Le gouvernement du comté de Provence durant le séjour de Louis III en Italie (1423-1434)

Jean-Luc Bonnaud

p. 43-53


Texte intégral

1La Provence faisait partie, à la fin du Moyen Âge, d’un vaste ensemble politique composé de territoires placés sous la domination angevine. Sous le règne de Louis III d’Anjou, le gouvernement du comté était assuré à partir de plusieurs centres de décisions ; en Provence même, autour de sa capitale Aix-en-Provence, en Italie, autour de la cour de Louis III, et enfin autour de la reine mère, Yolande. Cette dispersion des lieux de pouvoir force à nous interroger sur la nature des relations entre le pouvoir central et les territoires sous sa juridiction. L’angle d’approche privilégié dans cette étude est celui du personnel de l’État, principalement les grands officiers, les conseillers du roi et les membres de l’hôtel pour déterminer par qui le comté de Provence était gouverné. Quelle était leur origine géographique ? Venaient-ils de toutes les parties du royaume ou étaient-ils avant tout des Provençaux ? Les grands officiers étaient-ils appelés à voyager souvent entre ces différents centres ou bien ces derniers avaient-ils chacun un personnel plus ou moins stable ? En somme, y avait-il une spécialisation géographique du personnel en fonction des tâches à effectuer dans chacun d’entre eux ? J’essaierai également de m’interroger sur le processus de prise de décisions. Comment ces dernières, prises parfois loin du comté, étaient-elles transmises et appliquées en Provence ? La distance séparant le roi du comté nuisait-elle au bon gouvernement de la province et quelle était la marge de manœuvre des officiers résidant à Aix ?

2Pour répondre à ces questions, cet article se divisera en quatre parties. Je me pencherai tout d’abord sur l’origine géographique des grands officiers du comté et des membres des conseils royaux. Dans un second temps, j’essaierai de voir quels sont les officiers et membres du conseil réellement présents dans leur office pour ensuite me pencher sur les délais de transmission des lettres royales et terminer par l’étude des déplacements des officiers

3Cette recherche s’effectuera en analysant les grands registres de la chambre des comptes dans lesquels sont enregistrés par l’archivaire non seulement « les lettres et privilèges concédés à des particuliers et à des communautés » mais aussi « des pièces de toute nature »1. Ils nous révèlent les noms de nombreux individus en lien avec le pouvoir et nous les montrent dans l’exercice de leurs fonctions.

4La majeure partie des grands officiers œuvrant à Aix-en-Provence sont des Provençaux. Cette constatation a déjà été faite pas N. Coulet pour toute la période de la seconde maison d’Anjou2. C’est le cas tout d’abord des maîtres rationaux. Sous Louis III, que ce soit André Botarici, Louis Guiranni, Jean Martini, Antoine Isnard, Antoine Suavis, Hugues Audirini ou Raoul Rollandi, ce sont tous des Provençaux3. C’est aussi le cas du seul juge-mage qui officia durant cette période, Jourdain Brice, seigneur de Velaux et Châteauneuf-le-Rouge. À un niveau inférieur, les archivaires-rationaux Jean de Pigono, Bertrand et Guillaume de Rousset ainsi que Jean Arnaudi le sont également. Même constatation pour les avocats et procureurs fiscaux Jean Martini, Jacques Boysoni et Théobald Monachi ainsi que les trésoriers Philippin de Viete, Jean Ardoyni et Jean Porcherii4.

5Les grands officiers extérieurs au comté constituent donc une exception. Il faut pour cela aller au plus haut niveau de la hiérarchie, c’est-à-dire, les gouverneurs Pierre de Beauvau5 et Tristan de la Jaille6, originaires de l’Anjou. Il y a également quelques rares exceptions à un échelon inférieur. Pensons au Tourangeau Jean de Podio, maître rational, dont la carrière a été brièvement décrite par Marcelle-Renée Reynaud7.

6L’autre centre de décision est le conseil du roi. La tâche est ici plus compliquée car le conseil n’est pas unique. Il y a le conseil de la reine Yolande au début du règne, le conseil de Louis III et le conseil siégeant à Aix, soit autour du gouverneur ou du frère du roi, Charles, vice-roi du comté de Provence. D’autre part, de nombreuses personnes portent le titre de conseillers sans pour autant siéger véritablement au conseil ou ne siégeant que de façon épisodique. Les lettres recopiées dans les grands registres nous livrent heureusement souvent les noms des membres présents lors des conseils. Même si comme l’a déjà fait remarquer N. Coulet, « les listes des membres des conseils figurant au bas des actes sont le plus souvent incomplètes8 », nous pouvons cependant à partir de ces noms avoir une certaine idée de l’entourage proche du roi. Les noms qui y figurent sont certainement ceux de ses conseillers les plus proches.

7La composition géographique de ces conseils est assez hétéroclite. Leurs membres sont issus de toutes les parties du royaume. Toutefois, chaque conseil est différent. Le plus provençal de tous est évidemment celui qui se tient en Provence autour du gouverneur ou du vice-roi. Ce ne sont bien souvent que des Provençaux qui y siègent. Les conseils de Louis III et Yolande sont plus bigarrés. Ils sont composés de personnes venant de tout le royaume : Provençaux, Italiens ou Angevins. Leur composition dépend de la clientèle du prince. En ce qui concerne Louis III, nous remarquons une présence importante des Provençaux, surtout des grands féodaux à l’instar des chevaliers Guillaume de Villeneuve9 et Élion de Glandevès10. L’homme le plus assidu aux réunions du conseil avec 44 présences recensées entre 1424 et 1430 est le maître rational et docteur en droit, Vital de Cabannes. Nous ignorons malheureusement son origine exacte11. Les Angevins sont également très présents comme l’illustre le cas du secrétaire du roi et doyen d’Angers, Nicolas Perrigaut (32 présences), mais aussi ceux des gouverneurs Pierre de Beauvau et Tristan de la Jaille. Il est à noter que les Italiens sont rares dans l’entourage du roi. Les documents ne nous en montrent que très peu, si ce n’est Jacques12 et Antoine Rumbo13, originaires de la région de Naples, Checo de Ailleis, de Florence14, Biancardinus de Bechutis, de Pérouse15, Gaspard di Toraldo16 et Hector Galeoti17, probablement originaires de Naples. Cette faible présence des conseillers d’origine italienne peut cependant s’expliquer par le fait que les lettres enregistrées dans les registres touchent essentiellement la Provence. Il est possible que lorsqu’il s’agit de discuter d’affaires la concernant, Louis III s’entoure alors surtout de Provençaux ou d’officiers ayant déjà servi dans le comté.

8Les noms des grands officiers cités plus haut peuvent induire en erreur car certains n’apparaissent presque jamais dans les actes. Aussi, il faut tenir compte de leur réelle présence dans leurs offices. À cet effet, il est impossible, au stade actuel de nos recherches, de consulter tous les documents de la pratique administrative provençale. Nous ne pouvons à l’heure actuelle que dresser un tableau plus ou moins impressionniste à partir des grands registres de la chambre des comptes et de quelques autres documents émanant de cette même chambre.

9Un certain nombre d’officiers apparaissent régulièrement dans les documents, d’autres moins et certains presque jamais. Les plus présents sont les juges mages qui officient également à titre de maîtres rationaux. Il n’y en a qu’un pour notre période. Il s’agit du docteur et professeur dans les deux droits, Jourdain Bricii18. Toujours basé en Provence, il est omniprésent dans les actes entre 1420 et 1434 car sa fonction de juge-mage implique que, lorsqu’il est présent au conseil, il contresigne, sauf à la toute fin du règne de Louis III, les lettres envoyées au nom du conseil.

10Quelques maîtres rationaux sont également très actifs dans leur office : Louis Guiranni, tout au long du règne, Antoine Suavis de 1425 à 1433 ou André Botarici, à partir de sa nomination en 1424. D’autres le sont beaucoup moins comme Antoine Isnardi19 et Jean Martini20, alors que certains sont quasiment absents à l’instar de Raoul Rollandi et du languedocien Guillaume Saigneti, lesquels n’apparaissent qu’à une seule reprise dans leur fonction. Nous pouvons légitimement nous demander, au moins pour les deux derniers, s’il ne s’agit pas ici de postes honorifiques. Le fait que certains maîtres rationaux soient singulièrement absents dans les sources laisse penser que le travail de la chambre des comptes est concentré dans les mains de quelques personnes particulièrement actives.

11 Les officiers les plus assidus dans leur fonction sont les rationaux-archivaires. Peu nombreux, ils sont au nombre de quatre pendant la période. Ce sont Jean de Pigono, Bertrand et Guillaume de Rosseto ainsi que Jean Arnaudi. Ces hommes sont tous des Aixois, membres de vieilles familles, et bien installés dans la capitale du comté. Les registres notariés les montrent actifs dans toutes sortes de transactions et ils se marient avec des membres des plus importantes familles du comté21. Leurs activités font d’eux des piliers de l’appareil administratif central car ils examinent les comptes des officiers locaux et subalternes tandis que leur fonction de gardien des archives fait passer en leurs mains toutes les lettres et privilèges émis au nom du roi qu’ils ont pour tâche d’enregistrer. Comme l’a affirmé N. coulet, l’activité de la chambre des comptes repose sur le travail qu’ils accomplissent22. Ils sont donc omniprésents dans les registres.

12Le fonctionnement de l’appareil administratif semble donc être assuré par quelques officiers. Le gouverneur et les lieutenants du roi, seuls étrangers au comté, le juge mage, certains maîtres rationaux et les archivaires. C’est là le cœur de l’État provençal. Ce sont presque tous des Provençaux. Cet appareil administratif est actif même s’il n’agit, le plus souvent, que comme relais de décisions prises à la cour de Louis III ou de Yolande. La cour d’Aix, durant le règne personnel de Louis III, très souvent, ne fit que répercuter dans le comté les ordres venus d’Italie. Les grands registres rendent bien compte de ce processus. Après l’annonce de la présentation des lettres royales devant les archivaires, ces registres reproduisent les lettres de Louis III. Il advient parfois que le lieutenant du roi en Provence ait fait rédiger auparavant une lettre ordonnant d’enregister la lettre royale aux archives ou de mettre en œuvre les ordres du roi. Ainsi, le 12 septembre 1331, l’archivaire enregistre un privilège de Louis III pour l’université de Digne, daté du 20 février de la même année, et présenté par le noble Louis Radulphi, syndic de la ville. La veille, le 11 septembre 1331, Pierre de Beauvau, lieutenant du roi, avait écrit aux maîtres rationaux en ordonnant que la lettre du roi soit enregistrée dans les archives et qu’elle soit exécutée23.

13 Cependant, l’appareil administratif provençal n’agit pas seulement comme une simple courroie de transmission des ordres venus d’Italie. Un grand nombre d’actes émanent du gouverneur lui-même sans que le roi n’apparaisse comme étant à l’origine de son action, ceci dans une proportion du tiers des lettres reproduites. Le lieutenant du roi peut donc prendre certaines décisions de façon indépendante. Il est certain notamment qu’il peut nommer à certains offices locaux24. Pierre de Beauvau, par exemple, semble nommer de lui-même le président du conseil Guillaume Saigneti, capitaine et châtelain du Bouc en 143025 en remplacement de Phillipin de Vieta. Il ordonne le paiement des gages de certains officiers26 et accorde des réductions du taux de l’albergue comtale27 ou de cens28. Il confirme des décisions des avocats et procureurs fiscaux29 et des maîtres rationaux30. Il donne des terres en emphythéose31. Le lieutenant du roi a donc une certaine liberté d’action qu’il serait intéressant d’étudier plus à fond en analysant systématiquement les actes qui ne sont que de son ressort32 et les lettres de Louis III organisant le gouvernement du comté33. Selon l’expression de B. Chevalier, cela permettrait de déterminer « quelle part de la puissance royale34 » il possédait.

14L’absence du roi a-t-elle perturbé la vie politique du royaume ? Marcelle-Renée Reynaud a déjà mis en évidence les soubresauts politiques que la présence du vice-roi et du lieutenant du roi a pu causer dans le comté de Provence35. Il me semble cependant que ce ne sont que des épisodes somme toute de peu d’importance qui ne remettent pas en cause fondamentalement le fonctionnement de l’appareil administratif. Le comté de Provence, depuis la première maison d’Anjou, n’a guère connu de souverains résidant sur son sol. Les officiers provençaux ont pris l’habitude depuis longtemps de gérer le comté en l’absence physique du roi. Le fonctionnement quotidien de l’appareil administratif central n’en paraît pas profondément perturbé. Les documents d’archives nous montrent les grands officiers au travail, que ce soit le gouverneur ou le personnel de la chambre des comptes. Ce que réclament les Provençaux est de pouvoir jouir de la manne que représentent les gages des grands offices et des offices locaux. De façon générale, ils y sont parvenus sauf parfois en ce qui concerne les sénéchaux et les lieutenants du roi.

15Il est cependant possible qu’au niveau des grandes décisions politiques, l’éloignement du roi ait pu être dommageable, ses décisions prenant un temps très long à parvenir en Provence comme en témoigne le temps moyen d’acheminement des lettres d’Italie à Aix-en-Provence. En effet, même si une lettre est parvenue en Provence en 25 jours36, la plupart mettent beaucoup plus de temps à être présentées aux archivaires. La grande majorité (66 %) prennent 3 à 9 mois pour faire le trajet. Une part non négligeable de ces lettres met cependant encore plus de temps à parvenir dans le Comté, entre une à dix années. Leur délai d’acheminement peut donc être très long.

16En regard des vitesses moyennes des courriers relevées ailleurs par les historiens, cette lenteur peut surprendre. Toutefois, l’acheminement du courrier n’est probablement pas en cause. Notons tout d’abord que sont présentés ici les délais entre la rédaction des lettres et leur présentation aux archivaires. Nous ne savons pas à quel moment précis elles arrivaient en Provence. Aussi, de multiples raisons peuvent expliquer ces délais importants, des raisons qui dépendent davantage de la volonté, ou de la disponibilité des personnes concernées. Par exemple, les deux lettres qui furent enregistrées le plus tardivement après leur rédaction ont pour objet le niveau des gages du juge-mage. Ce dernier ne les a probablement fait enregistrer que lorsqu’il en a véritablement senti le besoin. Peut-être plus significatif est le temps qui sépare l’envoi de la lettre royale de l’ordre d’enregister cette lettre par le gouverneur ou le vice-roi. Les chiffres sont cependant les mêmes. La moyenne significative se situe entre 3 et 9 mois. Là aussi certaines lettres mettent plus d’un an et jusqu’à 6 ans, alors qu’à l’opposé d’autres voyagent plus rapidement en un peu plus d’un mois.

17Il faudrait évidemment mettre en rapport le temps de présentation des lettres à la chambre des comptes avec leur contenu. Certaines lettres voyagent-elles plus vite que d’autres en raison de leur contenu ? La plus rapide (25 jours) concerne la nomination de Pierre de Beauvau comme lieutenant général du roi en Provence. On peut aisément comprendre les raisons de la rapidité de cet envoi. M.-R. Reynaud nous signale également que Louis a été informé en un temps record des difficultés que connaissait le gouvernement provençal en 142737. Ces exemples montrent que, quand cela est nécessaire, les lettres peuvent circuler relativement vite. Il conviendrait cependant de pousser cette analyse sur l’ensemble des lettres insérées dans les grands registres. Il semble cependant que la rapidité d’acheminement des lettres royales ne semble pas être une priorité autant pour leurs bénéficiaires que pour l’appareil administratif. Même pour les livraisons les plus urgentes, nous sommes loin des courriers exprès pouvant parcourir 100, 150, voire 200 km par jour38, mais plutôt au niveau de la vitesse moyenne (40 km par jour) d’un courrier ordinaire39. S’accommodant de retards parfois importants dans la transmission des lettres, il est probable que la chancellerie de Louis III faisait partir son courrier lorsqu’il y avait « une liasse de lettres suffisamment épaisse pour rentabiliser un envoi40 », et en utilisant probablement les courriers des marchands ou les voyageurs se rendant en Provence, à l’instar des papes d’Avignon au siècle précédent41. Il reste cependant difficile de mesurer l’impact de ces longs délais sur l’administration du comté.

Tableau des délais de transmission des lettres royales

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18Il est un fait que la cour de Louis III en Italie accapare un grand nombre d’importants personnages du comté. Certains même restèrent en Italie durant tout le séjour du roi. C’est le cas, par exemple, nous l’avons vu plus tôt, du maître rational Vital de Cabannes qui a passé toute la période auprès de Louis III de 1424 à 1434. Cependant, en fait, autour de Louis III, nous voyons surtout des membres de son hôtel et des secrétaires. Des chambellans comme Guillaume et Élion de Glandevès, des secrétaires personnels comme Nicolas Perigaut de 1423 à 143142, Jacques de Villecharte de 1426 à 143143, Cola de Castillione de 1423 à 143444, ou Arnaud de Summo de 1423 à 142745. Ce sont tous des hommes que Louis III a emmené avec lui des pays d’Outre-Mont ou qui l’ont rejoint au cours de son séjour et que l’on voit apparaître en Provence ou en Anjou avant son départ pour l’Italie.

19Nous pouvons nous demander si chaque centre avait son propre personnel à demeure ou si des échanges d’officiers avaient lieu entre chacun d’entre eux. L’enquête montre que peu d’officiers de la cour d’Aix se sont déplacés en Italie. Elle montre également que ceux qui le firent n’y restèrent que peu de temps. Le juge mage Jourdain Bricii n’y a effectué qu’un court séjour en novembre 142446. Chez les maîtres rationaux, la seule véritable exception concerne Vital de Cabannes. Aucun autre grand officier, parmi les rationaux, archivaires, trésoriers, avocats et procureurs fiscaux, ne semble s’être déplacé dans la péninsule. Seuls, les deux lieutenants du roi en Provence, Tristan de la Jaille et Pierre de Beauvau, firent plusieurs séjours en Italie. Ces deux hommes ont beaucoup voyagé. Ce sont les grands personnages qui font le plus d’allers et retours entre Provence et Italie. Ainsi, Pierre de Beauvau, par exemple, séjourna en Italie de 142447 à février 1427. Présent en Provence en juillet de la même année48, il est à nouveau près du roi en janvier 142949. De juin 1429 à octobre 143050, il est en Provence, puis en Italie de février51 à mars 143152. De retour en Provence en septembre 143153, il y reste jusqu’en novembre 143254. En juillet 143355, il est à nouveau auprès du roi pour retourner en Provence de janvier 143456 à mai 143457. Il s’agit probablement de l’officier ayant le plus fait de voyages entre la Provence et l’Italie. Il fit le trajet au moins sept fois dans l’un ou l’autre sens. L’autre lieutenant du roi, Tristan de la Jaille, voyagea peut-être un peu moins, mais alterna lui aussi séjours en Italie et en Provence. Ainsi, il est dans le comté en 142058, puis en Italie de juin 142359 à août 142460. De retour en Provence en mai 142561, il y reste jusqu’en juillet 142762, pour être à nouveau auprès du roi d’octobre 142763 à juin 142964. De tous les grands officiers, les lieutenants du roi furent ceux qui voyagèrent le plus entre les deux cours. L’importance de leurs fonctions ainsi que leur rôle politique nécessitaient certainement qu’ils se rendent régulièrement auprès du roi pour prendre des ordres et donner conseil quant à la politique provençale.

20Le roi compte également sur certaines autres personnes de confiance pour assurer la liaison avec le comté de Provence. Nous remarquons en effet les séjours ponctuels à Aix de membres de l’entourage proche du roi en Provence à l’instar de celui de Nicolas Perrigaut en juillet 142665, de celui d’un autre secrétaire du roi, Jacques de Villecharte, en juillet 142766 et en 143467, ou encore du secrétaire du roi Cola de Castillione qui résida en Provence à plusieurs reprises entre 1330 et 133368. Il est à noter que ces voyages dans le comté sont surtout le fait d’hommes très proches du roi, ses secrétaires surtout, et parfois, mais plus rarement de gens de l’Hôtel. Par exemple, en février 1427, Louis III envoie son premier chambellan, Élion de Glandevès, présenter à la réunion des états d’Aix-en-Provence, une proposition visant à mettre le pays en défense69.

21Excepté les lieutenants du roi, le cœur de l’appareil administratif provençal ne se déplaça donc pas ou très peu en Italie. La capitale du comté garde un personnel stable notamment les officiers de la chambre des comptes. Il y a toujours également en Provence un représentant du roi que ce soit son frère, Charles, ou un des deux lieutenants du roi, Tristan de la Jaille et Pierre de Beauvau ou son frère, Bertrand70. Le lien avec le roi se fait par les voyages ponctuels de ces lieutenants. Il se fait aussi par l’intermédiaire de voyages de membres de l’entourage du roi et plus spécifiquement des secrétaires du roi à l’instar de Jacques de Villecharte qui est payé pour un voyage en Provence et au concile de Bâle, le 11 septembre 143471. Les gens de l’hôtel ou du conseil voyagent peu ou pas du tout. Il faut ajouter à cela, mais ceci n’est pas vraiment du ressort de cette étude, les ambassades envoyées par les états de Provence auprès du roi.

Conclusion

22Au total, les résultats de cette enquête sont un peu décevants quant à l’analyse des déplacements des officiers. Les documents nous les montrent plutôt casaniers. Chaque centre conserve son propre personnel et les échanges d’officiers entre chacun d’entre eux semblent peu nombreux. Seuls les Français et les Angevins semblent bouger entre Anjou, Provence et Italie. La liaison entre la cour du roi et Aix-en-Provence est assurée par l’échange de lettres et les déplacements ponctuels de personnages importants en qui le roi a toute confiance, ses lieutenants et ses secrétaires. L’absence du roi n’empêche pas le comté de Provence d’être gouverné. Un personnel administratif, organisé autour de quelques personnes très actives, et en majeure partie d’origine provençale, continue de faire fonctionner l’appareil administratif. Il n’y a donc pas d’hémorragie de l’élite des officiers provençaux vers l’Italie comme cela a pu être déjà affirmé. Si ce n’est quelques rares individus, les juristes et hommes de finances provençaux restent sur place à Aix-en-Provence, ne voulant pas s’éloigner des possibilités d’affaires que leur offre leur milieu et des offices que leur procure la capitale du comté. Quelques hommes cependant suivirent Louis III en Provence tout en prenant bien soin de nommer un procureur qui s’occupera de leurs affaires dans le comté à l’exemple d’Élion de Glandevès qui se fait représenter en Provence par le jurisperitus Mathieu Donneti72.

23Les grandes décisions politiques continuent d’être prises à l’extérieur du comté mais cela ne constitue pas une nouveauté pour les Provençaux. Depuis la première maison d’Anjou, les souverains n’ont que rarement résidé en Provence. Ses habitants ont encore l’occasion d’avoir leur mot à dire par le biais du personnel de la chambre des comptes et lors des réunions des États de Provence qui se réunissent à cette époque en moyenne une fois par année73.

Notes de bas de page

1 R.-H. Bautier et J. Sornay, Les sources de l’histoire économique et sociale du Moyen Âge, Provence – Comtat Venaissin – Dauphiné – États de la maison de Savoie, Vol. I, Paris, CTHS, 1968, p. 11.

2 N. Coulet, « Le personnel de la chambre des comptes de Provence sous la seconde maison d’Anjou », dans La France des principautés. Les chambres des comptes xive et xve siècles, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1996, p. 138, 139, 144.

3 Seule l’origine de Vital de Cabannes est incertaine. Était-il provençal ou napolitain ? Sur ce personnage, voir la notice de Salvatore Fodale dans Dizionario Biografico degli Italiani, vol. 15, 1972.

4 Pour l’origine géographique des officiers, N. Coulet « Le personnel », art. cit. ; N. Coulet, Aix-en-Provence. Espace et relations d’une capitale (milieu xive-milieu xve s.), Aix-en-provence, Université de Provence, 1988 ; M.R. Reynaud, Le temps des princes. Louis II et Louis III d’Anjou-Provence. 1384-1434, Lyon, Centre interuniversitaire d’histoire et d’archéologie médiévales, Presses Universitaires de Lyon, 2000 ; F. Cortez, Les grands officiers royaux de Provence au Moyen Âge, Aix-en-Provence, A. Dragon, 1921.

5 Sur la famille de Beauvau, voir L. Bidet, « La noblesse et les princes d’Anjou. La famille de Beauvau », dans N. Coulet et J.-M. Matz, dir., La noblesse dans les territoires angevins à la fin du Moyen Âge, Rome, École française de Rome, 2000, p. 471-497 ainsi que L. Bidet, « Les Beauvau en Italie entre fidélité aux princes angevins, ambitions familiales et choix personnels de la fin du xive siècle à la fin du xve siècle », dans Mémoire des princes angevins, n° 7, 2010, p. 9-30.

6 Brisay, Marquis de, La maison de la Jaille, Paris, Librairie ancienne, Honoré Champion, 1910, p. 190-194.

7 M.-R. Reynaud, Le temps des princes, op. cit., p. 116, 148 ; N. Coulet « Le personnel », art. cit., p. 140.

8 N. Coulet, « La noblesse provençale dans l’entourage du roi René », dans La noblesse dans les territoires angevins à la fin du Moyen Âge, Rome, École française de Rome, 2000, p. 317.

9 Seigneur de Séranon (AD13, B 1460 f. 184). Fils de Hélion de Glandevès, baron de Trets, seigneur de Séranon et de Dégane ou Décane Rostang de Peiresc (E. de Juigné de Lassigny, Histoire de la maison de Villeneuve en Provence, Lyon, Impr. d’Alexandre Rey, 1900, p. 49-50).

10 Seigneur de Faucon (AD13, B 10 f. 178v). Fils de Louis de Glandevès, seigneur de Faucon et de Jeanne de Balbs (Baron du Roure, Généalogie de la maison de Glandevès, Paris, Honoré Champion, 1907, p. 81-83).

11 Sur ce personnage, voir D. Maffri, « Giuristi dalle due patrie : Bon de Curtili fra Bresse e Brescia, Vital de Cabannes, Conte di Sacco ed altri fra Napoli et Provenza », dans B. Durand and L. Mayali (ed.), Exceptiones iuris : Studies in Honor of André Gouron, The Robbins Collection, 2000, p. 403-420. Selon lui, rien ne permet d’affirmer avec certitude que cet officier fut napolitain. Il est également possible qu’il ait été de souche provençale.

12 Chevalier, chambellan et conseiller du roi, le 15 août 1433, il reçoit la somme de 100 ducats pris sur les revenus de l’université d’Orsomarzo, (Bibl. Méjanes, Ms 768 (538), f. 372v.)

13 Sénéchal de l’hôtel du roi, il reçoit l’office de châtelain de Nicotera en Calabre, le 1er novembre 1423 (Bibl. Méjanes, Ms 768 (538), f. 115v.) et est encore en fonction le 23 juin 1430, (Bibl. Méjanes, Ms 768 (538), f. 321). Il apparaît comme sénéchal du royaume le 21 avril 1424, p. 29 et reçoit le fief de Marano, le 20 novembre 1428 (Bibl. Méjanes, Ms 768 (538), f. 296).

14 Le 15 juillet 1429, Checo de Alleis, familier du roi, est nommé procureur royal dans le poste de Nicolas Perrigaut pour défendre les droits du roi sur le castello de Monteleone (Bibl. Méjanes, Ms 768 (538), f. 313v). Le 15 juin 1423. Francesco de Alleis, de Florence, familier du roi, probablement un parent, fut nommé vice-trésorier du duché de Calabre par Louis II. Il fut également nommé capitaine du château de Martorano, le 17 octobre 1426, et châtelain de la cité de Reggio après la mort de Tristan de la Jaille, le 27 août 1429 (Bibl. Méjanes, Ms 768 (538), f. 77v, 259, 315).

15 Docteur dans les deux droits, conseiller du roi, il est nommé juge auprès du gouverneur de Calabre le 1er février 1426 (Bibl. Méjanes, Ms 768 (538), f. 227v).

16 Pour la carrière de cet officier, voir I. Orifice, I registri della cancelleria angioina, vol. XXXIV, regestrum Ludovici tercii, Academia Pontaniana, 1982, p. XXXIV.

17 Louis Galeota, de Naples, conseiller et écuyer du roi, est nommé capitaine de la cité de Santa Saverina, le 9 mars 1431 (Bibl. Méjanes, Ms 768 (538), f. 326v). Il avait auparavant été nommé capitaine et châtelain de Seminara, le 10 août 123 (Bibl. Méjanes, Ms 768 (538), f. 1).

18 Il est également recteur de l’Université d’Avignon et seigneur de Chateauneuf-le-Rouge et Velaux ; N. Coulet, « Le personnel », art. cit., p. 143, 146.

19 Il n’apparaît qu’à cinq reprises entre 1426 et 1428.

20 Quatre présences entre 1431-et 1434.

21 N. Coulet, « Le personnel », art. cit., p. 138-140. N. Coulet, dans son étude sur Aix-en-Provence, nous montre les activités de ces hommes. Jean de Pigono, gendre d’un maître rational et fils d’un ancien syndic de la ville, par exemple, est propriétaire de troupeaux de bovins (N. Coulet, Aix-en-Provence. Espace et relations d’une capitale (milieu xive-milieu xve s.), Aix-en-Provence, Université de Provence, 1988, p. 306, 806). Jean Arnaudi, beau-frère du juge mage Jourdain Bricii est propriétaire d’alpages (N. Coulet, Aix-en-Provence, op. cit., p. 127, 375). Bertrand de Rousset, beau-frère du maître rational Jean Drogoul, acquiert une bastide, achète des seigneuries, loue une montagne, est créancier de la ville d’Hyères, fait construire une chapelle, est propriétaire de troupeaux de moutons et fait le commerce maritime de grains (ibid., p. 191, 287, 389, 535, 538, 539, 862, 896). Guillaume de Rousset, fils de Bertrand, achète ou prend à ferme des seigneuries. Il finit pas être anobli sous le roi René (ibid., p. 287, 790, 794). La famille de Rousset est considérée comme un des cinq lignages dominants de la ville d’Aix au xve siècle (L. Larochelle, Boni, probi et sufficientes. Pouvoir et notabilité à Aix-en-Provence entre 1400 et 1535, thèse de doctorat, Université Aix-Marseille I, 2002, p. 455).

22 N. Coulet, « Le personnel », art. cit., p. 136.

23 AD13, B11 f. 52v-53v.

24 M.-R. Reynaud, Le temps des princes, op. cit., p. 178 ; AD13, B10 f. 168v.

25 AD13, B11 f. 38

26 AD13, B11 f. 45 ; 66, 72, 121

27 AD13, B11 f. 69v

28 AD13, B11 f. 86

29 AD13, B11 f. 97v

30 AD13, B11 f. 112v

31 AD13, B11 f. 104v

32 Par exemple, en 1431, Pierre de Beauvau, suite à une requête de l’université d’Apt contestant la validité d’un don fait à Jean de Sabran par Louis III sous prétexte que les lettres royales étaient subreptices, confirme la validité de ce don après enquête et examen des lettres (B11 f. 85-85v).

33 AD13, B10 f. 168-f.169 ; 217v-219v ; 273-274v. Cette liste n’est pas exhaustive.

34 B. Chevalier, « Gouverneurs et gouvernements en France entre 1450 et 1520 » dans W. Paravicini et K. F Werner, Histoire comparée de l’administration, Munich, Artemis & Wikler, 1980, p. 295.

35 M.-R. Reynaud, Le temps des princes, op. cit., p. 175-183.

36 AD13, B10 f. 211-211v.

37 M.-R. Reynaud, Le temps des princes, op. cit., p. 178.

38 P. Contamine, « Avant-propos », dans La circulation des nouvelles au Moyen Âge, Rome, École française de Rome, 1994, p. 14 ; Y. Renouard, « Comment les papes d’Avignon expédiaient leur courrier », Revue Historique, n° 180, 1937, p. 29.

39 J.-M. Cauchies, « Messageries et messagers en Hainaut au xve siècle » Le Moyen Âge, LXXXII, 1976, p. 89-123 et 301-341, ici p. 310.

40 P. Contamine, « Avant-propos » art. cit., p. 14.

41 A.-M. Hayez, « Les courriers des papes d’Avignon sous Innocent VI et Urbain V (1352- 1370) », Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, 1993, vol. 24, p. 62. Y. Renouard, « Comment les papes », art. cit., p. 1-20.

42 AD13, B10 f. 141v ; B11 f. 74v.

43 AD13, B10 f. 185 ; B11 f. 74v.

44 AD13, B10 f. 143 ; B11 f. 115. Provençal d’origine italienne de seconde génération (N. Coulet, « La noblesse », art. cit., p. 318).

45 AD13, B10 f. 138, 249,

46 AD13, B10 f. 169, 170.

47 AD13, B10 f. 151v.

48 AD13, B10 f. 211v.

49 AD13, B11 f. 58v.

50 AD13, B11 f. 39v.

51 AD13, B11 f. 53.

52 AD13, B10 f. 70v

53 AD13, B11 f. 53v.

54 AD13, B11 f. 85v.

55 AD13, B11 f. 107v.

56 AD13, B11 f. 125

57 AD13, B11 f. 120. Les dépenses pour son séjour en Provence sont de 10 000 florins. Le 29 août 1434, Louis III ordonne au maître rational de donner quittance de cette somme au trésorier de Provence Jean Hardouin pour le voyage de Pierre de Beauvau à Marseille (I. Orifice, I registri, op. cit., p. 125). Cette somme paraît énorme si l’on compare aux autres remboursements de voyage en France. Ainsi, en 1432, Bertrand de Beauvau reçoit 200 florins pour un voyage en France et l’année suivante, la somme de 300 florins pour un autre voyage en France (Bibl. Méjanes, Ms 768 (538), f. 353, 369).

58 AD13, B10 f. 114v.

59 AD13, B10 f. 138.

60 AD13, B10 f. 167v

61 AD13, B10 f. 196v.

62 AD13, B10 f. 211v.

63 AD13, B10 f. 238.

64 AD13, B11 f. 58v. Il meurt avant le 27 août 1429, date à laquelle il est remplacé comme châtelain de Reggio de Calabre par François de Alleis, de Florence (Bibl. Méjanes, Ms 768 (538), f. 315) (I. orifice, I registri, op. cit., p. 530).

65 AD13, B10 f. 184, 185v, 256v.

66 AD13, B10 f. 212.

67 Bibl. Méjanes, Ms 768 (538), f. 397v.

68 AD13, B11 f. 39, 98, 103.

69 M. Hébert, Regeste des états de Provence, 1347-1480, Paris, CTHS, 2007, p. 290.

70 L. Bidet, « Les Beauvau », art. cit., p. 14. De février 1433 à août 1433, Bertrand apparaît à plusieurs reprises comme gouverneur et lieutenant du roi en Provence (AD13, B11 f. 104v- 106 ; B10 f. 108v).

71 Bibl. Méjanes, Ms 768 (538), f. 397v.

72 AD13, B 10 f. 177v. 182, 198. Ce dernier, à plusieurs reprises, a fait enregistrer par l’archivaire les lettres de don que lui a accordées le roi.

73 Sur ce sujet voir M. Hébert, Regeste, op. cit., et M. Hébert, Le livre Potentia des états de Provence, Paris, CTHS, 1997.


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