qui scandent la vie de l’académie (les recrutements, la désignation des officiers, les rituels collectifs…) reprennent ainsi les formes pratiques adoptées par la Florence communale, et ce tout au long du xviie siècle52. L’académie des Instancabili, rénovée en avril-mai 1632, organise des exercices littéraires variés, « orazioni, poesie, suggetti di comedie, imprese, lettere », ainsi que des fêtes théâtrales53. Ses statuts mettent clairement en évidence la structure « citadine » de son organisation. Elle est dirigée par des officiers – un consul, deux conseillers, un secrétaire, deux censeurs, un provéditeur, un camerlingue et un trésorier – dont les mandats sont de quatre mois ; leur désignation s’effectue selon des procédures employées à l’époque républicaine, combinant scrutin (squittino), constitution de bourses (imborsazione) et tirage au sort (tratta), pour éviter l’exercice personnalisé du pouvoir ou la formation de factions. Le premier dimanche de juin, quatre bourses sont constituées, dont seront extraits trois fois par an (les premiers dimanches d’août, décembre et avril) les noms des futurs officiers. Chaque académicien doit obtenir trois quarts des voix pour que son nom soit introduit dans l’une des bourses, selon une procédure méticuleusement codifiée54. Les noms ayant recueilli les trois quarts des votes sont introduits dans la bourse correspondante (la première pour le consul, la seconde pour le secrétaire, la troisième pour le provéditeur, la quatrième pour les conseillers, le camerlingue et le trésorier). Pour qu’un académicien tiré au sort puisse exercer la charge, il faut qu’il ne soit pas soumis à un interdit (délai minimum exigé entre deux charges, absence de proches parents parmi les autres officiers…), qu’il ne soit pas inscrit sur le registre du specchio (y figurent les académiciens qui ne se sont pas acquittés de leurs obligations, le plus souvent financières, mais aussi intellectuelles, comme la présentation régulière d’une œuvre), enfin qu’il accepte la charge (tout refus étant soumis à une amende, d’un montant d’une lire chez les Instancabili)55. Ces modes de désignation ne sont en rien contradictoires avec l’existence d’un protecteur princier, appartenant souvent à la famille des Médicis. La mise en tutelle de l’académie ne vide pas pour autant de leur sens les dispositifs longuement décrits dans les statuts : ce n’est pas tant en effet le système de pouvoir qui est ici concerné que les représentations partagées qui confèrent à l’académie sa cohésion et donnent sens à la participation de ses membres.
23Ces procédures, que l’on retrouve dans leurs grandes lignes à l’œuvre dans la plupart des académies florentines, forgent ainsi un type particulier de letterato, que le fondateur de l’académie des Apatistes, l’avocat Agostino Coltellini, a dénommé « cittadino accademico », modèle de savant ou de lettré citoyen que l’on pourrait peut-être prendre comme cellule élémentaire de la plus vaste « République des Lettres »56.
L’« académicien citoyen »
24Cette forme citadine de sociabilité savante est encore renforcée par la sociologie des membres des académies. Quatre grands traits caractérisent en effet ces letterati.
25Tout d’abord, les académies florentines du xviie siècle n’accueillent qu’un nombre très limité d’étrangers. Sur les 1 536 académiciens agrégés à l’académie Florentine durant tout le xviie siècle, on ne compte qu’une poignée de non-Italiens, et que quelques dizaines d’Italiens qui ne résident pas à Florence. De sa création, en 1582 à la fin de la période médicéenne en 1737, l’académie de la Crusca n’a accueilli que 29 étrangers sur 630 académiciens (4,6 %). Seuls les Apatistes semblent faire exception à la règle, se spécialisant dans l’accueil temporaire d’étrangers de passage57. Dès lors, l’admission d’un étranger fait figure de réalité hors norme, telles celles du prince Ludwig von Anhalt, reçu à la Crusca en juillet 160058, de l’Anglais John Milton qui, arrivé à Florence en juillet 1638, est reçu chez les Apatistes et chez les Svogliati59, de Gabriel Naudé, alors à Rome au service du cardinal Francesco dei Conti Guidi da Bagno, accueilli chez les Svogliati tout comme il l’avait été auparavant chez les Umoristes de Rome et les Assorditi d’Urbino60, ou de Nicolaas Heinsius, fils du grand humaniste Daniel Heinsius, et son compagnon de voyage, l’Allemand Luca Langerman, reçus à la Crusca61. Tout se passe en fait comme si, ordinairement, il fallait être citoyen de la ville pour être académicien.
26C’est sans doute le même principe qui peut justifier l’exclusion absolue des femmes au cours d’un long xviie siècle, entre l’admission aux Alterati en 1575 d’Éléonore de Tolède, nièce d’Éléonore de Tolède, épouse de Côme Ier 62, et celle de la poétesse pisane Maria Selvaggia Borghini, dame de la grande-duchesse Vittoria, aux Apatistes dans les dernières années du xviie siècle, au moment où, en 1691, elle est également agrégée à l’Arcadie romaine63. C’est probablement cette pratique nouvelle, introduite et développée par l’Arcadie, qui permettra à un tout petit nombre de femmes de se faire admettre dans certaines académies florentines au cours du xviiie siècle. Mais les portes de la Crusca ou de la Florentine leur resteront totalement fermées.
27Ce sont ainsi des hommes, issus des principales familles de la noblesse florentine, qui constituent la quasi-totalité des académiciens florentins au xviie siècle. On retrouve dans leur rang tous les grands noms de l’ancienne oligarchie communale, devenue la noblesse de Florence depuis que les grands-ducs ont progressivement imposé leur autorité sur la ville et sur l’État. Les trente familles florentines les plus présentes aussi bien à l’académie Florentine qu’à celle de la Crusca regroupent plus du quart des académiciens. À se limiter à quelques noms de famille célèbres, on dénombre, au cours du xviie siècle et dans la seule académie Florentine, 49 Strozzi, 28 Capponi, 23 Ricasoli, 20 Rucellai, 18 Pucci, 13 Gondi, 12 Corsini ; et les Médicis, avec 24 académiciens, sont loin d’être les plus nombreux. La présence massive des familles de la noblesse de la ville fait du milieu académique une sorte de dérivé du reggimento de la Florence de la fin de la République, ce corps politique où se recrutait la totalité du personnel politique et qui était le cœur du dispositif florentin.
28Si les académies accueillent, bien évidemment, les compétences intellectuelles (professeurs, titulaires de doctorats universitaires, avocats et juristes, auteurs), ces dernières ne constituent jamais qu’une minorité : moins d’une centaine des membres de l’académie Florentine figure parmi les Scrittori fiorentini recensés par Giulio Negri vers 1720, alors qu’à cette date l’académie a accueilli, depuis sa création, plus de 2 500 membres64. Cette présence oligarchique apparaît encore plus fortement si l’on considère la mise à l’écart du monde des artisans et des « arts mineurs », présent dans les premières années de l’académie Florentine et exclu à partir des années 155065. Le monde des artisans ne se retrouve plus au xviie siècle que dans des académies plus modestes, notamment un certain nombre d’académies théâtrales, les plus prestigieuses d’entre elles restant elles aussi réservées à la noblesse.
Un creuset de la culture citadine
29Parmi les thèmes et les questions examinés et discutés au sein de ces académies, la grande tradition florentine occupe une place majeure, qu’il s’agisse des investigations autour de la langue – centrales politiquement et culturellement dès la formation de l’académie Florentine sous l’impulsion de Côme Ier, au cœur de l’activité de la Crusca mais aussi des Alterati ou des Apatisti66 –, de la connaissance des auteurs qui ont constitué le toscan en langue littéraire ou des recherches sur l’histoire florentine dans ses multiples dimensions. Les académies participent ainsi à une construction culturelle de la cité, dont les letterati sont les principaux acteurs ou protagonistes.
30Plutôt que de reprendre ici les discussions sur la langue, fortement alimentées au xviie siècle par les trois éditions, en 1612, 1623 et 1691, du Vocabolario de l’académie de la Crusca, il est plus pertinent d’examiner la place attribuée aux écrivains phares de la culture florentine. Au milieu du xvie siècle, après trente années d’intense travail collectif, entre 1540 et 1570, c’est le poète Dante qui est devenu la référence centrale des lettrés florentins, non seulement à l’académie Florentine67 mais aussi aux Alterati (créés en 1569), puis, plus tard, à la Crusca. En 1590, cette dernière décide de réaliser une ambitieuse édition critique de la Commedia, établie à partir de 90 textes et d’une cinquantaine de manuscrits, opération qui fait de Dante l’auteur le plus cité de la première édition du Vocabolario (1612)68. La réussite de cette opération exceptionnelle est sans doute l’une des raisons de l’absence totale de nouvelle édition de la Commedia tout au long du xviie siècle, ce qui ne signifie nullement sa disparition du monde savant florentin : le nombre des commentaires prouve à lui seul le contraire69. Rappelons en particulier ceux du grammairien Benedetto Buonmattei (1581-1648) qui consacra pendant des années ses leçons (on en connaît 466), tant à l’académie Florentine qu’à sa chaire de langue toscane, à Pise puis à Florence, au commentaire de l’œuvre de Dante70 ; ou ceux, plus attirés par une réflexion esthétique que philologique ou érudite, de Lorenzo Magalotti (1637-1712), rédigés vers 1665 alors que l’académie scientifique du Cimento, dont Magalotti est secrétaire, restreint son activité71.
31Dante, qui est également au cœur des discussions des Apatisti72, reste ainsi un auteur majeur, ce qui n’exclut pas un intérêt renouvelé pour Boccace qui, après l’épisode délicat des éditions expurgées des années 1560-1580 répondant à sa mise à l’Index romain en 155973, est remis à l’honneur notamment par les Apatisti, qui reprennent également les discussions sur les Trionfi de Pétrarque74. Dante, Pétrarque, Boccace : la trilogie fondatrice reste ainsi intacte, tout comme la volonté de conserver au toscan le statut de langue de référence dans l’entière péninsule, ce dont témoigne l’ambitieuse initiative de Carlo Dati (1619-1676), membre entre autres des Apatisti (1636), de la Florentine (1636), des Svogliati (1639), de la Crusca (1640), des Percossi (vers 1646) et du Cimento (1657), lorsqu’il publie, en 1661, le premier volume de ses Prose fiorentine, recueil de textes destiné à mettre en valeur tous les auteurs florentins contemporains, qui paraît avec l’emblème de la Crusca sur le frontispice.
32L’autre domaine qui contribue à construire un univers intellectuel spécifique, et qui marque durablement le portrait collectif des letterati florentins, est l’importance de l’histoire florentine et plus largement toscane. Certes, cette histoire peut poser problème, et Caroline Callard a brillamment montré l’opposition entre un xvie siècle qui voit la publication de nombreuses histoires de Florence, de Machiavel à Scipione Ammirato, et un xviie siècle où ces histoires générales disparaissent, au cœur d’enjeux idéologiques et politiques majeurs75. L’histoire n’en reste pas moins présente, sous d’autres formes comme les histoires de familles, les biographies de saints ou de personnages illustres, les éditions de textes d’auteurs florentins ou toscans, voire de manuscrits rares conservés dans la bibliothèque du grand-duc. En témoigne la place centrale, dans la vie culturelle et académique de la ville, d’un personnage comme Carlo Strozzi (1587-1670), le « père des Antiquités », qui s’est efforcé, sa vie durant, d’organiser une archive-mémoire de la ville dans sa propre bibliothèque. Pour nombre d’académiciens, appartenant à la noblesse, l’histoire est d’abord celle des familles qui ont composé le corps politique citadin à l’époque communale. Au début du siècle, la compilation d’un certain Piero Monaldi, restée manuscrite mais très largement présente dans les bibliothèques nobles de la ville, avait contribué à en répandre le genre76. Elle a sans doute invité à développer les monographies familiales, nombreuses au xviie siècle, inégales d’un point de vue savant et restées en très grande partie manuscrites. Vers 1605, un modeste fonctionnaire des Tratte, Francesco Segaloni, constitue une petite académie, récemment redécouverte, qui réunit chez lui pendant une trentaine d’années un petit groupe d’aristocrates érudits pour, d’un côté, établir la liste définitive de ceux qui avaient exercé les magistratures suprêmes au temps de la République, de l’autre, rédiger sur archives l’histoire des familles des membres de cette petite académie d’antiquités77. Au même moment, des membres de l’académie des Svogliati, comme Jacopo Gaddi ou Alessandro Adimari, publient ou rédigent leur histoire familiale78. L’histoire de la patria continue ainsi de figurer au programme des séances des académies. Exemple parmi d’autres, en janvier 1642 lors d’une séance des Svogliati, l’abbé Niccolò Baccetti, un moine cistercien florentin de l’abbaye de Settimo, lit « un petit morceau de son Histoire florentine » – très probablement son Epitome historiarum florentinarum, dédié au grand-duc Ferdinand II et resté manuscrit jusqu’à nos jours79. Quelques années plus tard, le même académicien présente son commentaire sur un des épisodes majeurs de la Florence médiévale, la guerre dite de Semifonte, une des villes rivales que Florence prend et rase en 120380. Ainsi l’histoire n’a-t-elle jamais disparu, tout au long du siècle, de l’horizon académique81.
33Faute d’une étude plus approfondie, signalons, à titre d’exemple, les recherches sur les familles aristocratiques développées dans les dernières décennies du siècle par Bernardo Benvenuti (1634-1700), un ecclésiastique florentin membre de l’académie Florentine qui fut, entre autres, chargé par le grand prince Ferdinand de Médicis de mettre au point la liste des prieurs de la République florentine82. L’histoire semble toutefois avoir perdu pour un temps l’importance qu’elle avait eue dans les premières décennies du siècle, pour revêtir par la suite, au début du xviiie siècle, un aspect plus immédiatement idéologique, voire politique avec, d’une part, la question de la succession de Toscane, dès lors que la dynastie des Médicis, faute de descendant mâle, sera vouée à disparaître83, et d’autre part le nouvel essor des études sur les Étrusques84.
34Dans une ville-État marquée, à l’époque moderne, par la constitution d’un système monarchique appuyé sur une cour, l’ancienne tradition citadine constitue le ciment culturel des milieux érudits et savants. L’essor du patronage princier ne fait pas obstacle à la force des structures de sociabilité, qui épousent les formes d’organisation de la politique citadine. Loin d’être des figures isolées, érudits et savants ne peuvent s’étudier sans la pluralité des affiliations académiques et des relations qu’elles établissent. Ils participent tous ainsi à une sphère citadine, constituée en culture référentielle largement partagée, qu’ils ont contribué à élaborer à partir du milieu du xvie siècle, dans la continuité revendiquée d’une tradition urbaine qui n’exclut en rien une convergence croissante avec les intérêts du prince.
Notes de bas de page
1 Maria Pia Donato, « Le strane mutazioni di un “identità” : il “letterato” a Roma, 1670-1750 », in Biagio Salvemini, dir., Gruppi ed identità sociali nell’Italia di prima età moderna. Percorsi di ricerca, Bari, Edipuglia, 1998, p. 275-314.
2 Sebastiano Timpanaro, « Postilla su Maffei e Muratori », in Id., Classicismo e illuminismo nell’Ottocento italiano, Pise, Nistri-Lischi, 1973, p. 360.
3 Alphonse Dupront, L. A. Muratori et la société européenne des Pré-Lumières. Essai d’inventaire et de typologie d’après l’“Epistolario”, Florence, Olschki, 1976, p. 49.
4 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres, Paris, Lebreton, I, 1750, p. 56.
5 Amedeo Quondam, « L’Accademia », in Alberto Asor Rosa, dir., Letteratura italiana, I, Il letterato e le istituzioni, Turin, Einaudi, 1982, p. 846-847 ; les données proviennent du dépouillement complet de l’ouvrage de Michele Maylender, Storia delle accademie d’Italia, Bologne, L. Cappelli, 5 vol., 1926-1930, complété par Giuseppe Gabrielli, « Repertorio alfabetico e bibliografico delle Accademie d’Italia nell’opera di M. Maylender », Accademie e Biblioteche d’Italia, X, 1936, p. 71-99.
6 Alain Viala, Naissance de l’écrivain. Sociologie de la littérature à l’âge classique, Paris, Éditions de Minuit, 1985, p. 17 ; Daniel Roche, Le siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1680-1789, Paris / La Haye, Mouton, 2 vol., 1978 ; Kathleen Holcomb, « A Dance in the Mind : the Provincial Scottish Philosophical Societies », Studies in Eighteenth-Century Culture, XXI, 1991, p. 89-100. L’ouvrage, par ailleurs tout à fait exceptionnel, de Peter Clark, British Clubs and Societies, 1580-1800. The Origins of an Associational World, Oxford, Oxford University Press, 2000, ne propose pas d’inventaire des « sociétés savantes » britanniques.
7 A. Quondam, « L’Accademia », art. cit., p. 886-898.
8 Pour une présentation détaillée des données et de la bibliographie, voir J. Boutier, Maria Pia Paoli, « Letterati cittadini e principi filosofi. I milieux intellettuali fiorentini tra Cinque et Settecento », in J. Boutier, Brigitte Marin, Antonella Romano, dir., Rome, Naples, Florence. Une histoire comparée des milieux intellectuels italiens (xviie-xviiie siècles), Rome, École française de Rome, 2005, p. 367-373.
9 James Hankins, « The Myth of the Platonic Academy of Florence », Renaissance Quarterly, XLIV, 1991, p. 429-475 ; « The Invention of the Platonic Academy of Florence », Rinascimento, 2e s., XLI, 2001, p. 3-38.
10 L’enquête a été conduite par J. Boutier et M. P. Paoli, avec la collaboration de Nicola Michelassi et Salomé Vuelta pour les académies ayant une activité théâtrale. Sur les 113 académies actuellement identifiées, nous ignorons la date exacte de création de 20 d’entre elles, actives aux xviie et xviiie siècles. Une liste provisoire figure dans J. Boutier, B. Marin, A. Romano, dir., Rome, Naples, Florence…, op. cit., p. 384-388.
11 Dans notre article, « Florentine » avec une majuscule renvoie toujours à l’Accademia Fiorentina, créée en 1541.
12 Edmond Strainchamps, « New Light on the Accademia degli Elevati of Florence », The Musical Quarterly, LXII, 1976, p. 507-535.
13 Parmi une riche bibliographie, William Edgar Knowles Middleton, The Experimenters. A Study of the Accademia del Cimento, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1971 ; Paolo Galluzzi, « L’accademia del Cimento : “gusti” del principe, filosofia e ideologia dell’esperimento », Quaderni Storici, XVI, 1981, p. 788-844 ; Marco Beretta, Antonio Clericuzio, Lawrence M. Principe, dir., The Accademia del Cimento and Its European Context, Sagamore Beach, Mass., Science History Publications, 2009.
14 M. Maylender, Storia delle accademie d’Italia, op. cit., IV, p. 262-265 ; quelques éléments in Jonathan Scott, Salvator Rosa. His Life and Time, New Haven / Londres, Yale University Press, 1995 ; Salvator Rosa, Lettere, éd. par Gian Giotto Borrelli, Bologne, Il Mulino, 2003.
15 Sur les effets sociaux de ces enchaînements d’affiliation, cf. J. Boutier, M. P. Paoli, « Letterati cittadini e principi filosofi… », art. cit., p. 372-373.
16 Les données qui suivent proviennent pour l’essentiel de la base de données que nous avons construite à partir de 3 900 membres des académies florentines, entre xvie et xviiie siècle. Sur cette base de données, cf. J. Boutier, « Les membres des académies florentines à l’époque moderne. La sociabilité intellectuelle à l’épreuve du statut et des compétences », in Id., B. Marin, A. Romano, dir., Rome, Naples, Florence…, op. cit., p. 405-443.
17 Les deux discours figurent dans Galileo Galilei, Opere, éd. Antonio Favaro, Florence, Giunti, 1890-1909, IX, p. 29-57.
18 A. Favaro, « Galileo console dell’Academia Fiorentina », Atti e Memorie dell’Accademia di Scienze, Lettere ed Arti in Padova, IX, 1892-1893, p. 26-31 ; Salvino Salvini, Fasti consolari dell’accademia fiorentina, Florence, Tartini et Franchi, 1717, p. 393-446.
19 Paola Manni, « Galileo accademico della Crusca », in La Crusca nella tradizione letteraria e linguistica italiana, Florence, Accademia della Crusca, 1985, p. 119-136.
20 Raffaello Morghen, « The Academy of the Lincei and Galileo », Cahiers d’Histoire mondiale / Journal of World History / Cuadernos de Historia mundial, VII, 2, 1963, p. 365-382 ; Richard S. Westfall, « Galileo and the Accademia dei Lincei », in Paolo Galluzzi, dir., Novità celesti e crisi del sapere. Atti del convegno internazionale di studi galileiani, Florence, Olschki, 1984, p. 189-200. Pour une mise au point récente sur les Lincei, voir Saverio Ricci, « I Lincei : l’invenzione della mediazione accademica. Nuova scienza, religione, vita civile », in Sciences et religions : de Copernic à Galilée (1540-1610). Actes du colloque international organisé à Rome, 12-14 décembre 1996, Rome, École française de Rome, 1999, p. 205-234. À noter que l’approche novatrice de Marco Biagioli, Galileo, Courtier, Chicago, University of Chicago Press, 1993, ne prend pas fortement en considération la dimension académique, dont il faudrait préciser les liens avec la cour grand-ducale ; cf. la discussion de David Gentilcore, « Galileo Networker », Studies in the History and Philosophy of Science, XXV, 1994, p. 809-816.
21 Luigi Zangheri, dir., Gli accademici del disegno : elenco alfabetico, Florence, Olschki, 2000.
22 Sur l’activité de Gaddi, Caroline Callard, « Publier la réputation : la folie d’un patricien florentin », in Christian Jouhaud, Alain Viala, dir., De la publication entre Renaissance et Lumières, Paris, Fayard, 2002, p. 181-197.
23 Monica Miato, L’accademia degli Incogniti di Giovan Francesco Loredan. Venezia (1630-1661), Florence, Olschki, 1998.
24 Biblioteca nazionale Centrale, Florence [désormais BNCF], ms., IX, 60, fol. 69, séance du 13 décembre 1640 ; la pièce est publiée peu après : Clodoveo trionfante : tragedia sacra di Girolamo Bartolomei già Smeducci, Florence, Amadore Massi e Lorenzo Landi, 1644, p. xvi-140.
25 Tragedie di Girolamo Bartolommei, già Smeducci. Ricorrette, ed accresciute, 2e éd., Florence, Pietro Nesti, 1655, 2 vol. (1re éd., Rome, Francesco Cavallo, 1632).
26 Cf. l’article de N. Di Blasi dans le Dizionario biografico degli Italiani, vol. 6, Rome, Istituto Treccani, 1964, p. 790-791.
27 Paula Findlen, « Controlling the Experiment : Rhetoric, Court Patronage and the Experimental Method of Francesco Redi », History of Science, XXXI, 1993, p. 35-64 ; plus généralement, sur Redi homme de sciences, voir Walter Bernardi, « Il naturalista del Granduca : la carriera di uno scienzato e poeta aretino alla corte dei Medici », in Id., dir., Natura e immagine. Il manoscritto di Francesco Redi sugli insetti delle galle, Pise, Edizioni ETS, 1997, p. 11-28 ; Id., Luigi Guerrini, dir., Francesco Redi un protagonista della scienza moderna. Documenti, esperimenti, immagini, Florence, Olschki, 1999 ; Pascal Duris, « L’introuvable révolution scientifique. Francesco Redi et la génération spontanée », Annals of Science, LXVII, 2010, p. 431-455.
28 Sur l’activité de Redi à la Crusca dans les années 1655-1659, cf. son livre de « ricordi », Arezzo, Biblioteca della Città di Arezzo, ms. 299.
29 Guglielmo Volpi, Le falsificazioni di Francesco Redi nel Vocabolario della Crusca, Florence, Accademia della Crusca, 1917.
30 Carlo Alberto Madrignani, « La poetica di Francesco Redi nella Firenze letteraria di fine Seicento », Belfagor, XV, 1960, p. 402-414.
31 Maria Veschi, « L’accademia dei Forzati. Nuovi documenti », Atti e Memorie dell’Accademia Petrarca di Lettere, Arti e Scienze, LI, 1990, p. 409-445.
32 Gino Tellini, « Tre corrispondenti di Francesco Redi. Lettere inedite di G. Montanari, F. D’Andrea e P. Boccone », Filologiae Critica, I, 1976, p. 414-418.
33 La preuve de sa participation se trouve dans un poème qu’il y a récité : Florence, Bibliothèque Riccardienne [désormais Bibl. Ric.], ms. 1949, fol. 1-8, Encomio del secolo d’oro.
34 Caroline Callard, « Diogène au service des princes : Antonio Magliabechi à la cour de Toscane (1633-1714) », Histoire, Économie, Société, XIX, 2000, p. 85-103. Si C. Callard analyse d’une part « l’introuvable sociabilité du bibliothécaire » (p. 98), elle souligne aussitôt l’importance de sa sociabilité informelle, qui lui assure un étonnant réseau de relations intellectuelles à Florence même.
35 Salvo Mastellone, « Antonio Magliabechi : un libertino fiorentino ? », Il Pensiero politico, VIII, 1975, p. 41.
36 S. Salvini, Fasti consolari dell’accademia fiorentina, op. cit., p. 644 et 663 ; il n’est pas certain qu’il ait été aussi absent que le suppose C. Callard, à la suite du témoignage d’Anton Francesco Marmi (« Diogène au service des princes… », art. cit., p. 98).
37 Bibl. Ric., ms. 1949, fol. 27-46.
38 « Catalogo degli accademici spensierati » (décembre 1702), in Giacinto Gimma, Elogi accademici della Società degli Spensierati di Rossano, II, Naples, T. Troise, 1703, p. 441-448. Sur cette académie, cf. M. Maylender, Storia delle accademie d’Italia, op. cit., V, 1930, p. 239-243. Sur Gimma, cf. Cesare Vasoli, « Giacinto Gimma », Studi settecenteschi, XVI, 1996, p. 43-60.
39 Sur l’académie comme « lieu par excellence du travail érudit », je me permets de renvoyer, pour le cas de Florence, à J. Boutier, M. P. Paoli, « Letterati cittadini e principi filosofi… », art. cit., p. 367-373.
40 Parmi plusieurs dizaines d’ouvrages, [Giovan Battista Gelli, académicien depuis janvier 1541], Commedia di Giouan Batista Gelli accademico fiorentino chiamata la Sporta, Florence, s.n., 1543 ; Il Gello di m. Pierfrancesco Giambullari [1495-1555, académicien depuis décembre 1540] accademico fiorentino, Florence, Doni, 1546 ; Rettorica, et Poetica d’Aristotile tradotte di greco in lingua vulgare fiorentina da Bernardo Segni [1504-1558, académicien depuis février 1541] gentil’huomo, & accademico fiorentino, Florence, Torrentino, 1549 ; L’architettura di Leonbatista Alberti tradotta in lingua fiorentina da Cosimo Bartoli [1503-1572, académicien depuis décembre 1540] gentil’huomo & accademico fiorentino. Con la aggiunta de disegni, Florence, Torrentino, 1550 ; Il furto comedia di M. Francesco d’Ambra [1499-1558, académicien depuis février 1541] cittadino, e accademico fiorentino, Florence, Giunti, 1560.
41 Par exemple, [Giovanni De’ Bardi, 1534-1612, membre des Alterati depuis 1574], Discorso sopra il giuoco del calcio fiorentino. Del Puro Accademico Alterato, Florence, Giunti, 1580.
42 Bibl. Ric., ms. 2547, chap. 14, publié dans E. Strainchamps, « New light on the Accademia degli Elevati of Florence », art. cit., p. 535. Marco Da Gagliano, Nell’Accademia degl’Elevati l’Affannato, utilise immédiatement cette possibilité pour la publication de son cinquième livre de madrigaux (Venise, A. Cardano, 1608) (ibid., p. 521).
43 BNCF, ms., VI, 163, chap. 11, art. 3, fol. 19r.
44 Ibid., fol. 18v.
45 Cf. la brillante démonstration de C. Callard, « Publier la réputation… », art. cit.
46 M. Biagioli, « Galileo’s System of Patronage », History of Science, XXVIII, 1990, p. 1-62.
47 Sur la hiérarchie entre philosophes et mathématiciens, cf. M. Biagioli, « The social status of Italian mathematicians », History of Science, XXVII, 1989, p. 41-95.
48 Cette académie avait été créée dans les années 1640 par un groupe de nobles, sous le patronage du cardinal Léopold de Médicis, frère du grand-duc : Salomé Vuelta García, « Accademie teatrali nella Firenze del Seicento : l’accademia degli Affinati o del Casino di San Marco », Studi Secenteschi, LXII, 2001, p. 357-378.
49 Cette académie, née d’une scission avec l’académie des Concordi en 1652, regroupe des membres issus de milieux plus modestes que la précédente : cf. Alessandra Maretti, « Dal teatro del principe alla scena dei virtuosi. Indicazioni sul mecenatismo di Mattias de’ Medici (1629-1666) », Medioevo e Rinascimento, VI, n.s. III, 1992, p. 195-209.
50 C. De Sanctis, « Discorso storico sull’origine, progresso e ristaurazione dell’Accademia degli Infecondi », in Prose e versi degli Accademici Infecondi, I, Rome, G. Salomoni, 1764, p. xl-xlv.
51 Ce développement reprend la démonstration que j’ai déjà donnée dans « Les membres des académies florentines à l’époque moderne », art. cit., p. 425-431.
52 Cet aspect, fondamental, des académies florentines a été relevé, entre autres, par Michel Plaisance, qui note que les Humidi sont « une institution académique calquée sur les institutions politiques florentines traditionnelles » : M. Plaisance, « Une première affirmation de la politique culturelle de Côme Ier : la transformation de l’Académie des “Humidi” en académie florentine (1540-1542) », in André Rochon, dir., Les écrivains et le pouvoir en Italie à l’époque de la Renaissance, 1re série, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1973, p. 409.
53 BNCF, ms., IX, 92, Capitoli dell’Accademia degl’Instancabili (31 mai 1632).
54 Ibid., p. 12.
55 Ibid., p. 13-16.
56 Sur cet idéal-type florentin de l’académicien, cf. J. Boutier, « Les membres des académies florentines à l’époque moderne », art. cit., p. 421-425.
57 Une liste, confuse et chaotique, reconstituée dans les années 1740 par Anton Francesco Gori et qui couvre les années 1632-1686, donne de l’institution un profil très différent, caractérisé par le nombre élevé des membres et par leur grande diversité. Publiée par Alessandro Lazzeri, Intellettuali e consenso nella Toscana del Seicento. L’Accademia degli Apatisti, Milan, 1983, p. 67-101, cette liste fait actuellement l’objet d’une analyse critique.
58 Severina Parodi, Catalogo degli accademici dalla fondazione, Florence, Accademia della Crusca, 1983. Son journal de voyage a été partiellement traduit par Alfred von Reumont, « Descrizione di Firenze nell’anno 1598 di Lodovico principe di Anhalt, nell’Accademia della Crusca l’Acceso », Archivio Storico Italiano, n.s., X (2), 1859, p. 101-117. Le prince fonda en 1617 à Weimar la première académie littéraire allemande, la Fruchtbringende Gesellschaft, sur le modèle de la Crusca – purifier la langue allemande et encourager l’activité littéraire, en particulier la poésie –, et en resta le protecteur jusqu’en 1650 : Richard J. W. Evans, « Learned Societies in Germany in the Seventeenth Century », European Studies Review, VII, 1977, p. 131-132.
59 A. Lazzeri, Intellettuali e consenso nella Toscana del Seicento, op. cit., p. 74 ; BNCF, ms., IX, 60, registre de l’académie des Svogliati, fol. 48r, 16 septembre 1638 ; Milton assiste aux séances des 16 et 17 septembre 1638, puis, à son retour, à celles des 17, 24 et 31 mars 1639, durant lesquelles il lit des compositions latines.
60 BNCF, ms., IX, 60, registre de l’académie des Svogliati, fol. 71r, 28 février 1640. Sur les liens tissés par Naudé avec les milieux intellectuels italiens durant ses séjours à Padoue, puis à Rome, cf. Anna Lisa Schino, « Incontri italiani di Gabriel Naudé », Rivista di Storia della Filosofia, XLIV, 1989, p. 3-36.
61 Admis tous les deux le 11 septembre 1652 à la Crusca : cf. S. Parodi, Catalogo degli accademici dalla fondazione, op. cit., p. 100, notices 314-315. Selon la lettre de dédicace à Carlo Dati de ses Poemata. Accedunt J. Rutgersii, quæ quidem colligi potuerunt, Leyde, Elsevir, 1653, Heinsius aurait aussi été accueilli à l’académie florentine et à celle des Apatistes.
62 Le caractère tout à fait exceptionnel de cette agrégation est souligné dans un privilège qui lui est accordé en juin 1575 ; le document figure dans le journal de l’académie (Bibliothèque Laurentienne, ms. Ashburnham 558, vol. 1) et est publié dans M. Maylender, Storia delle accademie d’Italia, op. cit., I, p. 156.
63 M. P. Paoli, « “Come se mi fosse sorella”. Maria Selvaggia Borghini nella Repubblica delle lettere », in Gabriela Zarri, dir., Per lettera. La scrittura epistolare femminile tra archivio e tipografia, secoli xv-xvii, Rome, Viella, 1999, p. 517 et 521 ; Anna Maria Giorgetti Vichi, dir., Gli Arcadi dal 1690 al 1800. Onomasticon, Rome, s.n., 1977, p. 128. Sur la fermeture de la Crusca aux femmes, et sur les tentatives de M. S. Borghini pour y rentrer, voir M. P. Paoli, « “Come se mi fosse sorella”… », art. cit., p. 523-524.
64 Giulio Negri, Istoria degli scrittori fiorentini […], con la distinta nota delle loro opere, Ferrare, B. Pomatelli, 1722, recense alphabétiquement quelque 1 600 écrivains florentins, des origines au début du xviiie siècle.
65 Judith Bryce, « The Oral World of the Early Accademia Fiorentina », Renaissance Studies, IX, 1995, p. 77-103.
66 Sergio Bertelli, « Egemonia linguistica come egemonia culturale e politica nella Firenze cosimiana », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, XXXVIII, 1976, p. 249-283 ; plus largement, voir S. Parodi, dir., Gli atti del primo Vocabolario, Florence, Sansoni, 1974 ; Bernard Weinberg, « Argomenti di discussione letteraria nell’Accademia degli Alterati (1570-1600) », Giornale storico della Letteratura italiana, CXXXI, 1954, p. 175-194.
67 En particulier, Armando L. De Gaetano, « Dante and the Florentine Academy : the Commentary of G. B. Gelli as a Work of Popularization and Textual Criticism », Italica, XLV, 1968, p. 146-170 ; Delmo Maestri, « Le “letture” di Giovan Battista Gelli sopra la Commedia di Dante nella cultura fiorentina dei tempi di Cosimo I de’ Medici », Lettere italiane, XXVI, 1974, p. 3-24 ; Giancarlo Mazzacurati, « Dante nell’Accademia fiorentina (1540-1560) (Tra esegesi umanistica e razionalismo critico) », Filologia e Letteratura, XIII, 1967, p. 258-308.
68 S. Parodi, Quattro secoli di Crusca : 1583-1983, Florence, Accademia della Crusca, 1983, p. 21 et p. 25-26.
69 Umberto Limentani, « La fortuna di Dante nel Seicento », Studi secenteschi, V, 1964, p. 3-49 (avec une bibliographie des commentaires sur Dante, p. 37-40). Sur l’importance de Dante au xviiie siècle, voir Antonio Panella, « Firenze e il secolo critico della fortuna di Dante », Archivio storico italiano, LXXIX, 1921, p. 97-122.
70 Giuseppe Tavani, « Dante e la cultura del Seicento », in Id., Dante nel Seicento. Saggi su A. Guarrini, N. Villani, L. Magalotti, Florence, Olschki, 1976, p. 52-54.
71 Giuseppe Tavani, « Lorenzo Magalotti e il “commento” sui primi cinque canti dell’Inferno », in ibid., p. 137-167.
72 Edoardo Benvenuti, « Un dantofilo a Firenze nel secolo xvii », Giornale dantesco, XVIII, 1910, p. 134-146.
73 Claudia Tapella, Mario Pozzi, « L’edizione del “Decameron” del 1573 : lettere e documenti sulla rassettatura », Giornale storico della Letteratura italiana, CLXV, 1988, p. 54-84, 196-226, 366-398, 511-544 ; P. M. Brown, « Aims and Methods of the Second “Rassettatura” of the Decameron », Studi secenteschi, VIII, 1967, p. 3-41.
74 A. Lazzeri, Intellettuali e consenso nella Toscana del Seicento, op. cit., p. 59-60.
75 C. Callard, Le Prince et la République. Histoire, pouvoir et société dans la Florence des Médicis au xviie siècle, Paris, Presses de l’Université Paris Sorbonne, 2007. L’ouvrage propose un traitement en profondeur de la question qui fait désormais référence. Sur la parution posthume du second volume des Histoires florentines de S. Ammirato en 1641, voir C. Callard, « L’Inquisiteur, le Prince et l’historien : l’année 1641 à Florence », xviie siècle, 51, 1999, p. 449-468.
76 J. Boutier, « Un “Who’s who” de la noblesse florentine au xviie siècle : L’Istoria delle famiglie della città di Firenze de Piero Monaldi », in Joël Fouilleron, Guy Le Thiec, Henri Michel, dir., Sociétés et idéologies des Temps modernes. Hommage à Arlette Jouanna, Montpellier, Presses de l’université Paul-Valéry, 1996, t. I, p. 79-100.
77 Sur cette académie, son activité et sa production, voir J. Boutier, Construction et anatomie d’une noblesse urbaine. Florence à l’époque moderne, xvie-xviiie siècle, thèse de doctorat de l’École des hautes études en sciences sociales, 1988, chap. II ; C. Callard, Le Prince et la République…, op. cit., p. 332-349.
78 Jacopo Gaddi, Trattato istorico della famiglia de’ Gaddi, Padoue, Frambotto, 1642 ; Alessandro Adimari, Memorie appartenenti alla famiglia degl’Adimari…, Bibl. Ric., ms. 2071, p. 57-148, sans date ; à noter qu’Adimari, lecteur de grec à l’université (studio) de Florence, est membre de la Florentine, de la Crusca, des Alterati, des Svogliati et des Apatisti.
79 BNCF, ms., IX, 60, actes de l’académie des Svogliati, fol. 84v, 30 janvier 1642 ; le manuscrit de Niccolò Baccetti (vers 1567-vers 1647), qui va de la fondation de Florence jusqu’au principat des Médicis, est conservé dans BNCF, ms., XXXVII, 339. Aucun Baccetti ne figure dans notre base de données des académiciens florentins. Sur son œuvre, voir Domenico Moreni, Bibliografia storico-ragionata della Toscana, Florence, Ciardetti, 1805, I, p. 57-58.
80 BNCF, ms., IX, 60, actes de l’académie des Svogliati, fol. 101v, 14 mars 1646. Le manuscrit, intitulé De bello semifontano commentarius, est conservé à la BNCF (D. Moreni, Bibliografia storico-ragionata della Toscana, op. cit., t. 1, p. 57). C. Callard, Le Prince et la République…, op. cit., p. 386, en signale une autre copie à la Biblioteca apostolica Vaticana, Lat. 7028, fol. 170-209. Sur Semifonte, cf. Paolo Pirillo, « La fondazione di Semifonte tra il mito e la storia », in Jade Vlietstra, dir., La cupola di San Michele Arcangelo. Progetti per Semifonte. Atti del convegno, Florence, Aida, 2000, et Id., Semifonte in Val d’Elsa e i centri di nuova fondazione dell’Italia medievale. Atti del convegno, Florence, Olschki, 2004.
81 Sur le rôle de l’histoire à l’académie des Svogliati, cf. C. Callard, Le Prince et la République…, op. cit., p. 382-394.
82 Alfonso Mirto, « Lettere di Antonio Magliabechi a Bernardo Benvenuti », Studi secenteschi, XXXIX, 1998, p. 205-242, et « Lettere di Giovanni Battista Bidelli junior a Bernardo Benvenuti », Culture del Testo, 10-11, 1998, p. 71-84.
83 Mario Benvenuti, « L’erudizione al servizio della politica : la polemica per la successione di Toscana », Nuova Rivista Storica, XLII, 1958, p. 484-506 ; Marcello Verga, Da “cittadini” a “nobili”. Lotta politica e riforma delle istituzioni nella Toscana di Francesco Stefano, Milan, Giuffrè, 1990, p. 34-45.
84 Mauro Cristofani, La scoperta degli etruschi : archeologia e antiquaria nel ’700, Rome, Consiglio nazionale delle ricerche, 1983.
Auteur
École des hautes études en sciences sociales, Centre Norbert Elias, Marseille
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