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La construction d’une identité marchande en Provence au début du xve siècle
L’exemple de Bertrand Rocaforti
p. 209-224
Texte intégral
1C’est dans le dernier quart du xive siècle que le nom de Bertrand Rocaforti apparaît dans la documentation provençale. Fils d’un charpentier hyérois, il connaît une ascension sociale qui trouve son apogée, avec son arrivée à Marseille, autour de l’année 1400. Notaire, marchand, mais aussi fermier de plusieurs rèves à Hyères, cosyndic de cette ville durant l’année 1397-1398, il mène, parallèlement à sa pratique marchande, une activité publique qui contribue à lui constituer une identité sociale complexe.
2À travers ce personnage, éclairé par des sources nombreuses, il est intéressant d’envisager en quoi le contexte troublé de la Provence sous la domination de la seconde maison d’Anjou révèle les traits constitutifs de l’identité des élites marchandes. D’Hyères à Marseille, le parcours de Bertrand Rocaforti constitue un bon exemple pour observer les mentalités et les stratégies développées par ces marchands qui cherchent à s’impliquer pleinement, tant sur un plan économique que politique, au cœur de la vie municipale. Au-delà de l’acteur économique, les récentes tendances de l’historiographie moderne ont laissé une large place au marchand en tant qu’individu œuvrant au cœur des pratiques sociales. Car, malgré l’existence d’un groupe fort dont les liens s’articulent au sein d’un marché commun, les trajectoires individuelles des marchands se révèlent différentes et invitent à s’interroger sur les traits constitutifs d’une commune et présumée identité marchande.
3Nous présenterons donc, dans un premier temps, les sources se rapportant à Bertrand Rocaforti, avant d’exposer la situation d’Hyères qui, éloignée des centres du pouvoir angevin fait état d’un rapport assez lâche avec les autorités. Ce contexte particulier, nous le verrons, constitue un terrain favorable pour permettre à Bertrand Rocaforti d’entamer une carrière publique. Cela nous mènera, dans une troisième partie, au cœur de la cité marseillaise où nous tâcherons de préciser certains points particuliers relatifs à l’identité des marchands qui œuvrent pour le bien commun sous la domination angevine.
Bertrand Rocaforti et les sources provençales
Les sources
4Les documents qui éclairent le parcours de Bertrand Rocaforti sont nombreux et se composent, en premier chef, d’un fonds éponyme conservé aux archives municipales de la ville de Marseille ; s’y adjoignent quelques actes isolés tirés du fonds des hôpitaux marseillais et des registres notariés des Bouches-du-Rhône et du Var. La collecte documentaire a permis de réunir plus de soixante-dix documents, de natures très différentes, puisque l’on compte tant des correspondances que des registres comptables ou des actes privés.
5Parmi ces nombreuses sources, le registre 7ii19 a particulièrement retenu notre attention en raison de sa nature composite1. Rédigé par Rocaforti, il contient non seulement l’exposition des recettes et dépenses de la ville d’Hyères au cours de l’année 1397-1398, mais également des comptes personnels qui ont été ajoutés, par la suite, sur les feuillets restés vierges2. Le registre, écrit presque entièrement en provençal3, fait état d’un contexte de crise qui, nous le verrons, met en lumière certains marqueurs de l’identité sociale de ce marchand, laquelle est en partie construite sur des actions publiques.
L’homonymie
6Il faut signaler que cette recherche documentaire a été nettement compliquée par la découverte, dans un deuxième temps, de l’existence d’un marchand homonyme. Les deux Bertrand Rocaforti partagent tant de points communs que leur différenciation n’avait pas été rendue possible aux quelques chercheurs qui s’étaient penchés sur la communauté marchande marseillaise des années 1390-1430.
7Présents tous deux au tournant du xve siècle dans la cité phocéenne, exerçant la profession de marchand, les deux hommes décèdent à six mois de différence laissant chacun, aux côtés de leurs familles respectives, un proche du nom d’Antoine Maleti. Ce nom s’est révélé également être porté par deux personnes bien distinctes, et a entretenu la confusion. Parallèlement au marchand d’Hyères qui fera ici l’objet principal de notre discours, il existe donc un autre Bertrand de Rocaforti coseigneur de Mimet drapier de Marseille4.
8À la lumière de cette nouvelle information, le corpus de documents, affichant aujourd’hui plus de 400 documents, a dû être divisé à l’aide de certains marqueurs, afin de rattacher chaque acte à la bonne personne, mais les critères formels d’identité restent ténus5.
9Le parcours de chaque Rocaforti présente, à première vue, les caractéristiques d’une ascension sociale réussie, se manifestant par des succès économiques, des réinvestissements dans des biens immobiliers et des objets luxueux, une notabilité et une influence sur la communauté. Mais, si l’un d’entre eux, issu d’une grande famille marseillaise, développe en particulier ses investissements immobiliers pour acquérir richesse et notabilité, celui sur lequel nous fonderons notre exposé met en place des stratégies bien différentes afin d’intégrer le groupe des élites urbaines. Nous avons pu tracer les contours de leur carrière individuelle et comprendre comment ces deux hommes, chacun à sa manière, ont mis en œuvre, pas à pas, les conditions de leur réussite en utilisant les moyens propres dont ils disposaient.
Le notaire et marchand d’Hyères
10Lorsque Bertrand Rocaforti donne, le 26 mars 1396, procuration à plusieurs citoyens d’Hyères et de Provence, son parcours professionnel a commencé depuis déjà quelques années. Le plus ancien de ses livres de comptes porte, en effet, des opérations commerciales remontant au printemps 1389. En 1396, il n’est pas encore affranchi de l’autorité paternelle, mais ce fils de charpentier agit déjà en tant que notaire d’Hyères et émerge des textes comme un commerçant et notaire accompli, maîtrisant tout à la fois l’écriture et les techniques de comptabilité6. Il conservera cette double activité jusqu’aux premières années du xve siècle. En revanche, lorsque son entrée dans l’universitas marseillaise est promulguée le 27 octobre 1423, sa qualité de notaire n’est plus avancée et l’on accorde la citoyenneté marseillaise à un « Bertrandus Rocaforti mercator locis de Areis, Tholonensis dyocesis7 ». À partir des années 1420, sa fonction de notaire semble disparaître totalement des actes avant d’être mentionnée, une dernière fois, lors de l’inventaire de ses biens8.
11La qualité de notaire n’était en effet pas restrictive, et nombreux sont les cas en Provence où l’exercice auprès d’une clientèle privée demeurait minoritaire dans la carrière d’hommes enclins à diversifier largement leurs activités9.
12De fait, c’est par-dessus tout l’importance du rôle des notaires auprès des communautés urbaines, notamment comme membres des administrations municipales, qui tend à être mise en lumière par les recherches récentes10.
13Parallèlement à son activité notariale, Rocaforti entama donc une carrière commerciale principalement renseignée par trois livres de comptes. À côté de sa boutique située dans la ville basse d’Hyères qui concentre vraisemblablement la plus grande partie des ventes de Rocaforti, les livres de comptes témoignent aussi d’opérations effectuées dans l’espace provençal et en particulier à Marseille. Les marchandises vendues dans une boutique approvisionnée principalement par le marché régional se divisent en plusieurs catégories : denrées, métaux, produits manufacturés et produits de luxe11.
14À la lecture des registres comptables, il semble que la boutique tenue par Bertrand Rocaforti bénéficiait d’un dynamisme certain et ne souffrit que peu des difficultés subies par le commerce provençal de la fin des années 139012. Les données, certes partielles, ne laissent toutefois pas apparaître de chute majeure de la fréquentation ni de disparition soudaine de certains produits, ni même de variation sectorielle des prix. Le panorama de la clientèle laisse une impression identique à celle exprimée par Roger Aubenas au sujet de la vie commerciale à Grasse au début du xive siècle, à savoir qu’il s’agit d’un commerce de détail, fait de menus achats effectués par une clientèle peu argentée, mais donnant toutefois une impression de réelle animation13.
15L’activité commerciale de Rocaforti d’Hyères ne dépassa jamais celle d’un trafic local. Celui-ci, organisé à partir de la boutique d’Hyères n’est en aucun cas comparable à celui de son homonyme, déjà tourné vers le commerce international et les expéditions maritimes. S’il semble avoir profité de toutes les ressources disponibles dans son environnement (pêche au corail, vente de sel, production de vin), Rocaforti d’Hyères n’a pas cherché à développer son commerce au-delà d’un territoire compris entre Draguignan, Marseille et Hyères. Depuis le début de sa carrière, il tissa des relations avec le milieu marchand marseillais, mais il faudra attendre l’automne 1423 pour voir la cité phocéenne concrétiser ses ambitions à la citoyenneté.
16La bonne marche des affaires de Rocaforti est soulignée par le développement d’une modeste activité financière illustrée par des prêts, per causa de prest et d’amor, accordés à des particuliers14. Au moment de sa mort en juillet 1427, ses débiteurs sont nombreux et l’inventaire de ses biens révèle la position élevée acquise par Rocaforti depuis le début de sa carrière professionnelle.
L’homme public
17Car Rocaforti n’a pas cantonné ses activités au commerce et au notariat. Une grande partie de sa renommée lui conférant les titres de discretus15 et d’honorabilis vir16, provient des fonctions politiques et fiscales qu’il a occupées au sein du gouvernement municipal, à partir de la fin des années 1390.
18Hyères, siège de viguerie depuis 1257, était administrée par les officiers comtaux ainsi que par une municipalité représentant l’universitas des habitants17. L’autorité municipale fonctionnait grâce à l’implication de nombreux membres de la communauté, qui occupaient les différentes fonctions du gouvernement : autorité exécutive illustrée par les syndics, fiscale par le trésorier et les collecteurs et postes administratifs incarnés en particulier par les notaires. La présence, à Hyères, d’un gouvernement municipal dynamique ainsi que de la proximité des salines qui offraient des charges spéciales comme celle de rédacteur des comptes de la gabelle ont permis à Rocaforti d’utiliser sa connaissance de l’écrit et ses dons comptables afin de mener une carrière publique brillante.
19La question de la formation reste centrale dans la répartition des fonctions municipales puisque les notaires et les marchands s’avèrent particulièrement destinés à l’exercice des fonctions de trésoriers et de fermiers. Connaissance des comptabilités, des taux de change, culture juridique constituent les qualités essentielles d’un bon gestionnaire. La bonne marche des affaires commerciales de Rocaforti était une preuve de sa bonne maîtrise des comptabilités et de ses compétences en matière de gestion. De quoi séduire les membres du gouvernement municipal pour lequel il fut élu syndic au cours de l’année 1397-1398 ; avant d’occuper le poste de rédacteur des comptes de la gabelle du sel puis d’obtenir, le 3 septembre 1409, la gabelle des farines et du pain18.
Le contexte provençal Nostras empositions et las penas dels citatz19
20Le contexte particulier de l’extrême fin du xive siècle mérite d’être rappelé. En plus des épisodes pesteux récurrents qui laissent les villes exsangues, la guerre de succession de Jeanne Ire a installé un climat d’insécurité en Provence qui se poursuit jusqu’au règne de René d’Anjou. Les vaines tentatives de Louis II et Louis III pour reconquérir le royaume de Naples pétrifient à plusieurs reprises le port de Marseille en mobilisant les bateaux et ralentissant ainsi l’économie. L’insécurité croissante, sur terre à cause des routiers et sur mer à cause du développement important de la piraterie, laisse les communautés dans un grand désarroi et aux prises à de grandes difficultés financières décrites dans le registre de comptes 7ii19 de Bertrand Rocaforti.
21En effet, les comptes de la ville d’Hyères présentent, presque jour pour jour, l’effort de guerre subi par une petite communauté provençale à la fin du xive siècle. Rédacteur, trésorier, et également syndic, Rocaforti gère les comptes et tient lieu de pouvoir exécutif, chargé de régler les affaires courantes, mais aussi plus exceptionnelles20. Ces dernières se divisent en deux grandes « causes » : le siège de Pertuis et les démêlés avec les pirates.
22Des sommes conséquentes sont versées au trésorier de Provence et des hommes, dont les gages sont à la charge de la communauté, sont régulièrement envoyés à Pertuis, fief de Raymond de Turenne21. Le jeudi 11 octobre 1397, 42 florins et 8 sous sont payés à Antoni Famboliar, G. Baronel et au fils de Maurella pour aller per ordenansa del concelh, per porta al dich seti en secos de nostras gens dape et per sostement lur22. Le 5 novembre, on envoie Duarant Robin et la femme de Johan Lautiar pour aller chercher Jac. Robin et Johanet Lhautiar, nafratz al seti de Pertu, pour une somme de 40 sous23. Les fortifications hyéroises sont également soigneusement entretenues et de nombreux travaux sont effectués sur les portes de la ville et les tours. La nouvelle de la reddition de Pertuis arrive le 10 décembre, et là encore la ville doit s’acquitter de 4 florins pour la paye du messager24.
23La ville a du mal à faire face à ces dépenses. Le vendredi 12 avril 1398, on envoie Bertran Periar et Bertran Raymon à Sisteron parler au Sénéchal à propos des « impositions et des peines de la ville25 ».
24Il faut dire qu’Hyères était aussi particulièrement exposée aux attaques des pirates, lesquels trouvaient, depuis l’Antiquité, à la fois un refuge et un camp de base sur les actuelles îles d’Or. Et, la fin du xive siècle semble particulièrement marquée par les menaces venant de la mer. Le 4 juillet 1398, des galères de Gaète en approche des côtes obligent la ville à tenir des gardes. Le 14 juillet on place pour trois jours IIII homes en gacha per las malas novelas de las sobredichas galeas26.
25Par-dessus tout et parallèlement à l’effort de guerre et les gages des soldats, Hyères doit engager d’importantes sommes d’argent (notamment une levée d’un florin par feu décidée par les États de Provence de mai 139727) auprès de messer Baudo, au nom de l’accord que celui-ci avait passé avec le trésorier de Provence. Sous ce nom se cache l’ancien condottiere génois Balthazar Spinola qui avait trahi le camp de Charles de Duras pour celui des Angevins, avant d’obtenir de Marie de Blois, en 1387, Brégançon. Il en avait fait le port d’attache et le refuge d’une flotte de pirates qui arrêtaient les navires et pillaient les côtes hyéroises et toulonnaises, ralentissant sévèrement le commerce entre l’Italie et Marseille ; laquelle fut obligée d’intervenir pour tenter de régler le problème28.
26Le registre 7ii19 témoigne bien des difficultés, engendrées par Spinola, auxquelles la communauté d’Hyères doit directement faire face. Dès le début du mois de novembre 1397, la ville multiplie les ambassades et tente de s’acquitter tant bien que mal de 300 florins que le trésorier de Provence avait ordonné de payer à Spinola29. Une lettre est envoyée par le conseil le 27 mars suivant, à Toulon et Ollioules, per lo fach de messer Baudo et, le 17 août, Rocaforti fait encore porter 125 florins à Spinola en diminution de 800 autres florins per nos degatz.
27Dans ce contexte troublé, les papiers de Bertrand Rocaforti n’enregistrent que peu de mentions des autorités angevines. Le viguier n’est cité que six fois dans le registre de la ville et encore plus rarement dans le reste de la documentation. Les acteurs de la vie urbaine sont les membres de la communauté.
28Aux grands événements qui ponctuent la guerre de succession de la Reine Jeanne, s’adjoignent, au sein de la société, des changements profonds dans le fonctionnement de l’État provençal, notamment dans l’administration. La structure formelle du pouvoir se double d’un réseau de clientèle qui s’étend jusqu’au cœur des communautés et permet aux marchands de participer activement à la vie politique, en tant qu’officiers du comte ou, comme Rocaforti, en tant qu’acteurs des gouvernements municipaux30.
Un rôle à jouer
29En effet, dans ce contexte troublé, les désordres et difficultés subis par le pouvoir en place laissent émerger des communautés d’habitants, à Hyères comme ailleurs, regroupées sous le terme d’universitates, dont l’affirmation et l’implication dans les affaires du temps ne laissent pas de doute. Depuis l’essor des grandes cités provençales, initié par les mouvements communaux du xiiie siècle, les habitants ont pris conscience de la force de leur groupe. À la tête de ces universitates, les marchands provençaux ont accédé, comme ailleurs en Europe, à des fonctions politiques qui leur permettent d’agir pour défendre leurs intérêts. Leur action se développe à la fois sur le plan financier, car ils deviennent rapidement les banquiers des villes, et sur le plan de la représentation politique.
30Ces marchands n’ont pas toujours d’intérêt financier direct à occuper ce type de fonctions. Certes, l’achat de la rève des farines et pains en 1409 permit sans doute à Rocaforti de gagner de l’argent mais cette fonction porte surtout une charge honorifique importante. Car, au-delà du bénéfice financier, les devoirs pesaient lourd pour les détenteurs des droits royaux. Plusieurs enregistrements de sommations effectuées par le juge d’Hyères contre les débiteurs de la gabelle alors que Rocaforti était fermier sont conservés. En 1406, Rocaforti se lance dans une longue procédure contre les débiteurs31 et, en 1407, sont enregistrées les contraintes contre les contrevenants32 ; elles n’eurent vraisemblablement que peu d’effets, puisqu’en 1415 le juge effectue des sommations à l’encontre des débiteurs33 et, qu’en 1419, un registre contient toujours les noms des indélicats34.
31De la même façon, le poste de syndic n’est que peu rémunéré et, si l’on met de côté le capital honorifique dont il est pourvu, le travail à effectuer, dans une période où la Provence vit de dures années, ne constitue qu’un inextricable casse-tête où la recherche de capitaux s’avère être la principale préoccupation de l’autorité municipale. Les syndics provençaux, dont le nombre et les conditions d’élection étaient variables, possédaient des attributions administratives et avaient pour fonction principale la défense des privilèges municipaux. Ils étaient, aux côtés des officiers comtaux, les agents exécutifs de la commune et possédaient la main mise sur les finances municipales. Aux côtés des autres membres de l’administration municipale, les syndics exercent vraisemblablement gratuitement, en échange parfois d’une indemnisation vestimentaire dont on a la trace dans le livre de comptes de la ville35.
32Pourtant, les marchands semblent rechercher ce type de fonction urbaine qui leur permet d’acquérir une visibilité plus importante et de s’impliquer dans la défense du bien commun, lequel ne demeure plus seulement une prérogative seigneuriale. Ce devoir est bien spécifié dans les Statuts de la ville de Marseille où les syndics sont élus
ad inquirenda et petenda ac defendenda legitime, nomine universitatis Massilie et pro ea, jura et rationes et res et possessiones communis seu universitatis Massilie adversus quascumque personas proinde agendo vel defendendo sive quecumque sint36.
33Les missions d’ambassades exercées par les marchands leur permettent particulièrement d’exercer ce pouvoir de représentation et contribuent à la formation de l’identité complexe de ces élites provençales. Le registre 7ii19 fait état de plusieurs de ces ambassades, car Hyères a besoin de recourir à des envoyés pour traiter de ses affaires courantes37, notamment auprès de Baudo Spinola38. Le Conseil choisit en général des hommes à la grande notabilité capables de le représenter et, lorsqu’il est nécessaire, Rocaforti n’hésite pas à se déplacer lui même. Il effectue, par exemple, un voyage de vingt-huit jours auprès du sénéchal de Provence, à la fin du mois de septembre 1398, afin de lui exposer les dissensions de l’universitas avec le châtelain Ugonin Balayson39.
34Profitant d’un pouvoir émietté et peu énergique, de nouvelles figures, préfigurées par les mouvements communaux, s’ancrent au cœur des institutions municipales tandis que s’épanouit la conscience d’une communauté urbaine. Dans le cas de Rocaforti, l’écriture a constitué un moyen d’accéder à de hautes fonctions. Et l’on retrouvera encore deux siècles plus tard ce phénomène dans le parcours de Michel Sauzede, d’abord signalé à Marseille en 1555, comme notaire, puis devenu ensuite écrivain de galères, fonction qui lui donna les moyens d’amorcer une carrière juridique40.
35Car Bertrand Rocaforti n’est pas un cas isolé. La scène marseillaise est évidemment un laboratoire très intéressant pour étudier ce phénomène d’appropriation du pouvoir municipal, malgré la présence des hommes officiels des souverains angevins. Lorsque le marchand hyérois y fait son apparition autour de l’année 1400, de nombreuses familles (telles les Favas, les Forbin, ou les Casaulx, à la fois armateurs, drapiers et hommes politiques), soutiennent la politique angevine, notamment par les nolis de bateaux, mais tiennent à garder, par l’intermédiaire du Conseil, le véritable pouvoir sur la ville.
L’identité
36Les actions des marchands se développent dans un espace public où il est nécessaire qu’ils se mettent en scène, afin de renforcer leur influence et de se constituer un réseau social. C’est là un point fondamental de l’épanouissement des ces élites marchandes. Ils sont à la fois les membres, les voix, les représentants et la bourse de ces communautés. De la prise de parole aux amitiés, en passant par les vêtements, ces marchands cherchent à affirmer leur notoriété et leur utilité à la vie de leur communauté.
37Car œuvrer pour le bien public constitue un élément fondamental de l’identité de ces marchands ; notamment en situation de crise, qui agit comme le révélateur de leurs actions. Les marchands redistribuent, littéralement par leur fonction de créanciers et symboliquement par leur investissement politique, les richesses acquises par la pratique du commerce. Le rapport entretenu avec la collectivité constitue la clef de voûte de l’identité marchande. Cet aspect doit être mis en relation avec les réflexions franciscaines qui, depuis le xiiie siècle, s’interrogent sur la question de la richesse et du rôle des marchands dans la société41.
38Dès le xive siècle, des marchands comme Rocaforti deviennent les gestionnaires des finances publiques, mais œuvrent plus généralement pour leur collectivité en s’imposant comme créanciers, en luttant avec tous les moyens nécessaires contre les ennemis de la communauté et en investissant la sphère de la charité.
L’argent au service de la communauté : prêts et ravitaillement
39La question de la dette urbaine prend une grande importance en Provence à partir de la fin du xive siècle : l’endettement devient irrémédiable, à Hyères comme à Marseille et dans les autres villes de Provence. À Hyères, le Conseil urbain lève régulièrement des tailles ; et l’argent obtenu sort immédiatement des caisses pour régler les dépenses urgentes. Ce sont, également, les marchands qui fournissent leur aide à la communauté.
40Rocaforti sort lui-même de l’argent de son propre compte pour régler le reste des gages de son compère Loys Pelgros42. Le 15 octobre 1402, il prête également à l’universitas d’Hyères les 88 florins d’or qui manquent pour payer les 300 florins dus au viguier43. Le 29 décembre 1397 Rocaforti prête encore 450 florins, pour la paie des gens d’armes44 ; et le 17 novembre, c’est le marchand italien Corrado de Felip45 qui promet de faire répondre par voie de change à Guigonet Jarente le reste de la somme due pour l’imposition du blé46.
41À Marseille, les collecteurs des impôts sont parfois obligés d’avancer les sommes à percevoir47 et l’argent qui ne peut être rendu est remboursé sous forme de revenus fiscaux. Par ailleurs, la vente de rèves à des notables constitue dans ce contexte un apport financier rapide et non négligeable pour les caisses urbaines. Le but de ces opérations ne fait pas de doute :
Item plus avem receuput, divendres a II jorns de novembre, de Refossat Abrassavi et d’Angeliar de Tarat, comprados d’alcuna reva venduda a els huay per pagar a S. Guigonet Gerente la resta de XVI gr. per fuac del emposition del blat et en diminution del pres daquella, flor. daur Cent Utanta, so es asaber de Refossat flor. C et d Angeliar, LXXX flor48.
42Ces achats, s’ils permettent à la communauté de parer au plus urgent en renflouant ponctuellement des caisses trop souvent vides, donnent aussi la possibilité à des hommes, marchands pour la plupart, d’accéder à des charges qui assoient à la fois leur poids économique et leur notabilité.
43À Marseille, la question de l’approvisionnement en céréales demeure une question délicate et donne la possibilité à la communauté marchande de s’imposer comme la maîtresse du ravitaillement. La municipalité se devait d’importer ou même de saisir des cargaisons de blé qui étaient ensuite confiées en régie à des marchands chargés de les écouler dans la cité phocéenne puis de rendre leurs comptes aux syndics49.
44Dès le début du xive siècle, Laurent de Lengres propose au Conseil de la ville de Marseille d’agir contre les pirates qui interceptent les cargaisons de blés se dirigeant vers Marseille. Il faut dire que les Lengres avaient d’autant plus à perdre qu’ils avaient personnellement investi « pour le bien commun », afin d’enrayer la pénurie de blé qui touchait Marseille50. Les avances de la sorte étaient généralement remboursées par les communautés, mais demandaient la mobilisation d’un capital important. En 1425, le patron de navire et marchand Jean Botoni est chargé par la ville de contraindre les barques chargées de blé à venir vendre leur chargement à Marseille51.
45Cet esprit paternaliste dont les marchands font preuve, et qui se développe en particulier par l’apport de céréales à la communauté, n’est pas spécifique à la Provence et s’observe également dans la péninsule italienne52. À Macerata par exemple, le ravitaillement des années de crise 1374-1375 est organisé par une universitas dominée par des marchands. L’absence d’officier de la commune oblige les citoyens à agir sous forme d’association : l’un des associés négocie la transaction et apporte la majorité des fonds et l’autre, versant une somme moindre, assure le transport de la marchandise53.
La lutte contre l’ennemi : de la course au rachat des captifs
46En s’intégrant parmi les autorités politiques représentées par les conseils urbains, les marchands obtenaient également le devoir de lutter contre les ennemis de la communauté54.
47Les dangers venaient en grande partie de la mer55. Et la lutte des marchands contre les ennemis s’observe notamment dans la pratique du rachat des captifs tombés dans des mains hostiles. La piraterie, qui connaît un développement spectaculaire dans la deuxième moitié du xive siècle, place la question des captifs au centre des tensions méditerranéennes, car ces derniers constituent à la fois une main-d’œuvre essentielle dans un contexte démographique catastrophique et une source de revenus non négligeable dans un contexte économique ralenti56. Si les marchands voient dans le rachat des captifs pour le compte des familles une logique commerciale d’augmentation de leurs bénéfices, la question de la préservation de l’intégrité de la communauté paraît être également sur le devant de la scène comme dans ce document de 1407, qui montre Bertrand Rocaforti, exécuteur testamentaire d’un certain Jean Vitalis, utiliser l’argent légué par ce dernier pour des aumônes, afin de racheter le tisserand Jean Benedicti alors in manibus infidelium maurorum57. À la fin du xive siècle Jacques de Favas rachète également aux Maures des captifs marseillais58.
48Si la lutte contre les Barbaresques constitue un phénomène récurrent, des tensions entre Marseille et Gênes rendent également les conditions de navigation difficiles. Mais, c’est finalement de la Catalogne que Marseille aura le plus à souffrir, lorsque les troupes d’Alphonse d’Aragon pillent et détruisent les quartiers situés sur la rive septentrionale du Lacydon, en novembre 1423. Le quartier commercial de la Draperie, particulièrement touché, est presque entièrement détruit malgré les efforts des habitants, principalement des marchands, pour le défendre. L’énergie que les négociants mettent alors à repousser les envahisseurs n’a d’égal que la démission des autorités59.
49Si la course n’était pas absente des pratiques marseillaises lors des décennies antérieures60, la rancoeur des Marseillais contre les Catalans donna, par la suite, l’occasion aux grands marchands d’utiliser leurs capitaux pour armer davantage de navires avec la bénédiction du Conseil de ville. Le marchand et patron de La Gabine Jean Botoni reçoit ainsi un peu plus de vingt florins des autorités, pour le prix du sel capturé sur les Catalans le 12 septembre 142461. Le 31 juillet 1430 Amiel Bonifaci s’associe à onze autres marseillais pour faire la course et le 7 septembre, un autre navire est armé par Crapasius de Ysia62.
50Les acteurs de ces opérations de rachat ou de course font partie du groupe dominant le Conseil de ville, au sein duquel les grandes familles de marchands ou d’armateurs se relaient aux fonctions gérées par l’autorité municipale.
Les hôpitaux
51Par ailleurs, la conscience d’une communauté urbaine se poursuit au sein des institutions charitables contrôlées par le Conseil, qui mettent en avant l’idée d’un groupe de pairs liés par des intérêts communs. Par la pratique de la charité, cette oligarchie marseillaise se montre et s’affirme dans l’espace particulier que sont les hôpitaux, sans pour autant s’élever brutalement contre les prérogatives comtales, épiscopales ou abbatiales. Le devoir charitable peut, surtout lorsqu’il est pratiqué collectivement, être lu comme une manière ostentatoire de la part de ces marchands de mettre en scène leur participation au bien commun et de renforcer la cohésion sociale.
52Car la défense d’intérêts communs constitue le ciment de ce réseau marchand qui trouve, au sein des institutions charitables, un espace de sociabilité qui échappe au contrôle du comte ou de l’évêque. Les forces économiques de la ville s’y réunissent, l’enrichissent par des donations ou des legs de rentes censuelles. En effet, l’intérêt des marchands pour les fondations charitables marseillaises ne relève pas seulement d’un élan évangélique personnel, mais aussi de la recherche d’une affirmation communautaire63. Les liens des familles marchandes avec les institutions charitables se mesurent dans le temps, parfois sur plusieurs générations et les nouveaux arrivants trouvent également dans ces lieux des vecteurs d’intégration sociale.
53Le cas est particulièrement frappant en ce qui concerne l’hôpital du Saint-Esprit, le plus ancien de la ville de Marseille, fondé par la confrérie du même nom, elle-même moteur des revendications communales au cours du xiiie siècle. De la même façon que d’autres institutions de la ville, notamment l’hôpital Saint-Jacques de Galice, celui du Saint-Esprit attira rapidement une communauté marchande apte à l’enrichir par la multiplication des legs dont il fait l’objet. Rocaforti d’Hyères, par ailleurs sans descendant, fit de lui son héritier universel et cet établissement obtint, d’après l’inventaire des biens du marchand, six maisons, trois vignes, quatre terres, deux oliveraies, une étable, une terre à foin, un bois, un affar et deux cens sur le territoire hyérois64.
54L’investissement par les élites urbaines de la sphère de la charité, longtemps réservée à l’Église, s’intègre dans cette double dynamique d’une attention portée à la communauté toute entière et de la construction d’une identité singulière. En attribuant une grande partie de ses biens à une œuvre charitable, Rocaforti s’assurait de rester présent dans les mémoires en tant que bienfaiteur de l’hôpital et de la communauté même après sa mort.
55Au Saint-Esprit, l’administration était assurée, dès l’origine, par deux recteurs annuels choisis parmi les notables et élus le 30 novembre en séance du Conseil de ville par le viguier et six conseillers municipaux. Les sources ont gardé la trace de cet ancrage politique de l’hôpital qui entretient des rapports étroits avec le gouvernement municipal et les élites qui le composent. D’une part, une salle de l’Hôpital sert de lieu de réunion du Conseil de ville comme l’attestent plusieurs mentions issues des délibérations municipales65. D’autre part, au-delà de l’administration, il existe dès l’origine des interactions financières fortes entre l’Hôpital du Saint-Esprit et le Conseil de ville et, de manière plus générale, avec les affaires de la municipalité. À titre d’exemple, le 26 juillet 1397, le Conseil décide qu’il sera prélevé sur les revenus de la rève du blé, 1 000 florins d’or pour rembourser les recteurs des hôpitaux de Saint-Esprit et de Saint-Jacques de Galice, qui avaient prêté pareille somme à la communauté66.
56Mais la proximité ne s’arrête pas au soutien financier : le Conseil se fait foi de défendre l’hôpital contre toute forme d’appropriation. C’est pourquoi, le 7 mai 1403, l’hôpital est autorisé par le Conseil à se défendre contre des ordonnances de l’évêque, relatives aux testaments des marchands Julien de Casaulx et Jacques Stornel67. Et, lorsque l’autonomie de l’hôpital fut menacée par les tentatives de l’ordre du Saint-Esprit de Montpellier, lequel prétendait que « certaines maisons relevaient de sa juridiction comme étant des succursales anciennement fondées par lui68 », le Conseil délibéra que jamais ce ne fut le cas, contrairement aux affirmations d’un certain Béranger Girone, qui se présentait comme inspecteur dudit hôpital et de ladite commanderie et qui invitait le Conseil à lui reconnaître ce titre69.
57Cette emprise du pouvoir municipal sur les hôpitaux, et plus généralement sur la sphère de la charité, n’a, bien sûr, rien d’exceptionnel. Certaines villes du Midi enregistrent même des articles dans les règlements municipaux, comme à Saint-Gilles, Arles, Uzès ou Nîmes, faisant état de l’intérêt des municipalités pour les pauvres, donnés comme bénéficiaires des marchandises non conformes aux réglementations appliquées dans lesdites villes, ou bien des mesures exceptionnelles visant à protéger les plus défavorisés lors des périodes difficiles70. L’intégration par les laïcs de prérogatives jusqu’à lors réservée à l’Église s’inscrit bien dans cette nouvelle idée de la ville mettant en avant les qualités d’un bon gouvernement dont les marchands restent les principaux acteurs.
58L’attitude du pouvoir comtal face aux hôpitaux marseillais resta assez pacifique. Après la dissolution de la confrérie du Saint-Esprit, l’établissement ne semble avoir souffert ni de restrictions ni de suspicion. Il faut dire que le Conseil de ville, théoriquement sous l’autorité du viguier, s’occupa consciencieusement des affaires de la cité, évitant sans doute au comte de se heurter directement aux problèmes marseillais.
59Au-delà des espaces où l’on voit généralement évoluer les marchands, boutiques, foires et marchés, existent donc des lieux où ces hommes peuvent mettre de nouvelles sociabilités en œuvre, renforcer la cohésion de leur groupe et afficher visiblement leur souci du bien commun. La réputation, acquise en grande partie individuellement, et l’implication ostentatoire dans la poursuite de l’intérêt général, en particulier par des actions collectives, semblent être des signes de l’ascension sociale, à même d’être reconnus et valorisés par les contemporains.
60Le parcours de Bertrand Rocaforti d’Hyères est, à ce titre, exemplaire. Son choix d’entamer, dans le même temps, une carrière notariale et commerciale et, peu après, politique, révèle la mise en place de cette construction sociale dont le dernier aspect est la redistribution des richesses par l’exercice de fonctions pour le bien commun. À travers le parcours de ce marchand provençal, il est donc possible d’envisager à quel point la construction d’une identité individuelle va de pair avec l’identité collective de la communauté.
61Dans le contexte qui nous occupe ici, ces communautés provençales se trouvent engagées au sein de situations qui les dépassent, mais auxquelles elles doivent faire face sans pour autant bénéficier d’une grande aide de la part des autorités angevines. Elles doivent fréquemment emprunter de l’argent aux seuls individus capables de réunir des fonds ; les marchands, tel Bertrand Rocaforti, enrichis par un commerce méditerranéen ou régional, trouvent par ce biais, un moyen d’acquérir davantage de pouvoir sur leur communauté. Toutefois, dans ces parcours personnels marqués par la recherche de la notabilité, l’utilisation de leurs capacités propres (écrire, compter, communiquer) s’avère également essentielle dans la construction individuelle de ces marchands.
62À Marseille où ce phénomène est particulièrement notable, certaines familles comme les Forbin, deviennent en peu de temps les véritables bailleurs de fonds et les défenseurs de la municipalité marseillaise ainsi que de la monarchie71. Car la fidélité des négociants marseillais au pouvoir angevin, s’illustre depuis le dernier tiers du xive siècle en particulier par les nolis de bateaux pro servicio reginali72. En retour, les Angevins respectèrent les privilèges dévolus aux Marseillais depuis la fin de la commune et laissèrent le Conseil municipal et l’oligarchie marchande gagner de plus en plus d’autorité dans les affaires de la cité.
Notes de bas de page
1 Ce document a fait l’objet d’une publication partielle. P. Roux, « Bertrand Roquefort et les comptes trésoraires de la ville d’Hyères en 1397-1398 », Recueil des mémoires et travaux publiés par la société d’histoire du droit, Université de Montpellier, 1979, p 107-140.
2 Les folios 50 à 69 concernent les comptes de la ville d’Hyères d’octobre 1397 à décembre 1398. En premier lieu les recettes puis les dépenses. Entre elles sont intercalées quelques pages de comptes personnels. Rocaforti avait, semble-t-il, pris soin de prévoir quelques folios de plus pour inscrire les recettes de la ville. Il y inscrivit quelques années plus tard, ses comptes personnels qui s’échelonnent jusqu’aux années 1420.
3 On note l’utilisation ponctuelle du latin, mais l’utilisation du provençal reste majoritaire dans ce registre comme sur les autres livres de comptes rédigés par les trésoriers municipaux provençaux de cette période.
4 Les parcours parallèles de ces deux personnages font l’objet de notre thèse de doctorat, sous la direction de L. Verdon, intitulée « La figure de Bertrand Rocaforti. Expériences, identités et stratégies d’ascension sociale en Provence à la fin du xive siècle ».
5 Il est difficile de connaître les raisons de cette variété. Dans beaucoup de cas, il semble que ce soit le notaire qui préside au choix de ces marqueurs, sélectionnant celui ou ceux dont la fonction mnémonique sera la plus forte. Le notaire connaissant, la plupart du temps, ses clients, les marques d’identités semblent servir davantage de repères pour sa mémoire que de marques réelles d’identité. D. L. Smail, Imaginary cartographies. Possession and identity in late Medieval Marseille, Cornell University Press, Ithaca and London, 1999, p. 202. En ce qui concerne l’emploi des épithètes d’honneur, les travaux de Claire Dolan ont montré qu’en général, pour une même période, une même personne était identifiée chez plusieurs notaires par la même épithète, tendant ainsi à démontrer que le client « amène » avec lui son épithète. C. Dolan, Le notaire, la famille et la ville (Aix-en-Provence à la fin du xvie siècle), Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, p. 49.
6 Archives municipales de Marseille, (désormais AMM), 7 ii 1.
7 AD BdR, 3 B 155, fo 55.
8 AMM, 7 ii 28.
9 Voir les exemples donnés par : E. Destefanis, Testaments et piété funéraire à Marseille 1400- 1430, Mémoire de maîtrise, Université Provence, 1982, p. 26 et par L. Gaudreault, « Écrit pragmatique, écrit symbolique : le premier registre de délibérations communales de Brignoles (1387-1391) », Memini. Travaux et documents, éds. Michel Hébert et Kouky Fianu, août 2008, p. 149-190.
10 L’historiographie du notariat provençal a été particulièrement renouvelée ces dernières années, en particulier les questions relatives à la figure du notaire durant l’époque médiévale et moderne. Voir notamment : L. Faggion, A. Mailloux et L. Verdon, dir., Le notaire : entre métier et espace public en Europe, viiie-xviiie siècle, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2008 ; L. Verdon, « Les notaires, officiers du comte de Provence aux xiiie et xive siècles », Rives méditerranéennes, octobre 2007, p. 93-99 ; C. Dolan, Le notaire, la famille et la ville. Aix-en-Provence à la fin du xvie siècle, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1998.
11 Le tissu qui fait, par ailleurs, l’objet de la plus grande précision dans l’enregistrement comptable retient une grande partie de l’attention de Rocaforti. Il s’associe en 1403 à un tailleur hyérois Jean Calha, qu’il choisit parmi sa parenté spirituelle. Sa boutique de draps compte cette année-là, un capital de 257 florins pour lequel Rocaforti apporte une part de 68 % soit 175 florins. AMM, 7 ii 16, f° 26.
12 L’ouvrage de référence en ce qui concerne la situation du commerce en Provence demeure : E. Baratier et F. Reynaud, Histoire du commerce de Marseille T. 2, De 1291 à 1423, Paris, Plon, 1951.
13 R. Aubenas, « Commerce des draps et vie économique à Grasse en 1308-1309 », Provence historique, 9, 1959, p. 201-212.
14 AMM, 7 ii 15, f° 5 v°.
15 AMM, 7ii19, f° 50. ADV, E 526. Acte du 26 novembre 1411.
16 AD BdR, 3 b 155, f° 55. Acte du 27 octobre 1423. AMM, 7ii 20. f° 1.
17 Le poste de viguier est tenu en 1397 par Girart Destals (AMM, 7ii19, f° 65), en 1402 par Bermon Drogal (AMM, 7ii19, f° 95 v°), en 1428 par Jean Villard (AD BdR, B 1925).
18 AMM, 7 ii 23. Pour une période postérieure, Wolfgang Kaiser insiste sur l’importance de l’acquisition de fermes dans la définition de la noblesse. Les fermes rapportent et bénéficient « du halo que répandait l’exercice des droits royaux » même s’il précise que les gabelles urbaines étaient le plus souvent achetées par des marchands de moindre importance et que les très riches négociants se contentaient souvent du rôle de caution. W. Kaiser, Marseille au temps des troubles, 1559-1596 : morphologie sociale et luttes de factions, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1992, p. 121.
19 AMM 7ii19, f° 64
20 Le rôle du viguier Girart Destrals demeure très secondaire. Son nom n’apparaît qu’à une seule reprise lorsqu’en mai et juin 1398, la communauté doit s’acquitter de 100 florins auprès de lui, AMM 7ii19, f° 65.
21 Le 30 juillet 1397, le sénéchal de Provence, Georges de Marle, assiège Pertuis qui aurait cédé, d’après l’Encyclopédie des Bouches-du-Rhône, après dix-huit jours. Or, d’après les comptes de Bertrand Rocaforti, il semble que la nouvelle de la reddition n’arrive que le 10 décembre 1397.
22 AMM, 7ii19, f° 60v°.
23 AMM, 7ii19, f° 61.
24 AMM, 7ii19, f° 72.
25 AMM, 7ii19, f° 64. Item plus avem despendut que bayllem a S. Berthran Periar et a Bertran Raymon, companhons elegiz en l’embaysada de Sestaron a monsenhor lo Senescal, per acosrdar lo fach de nostras empositions et las penas dels citatz per asela causa davant lodich mosenhor, divendre a XII d’abrili.
26 AMM, 7ii19, f° 66.
27 P. Roux, « Bertrand Roquefort et les comptes... », art. cit., p. 114.
28 J. Heers, Les Barbaresques, la course et la guerre en Méditerranée xive-xvie siècle, Perrin, 2001 et E. Baratier, F. Reynaud, Histoire du commerce..., op. cit., p. 259.
29 Item plus avem pagat per lo loguiar d’un rosin que montet S. Johan Jassaut cant anet a Breganson per praticar ambe messer Baudo l’alongui de la paga dels IIIc fl. ordenatz a pagar ad el per lo thesaurier general, s. IIII, que fom d’Antoni Amalric, et fom pagat en presentia del dich S. Johan Jassaut, s. IIII. Item plus avem pagat a S. Johan Jassaut vialh et a maistre Payre Gras, per l’embayssada que feron a Breganson a messer Baudo per la paga de IIIc flor. et per praticar la vendoa de la reva els capitols que port., Flor. I,
AMM, 7ii19 f° 61.
30 Voir, en particulier, les travaux de J.-L. Bonnaud : Un État en Provence. Les officiers locaux du comte de Provence au xive siècle (1309-1382), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007 ; « Jalons pour une étude des cercles du pouvoir sous les trois premiers souverains de la seconde maison d’Anjou en Provence (1382-1434) », Provence historique, 59, 2009, p. 59-72.
31 AMM, 7 ii 27.
32 AMM, 7 ii 26.
33 AMM, 7 ii 17.
34 AMM, 7 ii 18.
35 Item plus avem receuput et per receuput ho tenem de maistre Honorat Dalbis f. XV dalscals fesem compliment a S. Ugo Clapiar per las raubas de nostre sendegat, f. XV, AMM, 7ii19, f°52v°.
36 R. Pernoud, Les statuts de Marseille, Monaco, 1949, p. 24.
37 AMM, 7ii19, f°64, 66, 67, 68v°.
38 AMM, 7ii19, f° 60v°, 61, 66.
39 AMM, 7ii19, f° 69.
40 W. Kaiser, Marseille au temps des troubles..., op. cit., p. 46-47.
41 G. Todeschini, Richesse franciscaine : de la pauvreté volontaire à la société de marché, Lagrasse, Verdier, 2008. L’entourage franciscain et dominicain de Rocaforti se distingue notamment à la lecture de son testament dans lequel il fait des frères mineurs ses intercesseurs privilégiés. Il attribue cinq florins à son confesseur, un frère prêcheur maitre en théologie, avant d’accorder à des frères franciscains d’autres petites sommes et pour intercedere apud Deum pro anima mea. AD BdR, 1 HD b 62.
42 AMM, 7ii19, f° 72v°.
43 AMM, 7ii19, 95v°.
44 AMM, 7ii19, 69v°.
45 Corrado de Felip apparait à plusieurs reprises dans les papiers de Rocaforti. Il est marchand et habitant d’Hyères (AMM 7 ii 16, f° 2), mais très certainement originaire de la péninsule italienne. Le fonds Datini fait état de trois lettres envoyées d’Hyères par Corrado da Felipe à Francesco Datini (01/08/1396, 23/09/1399, 15/11/1399).
46 AMM, 7ii19, f° 61 v°.
47 C’est le cas, par exemple, de Pierre Ricavi le Jeune, collecteur à la porte du Lauret. Un acte du 31 janvier 1424 nous apprend qu’il doit être remboursé par la communauté des sommes qu’il a avancées. AD BdR, 392 E 159 [non folioté].
48 AMM, 7ii19, f° 50.
49 E. Baratier et F. Reynaud, Histoire du commerce..., op. cit., p. 754-755.
50 AMM, BB 13, f° 65v°. Cité dans : D. Carraz, « Les Lengres à Marseille au xive siècle », Revue historique, 652/4,, 2009, p. 755, p. 771, n° 80.
51 AD BdR, 392 E 159, f° 75.
52 Ce point est notamment développé à travers l’exemple de la famille Borghese à Rome par : B. Forclaz, La famille Borghese et ses fiefs. L’autorité négociée dans l’état pontifical d’Ancien Régime, Rome, École Française de Rome, 2006 (« Collection de l’École française de Rome », 372).
53 P. Jansen, Macerata aux xive et xve siècles : démographie et société dans les Marches à la fin du Moyen Âge, Rome, École française de Rome, 2001 (« Collection de l’École française de Rome », 279), p. 297.
54 À Ratisbonne, en 1486, plusieurs membres du conseil furent accusés d’avoir privilégié leur intérêt personnel au bien commun et furent exilés pour avoir favorisé l’annexion de la ville. O. Richard, Mémoires bourgeoises : « memoria » et identité urbaine à Ratisbonne à la fin du Moyen Âge, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 38.
55 Dans le livre de comptes 7ii19, Rocaforti mentionne que l’un de ses employés a eu maille à partir avec les pirates écumant les côtes provençales et qu’une barque à corail fut dégradée par les Maures, AMM, 7ii19, f° 83.
56 Dominique Valérian a bien montré comment les traités de la fin du xive siècle donnent désormais à la question des captifs une place centrale : D. Valérian, « Le rachat des captifs dans les traités de paix de la fin du Moyen Âge », Hypothèses, mars 2006, p. 343-358.
57 AD BdR, 1 HD b 121, parchemin n° 6.
58 C. Barnel, « Les Favas. Une famille de drapiers dans la Marseille angevine, 1302-1473 », Provence historique, 39, 1989, p. 377.
59 Après la fuite du viguier Arnaud de Villeneuve, le marchand Bertrand Forbin tenta de défendre la chaîne du port avec un seul bateau. Il avait attaché celui-ci à la tour de Saint-Jean et la nef finit par couler, bouchant l’une des passes du port et ralentissant ainsi les envahisseurs. AD BdR, Fonds Bruno Roberty, 22 F 208.
60 Le 19 avril 1410, Antoine Ricavi fait construire une galée pour la course payée aux 3/4 par Gabriel de Sarda et au 1/4 par lui, AD BdR, 355 E 66, f° 7.
61 AD BdR, 391 E 159, f° 69 v°.
62 AD BdR, 351 E 191 [non folioté], 355 E 120, f° 37v°.
63 Il ne nous est pas possible ici de développer les différents aspects ayant trait à la pratique individuelle de la charité. De la même façon, la question de la diffusion des modèles par la pastorale mendiante, dont on connaît des traces dans le Midi aquitain à la fin du XIIe et dans les villes du Bas-Rhône, sera également laissée de côté. Voir à ce sujet : D. Le Blévec, La part du pauvre : l’assistance dans les pays du Bas-Rhône du xiie siècle au milieu du xve siècle, Rome, École française de Rome, 2000, (« Collection de l’École française de Rome », 265).
64 Voir l’inventaire des biens et la liquidation réalisée par le prieur du couvent des Prêcheurs de Marseille et les recteurs du Saint-Esprit. AMM, 7 ii 28 et 7 ii 20.
65 AMM, BB20, 6 mai 1349, f°132-133 ; AMM, BB22, 31 janvier 1357, f°114-116.
66 AMM, BB 6, 26 juillet 1397.
67 AMM, BB 32, f°119.
68 F. Mireur, Les hôpitaux du Saint-Esprit, Draguignan, 1895, p. 4.
69 AMM, BB 33, 29 février 1475, f°87v°.
70 D. Le Blévec, La part du pauvre : l’assistance dans les pays du Bas-Rhône du xiie siècle au milieu du xve siècle, Rome, École française de Rome, 2000, (« Collection de l’École française de Rome », 265), p. 292-293.
71 C. Maurel, op. cit., p. 657-681.
72 Marseille et ses rois de Naples, La diagonale angevine 1265-1382, Archives Municipales de Marseille, Aix-en-Provence, Édisud, 1988.
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Ce livre est cité par
- Boyer, Jean-Paul. (2017) Sancia par la grâce de Dieu reine de Jérusalem et de Sicile. Mélanges de l'École française de Rome. Moyen Âge. DOI: 10.4000/mefrm.3655
- Sussman, Sarah. (2017) Recent Books and Dissertations on French History. French Historical Studies, 40. DOI: 10.1215/00161071-3946540
Ce chapitre est cité par
- de la Torre Gonzalo, Sandra. (2019) Trading Nobles and Ennobled Merchants: Trade as an Instrument for Social Promotion in the Kingdom of Aragon (14th–15th c.). Viator, 50. DOI: 10.1484/J.VIATOR.5.124856
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