Sic transit gloria mundi ou le simple corps du pape Borgia
“Sic transit gloria mundi”, or the simple royal body
p. 99-116
Résumés
La monarchie pontificale de la Renaissance est sans doute le plus beau contre-exemple à la théorie des deux corps du roi de Kantorowicz, tant l’abaissement de la dignité papale lors des obsèques était spectaculaire. L’exemple des funérailles du pape Borgia, Alexandre VI (1492-1503) est sans doute le plus significatif, tant le récit du cérémoniaire Johannes Burckard multiplie à leur propos les humiliations subies par le corps du pontife. Justement, le récit de Burckard n’échappe cependant pas à une véritable rhétorique de la caducité qui émaille les récits de funérailles pontificales depuis la fin du Moyen Âge. Les pontifes de la Renaissance ont manifestement entrepris de conjurer ce sort funèbre en développant les monuments funéraires durables à leur effigie. Dans ce contexte, le cas des pontifes Borgia est un contre-exemple étonnant.
The Renaissance papal monarchy is probably one of the best counter-examples of Kantorowicz’s theory of the two royal bodies, such was the spectacular lowering of papal dignity during their funerals. The example of the funeral of Alexander VI (the Borgia Pope, 1492–1503) is probably the most significant, in so far as the narrative of the Master of Ceremonies, Johannes Burkhart, mentions a multitude of humiliations inflicted upon the pontiff’s corpse. Indeed, Burkhart’s narrative does not escape the rhetoric of caducity which punctuates narratives of papal funerals from the end of the Middle Ages onwards. The Renaissance popes had clearly tried to ward off this destiny by making everlasting funerary monuments with their effigies. In this context, the failure of the Borgia papal dynasty is a striking counter-example.
Texte intégral
« Certes, le pape ne possède pas, comme le roi, deux corps1 […]. »
1On a pu souligner combien la découverte des thèses d’Ernst Kantorowicz relative à la théologie politique des rituels monarchiques d’Ancien Régime avait tout à la fois été d’une fécondité historiographique remarquable et suscité une véritable « idolâtrie », notamment en France2. Si, de fait, Les Deux Corps du roi ont par leur propre influence – mais aussi grâce aux travaux des cérémonialistes américains, à commencer par ceux du premier disciple Raph Giesey3 – conduit à privilégier dans le domaine de la ritualité politique monarchique l’observation de la théorie d’un double corps royal et, par là même, à mesurer en quelque sorte à cette aune la conformité ou les écarts des réalités cérémonielles du temps4, pareil cadre conceptuel put parfois manquer d’autres modalités d’expression idéologique. Certains régimes monarchiques européens ont ainsi constitué des exceptions exemplaires : la monarchie pontificale, au sortir du Moyen Âge, offre sans doute le plus beau démenti d’un monarque doté d’un seul et unique corps. Pourtant, même en son sein, la force heuristique du modèle kantorowiczien y a comme tracé un chemin historiographique. Si, pour cette même monarchie, Paolo Prodi reprit, le temps d’un titre, l’image duelle du modèle de Kantorowicz pour souligner par contraste l’unicité du corps du pontife au regard d’un dualisme cette fois purement fonctionnel – prince et pasteur, « pape-roi5 » ; si, plus récemment, Agostino Paravicini Bagliani recourut à l’image d’une visibilité de deux corps pontificaux6, pourtant l’idéologie ecclésiale, pour complexe et variable qu’elle ait été, ne fit semble-t-il jamais sienne l’image d’une double corporalité, du moins coïncidant intrinsèquement en la personne du pontife. Elle avait pris cependant soin, à partir du xiie siècle, d’indiquer que le Pape, autrefois simple « vicaire de Pierre » (vicarius Petri), parce qu’il s’identifiait toujours davantage avec l’Église et par conséquent avec le Christ, non seulement participait des deux natures de ce dernier, mais jouissait en quelque sorte de deux personnes (à défaut de deux corps) : la personne du souverain pontife et sa propre personne physique7. Proximité périlleuse : plus on faisait du pape la « persona Christi » plus la dissociation entre les deux personnes (pape et homme) devenait « indispensable8 », et la caducité de l’homme qui avait été brièvement pape se devait d’être d’autant plus soulignée face à l’éternité de l’institution ecclésiale, incarnée plus récemment par le Sacré Collège le temps de l’interrègne9.
2Pareille différence de nature entre la monarchie pontificale (voire impériale, toutes deux étant électives) et celle proprement royale (comme la française ou l’anglaise) n’avait d’ailleurs pas échappé à l’un des plus fameux jurisconsultes de la fin du Moyen Âge, Baldo degli Ubaldi, qui dans son commentaire aux Décrétales affirmait : « deux choses coïncident dans le roi : la personne et l’essence ; et cette essence, qui a trait à l’intellect, survit éternellement, par miracle, même si sa survivance n’est pas corporelle, puisque, si le roi venait à manquer, le Roi fonctionnerait certainement en lieu et place de deux personnes », « le Roi survi[vant] au roi », alors que la Papauté (comme l’Empire) ne pouvait avoir deux corps, faute d’institution dynastique10. Agostino Paravicini Bagliani et plus récemment Maria Antonietta Visceglia ont, respectivement pour les périodes médiévale et moderne, mis en œuvre l’étude de cette singularité radicale11. Cette dernière présupposait, tout à la fois, dès lors que des obsèques se tenaient, une sacralité dissociée de la dépouille pontificale, une forme d’honneurs funèbres rendus au souverain pontife défunt et une étroite association du Sacré Collège, récent dépositaire de la sacralité ecclésiale12. Comment dans cette monarchie absolue, dont le souverain était salué, le temps de son règne et grâce au renouveau de la théocratie pontificale, de dominus mundi13, le corps du prince défunt pouvait-il si aisément être ramené à celui de simple mortel sans dommages symboliques pour l’institution papale ? De quelles conséquences étaient l’abandon quasi rituel du cadavre pontifical, son embaumement (ou son absence) et la révérence (ou les gestes d’irrévérence) à l’égard du corps défunt14 ? Comment, enfin, alors que la plupart des États monarchiques s’employaient à conjurer le péril inhérent à toute suspension de la charge suprême, le Saint-Siège pouvait-il, en quelque sorte, s’offrir le luxe d’une vacance, en apparence suffisamment ritualisée pour abriter une longue suite de cérémonies centrée sur la dépouille pontificale ? Observer la mise en œuvre de cette liturgie à l’occasion des funérailles d’Alexandre VI (1492-1503) a paru pouvoir jeter une lumière, en apparence des plus crues, sur un rituel qui, pour codifié qu’il ait alors été, n’en paraît pas moins encore fragile au moment du décès du pape Borgia († 18 août 1503)15.
3Voici comment l’implacable Burckard décrivit l’apparence du corps d’Alexandre VI avant ses funérailles :
Nous l’avons dit, pendant tout ce temps, le pape avait été laissé derrière la grille de l’autel majeur, entouré de quatre torches allumées. Son visage était devenu toujours plus sombre et affreux, au point qu’aux environs de la vingt-troisième heure, lorsque je l’ai vu, il était de la couleur d’un linge excessivement sombre ou, si l’on veut, d’un nègre. Il avait le visage gonflé, le nez gonflé, la bouche béante, tandis que la langue, qui avait doublé de volume, remplissait tout l’espace entre les lèvres : c’était un spectacle si affreux que de l’avis général on n’avait jamais rien vu de pareil16.
4Rien ne soulignait peut-être autant la vanité du pouvoir temporel du pape, soigneusement rappelée au nouvel élu lors de son couronnement par le brûlement d’étoupe et la formule « ainsi passe la gloire mondaine » (« sic transit gloria mundi »)17, que la complaisance mise par le cérémoniaire à décrire pareillement les conditions d’exposition du cadavre d’Alexandre VI dans la vieille basilique Saint-Pierre :
Mais l’évêque de Sessa [Martin Zapata] craignit qu’en laissant l’accès libre au peuple il ne se produisît un scandale – il redoutait que l’un de ceux auxquels le pape avait fait du tort ne veuille se venger – et il fit à nouveau déplacer le cercueil du lieu susdit à l’entrée de la chapelle, sur les marches ; les pieds du pape furent tournés et appuyés à la grille et aux portes, de sorte que l’on puisse les toucher avec la main à travers cette grille. Il resta là tout le jour : et la grille demeura toujours fermée18.
5Au-delà de la désapprobation quant à l’exposition publique d’une dépouille pontificale, par crainte d’éventuelles manifestations de dévotion populaire19, c’était bien la déchéance (encore relative) du pouvoir Borgia à Rome qui était aussi signifiée. L’oraison funèbre prononcée par Alessio Celadoni, quelques jours plus tard, ne devait d’ailleurs pas passer sous silence les défauts du défunt. Il faut cependant parvenir à démêler dans ce récit la simple hostilité d’un cérémoniaire à l’égard d’Alexandre VI d’usages séculaires en vigueur à la mort d’un pape, qui, si l’on n’y prenait garde, pourraient sembler ici particulièrement déshonorants. Pour cela, l’examen du déroulement des faits, voire leur reconstitution, devrait permettre d’établir un départ plus strict entre les enjeux propres au texte du cérémoniaire, le poids d’une rhétorique de dépréciation et la part d’usages rituels.
Issue funeste
6Après plusieurs jours d’incertitude, où diplomates et familiers du Palais demeurèrent à l’affût de nouvelles, l’annonce, le 19 août, de la mort du pape ouvrit la vacance du Siège apostolique (sede vacante)20. Pareille période s’était révélée suffisamment cruciale dans la transmission du pouvoir pontifical pour avoir fait l’objet au cours des siècles précédents d’une lente théorisation, fixée manifestement depuis la fin du xiiie siècle par la constitution Ubi periculum (1274) due au pape Grégoire X21. La conception même de la vacance comme les étapes rituelles qui la composaient reposaient sur les principes suivants : la caducité de la personne du pape, être mortel, et la pérennité de l’Église, fondée sur la continuité de ses institutions, image de l’immortalité du « pontife éternel », le Christ22. La conjonction de tels principes n’était toutefois pas sans conséquence. L’essor des rituels funéraires dans la monarchie pontificale (au même titre que dans les monarchies séculières contemporaines, française et anglaise23), accordait ici un statut nouveau à la dépouille papale et empêchait de fait les cardinaux de donner un successeur au pape défunt jusqu’à la sépulture véritable de ce dernier. Rites de préparation, honneurs funèbres, dont l’exposition du corps, conduisaient ainsi jusqu’à une période liturgique essentielle, dite des novemdiales (littéralement « de neuf jours »), ou « neuvaine ». Au cours de celle-ci une grand’messe quotidienne devait être dite en présence du catafalque sur lequel reposait (ou avait reposé) la dépouille mortelle du pontife. Ce n’était donc qu’à l’issue de ce temps cérémoniel, de plus en plus codifié, que pouvait s’ouvrir un conclave24. Entre-temps, le Sacré Collège avait eu toute latitude, à l’issue des messes quotidiennes, pour se concerter et s’acquitter des tâches proprement politiques qui lui incombaient, afin d’organiser au mieux la vacance du Siège.
7La mort d’un souverain pontife, même prévisible, comprenait toutefois presque toujours des désordres25. Les forces politiques, représentées par le pouvoir familial voire clanique qui risquait de disparaître, celles bridées par ce dernier, ou celles encore qu’incarnaient ouvertement et de longue date les adversaires déclarés des Borgia (en l’espèce Orsini, Colonna, Caetani, Savelli26…), toutes attendaient le macabre signal pour commencer à jouer leur partie. Si la constitution Ubi periculum avait, entre autres finalités, la conjuration de semblables troubles, la papauté de la Renaissance avait en outre entrepris, sans doute dès le pontificat de Paul II (1464-1471), la rédaction d’un nouveau cérémonial, remis officiellement en 1488 au prédécesseur d’Alexandre VI, Innocent VIII (1484-1492), par Agostino Patrizi, son principal auteur27. Par nature, ce nouveau texte codifiait l’ensemble des manifestations de la personne papale y compris, pourrait-on dire, lors de l’interrègne pontifical, où elle faisait partiellement défaut28. Mais à l’occasion de la première crise de succession, inopinée, les usages qu’un tel cérémonial sanctionnait ou entendait promouvoir se révélèrent sans doute encore trop peu assurés pour résister aux pressions d’une force politique suffisamment déterminée à tout tenter pour la sauvegarde de ses intérêts, en l’espèce celle incarnée par César Borgia. Le déroulement des faits se laisse approcher grâce au récit d’un Burckard, absent toutefois du Palais au cours des premières heures29.
Désordres et lieux communs
8Le récit des funérailles d’Alexandre VI par Johannes Burckard, sans être lui-même toutefois exempt de toute incohérence, mentionne plus d’une défaillance dans la mise en œuvre du cérémonial. Que faut-il voir dès lors dans ces traits : la volonté du maître des cérémonies d’humilier une dernière fois le pontife vis-à-vis duquel il semble n’avoir éprouvé qu’une constante aversion, quitte à travestir son propre récit, ou autant d’affleurements d’une rhétorique sur la caducité du pape visible dans sa mort, rhétorique qui parcourrait ainsi tout discours tenu sur l’événement funèbre ?
Premiers troubles
9La « maladie » d’Alexandre VI, si différente de la longue agonie d’Innocent VIII, avait pris de court des institutions ecclésiales dont le jeu devait être le probable gage d’un interrègne à peu près serein. L’absence simultanée, au Palais, du premier cérémoniaire, du cardinal camerlingue de l’Église, Raffaele Sansoni Riario dit le cardinal Saint-Georges (proche de son cousin Giuliano Della Rovere)30, du vice-chancelier Ascanio Sforza et, manifestement, également de son vicaire, Giovanni Sacchi31, avait été mise à profit pour laisser le Sacré Collège dans l’ignorance des événements. L’occultation temporaire de la mort d’Alexandre VI avait ainsi permis aux hommes de César Borgia de s’emparer du Trésor pontifical. D’autres troubles survinrent dans la suite des funérailles. Si ce fut indépendamment de toute nouvelle action des Borgia, le coup de force initial de César ne fut pas là non plus sans conséquences.
10Dans son gouvernement de l’Église et dans sa mort, Alexandre VI, bien qu’empreint de cette dignité pontificale si soigneusement codifiée par Patrizi (et accessoirement par Burckard)32, avait comme miné de l’intérieur des usages trop peu consacrés par le temps, en associant étroitement ses proches à l’exercice d’un pouvoir par nature monarchique33, intimité qui les avait conduit jusques au cœur de l’édifice palatial, tel César. Cela contribua à accroître le trouble inhérent à toute succession. La première des forces politiques à se manifester à la mort du pontife avait ainsi été le clan Borgia, incarné par plus d’un « cardinal du Palais34 », mais surtout par le fils du pape. César, sans doute logé comme de coutume à l’étage au-dessus de l’appartement du pape35, dut être le premier informé, sinon par le premier cercle de fidèles (les cardinaux Borgia) qui avaient, comme cardinaux du Palais accompagné le pontife jusqu’à sa mort, du moins peut-être par l’un de ses hommes aposté à cette fin. Il agit probablement aussitôt, par l’intermédiaire de son homme de main, Michelotto, prenant l’initiative de faire fermer les portes de l’Appartement pontifical afin très vraisemblablement de s’emparer du trésor papal en arrachant au camerlingue du Sacré Collège, Casanova (l’un des cardinaux dits aussi « domestiques »), les clés du Trésor pontifical36. Après presque six heures de prédations, à la vingt-troisième heure (soit aux alentours de cinq heures du matin), César fit rouvrir les portes et, vraisemblablement, annoncer la mort du pape. Dès la vingt et unième heure (vers trois heures du matin) l’un des deux cérémoniaires avait toutefois été appelé au Palais et conduit auprès du défunt. Là encore, il s’agissait d’un Espagnol, Hernando Gutierrez, préféré apparemment, peut-être par César lui-même, à Johannes Burckard37.
Incidents interstitiels
11À l’arrivée de Johannes Burckard auprès de la dépouille pontificale, dans la nuit du 18 au 19 août, il ne restait donc plus à mettre en œuvre que les ultimes soins, qui consistait à parer le défunt d’attributs pontificaux, la toute première phase, dédiée à la préparation funéraire du corps, ayant été irrémédiablement bouleversée par l’action de César. Là encore, le déroulement de cérémonies soigneusement codifié s’était de fait heurté aux contingences d’une situation en grande partie inédite. Alors qu’un embaumement partiel du cadavre était en effet d’usage (obturation des orifices corporels par des substances à base de myrrhe, d’encens et d’aloès, narines et oreilles étant emplies de musc38), le corps d’Alexandre VI n’en avait apparemment pas fait l’objet, à l’exception de la toilette rituelle, exécutée par l’aide-sacristain et futur cérémoniaire, Baldassare Nicolai, et des serviteurs du Pape, avant l’arrivée du premier cérémoniaire. La probable absence des « Frères du Plomb », ces moines cisterciens en charge des soins thanatopractiques, tout comme l’arrivée tardive de Johannes Burckard, contribuent sans doute à expliquer le caractère sommaire de ces soins39. C’était en effet ces religieux, dits aussi « de la Bulle », qui avaient ainsi embaumé Sixte IV (†1484), suivant les volontés du vice-chancelier et des cérémoniaires, dont, déjà, le même Burckard40.
12Mais peut-être faut-il aller plus loin dans l’analyse du désordre cérémoniel initial autour du cadavre. Si l’embaumement, dit « profond », qui supposait l’éviscération, avait été très rarement pratiqué depuis sa mention en 1363 par Guy de Chauliac, médecin des papes d’Avignon, la dépouille de Pie II l’avait toutefois subi en 1464, comme celle de Jules II dix ans plus tard, en 1513 ; Adrien VI et Clément VII, au lendemain de leur mort le 14 septembre 1523 et le 25 septembre 1534, seront pareillement embaumés. Les causes du recours à l’embaumement étaient d’ordre divers : ce fut sans doute l’éloignement de Rome et la chaleur de l’été 1464 à Ancône qui avaient conduit à embaumer la dépouille de Pie II afin qu’elle fût inhumée à son retour à Rome ; le scrupuleux Paride Grassi, le cérémoniaire de Jules II, qui s’était entretenu avec le pontife des dispositions à suivre lors de son décès, plaça « l’embaumement profond » au nombre des actes à effectuer en une telle circonstance ; Adrien VI (†1523) et Clément VII (†1534) furent, quant à eux, embaumés après autopsie, en raison de soupçons d’empoisonnement41. Or, dans le cas d’Alexandre VI, ce qui frappa les contemporains fut la décomposition rapide du cadavre, comme en témoigne notamment la description qu’en fit Johannes Burckard. Mourant en plein mois d’août, pris par des fièvres consécutives à un empoisonnement, l’état de la dépouille appelait logiquement l’embaumement. Mais là encore, la mainmise de César Borgia durant les premières heures, rendue possible par l’absence de ceux qui, précisément, auraient dû prendre de telles décisions (le vice-chancelier, son vicaire ou le premier cérémoniaire), compromit d’autant plus la préservation du corps que le même César, pour sa part alité, ne revit sans doute jamais Rodrigue Borgia depuis le funeste repas du 5 août, pas même dans les premières heures qui suivirent le décès42 : peut-être aurait-il opté pour l’embaumement à la seule vue du corps paternel. Gageons toutefois, si l’hypothèse de l’empoisonnement est fondée43, qu’il n’eût pas été enclin à la pratique préalable d’une autopsie.
13On ignore si, malgré tout, selon l’embaumement minimal habituellement réalisé, les mains et le corps du pape défunt furent enduits de baume par l’aide-sacristain ou les chambellans, tous soumis ici aux recommandations de Hernando Gutierrez, seul cérémoniaire alors présent : un tel palliatif se serait révélé dérisoire peu de temps après. Quand Johannes Burckard, premier cérémoniaire, fut enfin appelé, son collègue et Baldassare Nicolai avaient donc déjà lavé, habillé et placé le corps sur un premier lit dit d’exposition de la dépouille :
Dès son arrivée, il [H. Gutierrez] fut introduit et trouva le pape mort ; il lui rendit les derniers devoirs et le fit laver par l’aide-sacristain, Baldassare [Nicolai], assisté de plusieurs serviteurs du pape. Ils le revêtirent de linge de tous les jours, ainsi que d’une soutane blanche sans traîne qu’il n’avait jamais portée de son vivant. Ils enfilèrent par-dessus le rochet. Puis ils le mirent sur une litière, garnie d’une étoffe de soie cramoisie et d’un riche tapis, qu’ils placèrent dans une chambre située en face de celle où il était mort [la Salle des Arts libéraux face au cubicolo d’Alexandre VI]44.
14Arrivé au Palais, Johannes Burckard ne put donc que constater comment les serviteurs avaient tenté de faire pour le mieux avec ce qui demeurait des effets du pontife45. Ce fut avec un dénuement comparable qu’il dressa un lit de parade au défunt. Il faut entendre le récit de Burckard pour saisir la faiblesse du pouvoir pontifical et même du Sacré Collège lors de ces interrègnes de la Renaissance, tous incapables, manifestement, de pourvoir aux besoins élémentaires de l’inévitable cérémonial funéraire :
Arrivé auprès du pape, je le revêtis de tous les ornements rouges de brocatelle, d’un amict court et d’une belle chasuble. Je m’occupai aussi de le chausser. Et comme les souliers n’avaient pas de croix, je lui mis ses pantoufles ordinaires de velours cramoisi brodées d’une croix en or, comme s’il s’agissait de sandales. Puis je les maintins aux talons à l’aide de lacets. Il manquait l’anneau, que je ne réussis pas à me procurer. Quand tout fut prêt, nous le portâmes dans la Salle du Perroquet après avoir traversé la Salle des Pontifes et la Salle des Audiences [la Salle des Saints ?]. Là nous préparâmes une belle table, longue d’une canne, couverte d’une étoffe cramoisie et d’un riche tapis. Nous prîmes quatre coussins en brocart, un en satin cramoisi lisse et un, ancien, en velours cramoisi. Nous retînmes l’un des coussins en brocart ainsi que le coussin en satin cramoisi. Nous plaçâmes le coussin ancien sous les épaules du pape. Nous en mîmes un de chaque côté et un sous la tête du pape, que nous couvrîmes d’un autre tapis ancien46.
15Soins funéraires et habillage du corps : tout semblait ainsi marqué au coin d’un même désordre à compenser et contenir.
Incohérences du récit et rhétorique de l’abandon
16À suivre la narration du seul premier cérémoniaire, Rodrigue Borgia fut ainsi abandonné de tous dès la nuit qui suivit son décès. Après avoir habillé la dépouille papale et disposé celle-ci sur une table d’apparat dans la Salle du Perroquet, celui-ci affirmait que le pape défunt « resta là toute la nuit avec deux seules torches, et il n’y eut personne pour le veiller, bien qu’on eût convoqué les pénitenciers pour réciter l’office des morts47 ». Mais au matin, alors qu’il s’apprêtait à placer sur un premier catafalque le corps d’Alexandre VI, il rapporte que
plusieurs pénitenciers, à savoir F[rançois Berthelay], évêque de Mylopotamos, Claudio Catalini, Andreas Frisner et Arnaldo di Bedereto, franciscain, récitèrent l’office des morts qu’ils avaient déjà commencé pendant la nuit, assis sur le rebord de la fenêtre. Ils posèrent la main sur le cercueil du pape, apporté par les pauvres qui avaient veillé sur lui durant la nuit48 [c’est nous qui soulignons].
17Comme on le découvre, les pénitenciers avaient bien commencé un office nocturne des morts, conformément au cérémonial qui leur enjoignait « de chanter l’office des défunts après la mort » du pontife, dont ils auraient cependant dû accompagner également l’agonie par leur récitation des psaumes de la pénitence49. Faut-il supposer, pour tenter de donner raison à J. Burckard, qu’ils aient entamé cet office hors du Palais sans se rendre auprès de la dépouille, bien qu’ils aient figuré parmi les tout premiers informés de la mort d’Alexandre VI ? Cela paraît peu probable, puisque la diversité de leur statut (un pénitencier évêque, un autre franciscain) laisse augurer des lieux de résidence distincts dans Rome. Les pauvres offrent un pareil démenti aux écrits de Burckard par leur présence dans le courant de la nuit aux côtés du pape défunt, eux dont on découvre en outre au matin la preuve matérielle de leur veillée funèbre : un cercueil. La scène d’une dépouille pontificale abandonnée de tous procéderait donc d’un véritable effet voulu par le cérémoniaire distillant ainsi une atmosphère macabre, marque délibérée de la mort d’Alexandre VI, qui se condenserait, une fois l’exposition du corps achevée, en un ballet bien plus macabre encore, autour du cercueil pontifical.
Itinéraire processionnel
18Depuis au moins les derniers temps de la papauté d’Avignon et la consignation dans le cérémonial de Pierre Ameil (†1401) des usages propres à cette période de la monarchie pontificale, trois lieux ponctuaient l’itinéraire traditionnel de la dépouille papale : la chambre, la chapelle et l’église50 ; en l’occurrence, dans la Rome du début du xvie siècle, les chambres du Palais apostolique, la chapelle Sixtine et la vieille basilique Saint-Pierre. Aucun incident parmi tous ceux qui advinrent ne compromit ce schéma quasi processionnel, qui constitua comme leur décor. Après le séjour du corps dans la Salle du Perroquet, au cours de la nuit du 18 au 19 août, celui-ci fut porté au matin, depuis cette même salle et sur un catafalque, dans la chapelle Sixtine ; il y fut veillé, une nouvelle fois, avant d’être conduit en une procession solennelle vers la basilique, en cette même journée du 1951.
19L’impression de chaos dut ne pas disparaître de l’esprit du cérémoniaire lors de la tenue du cortège qui achemina la dépouille d’Alexandre VI de la chapelle Sixtine jusqu’à la vieille basilique Saint-Pierre : bien que présent, il demeura le témoin impuissant des graves incidents qui compromirent la cérémonie dite de l’absoute, avant de s’en faire le chroniqueur. Si la veillée du corps dans la chapelle s’était déroulée sereinement, l’entrée de la dépouille dans la basilique apostolique, bien qu’effectuée en bon ordre, fut l’occasion d’un nouveau manquement à la liturgie. L’oraison appelant Dieu à la clémence devant son serviteur, le « Que tu n’entres pas en jugement ! » (Non intres in judicium !), ne put en effet être chantée, faute de livre et malgré les recherches entreprises ; et alors que le clergé avait pris l’initiative d’entonner le chant suivant, le Libera me, Domine (« Libère-moi, Seigneur ! »), les cent quarante torches qui avaient été, selon l’usage, portées en tête du cortège entre la Sixtine et la basilique, furent soudainement convoitées par des membres de la garde à pied du Palais, auxquels le clergé s’opposa. La mêlée dut être intense, puisque « les soldats armés s’en prirent aux membres du clergé, qui s’enfuirent vers la sacristie. De ce fait le chant fut interrompu et la dépouille abandonnée52 ». Si le premier cérémoniaire rétablit l’ordre en disposant alors le catafalque comme il convenait (entre le maître-autel et le siège pontifical, la tête vers l’autel), l’exposition publique de la dépouille pontificale, enjeu véritable du transfert du corps depuis la Sixtine, demeurait semble-t-il un nouveau défi. Mais le récit de Burckard, au-delà de la simple narration des désordres engendrés inévitablement au cours de ces successions pontificales, comporte de nouvelles incohérences qui conduisent à se demander s’il ne sacrifiait pas en l’espèce à une véritable rhétorique de l’abandon du pape défunt, qui travestirait dès lors, pour la postérité, le déroulement des funérailles d’Alexandre VI.
Exposer ou escamoter le cadavre ?
20Johannes Burckard attribuait, comme on sait53, à l’évêque de Sessa, Martin Zapata, le souci de protéger le corps du pontife défunt d’une éventuelle vindicte exercée par tel ou tel lorsque l’on aurait permis au peuple de voir une dernière fois la dépouille papale. Ce dernier usage n’avait rien d’exceptionnel et était même préconisé par le cérémonial funéraire : « La messe finie, que le corps demeure là deux ou trois jours pour que le peuple puisse le visiter et baiser sa main »54. Le temps d’exposition publique achevé (sans doute bref : la journée du 19 et la nuit consécutive), et une fois les dispositions prises, on procéda à la sépulture d’Alexandre VI, dès le 20 août.
21Si le corps d’Alexandre VI se trouva donc exposé brièvement, comme celui de ses prédécesseurs, le caractère exceptionnel de cette exposition résiderait bien dans la mesure prise pour éviter la moindre injure vengeresse : laisser accessible à la dévotion populaire les seuls pieds du pontife, au travers de la grille fermée du chœur. Mais le même Burckard rapportait dans son Journal que l’on avait, à l’occasion de la mort de Sixte IV (†1484), placé le corps dans le chœur, « les pieds hors de la grille pour qu’ils puissent être baisés par ceux qui le souhaiteraient, les portes de la grille closes55 ». L’exceptionnalité de l’exposition d’Alexandre n’était donc pas aussi grande…
Le pape redevenu homme
22L’exposition publique de la dépouille avait de fait ses raisons d’être : celle, bien sûr, de faire connaître le décès au plus grand nombre par une authentification publique, qui pouvait aisément s’accomplir, pieds, mains et visage étant offerts librement à la vue ; mais aussi celle, traditionnelle (bien que plus récente), de manifester la gloire du pontife défunt, au-delà de sa condition d’être mortel56. L’embaumement prenait ici tout son sens et notamment celui du visage : il permettait une exposition durable sans que se manifestât l’atteinte des premiers signes par trop visibles de la corruption des chairs. Aucun soin thanatopractique n’ayant été prodigué à Rodrigue Borgia, le résultat ne manqua pas de se produire, accentué peut-être par l’empoisonnement initial. On a rapporté le témoignage d’un Johannes Burckard se complaisant à décrire les atteintes de la décomposition57 ; d’autres, plus objectifs sans doute mais à peine plus sobres, concordent avec le récit du cérémoniaire. L’ambassadeur vénitien, Giustinian, écrivit ainsi dans la nuit du 19 au 20 août :
[le pontife défunt] à la mi-journée fut porté selon la coutume dans l’église Saint-Pierre et montré au peuple ; aussi, pour être le plus laid, monstrueux et horrible cadavre que l’on vît jamais, sans quelque forme ni figure humaine, de honte, le couvrirent-ils en partie58 […] ».
23Le diplomate et conseiller des ducs de Ferrare, Antonio Costabili, relatait pareillement, en date du 19 : « Le corps du Pape a été tout aujourd’hui à Saint-Pierre, découvert : chose très laide à voir, noir et gonflé, et beaucoup doutent qu’on ne lui ait donné du poison59 ». Il était donc impossible d’envisager une exposition durable de la dépouille ; aussi lui donna-t-on une sépulture dès le lendemain, soit dans la nuit du 20 août.
24L’ensevelissement supposait une mise en bière, définitive, l’exposition antérieure ayant été faite hors du cercueil offert par les pauvres60. Cette étape fut, à en croire Burckard, l’occasion d’une nouvelle atteinte à la dignité du pontife :
Le soir, à la vingt-quatrième heure [soit dans la nuit du 20 au 21], le corps fut enlevé [du chœur] et transporté dans la chapelle Sainte-Marie-des-Fièvres. On le déposa près du mur dans un coin au côté gauche de l’autel. Cette tâche revint à six portefaix très rustres qui s’amusaient, injuriaient le pape ainsi que son cadavre, et aux deux maîtres charpentiers qui avaient fabriqué un cercueil trop étroit et trop court. Il n’y avait ni torche ni aucun éclairage, ni personne pour prendre soin du corps, et ils le firent entrer à coups de poing dans le cercueil, déformant la mitre ; ils couvrirent ensuite le corps du tapis ancien déjà mentionné. Ceci m’a été rapporté par le seigneur Camillo Crispolti, bénéficier de Saint-Pierre61.
25Le lieu de sépulture, temporaire, était l’édifice au flanc droit de l’ancienne basilique et qui communiquait avec elle, la chapelle de Sainte-Marie-des-Fièvres, parfois désignée également sous le vocable de Saint-André, qui comprenait déjà en son sein une « chapelle » ou « rotonde » des Borgia, lieu de sépulture du pape Calixte III (1455-1458), l’oncle de Rodrigue. Alexandre VI y fut inhumé, près de l’autel62. On a parfois voulu interpréter la circonstance nocturne de la sépulture comme une nouvelle preuve d’infamie à l’égard d’Alexandre VI : il n’en est rien car c’était là une préconisation du cérémonial d’Agostino Patrizi, reprise encore par Johannes Burckard dans son memorandum relatif aux funérailles papales63. Peut-on alors tenter d’en savoir davantage quant à la circonstance plus que macabre rapportée par le cérémoniaire, dont la connaissance reposait sur le témoignage d’un clerc de Saint-Pierre ? La version de l’événement donnée par le recueil de Gattico, du xviiie siècle, censure manifestement l’épisode (en un laconique « etc.64 ») ; par ailleurs, les circonstances en demeurent quelque peu improbables. Comment expliquer, tout d’abord, ces dernières : l’absence de tout membre du clergé (de Saint-Pierre voire du Palais – « personne pour prendre soin du corps » – ), ou l’obscurité dans laquelle s’effectue cette translation du corps (« il n’y avait ni torche ni aucun éclairage ») ? Même si les lieux avaient été préparés à cette fin (creusement de la tombe auprès de l’autel), on conçoit mal qu’aucun des participants n’ait songé à la moindre torche alors qu’il fallait transporter la dépouille sur son catafalque, depuis le chœur jusqu’à hauteur de l’entrée de la basilique, puis emprunter le passage conduisant à Sainte-Marie-des-Fièvres et, là, transférer encore la dépouille du catafalque dans le cercueil. Si le bénéficier de Saint-Pierre put rapporter au cérémoniaire de tels détails, peut-on concevoir qu’il ait ainsi laissé faire les choses, et que les « six portefaix très rustres » aient eu l’audace de bourrer « à coups de poing » le corps du pape dans son cercueil en sa présence, quel que soit le degré de détestation à peine contenue de celui qui avait été le chef de la Chrétienté ? Et cette animosité, n’était-elle pas, en outre, d’abord celle des adversaires politiques du pontife, dans la Curie comme dans la sphère politique, bien plus que celle de ces hommes du peuple ? Si le bénéficier n’avait pas assisté à la scène, comment imaginer que l’un des participants ait pu lui rapporter celle-ci dans le détail sans risquer d’attirer sur l’ensemble des présents quelque sanction, compte tenu de la gravité des faits : le sentiment de vacance de tout pouvoir était-il aussi grand ? Cela paraît peu probable. Un témoignage ultérieur, celui du marquis de Mantoue, fournit un nouvel indice. Sa lettre, en date du 22 septembre 1503, adressée à son épouse, Isabelle d’Este, rapporte comment
… il [Alexandre VI] fut porté à la sépulture sans beaucoup d’honneur, un faquin le tirant à bas du catafalque par une corde passée au pied, jusqu’au lieu de la sépulture, personne n’ayant été trouvé qui eût voulu le toucher, et on lui accorda un repos si misérable que la naine épouse du boiteux à Mantoue en a eu un plus honorable. Et pour finir, chaque jour, des épitaphes les plus enragés du monde se voient accrochés à sa réputation65.
26On le voit, les récits d’un même ensevelissement divergent et d’une façon telle qu’ils semblent se réduire mutuellement à la fable par leur surenchère d’injures faites au cadavre papal. De plus, Maria Bellonci, biographe de Lucrèce, n’indiquait-elle pas la présence de l’évêque de Carinola et d’un petit groupe de prélats dans la chapelle de Sainte-Marie-des-Fièvres66 ? Ne faut-il pas dès lors y reconnaître de nouvelles variations sur le thème de l’abandon du pape défunt, si fréquent dans ces récits de mort de pontifes à la fin du Moyen Âge, doublé ici d’une touche d’infamie, propre pour ainsi dire au pape Borgia ? Abandon la nuit même du décès, à l’entrée dans la basilique (« le chant fut interrompu et la dépouille abandonnée »), comme au seuil de sa dernière demeure : pour reprendre la formule d’Agostino Paravicini Bagliani, c’était bien avec « une fermeté accrue » que les maîtres des cérémonies pontificales autour de 1500 réaffirmaient que « le pape, après sa mort, redevient homme67 ». Si le thème de la nudité du corps du pape redevenu simple mortel, thème fréquent au xiiie siècle, avait disparu (mais Jules II, un peu plus tard, s’assurera de ne pas être laissé sans vêtement à sa mort), celui de l’abandon gardait une vitalité extraordinaire au point, sans doute, de conduire le cérémoniaire Burckard à inscrire le récit de la mort d’Alexandre VI dans cette tradition pluriséculaire en habillant quelques faits. Le pape Borgia, à l’instar de pontifes qui l’avaient précédé, connaissait une mort édifiante, pour ses successeurs, seuls appelés à connaître le texte du cérémoniaire ; mais dans son cas, la formule « sic transit gloria mundi » que le pape, selon le nouveau cérémonial, était contraint de prononcer avant d’expirer, prenait une profondeur vertigineuse, tant la chute, dans sa mise en scène littéraire, était grande.
Le souci de la gloire
27C’était pourtant la gloire du pontife qui devait également être signifiée par l’exposition publique de sa dépouille. Celle d’Alexandre VI ne le fut, comme on sait, que brièvement. Il n’y avait là, encore une fois, rien d’exceptionnel. Mais l’évolution du rituel funéraire et, plus particulièrement, la dissociation dans le temps entre l’exposition du corps et le cycle de messes d’obsèques désigné comme neuvaine, avaient eu deux conséquences cérémonielles notables. L’embaumement profond avait encore moins de raison d’être, puisque le corps n’était au plus exposé que trois jours avant l’ensevelissement ; mais il fallait dès lors inventer un simulacre qui tînt lieu de dépouille pontificale pour la durée de la neuvaine. Enfin, ultime conséquence, cette dernière pouvait ne pas avoir lieu immédiatement après l’ensevelissement, puisque nul souci de préservation du corps n’exigeait qu’elle eût lieu au plus tôt.
28Le premier jour des obsèques pontificales, début véritable de la neuvaine, fut en la circonstance fixé au 4 septembre ; elles s’achevèrent le 12. Le délai entre l’ensevelissement et le début des obsèques (du 21 août au 4 septembre) paraît n’avoir comme explication que l’attente de l’arrivée de plusieurs cardinaux, dont l’un des plus puissants, Giuliano Della Rovere, principal adversaire de Rodrigue Borgia et l’un des favoris pour lui succéder. Il était rentré à Rome le 3 septembre, tout comme d’autres cardinaux attendus pour le conclave.
29Ce temps de deuil ou d’obsèques officielles qu’est la neuvaine est devenu moins familier à des esprits contemporains ; dans le cas des deuils pontificaux de la Renaissance, il est sans doute plus déconcertant encore puisque les messes célébrées en l’honneur d’un pape défunt l’étaient souvent autour d’un catafalque vide, sur lequel il pouvait même arriver qu’on simulât une présence symbolique de la dépouille en agitant « sans interruption et avec placidité » des éventails chasse-mouches, comme si le corps en voie de corruption se trouvait encore là68. Si Burckard livre tous les détails des dimensions et apparences de ce catafalque d’apparat, tel le nombre de candélabres l’environnant (neuf torches et mille deux cents cierges sur le catafalque et cinquante torches autour), il ne dit rien d’une quelconque présence de membres de la famille Borgia durant les obsèques, à l’exception des cardinaux du clan69.
30Parmi les prédécesseurs immédiats d’Alexandre, Sixte IV (†1484) avait connu, à en croire Johannes Burckard, une pareille déchéance, depuis le faîte du pouvoir jusqu’à sa condition d’homme mortel retrouvée dans le dénuement et l’abandon de la mort. Mais ce même Sixte IV comme Innocent VIII (†1492) avaient au moins été honorés d’un monument funéraire durable, dû à Antonio del Pollaiuolo, appelé à orner la vieille basilique Saint-Pierre, qui survécut même à la destruction de celle-ci. Le successeur véritable d’Alexandre VI, Jules II, formera quant à lui, de son vivant, le projet d’un tombeau grandiloquent destiné au chœur de la nouvelle basilique et commandé à Michel-Ange70.
31On ignore tout d’un quelconque projet d’Alexandre qui eût consisté à faire de la rotonde au sein de la chapelle Sainte-Marie-des-Fièvres un véritable mausolée des papes Borgia. Si un tombeau a toutefois semble-t-il existé, visible de nos jours dans les grottes vaticanes, son style du milieu du xve siècle en fait bien plus probablement celui de Calixte III. On connaît par ailleurs le goût d’Alexandre VI pour l’art du sculpteur Andrea Bregno (†1506 ?) et l’activité de celui-ci en 1501 pour la chapelle familiale de Santa Maria del Popolo, à la demande de Vannozza Cattanei, la mère de la plupart des descendants du pape. En 1503, le même Andrea Bregno réalisa, sans doute à la demande de l’éphémère successeur d’Alexandre, le pape Pie III (1503-1503), la tombe du parent et lointain prédécesseur de ce dernier, Pie II, pour la basilique Saint-Pierre.
32Dans cette longue série de cardinaux devenus papes, tous contemporains d’Alexandre VI, avec lesquels ce dernier dut en outre partager un semblable attachement à l’exaltation de la personne papale, tous communiant au même idéal de théocratie, comment imaginer que le pape Borgia eût été le seul à se soustraire à cette représentation de soi que constituait, depuis au moins Boniface VIII et sa propre chapelle funéraire dans la basilique (1295-1296), tout monument érigé pour la gloire d’un pape un jour défunt ? Disposant d’un sculpteur et architecte en la personne d’Andrea Bregno, conscient que la perpétuation de la dynastie pontificale des Borgia passait aussi par un tel édifice mortuaire, à l’instar des familles rivales des Riario-Della Rovere (Sixte IV et Jules II) ou Piccolomini (Pie II et Pie III), pourquoi Alexandre VI s’y serait-il soustrait, n’était le caractère soudain de sa disparition ? De plus, la chapelle Sainte-Marie-des-Fièvres, où Rodrigue avait fait édifier pour son oncle la rotonde qui accueillit leurs deux tombes, trop proche de la vieille basilique, fut détruite pour laisser place au nouveau Saint-Pierre-du-Vatican.
33Lorsqu’un pape n’avait pas assez tôt eu le souci de sa gloire posthume, sa dynastie pouvait y veiller : ce fut Pie III, successeur immédiat d’Alexandre, qui, à Rome comme à Sienne, conforta le souvenir monumental de son parent Pie II Piccolomini. Si Rodrigue Borgia avait peuplé le Sacré Collège de parents en nombre suffisant pour que ceux-ci eussent, peut-être, après sa mort le souci de sa mémoire, il n’en fut rien cependant, pas même parmi ses propres descendants. Mais sous le long pontificat du plus grand adversaire d’Alexandre VI, Giuliano Della Rovere, devenu Jules II (1503-1513), auraient-ils pu entreprendre quoi que ce soit ? Sans doute César, compte tenu de sa fortune et de son pouvoir, était-il le plus à même à accomplir une telle tâche parmi les membres du clan Borgia. Mais sa puissance fut rapidement abattue par ce même Jules II.
34On sait que Rodrigue Borgia était peu soucieux de sa réputation, du moins celle que tissait une opinion publique de papier, au regard des monuments picturaux et architecturaux qu’il avait pris soin de dresser. On a pu voir comment cette même opinion, par le biais notamment des chroniqueurs et diaristes, s’était emparée de sa mort, dès les premières semaines qui suivirent, pour présenter celle-ci sous un jour proprement diabolique voire infernal71. Si l’on songe que dans la lettre du marquis de Mantoue rapportant à Isabelle d’Este les détails de l’ensevelissement, figure également l’un de ces dialogues qu’Alexandre VI eut avec le Diable au moment de mourir72, comment ne pas voir que la fable d’une sépulture infâmante participe également de la légende noire naissante du pape Borgia ? Le destin posthume, enfin, que connut le corps du pontife empêcha toute réhabilitation monumentale. Les corps de Calixte III et d’Alexandre VI, transférés une première fois, furent en 1605, déplacés dans la nécropole des grottes du Vatican. Mais en 1610 (ou en 1618), on eut l’idée de placer les deux souverains pontifes dans l’église romaine des Catalans et Aragonais, celle de Sainte-Marie-de-Montserrat, où leur dépouille ne reçut un monument funéraire véritable que dans le courant du xixe siècle. En somme, pour qu’un pape défunt se vît accorder quelque dignité dans sa sépulture éternelle il fallait que cette ultime translation corporelle réussît grâce, la plupart du temps, au concours des héritiers.
35En somme, les papes de la Renaissance, prolongeant l’attitude « moderne » (c’est-à-dire pionnière) d’un Boniface VIII (†1303) avaient parfaitement compris l’enjeu d’un simple corps papal. Ils ne pouvaient en quelque sorte se survivre, durablement, que par une effigie, monumentale. Pour appliquer une nouvelle fois le schéma kantorowiczien à la monarchie pontificale, on peut alors constater comme un double phénomène de translation corporelle : celle qui, du pontife défunt, investissait, sede vacante, le Sacré Collège puis passait à nouveau au successeur que ce dernier avait donné au défunt ; et celle qui allait faire du corps du pape défunt, simple corps redevenu mortel, l’objet d’une « mémoire glorieuse » pour peu qu’il ait accédé à un nouveau corps, monumental73.
Notes de bas de page
1 Agostino Paravicini Bagliani, Le Corps du pape, Paris, Seuil, 1997 (éd. orig. 1994), p. 182.
2 Ernst Kantorowicz, Jean-Philippe et Nicole Genet (trad.) Les Deux Corps du roi, Paris, Gallimard, 1989 (éd. orig. parue sous le titre The King’s Two Bodies : a Study in Mediaeval Political Theology, Princeton, 1957). J.-Ph. Genet, « Kantorowicz and “The King’s Two Bodies” : A non Contextual History », p. 265-273, p. 266, dans Robert Benson, Johannes Fried (dir.), Ernst Kantorowicz. Erträge der Doppeltagung, Stuttgart, 1997.
3 Ralph E. Giesey, Le Roi ne meurt jamais. Les obsèques royales dans la France de la Renaissance, Paris, Flammarion, 1987 (éd. orig. 1960) ; id., Cérémonial et puissance souveraine. France xve-xviie siècles, Paris, A. Colin, 1987 ; id., Rulership in France, 15th-17th Centuries, Aldershot, Ashgate Variorum, 2004 ; id., Le rôle méconnu de la loi salique. La succession royale, xive-xvie siècles, Paris, Les Belles Lettres, 2007.
4 Alain Boureau, « Les cérémonies royales françaises entre performance juridique et compétence liturgique », Annales E. S. C., 46, 1991, 6, p. 1253. Sergio Bertelli, Il Corpo del Re. Sacralità del potere nell’Europa medievale e moderna, Florence, Ponte alle Grazie, 1995 (2e éd.), p. 15.
5 Paolo Prodi, Il sovrano pontefice. Un corpo e due anime : la monarchia papale nella prima età moderna, Bologne, Il Mulino, 1982.
6 « La neuvaine rendait possible la visibilité des deux corps : la dépouille du pape défunt, qui devait être exposée publiquement, le visage découvert, et le corpus Ecclesiae, représenté de manière tout aussi visible par le collège des cardinaux. » (A. Paravicini Bagliani, op. cit., p. 168).
7 Nous sommes ici entièrement redevable des analyses développées par : A. Paravicini Bagliani, op. cit., p. 90 et sq.
8 Ibid., p. 90.
9 Ibid., p. 168-178.
10 Ibid., p. 171-172, citant Balde, Consilia, 159 (dans éd. Francfort, 1589, fol. 41, ro) et d’après E. Kantorowicz, The King’s Two Bodies, Princeton, 1981, p. 400-401, n. 295 (on cite ici depuis l’édition en langue anglaise, commode par son indexation détaillée).
11 Id., Morte e elezione del papa. Norme, riti e conflitti. Il Medioevo, Rome, viella, 2013 ; Maria Antonietta Visceglia, Morte e elezione del papa. Norme, riti e conflitti. L’Età moderna, Rome, viella, 2013.
12 Ibid., p. 97.
13 P. Prodi, op. cit., p. 39-40.
14 A. Boureau, art. cit., p. 1257-1258.
15 Sur les circonstances du décès, on se permet de renvoyer à : Guy Le Thiec, Les Borgia. Enquête historique, Paris, Tallandier, 2013, p. 205. Une première version, abrégée, de ce texte y est présentée.
16 Johannes Burckard, Diarium…, Paris, Leroux, 1883-1885 ; traduction reprise de : A. Paravicini Bagliani, op. cit., p. 180.
17 Ibid., p. 46-56.
18 Ibid., p. 179.
19 Ibid.
20 J. Burckard, I. Cloulas et V. Castiglione (éd.), Dans le secret des Borgia. 1492-1503, Paris, Tallandier, 2003, p. 427-428. Sur l’agonie du Pape, voir : G. Le Thiec, op. cit., p. 208-209.
21 A. Paravicini Bagliani, Le Corps..., op. cit., p. 167.
22 Ibid., p. 123.
23 Ibid., p. 154-155. R. Giesey, Le Roi…, op. cit., p. 50-51. Alain Erlande-Brandenburg, Le Roi est mort : étude sur les funérailles, Paris, Arts et métiers géographiques, 1975, p. 19.
24 Par contraste, sur la résorption « naturelle » des interrègnes dans les monarchies royales : E. Kantorowicz, Les deux corps du Roi. Essai sur la théologie politique au Moyen Âge, p. 877, dans id., Œuvres, Paris, Gallimard, 2000.
25 J. Burckard, op. cit., p. 43.
26 G. Le Thiec, op. cit., p. 162-164, 226.
27 Agostino Patrizi Piccolomini, Mark Dykmans (éd.), L’Œuvre de Patrizi Piccolomini ou le cérémonial papal de la première Renaissance, Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, 1980-1982 ; 2 vol., I, p. 27*-28*.
28 Ibid., I, p. 31*-32*, 158*-161* et vol. II, liv. I, titre quinzième, § IV-VI, articles 679 et sq., p. 231- 237.
29 J. Burckard, op. cit., p. 427-439.
30 Il s’était vu confier par le cérémonial la protection des biens du pape dès la sortie du corps hors de la chambre pontificale et avait le droit d’y demeurer pendant toute la vacance (A. Paravicini Bagliani, op. cit., p. 135).
31 J. Burckard, op. cit., p. 430.
32 M. Dykmans, op. cit., I, p. 78*-94*. G. Le Thiec, Les Borgia…, p. 144-145, 200-204.
33 Sandro Carocci, Il nepotismo nel medioevo. Papi, cardinali e famiglie nobili, Rome, viella, 2001, p. 178-181.
34 M. Dykmans, op. cit.,
35 Ivan Cloulas, César Borgia, Paris, Tallandier, 2005, p. 210.
36 J. Burckard, op. cit., p. 427-428.
37 Ibid.
38 M. Dykmans, op. cit., I, p. 234, § 690. Gaetano Moroni, s. v. “cadavere, o cadavero”, dans id., Dizionario di erudizione storico-ecclesiastico, Venise, VI (1840), col 195a-208b, II (199b-206b), col. 201b. A. Paravicini Bagliani, Boniface VIII. Un pape hérétique ?, Paris, Payot, 2003, p. 239-240.
39 Id., Le Corps…, op. cit., p. 136.
40 Gianbattista Gattico, Acta selecta ceremonialia sanctae romanae Ecclesiae ex variis mss. codicibus et diariis saeculi XV. XVI. XVII., aucta... pluribus... monumentis nondum editis..., Rome, Barbiellini, 1753, p. 428b-429a.
41 Ibid., col. 437b. Guy de Chauliac, La grande chirurgie [Cyrurgia magna], Lyon, 1585, 6e traité, doct. I, chap. VIII, cité par A. Paravicini Bagliani, op. cit., p. 156 (vérifié sur éd. Lyon, Sébastien de Honorat, 1559, p. 339) ; G. Moroni, s. v. « precordi de’ papi [entrailles des papes] », dans id., Dizionario…, op. cit., LV (1852), col. 62a-63b, 62b. Elisa Andretta, « Le scalpel de Pierre : médecine et médecins à Rome au xvie siècle », thèse de doctorat d’Histoire, Paris, EHESS, 2007, p. 327.
42 J. Burckard, op. cit., p. 428.
43 G. Le Thiec, op. cit., p. 204-208, suivant Joseph Schnitzer, Der Tod Alexanders VI. Eine quellenkritische Untersuchung, Munich, Ernst Reinhardt, 1929, p. 64.
44 J. Burckard, I. Cloulas (éd.), op. cit., p. 428-429. Arnold Nesselrath, Raphaël et Pinturicchio, les grands décors des appartements du pape au Vatican, Paris, Louvre éditions, 2012, p. 25 ; Marco Folin, ibid., « plans du premier et du second étage du Palais du Vatican au début du xvie siècle : espaces et fonctions », ill. n° [1].
45 Sur le pillage rituel des appartements pontificaux : Andreas Rehberg, « “Sacrum enim opinantur, quicquid inde rapina auferunt”. Alcune osservazioni intorno ai “saccheggi rituali” di interregno a Roma (1378-1534) », p. 201-238, dans Thomas Ertl (dir.), Pompa sacra. Lusso e cultura materiale alla corte papale nel basso mediovo (1420-1527), Rome, Istituto storico per il Medio Evo, 2010. A. Paravicini Bagliani, Le Corps…, op. cit., p. 124-125.
46 J. Burckard, op. cit., p. 429-430.
47 Ibid., p. 430.
48 Ibid.
49 M. Dykmans, op. cit., I, p. 233-234, § 688 et 693.
50 A. Paravicini Bagliani, Le Corps..., op. cit., p. 135 ; id., Morte e elezione…, op. cit., p. 226-233.
51 J. Burckard, I. Cloulas (éd.), ouv. cit., p. 429-431.
52 Ibid., p. 432.
53 Cf. p. 104.
54 M. Dykmans, op. cit., I, § 698, p. 235.
55 G. Gattico, op. cit., « De novemdialibus exequiis Sixti PP. IV. Ex Joanne Burcardo », col. 428b-430b, 429b.
56 A. Paravicini Baglioni, Le Corps…, p. 153-155. Id., Morte..., op. cit., p. 216-222.
57 Cf. supra, p. 103.
58 Antonio Giustinian [P. Villari, éd.], Dispacci di Antonio Giustinian, ambasciatore veneto in Roma dal 1502 al 1505, Florence, Lemonier, 1876, II, dépêche de Rome, 19 août 1503. n° 489, p. 123- 127, p. 124-125.
59 Ibid., p. 125.
60 J. Burckard, I. Cloulas (éd.), op. cit., p. 430.
61 Ibid., p. 434. Ludwig von Pastor, Histoire des papes, Paris, Plon, 1898-1935, (1904), VI, p. 128.
62 Conrad Eubel, Hierarchia catholica..., Munich, 1898-1935, II, 1914, § 660, p. 56b.
63 [A. Patrizi], M. Dykmans, ouv. cit., I, § 698, p. 235 ; J. Burckard, “In exequiis summi pontificis”, ibid., I, appendice III, p. 247-252, 249, ll. 25-28.
64 G. Gattico, op. cit., "De Exequiis et Sede vacante Alexandri PP. VI. Ex Joanne Burcardo", col. 431a-433b, 432b
65 Lettre du marquis de Mantoue à Isabelle d’Este, du 22 septembre 1503, publiée par Ferdinand Gregorovius, Histoire de Lucrèce Borgia…, Paris, 1876, II, n° 51, p. 398-399, 399.
66 Maria Bellonci, Lucrèce Borgia, Paris, Complexe, 1991, p. 293.
67 A. Paravicini Bagliani, Le Corps..., op. cit., p. 151.
68 Ibid., p. 180-181.
69 J. Burckard, I. Cloulas (éd.), op. cit., p. 433-434, 437.
70 Giulio Carlo Argan, Bruno Contardi, Michel-Ange architecte, Paris, Gallimard, 1991, p. 67 et sq.
71 G. Le Thiec, op. cit., chapitre 1.
72 Ibid., p. 18.
73 A. Paravicini Bagliani, Le Corps…, op. cit., p. 257. Id., Boniface VIII… op. cit., p. 252.
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