Les sources de l’or du décor entre Orient et Occident (ive-xiie siècles)
Or monétaire, réutilisation, or frais
p. 271-288
Résumés
Cet article s’interroge sur la source de l’or employé dans les mosaïques à fond d’or. Plusieurs arguments historiques et techniques suggèrent l’utilisation des monnaies pour battre les feuilles d’or utilisées dans les tesselles. Non seulement la dynamique de circulation de l’or, fortement contrôlée, mais aussi les quantités relativement importantes d’or utilisée dans les décorations et les indications des recettes techniques permettent de supposer l’utilisation de l’or monétaire pour produire les feuilles d’or. L’analyse archéométrique des feuilles d’or des tesselles montre que les compositions des feuilles d’or sont comparables à celles des monnaies jusqu’au VIe siècle. À partir du VIIIe siècle on constate une diversification de l’approvisionnement.
The paper explores the source of gold in the gold mosaics between fourth to twelve century, one of the best expression of Byzantine and early Islamic art. Many historical and technical issues point to the use of coins to make the gold leaves used in the tesserae. Not only the dynamic of the circulation of gold, strictly controlled, but also the relatively important quantity of gold used and the indications of the medieval recipes suggest the use of monetary gold to produce gold leaves. The archaeometric analyses performed in the Western and Eastern sites show a good match between circulating monetary alloys and the gold leaf compositions until the sixth century and, together with the type of glass, can provide criteria to date the tesserae. A diversification of the supply is also displayed from the eight century.
Texte intégral
1« Legatos interea Costantinopolium ad locandos artifices destinat peritos utique in arte musivaria et quadrataria, ex quibus videlicet alii ansidam et arcum atque vestibulum maioris basilice musivo comerent, alii vero totius ecclesie pavimentum diversorum varietate consternerent […] Et quoniam artium istarum ingenium a quingentis et ultra iam annis magistra Latinitas intermiserant et studio huius inspirante et cooperante Deo nostro hoc tempore recuperare promeruit, ne sane id ultra Itale deperiret, studuit vit totius prudentie plerosque de monasterii pieris diligenter eisdem artibus erudiri. Non autem, de his tantum, sed et de omnibus artificiis, quecumque ex auro vel argento, ere, vitro, ebore, lingo, gipso vel lapidi patrari possunt, studiosissimus prorsus artifices de suis sibi paravit […] Parietes quoque omnes pulchra satis colorum omnium varietate depinxit »1.
Introduction
2Au cours du XIIe siècle, le Chronicon de l’Abbaye du Mont-Cassin relate que l’abbé Didier avait envoyé des ambassadeurs afin de rechercher des mosaïstes constantinopolitains, qui arrivèrent probablement avec leurs matériaux au Mont-Cassin2. Ils impliquèrent dans les opérations du chantier des jeunes qui étaient en relation avec le monastère, afin qu’ils apprennent à maîtriser la technique. En effet, d’après le Chronicon, les maîtres latins ne pratiquaient plus cet art depuis cinq cents ans et ne disposaient pas des techniques et des matériaux nécessaires pour réaliser une décoration pariétale.
3En suivant un cliché récurrent dans les sources arabes et syriaques (Xe-XIVe siècles)3, le Chronicon présente la mosaïque comme une technique uniquement constantinopolitaine, pour laquelle l’Italie dépend entièrement de l’Empire byzantin. Cela a renforcé l’idée que les mosaïques pariétales, dans lesquelles l’or était largement utilisé pour le fond, étaient un symbole du pouvoir impérial byzantin.
4Cet article s’intéresse à la source de l’or du décor pariétal en s’interrogeant sur les raisons matérielles qui relient la mosaïque à fond d’or à Constantinople. En particulier, comme Byzance reste à partir du VIIIe siècle le seul producteur de monnaies d’or dans la Méditerranée avec le Califat arabe, on sondera si l’or monétaire byzantin est la source principale du décor, sa diffusion dans les mosaïques italiennes et du bassin méditerranéen4.
5Dans une première partie, on analysera la production des tesselles à feuilles d’or, à savoir les cubes qui constituent la mosaïque, et on s’interrogera sur les possibles sources d’approvisionnement de l’or utilisé dans ces matériaux. Dans un deuxième temps on présentera les arguments qui suggèrent que les feuilles d’or des tesselles étaient battues à partir des monnaies. Enfin on discutera les résultats d’un travail archéométrique conduit sur 104 tesselles provenant d’édifices d’Italie, Gaule, Syro-Palestine et Asie-Mineure, datés entre les IVe et XIIe siècles. Les alliages des feuilles seront comparés avec ceux des monnaies de la même époque, publiés par d’autres chercheurs. Cette comparaison entre feuilles et monnaies est possible grâce aux travaux sur l’or monétaire menés au Centre Ernest Babelon (Orléans) sous la direction de Cécile Morrisson, qui ont constitué une large base de données pour le monde byzantin, ainsi que la thèse d’A. Goddonneau sur les monnaies islamiques5.
Les tesselles à feuille d’or et leur production
6Les tesselles d’or présentent une feuille d’or, fixée à chaud entre la couverte, une couche en verre soufflé (<1mm), et le support en verre coulé (<1cm) (fig. 1).
7La première attestation des tesselles à feuille d’or remonte au Ier s. apr. J.-C., dans le Nymphée de Lucullus à Rome6. Entre les IIe et IVe siècles, une utilisation ponctuelle dans les parois et les sols en est documentée. D’après les sources, l’âge constantinien marque une utilisation plus extensive de l’or dans les décors, mais probablement s’agit-il surtout de lacunaria (plafonds en bois) dorés. Les plus anciens fonds d’or des mosaïques conservés remontent aux Ve-VIe siècles, dans les églises de Ravenne et de Thessalonique7. L’utilisation extensive de l’or dans les mosaïques se diffuse parallèlement à la réforme monétaire de Constantin. En effet, avec cette réforme, le solidus, le nominal d’or, devient la base du système monétaire tri-métallique et monnaie d’échange ; par conséquent le nombre d’émissions d’or et la quantité d’or en circulation augmentent.

Fig. 1 - L’or dans les mosaïques. a. détail des tesselles à feuille d’or de la basilique de la nativité de Bethleem ; b. coupe de tesselle à feuille d’or de St. Vital à Ravenne (à gauche) : en haut la couverte, en bas le support en verre, au milieu la feuille d’or ; tesselle à feuille d’or de St. Laurent à Milan avec feuille en partie dégagée (à droite) (côté de la tesselle 0.8 cm) ; c. feuille d’or d’une tesselle de Hiérapolis (HA13) observée au microscope optique à lumière polarisée ; d. feuille d’or observée au microscope à balayage électronique (RZ10). (clichés E.N.)
8Les tesselles utilisées dans les mosaïques sont taillées à partir de galettes. Plusieurs exemplaires de galettes, lingues et plaques ont été trouvés dans les niveaux de chantiers ou dans les trous des échafaudages sur plusieurs sites de la Méditerranée, dont la datation va du IVe au XIIe siècles8. Ces demi-produits témoignent d’une production ex novo des tesselles dorées, qui continuait probablement à côté d’un remploi des matériaux antérieurs : une pratique sur laquelle de nombreuses sources du Bas-Empire au XIIe siècle insistent (tabl. 1), en passant par des exemples assez connus, comme celui de Charlemagne qui pilla les tesselles de Ravenne (tam in soli, quam in pariete) avec la permission du pape Adrien I, autorité judiciaire à laquelle le roi des Francs s’adresse9.
9D’après une analyse des sources écrites qui mentionnent les tesselles dorées, c’est aux IXe-XIIe siècles que la production semble devenir spécifique à l’Empire byzantin. Aussi le traité technique du De diversis artibus de Théophile (fin du XIe-début XIIe siècle) présente les tesselles à feuille d’or parmi les produits les plus luxueux du monde gréco-byzantin, dont la technique de production est méconnue par l’auteur d’origine allemande, pourtant expert dans d’autres techniques du verre10. Ainsi pendant les XIe-XIIe siècles, d’après les sources les tesselles n’étaient produites qu’à Byzance et étaient si précieuses qu’elles faisaient partie du butin de guerre des croisades11.
10L’attestation la plus tardive dans la littérature technique occidentale, qui pourrait témoigner de la permanence d’un savoir-faire occidental dans la production de tesselles, se trouve dans le Manuscrit de Lucques, traité technique de tradition byzantine et hellénistique rédigé à la fin du VIIIe siècle à Lucques. La technique employée comportait l’utilisation des feuilles obtenues par martelage progressif du métal entre deux lames de cuivre. Ces feuilles étaient fixées à chaud entre les deux couches de verre. La galette était ensuite recuite et écrasée.
11Les différentes typologies des bords des galettes, les traces d’écrasement, les résidus du dégraissant observés sur plusieurs tesselles de sites de l’Europe occidentale et de la Méditerranée orientale ont été mis en relation avec les gestes décrits par les recettes. Différentes techniques de façonnage avec des variations ont été reconnues12.
Les quantités d’or employées
12Même si les feuilles sont d’une épaisseur souvent inférieure au micron, les quantités d’or employées sont assez remarquables, étant donnée la surface de l’espace architectonique couvert d’or. Ainsi les mesures des épaisseurs des feuilles (en moyenne entre 0,4 et 0,2 micron), la surface occupée par le décor, le poids spécifique de l’or permettent de produire une estimation de la quantité d’or employée dans les édifices et de la comparer aux indications des sources sur les investissements des commanditaires à la suite des recherches initiées par M. Mundell Mango13 et J. Delaine14. Les surfaces des décorations demandent un approvisionnement industriel des feuilles et, par conséquent, probablement un contrôle de la production et de son commerce. Les tabl. 2 et 3 proposent un exemple d’estimation pour l’Italie du Nord pendant la domination des Goths au Ve siècle : la quantité de 1700 solidi, correspondant à un poids d’environ 7 kg d’or, distribué sur plusieurs édifices semble avoir été mis en œuvre. Dans la même région au VIe siècle, après la reconquête des territoires par l’Empire byzantin pendant le règne de Justinien et ses successeurs, l’investissement, bien plus important, est concentré seulement dans les églises de la capitale de l’exarchat, Ravenne : il s’agit de 2800 solidi, à savoir 12,6 kg. Un financement bien inférieur aux 8500 solidi, à savoir environ 38 kg d’or, qui étaient nécessaires uniquement pour les mosaïques de la voûte de Sainte Sophie à Constantinople à l’époque de Justinien.

Tab. 1 - Les sources sur la réutilisation des tesselles, pillées dans les bâtiments anciens.

Tab. 2 - Estimation des quantités d’or et de verre employées dans les mosaïques de l’Italie du Nord à l’Age de Goths.

Tab. 3 - Estimation des quantités d’or et de verre employées dans les mosaïques de Ravenne sous le règne de Justinien.
13Quelles sont les sources de ces quantités importantes d’or ?
Les sources de l’or byzantin
14La connaissance sur les sources minières de l’or byzantin est encore actuellement limitée (fig. 2)15. Sans doute l’introduction, à partir de 368, de la pratique de la collecte et de la refonte de l’or en circulation monnayé ou non monnayé a en partie alimenté les ateliers monétaires et l’industrie de l’or16. Toutefois les sources juridiques et archéologiques indiquent aussi une exploitation des nouvelles mines dans les Balkans, en particulier en Illyricum et en Thrace entre les IVe et VIe siècles17. En Nubie et dans le désert oriental, certains districts miniers ont aussi fait l’objet de recherches archéologiques approfondies qui mettent en évidence une exploitation byzantine sous contrôle de l’empire jusqu’au VIIe siècle18. Dans la même région, les recherches sont en cours sur les mines exploitées de l’époque ptolémaïque à l’époque islamique19. D’autres régions minières sont l’Arménie et le bassin nord de l’Euphrate, objet de guerres de frontière entre les empires byzantin et sassanide, le Taurus20, ainsi que le sud du Negev21. Des ressources externes à l’empire dans le sud de la Gaule et dans la péninsule ibérique continuent à être exploitées aussi après la chute de l’Empire romain d’Occident22 : non seulement Isidore de Séville témoigne à plusieurs reprises de l’utilisation de l’or alluvial23, mais une activité d’extraction semble continuer dans cette région24.
15À partir du milieu du VIIe siècle, les principales mines qui avaient approvisionné la Monnaie de l’empire étaient désormais en dehors de ses territoires. De plus, à l’intérieur de l’empire et dans le Califat plusieurs éléments montrent une carence de métaux précieux : la fusion de l’argenterie de l’église pour financer la campagne contre la Perse d’Héraclius, l’achat du colosse de Rhodes en 633 par un marchand juif d’Emese sur l’ordre d’un conquérant arabe, comme la réquisition des statues de bronze de Rome par Byzance en sont des signaux forts25, ainsi que la baisse du nombre d’émissions des monnaies26. Après cette crise pendant laquelle les monnaies continuent à être frappées principalement avec les mêmes ors dans le monde islamique et byzantin, de nouvelles ressources sont exploitées : à l’intérieur de l’empire, les mines de la Calabre et de la Sicile le seraient entre le VIIIe et IXe siècle27 et dans le monde islamique à partir du XIe siècle.
16Au niveau de la composition chimique, le platine constitue un marqueur de la chronologie et de la géographie des ors. Bien qu’il n’existe pas actuellement à ma connaissance d’analyse du minerai d’or des mines tardo-antiques et byzantines, les objets et les monnaies ont pourtant à partir du IVe siècle des hautes teneurs en platine (300-1100 ppm) qui baissent progressivement entre les VIe (500 ppm) et XIIe siècles (100 ppm)28. Au contraire, monnaies et bijoux wisigothiques utilisent l’or alluvial d’Espagne, sans platine et avec cassitérite jusqu’au VIIe siècle29, ainsi que les ors islamiques se caractérisent surtout pour leur faible teneur en platine (<100 ppm)30.
1. Les sources de l’or du décor
17Des multiples raisons invitent à penser que la source de l’or des feuilles employées dans les tesselles était probablement l’or monétaire : le système de circulation de l’or durant l’Antiquité tardive, les indications des recettes médiévales et des questions techniques : ces arguments sont d’abord brièvement rappelées.
1.1. La circulation de l’or durant l’Antiquité tardive : un système très contrôlé
18Entre 325 et 610 (de Constantin à Héraclius) les comites des largesses sacrées, institution préposée à superviser les distributions impériales, contrôlaient la circulation de l’or. Pendant cette période les sources écrites et l’archéologie semblent confirmer qu’à l’intérieur de l’empire le minerai d’or et les lingots d’or ne pouvaient pas circuler librement31. Les mines d’or n’étaient pas seulement un monopole de l’état, mais chaque opération, de l’extraction à l’émission était très contrôlée : les largesses sacrées veillaient sur les importantes transactions d’or déjà monnayé, notamment les impôts, et non monnayé, comme l’activité des aurifices (les orfèvres au palais) qui travaillaient au service de l’empereur, très probablement auprès des ateliers monétaires32. En effet, l’or monnayé et non monnayé avait la même valeur dans les échanges et l’empire contrôlait la pureté de l’or, en introduisant la pratique de la refonte de l’or en circulation, qui était systématiquement collecté et coupellé avant d’être refrappé. L’état renforçait ainsi le contrôle sur la production de l’or et sur le metallica loca33 : un édit de Valentinien et Valens normalisa le travail forcé dans les mines34 et dans l’exploitation de l’or alluvial35 ; puis, entre 370 et 373, les mines d’or furent placées sous le contrôle de fonctionnaires spécialisés (procuratores metallorum), subordonnés aux comes metallorum per Illyricum36 et les mineurs fugitifs, aurileguli, punis par une loi de 37337. Ces prescriptions semblent rester en place dans les siècles suivants38, quand la production et la circulation de l’or, ainsi que le système monétaire semblent rester très contrôlés au cœur de l’Empire byzantin. C. Morrison a en effet démontré que même le phénomène de dévaluation des ateliers monétaires des provinces et de la capitale était contrôlé et que la teneur en or des monnaies était bien connue après 610, date de la fermeture des largesses sacrées par Héraclius, après la crise du VIIe siècle et surtout à partir des IXe-Xe siècles, quand Constantinople est le seul atelier monétaire actif39.

Fig. 2 - Carte avec les principales mines d’or exploitées par l’empire byzantin : 1. Bir Um Fawakhir ; 2. Wadi Tawahin Arabah ; 3. Mines du Taurus (Ulukisla) ; 4. Or alluvial de la haute Mésopotamie ; 5. Mines de l’Arménie (Pharangion, Trabazon) ; 6. Mines de la Thrace (Hebros, Pangeo) ; 7. Mines de l’Illyricum (Novo Bordo, Jarievo, Karaku’lu Yordan, Pek) ; 8. Mines d’or de Taormine.
19Dans ce système, la source préférentielle pour réaliser tout artefact en or est l’or monétaire ou la refonte des monnaies40. La Notitia dignitatum présente aussi des feuilles en or et en argent qui sont interprétées à la fois comme des feuilles brutes pour le décor ou comme des feuilles dévotionnelles41. En suivant la première interprétation, les feuilles utilisées dans le décor pourraient être réalisées dans les ateliers impériaux des orfèvres qui interagissaient avec les ateliers monétaires et dont plusieurs sources nous renseignent sur les produits et le prix du travail42.
1.2. Les recettes des traités techniques et des raisons pratiques
20Les recettes médiévales et modernes sur la technique de réalisation des feuilles indiquent les monnaies ou l’or monétaire comme source de l’or pour fabriquer les monnaies. Les Compositiones lucenses mentionnent aussi la production des feuilles et leur emploi dans la mosaïque. La recette de fabrication de la feuille fait allusion à l’interaction entre feuille d’or et frappe de monnaies, dans l’indication des poids en monnaies et dans le processus de fabrication. Cennino Cennini (XVe siècle) et l’Encyclopédie précisent que les feuilles sont tirées des monnaies ou de l’or qui sort de l’atelier monétaire43.
21La teneur en or autour de 100 % permettait d’obtenir des feuilles d’une épaisseur inférieure au micron44. En travaillant directement à partir des monnaies, le poids et les teneurs en or étaient connus et par conséquent le nombre de feuilles qu’on pouvait en tirer. Le processus était donc plus facile à contrôler. Pour cette raison, dans les livres des recettes on trouve l’indication du nombre de feuilles qu’on peut tirer d’une monnaie45.
2. Un travail expérimental autour de la source de l’or du décor
2.1. Les échantillons et les méthodes
22Pour tester si effectivement l’or, issu de la fiscalité de l’empire, était la source principale pour la réalisation des mosaïques à fond d’or, une campagne d’analyses archéométriques a été menée. L’aire géographique choisie couvre l’Orient et l’Occident et intéresse directement les sites positionnés sur une carte (fig. 3), qui se distribuent sur une chronologie allant du IVe au XIIe siècle. Les 104 échantillons analysés46 proviennent des sites archéologiques, des mosaïques encore conservées sur les parois et des collections des musées. Leur chronologie est déterminée par le contexte de découverte ou par les sources écrites, notamment les inscriptions dédicatoires des mosaïques, indiquant nom du commanditaire et an de réalisation (tituli). Trois phases ont marqué cette recherche.
23La première portait sur environ cinquante tesselles italiennes, datées entre les IVe et IXe siècles, analysées au SEM-EDS en collaboration avec M. Verità au Laboratoire d’Analyse des Matériaux Anciens à Venise. Les tesselles proviennent des décorations pariétales de Rome et de Ravenne datées grâce aux tituli et aux épigraphes dédicatoires sur les mosaïques elles-mêmes, grâce au contexte archéologique ou grâce aux sources qui mentionnent la dédicace de l’édifice à la fin du chantier. Les sites de Milan ont une datation moins fiable en raison du contexte archéologique de prélèvement et de la datation moins précise des édifices de provenance47.
24La deuxième phase a concerné les tesselles (verre et feuilles) de la Méditerranée orientale et de la France qui ont été analysées au C2RMF (Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France) avec l’accélérateur AGLAE, utilisant la technique du PIXE/PIGE, qui permet une meilleure définition de l’alliage à travers une meilleure définition de la quantité du cuivre48.
25La troisième, enfin, a permis la réalisation d’analyses par SRXRF au synchrotron Bessy à Berlin pour déterminer les quantités de platine49. Ces données ne seront pas présentées dans cet article, parce qu’en cours de publication avec M. Radtke et ses collaborateurs ; seulement une indication qualitative et non quantitative sur la présence/absence du Pt (<100 ppm) est mentionnée ici, parce qu’elle permet d’offrir une interprétation préliminaire.

Fig. 3 - Carte des sites d’où proviennent les échantillons analysés.
2.2. Les résultats
26Les données sont ici présentées en synthèse, en renvoyant aux travaux précédents réalisés avec les collaborateurs scientifiques où une discussion analytique des résultats est présentée50.
27Le tableau 4 associe les compositions des feuilles analysées pendant cette recherche et celles des monnaies qui circulaient à la même époque, publiées par C. Morrison et collaborateurs51. Il présente de façon synthétique les résultats des analyses, tout en proposant une interprétation sur la nature des tesselles : si elles ont été produites à partir de monnaies qui ont une teneur comparable à celle des monnaies contemporaines du bâtiment, les tesselles sont considérées comme produites ex novo ; si au contraire elles sont attribuables à une chronologie antérieure à la construction de l’édifice, elles sont considérées comme en remploi ; si la chronologie est postérieure, il s’agit de restaurations. Le tableau présente également la nature du verre, en indiquant l’utilisation d’un fondant au natron, utilisé jusqu’au VIIIe siècle, ou à cendres sodiques, employées surtout après le VIIIe siècle52. L’alliage de l’or permet ainsi d’apporter une précision chronologique.


Tab. 4 - Tableau comparatif des compositions des feuilles d’or des tesselles et des composition des monnaies, associées à la composition de verres des tesselles (N : verre au natron ; C : verre à cendres sodiques). En gris les feuilles où les compositions de tesselles et monnaies ne correspondent pas. L’alliage est en wt % et la présence du Pt est présentée seulement de façon qualitative (oui=<100 ppm ; no=>100 ppm). n.m.=non mesuré).

Fig. 4 - Pourcentage d’or des monnaies entre Ier-Xe siècles (d’après Morrison et al., 1985) (cercle noir) comparé au pourcentage d’or des feuilles des tesselles italiennes (losanges gris) (d’après Neri, Verità, 2013).
28Pour les tesselles italiennes, les analyses effectuées et leur comparaison avec celles des monnaies ont démontré une forte corrélation :
L’alliage des feuilles des tesselles et celui des monnaies correspondent. Le rapport cuivre-argent des feuilles est équivalent à celui des monnaies et il se diversifie par rapport à celui d’autres ors en circulation (bijoux et vaisselles).
Les teneurs en or des feuilles ne sont pas seulement comparables à celles des monnaies, mais varient dans les mêmes intervalles chronologiques, bien qu’il soit nécessaire de prendre en compte les temps de circulation de la monnaie, qui sont variables selon l’époque : environ 30 ans aux IVe-Ve siècles53 et jusqu’à un siècle au VIe siècle54. Dans la fig. 4 on peut en effet observer les teneurs en or des monnaies analysées par C. Morrison et collaborateurs, représentées avec des cercles noirs, et leur variation à travers le temps entre les Ier et Xe siècle de notre ère. Les tesselles italiennes analysées, représentées avec des losanges gris, suivent le même cours des monnaies.
29Un autre exemple illustre de manière encore plus concrète combien la corrélation entre or monétaire et or des feuilles est forte. Il s’agit de l’édifice situé en dehors de Porta Marina à Ostie où une décoration en opus sectile et mosaïque a été bien datée entre 383 et 388 grâce à une monnaie de Magnus Maximus, trouvée dans le mortier de préparation du sectile55. Le pourcentage en or et en argent des tesselles analysées (PM2 : Au 99.5 wt %, Ag 0.5 wt % et PM1. A : Au : 99.0 wt %, Ag 0.1 wt %) est identique à celui des monnaies émises après la réforme des Valentiniens, en particulier celles du règne de Gratien (378-383).
30La forte corrélation entre or monétaire et tesselles est donc avérée pour la majorité des échantillons jusqu’au VIe siècle. Une seule série de huit tesselles datées des Ve-VIIe siècles, produites avec un or pur, sans trace de cuivre, argent et platine, semblent ne pas avoir de corrélation avec les monnaies. Il s’agit d’un échantillon provenant de l’église de Saint-Laurent à Milan (MISL.20), édifiée au cours du Ve siècle avec des reprises jusqu’à l’époque lombarde ; de tous les échantillons du baptistère de Milan (MIB. Au1, MIB. D2, MIB. E2, MIB. Aua), décoré pendant la domination de la ville par les Goths56 ; d’une tesselle de l’église romaine des Sts. Côme et Damien (CeDA10), dont la mosaïque de l’arche a été réalisée entre 687 et 701 ; et enfin des deux échantillons provenant de la phase théodoricienne des mosaïques de Saint Apollinaire-le-Neuf à Ravenne (AN. Au13, AN. Au11). Il est intéressant de remarquer que ces dernières tesselles sont bien différenciées par rapport à celles des mosaïques de l’époque de Justinien du même édifice (AN. Au14, AN. Au15, RAN13, RAN14, RAN15). En effet, ces dernières du milieu du VIe siècle (moyenne : Au 96.6 wt %, Ag 3.2 wt %, 0.4 wt %) ont les mêmes teneurs que les monnaies de la même époque (Au 96.7 wt %, Ag 2.5 wt %, Cu 0.7 wt %) et des traces de platine. Au contraire l’or de celles du milieu du Ve siècle semble marquer une route d’approvisionnement différenciée par rapport à l’or monétaire impérial, bien qu’un atelier monétaire avec des émissions au nom de l’empereur soit actif à Milan et à Ravenne. Cela n’est pas complètement étonnant si l’on considère que Cassiodore, conseiller de Théodoric au palais de Ravenne, rappelle la nécessité de nouvelles sources d’approvisionnement d’or et la volonté de rechercher l’or dans les tombes et en exploitant des nouvelles mines57.
31La production des tesselles à partir de l’or monétaire semble toutefois continuer jusqu’au IXe siècle en parallèle d’une croissance du remploi. L’exemple de Sainte-Cécile à Rome peut illustrer la dynamique du remploi. L’inscription dédicatoire indique que la mosaïque a été réalisée par le pape Pascal en 82458. La feuille d’une tesselle analysée (CE. O2) pourrait avoir les mêmes pourcentages d’or que les monnaies de la fin du VIIIe siècle (Au 97 wt %), produites dans l’atelier monétaire de Constantinople, ou dans des ateliers italiens59. Les deux autres échantillons analysés (CEC. O1, CEC. H) présentent un pourcentage en or comparable aux monnaies de l’époque de Valentinien et Zénon (Au entre 99.0 wt % et 99.5 wt %).
32Dans l’église de Saint-Vital à Ravenne une tesselle (SV G4) réalisée en verre à fondant sodique à base de cendres (technique attestée surtout après le VIIIe siècle) et une feuille avec un pourcentage d’or comparable à celui des monnaies du Xe siècle (Au 91 wt %) pourrait réduire la chronologie post-VIIIe siècle proposée à partir de la technique de fabrication du verre et révéler une restauration au Xe siècle. Cela témoigne donc de la reprise des mosaïques paléochrétiennes pendant le haut Moyen Âge, comme cela a été démontré grâce aux mêmes marqueurs sur d’autres sites de l’Italie du Nord, notamment Saint-Prosdocimus à Padoue et Saint Ambroise à Milan60. Pour restaurer les mosaïques, il était nécessaire de produire, ou plus probablement d’importer, des nouveaux matériaux qui voyageaient avec les artisans qui les mettaient en œuvre, probablement byzantins.
33Dans les tesselles des sites orientaux, comme montré dans la fig. 5, le rapport cuivre-argent des feuilles et monnaies est en effet équivalent, alors qu’il se diversifie par rapport à celui d’autres ors en circulation (bijoux et vaisselles).

Fig. 5 - Rapport Ag/Cu dans les tesselles (losanges noirs), les monnaies byzantines (triangles gris) (d’après Morrison et al., 1985) et islamiques (triangles noirs) (d’après Gondonneau, Guerra, 2002).
34Celles des sites datés entre les IVe et VIIe siècles (le Mont des Oliviers à Jérusalem, le Mémorial de Moise au Mont Nébo et le baptistère de Gortyna) présentent des feuilles avec un alliage correspondant à celui des monnaies en circulation dans la même période (15 sur 16 échantillons).
35À partir du VIIe siècle, à l’intérieur de l’Empire, avec la fermeture des largesses sacrées en 610, la circulation de l’or est moins bien contrôlée et la relation est donc plus difficile à établir. À côté de la nouvelle production, à partir des monnaies, on remarque un remploi des tesselles anciennes ou des monnaies anciennes encore en circulation. Par exemple, dans la mosaïque du IXe siècle de la basilique de Saint Philippe à Hiérapolis, quatre tesselles (HA8, HA11, HA5, HA4) sont produites avec un verre à fondant natron et teneurs de fer, manganèse et titane typiques de l’Antiquité tardive, et des feuilles avec un alliage comparable aux monnaies du début du VIe siècle (moyenne Au 98.7 wt %). Elles sont probablement des tesselles d’une phase précédente de la mosaïque remployées dans celle méso-byzantine61. Seulement deux tesselles (HA10, HA3) sont réalisées ex novo, fabriquées avec un verre médiéval (cendres sodiques) et des feuilles avec un alliage comparable aux monnaies des VIIIe-IXe siècles (Au entre 96.3 et 98.6 wt %). On observe donc le même phénomène analysé à Rome dans les nouveaux chantiers pontificaux, comme Sainte Cécile, au cours des VIII-IXe siècles.
Fig. 6 - Rapport Ag/Cu dans les tesselles de la Grande Mosquée des Omeyyades de Damas et des bains de Qusayr Amra (losanges noirs), les monnaies tardo-romaines (cercles), les monnaies arabo-byzantines (triangles gris) et les monnaies byzantines (triangles blancs).

36À l’extérieur ou à la frontière de l’Empire, la situation est similaire (remploi et nouvelle production), mais on remarque aussi l’utilisation d’or probablement non byzantin. En particulier pour les sites omeyyades de la Grande mosquée de Damas, dont la décoration est réalisée en 706, et des bains de al-Walid I à Qsayr Amra, datés entre 711 et 715. Différentes sources arabes, dont les plus anciennes remontent au Xe siècle, prétendent que les tesselles des mosquées de Médine, la Mecque et Jérusalem ont été offertes par l’empereur de Byzance et en partie recherchées dans les bâtiments en ruine. En suivant ce cliché littéraire, Kitab al Dahari (+1295) soutient cela aussi pour Damas : « Lorsque le calife al-Walid décida de construire la mosquée de Damas, le roi de Rum lui fit cadeau de cent mithqal d’or, de 40 charges de mosaïque et de mille ouvriers qui furent employés chez lui »62.
37En observant le rapport argent-cuivre, représenté dans les graphiques fig. 6, des tesselles (losanges noirs) de ces deux sites et des monnaies, les ors employés sont de trois types :
Le premier est similaire à celui des monnaies tardo-romaines jusqu’au règne de Justin I (368-527) (cercles) et des monnaies arabo-byzantines proto-islamiques qui imitent les monnaies byzantines au VIIIe siècle (triangles gris).
Le deuxième correspond à celui des monnaies byzantines entre les VIIe et VIIIe siècles (610-811) (triangles blancs).
Le troisième n’a pas de correspondance avec les alliages monétaires (point en haut à gauche).
38Les tesselles sont remployées et produites ex novo à partir de l’or monétaire ou des monnaies arabes et byzantines contemporaines et dans une moindre mesure, produites avec une autre source dont on ne connait pas l’origine.
39Le remploi des matériaux anciens et la diversification des sources de l’or sont avérés aussi pour l’église de la Nativité à Bethléem, qui d’après Nicetas Choniates a été commissionnée par l’empereur Manuel I, qui envoie aussi un mosaïste et des tesselles en 1165-116963. Comme l’on peut observer dans le graphique de corrélation or-argent (fig. 7), où les tesselles analysées sont représentées avec des losanges noirs et les monnaies du XIIe siècle avec des triangles blancs, une seule tesselle (BNC. Au) a une teneur en or similaire à celles des monnaies byzantines du XIIe siècle (Au 85-90 wt %). Les autres correspondent aux monnaies byzantines des Xe-XIe siècles (émises sous Constantin VII et Romain III, 913- 1034), représentées avec des cercles blancs, ou islamiques qui proviennent de Syrie et de Palestine (917-1109) (indiqués avec des triangles gris) (fig. 7). La correspondance entre la composition des monnaies byzantines et des monnaies islamiques ne permet pas de trancher sur l’approvisionnement de l’or et ouvre sur plusieurs interprétations : les feuilles des tesselles pourraient être réalisées à partir de la réutilisation des monnaies byzantines ou proto-islamiques plus anciennes ou des monnaies islamiques contemporaines à la construction.
40En Occident, en dehors de l’Italie, la seule mosaïque postérieure au VIIe siècle examinée est celle d’Aix-la-Chapelle, que les sources veulent réalisée avec les tesselles pillées à Ravenne64. Deux tesselles (ACH2 et ACH3) sont ici fabriquées avec un or similaire aux monnaies du VIe siècle et les autres (ACH4, ACH5, ACH10) avec un or qui n’a aucune ressemblance avec celui des monnaies : en effet, il ne présente pas d’argent dans l’alliage, mais uniquement du cuivre, et se caractérise par l’absence de platine (mesuré seulement dans l’échantillon ACH10).
Fig. 7 - Rapport Au/Ag des feuilles des tesselles (losanges noirs) de l’église de la Nativité de Bethleem comparé avec les monnaies byzantines du IXe-Xe siècles (cercles blancs), les monnaies byzantines du XIIe siècle (triangles blancs) et les monnaies islamiques du XIIe siècle (triangles gris).

41Malheureusement l’absence d’analyse des traces ne permet pas de trancher sur la provenance des ors. En effet, l’analyse quantitative du platine a été effectuée sur un nombre restreint d’échantillons (24 sur 104) et les données sont encore en cours d’élaboration. Les résultats sur les tesselles démontrent toutefois que la plupart des échantillons ont les mêmes teneurs en platine que les monnaies (entre 100-400 ppm), mais huit échantillons, pour lesquels par ailleurs l’alliage d’or ne correspond pas à celui des monnaies, n’ont pas de trace de platine. L’absence du platine pourrait rapprocher cet or de l’or wisigothique ou islamique. Au contraire, deux autres échantillons (RZ10, RZ12) ont une teneur bien plus importante (600-1600 ppm) que celle attestée dans les monnaies, ce qui indique une autre source d’approvisionnement, probablement plus à l’Orient des terres byzantines65.
Conclusions préliminaires
42À partir du corpus d’analyses présenté, des conclusions définitives ne peuvent pas être établies : seul l’élargissement de la base statistique des données permettrait de proposer une reconstruction plus vraisemblable des sources de l’or du décor et de la circulation des tesselles à feuille d’or pour la chronologie étudiée. Toutefois, le rapport entre or monétaire et feuilles des tesselles est bien observé et confirme qu’à l’intérieur de l’Empire jusqu’au VIIe siècle la source de l’or du décor est principalement l’or monétaire, issu de la fiscalité byzantine : sur 85 échantillons datés entre IVe et VIIe siècles, seulement 9 ne présentent pas une correspondance avec l’alliage des monnaies d’or en circulation à la même époque. Après le VIIe siècle, à l’intérieur de l’empire les feuilles de tesselles semblent continuer à être produites à partir des monnaies, à côté de la récupération croissante des matériaux des chantiers précédents. En effet si 26 échantillons sur 104 peuvent être attribués à des réutilisations des tesselles anciennes, 18 sont postérieurs au VIIe siècle.
43L’utilisation des monnaies pour produire les feuilles destinées aux tesselles reflète une organisation centralisée et contrôlée de la production, d’autant plus que l’Empire byzantin et le Califat arabe restent à partir du VIIIe siècle les seuls producteurs de monnaies d’or dans la Méditerranée. Toutefois, à côté des monnaies, d’autres ors purs sans platine, ou avec alliages riches en cuivre et platine, signalent d’autres routes d’approvisionnement alternatives à la fiscalité impériale. En Orient, elles sont apparues dans la Grande mosquée des Omeyyades de Damas. En Occident, ces ors non monétaires semblent utilisés dans plusieurs sites datés des Ve et VIIe siècles, parmi lesquels les mosaïques de Théodoric à Ravenne ou celles du baptistère de Milan, décoré par l’évêque Laurent toujours durant le règne de Théodoric. D’autres sites se trouvent dans des royaumes dont les ateliers monétaires qui frappaient l’or avaient été fermés, comme l’église de Saint-Pierre-la-Dorée à Rodez dans le royaume franc du VIIe siècle et le dôme d’Aix-la-Chapelle du VIIIe siècle. Ici, à côté de l’or comparable aux monnaies byzantines, d’autres ressources s’associent, preuve d’une diversification des routes d’approvisionnement et d’un commerce moins contrôlé à l’extérieur et à la frontière de l’Empire. De plus, le remploi des tesselles dorées pillées dans les édifices anciens semble assumer un rôle plus important à partir du VIIIe siècle. En Italie, à Sainte-Cécile, deux échantillons sur trois sont des tesselles de récupération. En Orient à l’intérieur de l’Empire byzantin, comme à Hiérapolis, deux échantillons sur six sont réutilisés. Dans le Califat omeyyade et dans le chantier latin de la basilique de la Nativité à Bethléem cinq échantillons sur neuf sont probablement remployés.
44La réutilisation des tesselles anciennes n’est toutefois pas suffisante pour alimenter les restaurations des cycles paléochrétiens ou la réalisation des nouvelles mosaïques : en Italie septentrionale à Saint-Vital, à Saint-Prosdocimus et à Saint-Ambroise les analyses ont attesté une restauration des mosaïques avec des tesselles importées de Byzance66, qui anticipe les grands chantiers de la lagune vénitienne au cours des XIe-XIIe siècles, dont les matériaux proviennent en grande partie de Byzance67.
45Ce scénario de mosaïstes byzantins qui circulent avec leurs matériaux dans la Méditerranée et qui travaillent en coopération avec les forces locales, en récupérant aussi les tesselles des chantiers précédents, étaye les propos du Chronicon du Mont-Cassin et semble confirmer la provenance de l’or du décor de la fiscalité byzantine.
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Notes de bas de page
1 Die Chronik von Montecassino, hrsg. H. Hoffman, Hannover 1980 (MGH, Scriptores, II, 396).
2 Le Chronicon monasterii Casinensis est une chronique médiévale rédigée par Léon d’Ostie (1046-115) et poursuivie par Pierre le Diacre (1107- 1159), qui relate l’histoire du monastère de la fondation jusqu’au XIIe siècle.
3 Gibb 1958 ; Gautier-Van Berchem 1969 ; James 2006 ; Neri 2016 pour les sources arabes qui témoignent d’une provenance de mosaïques et maîtres de Constantinople pour réaliser les décorations des mosquées de La Mecque, Médine, Damas et Jérusalem. En particulier pour le monastère de Mar Gabriel, Manuscrit Ad17265 daté du IXe siècle ; voir la présentation de la source dans Hawkins, Mundell-Mango 1973.
4 Cette recherche a été réalisée dans le cadre de deux programmes qui allient archéométrie et archéologie. Le premier est le projet CHARISMA AGLAOS (Analysis of Ancient Gold Leaves And Coins. Coins in mosaics : Gold and Glass. Late Antique and Byzantine gold leaf tesserae composition compared to coins) mené en collaboration avec Marco Verità (LAMA, Venice), Isabelle Biron (C2RMF), Maria Filomena Guerra (Archam, Université Paris-Panthéon La Sorbonne), en partenariat avec différentes institutions. Parmi les plus importantes : le Département d’Arts islamiques du Musée du Louvre (Yannick Lintz), Maier, la Missione archeologica italiana a Hierapolis di Frigia (prof. Francesco D’Andria), le Centre Camille Jullian (Véronique Blanc Bijon), le Centre de civilisation byzantine (Marie-Patricia Raynaud). Le deuxième est le projet Convergence Paris-Sorbonne ORLUCE (L’or et la lumière céleste) mené en collaboration avec Maria Filomena Guerra (Archam, Université Paris-Panthéon La Sorbonne), Philippe Colomban (UPMC et CNRS, Monaris) et Vivien Prigent (CNRS, Orient & Méditerranée).
5 Morrisson, Brénot, Callu 1985 ; Morrison 2002 avec littérature pour le monde byzantin et Gondonneau, Guerra 2002 pour les monnaies islamiques.
6 Bartoli et al. 2013 ; Boschetti 2011.
7 Brenk 1972 ; Scheibelreiter 2009 ; Lancha 1981 ; Lancha 1983 ; Guidobaldi, Pedone 2014 ; catalogue dans Neri 2016.
8 Foy 2007 ; Foy 2008 ; catalogue dans Neri 2016.
9 PL 98 c. 371, Epistola 82 : « quod palatii Ravennatis civitatis musiva atque marmora, caeterosque exempla tam in strato quamque in parietibus sita, vobis tribuissemus : […] tam marmore quamque mosivum, caeteroque exempla de eodem palatio vobis concedimus auferenda ».
10 Les chapitres II, 13-16 décrivent, de façon invraisemblable, la fabrication des objets définis « grecs », importés de Byzance. Au chapitre 15 en particulier la production de la mosaïque à feuille d’or (vitrum graecum) est abordée. Pour une discussion dans le détail, voir Neri 2012 et Neri 2014, où on suppose que l’auteur déduit les techniques à partir de l’observation des objets. Il s’agirait donc d’objets importés de Byzance et non produits dans le milieu culturel de l’auteur, la région du Rhin entre la fin du XIe et le début du XIIe siècle.
11 Andreescu Treadgold 1977 ; Neri 2012 ; Burgarella 2012 ; Bibl. Naz. Marciana, Chronic. Magn., Parte 5, It. Cl. 7, Cod. 517, c 67t.
12 Neri 2016.
13 Mango 1992.
14 Delaine 1997.
15 Laiou, Morrisson 2007.
16 Le processus, connu grâce à l’édit de Théodose (Cod. Theod. 12, 7, 3 et 6, 12), est normalisé en 368, date à laquelle les monnaies d’or sont marquées du sigle OB, abréviation de obryza, purifié. Carlà 2009.
17 Bavant 2004.
18 Klemm, Klemm 2013 ; Meyer 1997.
19 Redon, Faucher 2016.
20 Bryer 1982.
21 McCormick 2001.
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26 Morrisson 2002.
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28 Morrison, Brénot, Callu 1985 ; Morrison 2002 ; Laiou, Morrisson 2007.
29 Guerra, Calligaro, Perea 2007.
30 Gondonneau, Guerra 2002.
31 Delmaire 1989 ; Carlà 2009 ; Guest 2005 ; Johns 2010.
32 Delmaire 1989, 487-494 ; Carlà 2009, 74 ss. ; e.g. : Greg. Nyss., Quod non sint tres dii, PG 45, col.132.
33 Cod. Theod. 10. 19, 13.
34 Cod. Theod. 10.19.5.
35 Cod. Theod. 10.19.3 ; 10.19.4, 12.
36 Cod. Theod. 10.19.7, cf. 10.19.12.
37 Cod. Theod. 10.19.7 ; Edmondson 1989.
38 Cod. Theod. 10.19, 15, loi du 424.
39 Morrisson 2002.
40 Ross 1962 ; Oddy-La Niece 1986 ; Yeroulanou 1999 ; Giostra 2012.
41 Baratte, 1975 ; 1978. La Notitia dignitatum est une liste des rôles des officiers de la fin de l’empire (Ve siècle) ; on fait ici référence à la vignette qui illustre les activités des largesses sacrées.
42 Neri 2016, 110-123 ; 346.
43 Manuscrit de Lucques, 124r, 7 ; Cennino Cennini, Libro dell’arte, ch. 39 ; Encyclopédie, s.v. Or.
44 Pacheco 2007 ; Neri sous presse.
45 Manuscrit de Lucques, 124r, 7, ch. De petala aurea.
46 23 autres mesures ont été effectuées sur d’autres sites (Mar Gabriel, Venise-St. Marc, Nevers) et seront publiées dans un autre cadre.
47 Les feuilles ont été analysées par moi-même et A. Conventi au LAMA à Venise et les verres par moi-même et M. Verità. Le protocole d’analyse a été le suivant : le microscope à balayage électronique Philips XL30 a été utilisé avec une énergie de 20KV, un courant du faisceau à 2 nA et un temps de contage de 1500 seconds. Seulement l’or, l’argent et le cuivre ont été quantifiés et normalisés à 100 wt %. Les autres éléments associés à la matrice vitreuse de la tesselle n’ont pas été considérés. Une correction ZAF des données a été effectuée par un logiciel adapté. L’accuracy de cette méthode est de 2 %, établie à travers la mesure de standards (NBS-481A et NBS-482A) dans les mêmes conditions analytiques. Une limite de détection de 0.10 wt % pour l’argent et de 0.30 % pour le cuivre a été estimée. La méthode suivie est décrite intégralement dans Conventi, Neri, Verità 2012 et Neri, Verità 2013.
48 Les feuilles d’or ont été analysées par Maria Guerra et moi-même selon le protocole analytique suivant : les feuilles ont été analysées avec le µPIGE, en utilisant un faisceau de protons avec une intensité de 10nA et un diamètre de 50 µm et quatre détecteurs SDD de 50 mm2. L’un des détecteurs a été couvert avec une feuille de cuivre de 75 µm pour chercher les éléments en traces selon les conditions définies par les alliages d’or. Un autre détecteur n’a pas été couvert, mais un magnet a été installé pour protection contre les particules rétrodiffusées. Le temps d’acquisition a été entre 5 et 30 minutes. Un set de standards a été utilisé pour définir le niveau de précision. Toutefois seulement l’or l’argent et le cuivre ont été détectés dans les feuilles d’or. Les conditions analytiques et les résultats sont présentés dans Neri et al. 2016.
49 Les analyses ont été effectuées par M. Radtke et M. Guerra. Le protocole analytique est présenté en détail dans Radtke et al., 2016. Seulement le platine a été analysé dans une série de 24 échantillons.
50 Neri, Verità 2013 ; Neri et al. 2016.
51 Morrison, Brénot, Callu 1985 ; Morrisson 2002.
52 Henderson 2013.
53 Callu 2010.
54 Morrisson 2002.
55 Arena, Carruba 2005.
56 Neri 2016.
57 Variae, 4.34 and 9.3.
58 Andaloro, D’angelo 2017, 213-261.
59 Le seul pour lequel on dispose d’analyses est malheureusement celui de Syracuse (Oddy 1988).
60 Silvestri, Tonietto, Molin 2011 ; Neri 2016.
61 Neri, Caggia 2016.
62 Supra, note 3.
63 Historia 48-52.
64 PL 98 c. 371, Epistola 82.
65 Gondonneau, Guerra 2002.
66 Silvestri et al. 2011 ; Neri 2016.
67 Verità, Zecchin 2012.
Auteur
-
Elisabetta Neri
Université Paris-Sorbonne, OM, UMR 8167
Elisabetta.neri@unicatt.it
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