1Le syndrome dit « de Robin », un trouble qui affecte la formation de l’arc vélo-palatin, mérite une attention particulière car il entraîne, comme le syndrome dit « de Di Georges », de graves dysfonctionnements de la fonction de nutrition chez le nourrisson. Sans intervention chirurgicale pour refermer la fente palatine, le réflexe de succion est inopérant et tout allaitement spontané du nouveau-né devient impossible. Ce syndrome, à l’étiologie encore incertaine, est aujourd’hui assez rare, de l’ordre d’un enfant sur huit à dix mille, et la lésion est réversible si elle est rapidement traitée. En revanche, pour les populations du passé, sans techniques chirurgicales efficaces, la létalité des formes majeures de ces syndromes pouvait être proche de 100 %.

Des malformations faciales qui entravent l’allaitement

2Le syndrome de Robin est un ensemble de malformations (triade) de même étiologie le plus souvent liée au dysfonctionnement du développement embryonnaire au moment de la formation des bourgeons faciaux (Golberg et al., 2011). Certaines atteintes des tissus qui constitueront la sphère oro-faciale, et plus particulièrement la région buccale, peuvent entraîner des malformations importantes. Ces malformations sont connues sous le nom de « syndrome de Robin », lorsqu’elles affectent le premier arc branchial, et de « syndrome de Di Georges » lorsqu’elles sont localisées dans la région vélo-cardio-palatine. Les dysfonctions ou anomalies organiques qui en résultent, peuvent aller jusqu’à rendre impossible toute alimentation du nouveau-né.

3En France, les premières observations concernant les anomalies faciales ont été faites au xix^e siècle sur le mouton (Bonnet, 2007) et, un peu plus tard, chez le nourrisson. La séquence – ou syndrome – de Robin a été décrite pour la première fois par le stomatologue Pierre de Robin en 1923. Elle est définie par une succession d’anomalies liées par une série de causes à effets :

• Une micrognathie entraîne un mauvais positionnement de la langue à l’arrière de la bouche (glossoptose), qui obstrue ainsi les voies respiratoires,
• la position verticale de la langue qui en résulte, engendre à son tour une fente vélopalatine car elle fait obstacle à la fusion du processus palatin,
• cette fente favorise l’apparition de symptômes fonctionnels, comme les troubles de l’oralité ou les gênes respiratoires (fig. 1) (Dubosc, 2013), mais entraine surtout l’impossibilité d’établir le vide au niveau buccal, essentiel dans le réflexe de succion.
• Sans succion, l’allaitement du nouveau-né est impossible, et son alimentation par des moyens de substitution (linge ou éponge imbibée de lait) conduit le plus souvent à des fausses routes.

4Le syndrome de Robin peut apparaître isolément, ou en association avec d’autres pathologies affectant la région oro-pharyngée. L’altération morphologique peut alors s’étendre à l’ensemble des éléments osseux constitutifs de la région faciale (maxillaire, orbite, mandibule), aux tissus mous (lèvres) et aux arcades dentaires.

Les différentes étiologies et leurs conséquences

5La mise en place des différentes phases du développement de la sphère oro-faciale s’effectue entre la quatrième et la douzième semaine de la vie intra-utérine. Selon la période embryonnaire durant laquelle la malformation s’établit, les symptômes spécifiques sont plus ou moins accentués.

6La micrognathie initiatrice ne peut être due qu’à une compression mécanique1 (Couly et al., 2009 ; Jakobsen et al., 2006) gênant la déflexion de la tête et du cou lors du développement embryonnaire à la quatrième semaine intra-utérine. En revanche, l’association de la triade à d’autres malformations de la sphère oro-pharyngée implique une origine génétique. Les fentes labiales, uni ou bi-latérales, et les fentes palatines dépendent en effet de certaines altérations de la séquence de régulation du gène SOX9 (Jakobsen et al., 2006 ; Klingberg et al., 2002).

7D’autres causes ont également été recherchées. Ainsi, selon une théorie vasculaire (Abadie et al., 1996), un infarctus au niveau du tronc cérébral, dans les semaines précédant la naissance, pourrait avoir pour conséquence une atrophie des muscles masticateurs et une rétromandibulie capable d’engendrer un syndrome de Robin isolé (Keith, 1910). Parmi les facteurs de risque, on peut également évoquer la consanguinité, les carences alimentaires (apport insuffisant en protéines dans l’alimentation maternelle), certaines avitaminoses (B9, D), l’alcool ou le tabac durant le premier trimestre de la grossesse. L’incidence de ces facteurs varie selon les auteurs (Dubosc, 2013). Enfin, il semble que certains médicaments actuels (cortisone, benzodiazépine), des pesticides et des solvants peuvent aussi jouer un rôle dans la survenue de ces dysfonctionnements du développement embryonnaire. Un nouvel axe de recherche s’orienterait donc vers l’existence de facteurs environnementaux et impliqueraient de nouveaux gènes agissant en interaction (Romana, Malan, 2011).

8On peut trouver dans l’histoire des exemples évoquant l’existence de ces anomalies au cours des périodes anciennes, tels que la fente palatine de Toutankhamon (Zahl-Hawass, 2010), des récits légendaires (Garland-Thomson, 2011) ou certains objets (flacons péruviens, masques africains, etc.). Toutefois, même si les observations sur des populations historiques ou préhistoriques sont rarissimes, l’ancienneté du syndrome ne fait aucun doute. Une fouille récente en Grèce met en lumière le sort funeste des nouveau-nés atteins de tels troubles : l’examen paléopathologique des 449 ossements découverts dans le comblement du puits de l’Agora d’Athènes (ii^e siècle avant J.-C.) a révélé que nombre d’entre eux étaient atteints de fente palatine (Bourdou, Themelis 2010).

Conséquences, traitements et pronostics

9Si le syndrome de Robin s’inscrit dans un ensemble étendu de signes associés (Caouette-Laberge et al., 1996 ; Couly et al., 2009), les troubles respiratoires et alimentaires sont à prendre en charge prioritairement, selon les techniques thérapeutiques modernes pour obtenir la survie du nouveau-né atteint (tab. 1).

10Lorsque l’allaitement direct est difficile, voire impossible, parce que la communication avec les fosses nasales empêche la réalisation du vide intra buccal nécessaire à la succion, la nutrition se fera, selon le degré d’atteinte, par biberon à tétine spéciale très longue, par gavage ou par voie parentérale, en attendant la mise en place précoce d’une plaque obturant la fente palatine. La correction chirurgicale du palais n’interviendra, elle, que plusieurs mois après. Le lait maternel frais (sans stérilisation) qui est fourni à l’enfant, permet une diminution considérable – en fréquence et gravité – des complications septiques, ORL et bronchiques qui grèvent régulièrement le quotidien de ces enfants.

11Une détresse respiratoire peut survenir en raison de la position haute et postérieure de la langue qui obstrue le passage de l’air au niveau nasal et pharyngé (Nassar et al., 2006 ; Poets et al., 2011) et peut même parfois basculer dans le pharynx. Là également, et selon le degré d’atteinte, une série de manœuvres tendant à rabaisser la langue vers le plancher buccal sont nécessaires. Ces pratiques immédiates sont suivies par la mise en place de dispositifs destinés à stimuler la fonction masticatrice (prothèse guide de Robin, suture de la langue à la lèvre inférieure) et à favoriser la croissance mandibulaire inférieure afin de réduire la rétro-micrognathie, restaurer la physiologie de la sphère oro-faciale et faciliter ainsi l’alimentation tout en réduisant les risques d’étouffement et de régurgitation nasale.

12La prévalence de ces pathologies est actuellement, en France et en Europe, de l’ordre de 1/8 000 (Dubosq, 2013 ; Bush, Williams, 1983) ; elle devait être plus élevée autrefois, du fait d’une moindre surveillance des grossesses et d’une alimentation des mères souvent carencée. Selon la gravité de l’atteinte, l’existence ou non de malformations associées ou d’une prématurité, les taux de mortalité des enfants atteints par ce type de pathologie varient, de nos jours, de 1,7 % à 11 %, voire 26 % (Dubosc, 2013).

13Même si les premières observations médicales ne remontent qu’au xix^e siècle, la séquence décrite par Pierre Robin en 1923 a toujours été présente dans l’espèce humaine, comme dans les espèces animales. Cette séquence, isolée ou associée à d’autres malformations, peut avoir, selon son degré d’importance, des conséquences capitales sur le pronostic vital du nouveau-né, par détresse respiratoire ou par impossibilité d’allaitement. Lorsqu’elle est isolée, il est possible, si l’atteinte est légère, d’obtenir une amélioration spontanée. Si elle est plus profonde, les suites sont toujours complexes, nécessitant une prise en charge multidisciplinaire.