Le tertiaire toujours insaisissable ?

Damien Broussolle

p. 55-67


Texte intégral

1De la fin de la Deuxième Guerre mondiale, avec notamment la poursuite des travaux séminaux de Clark (1940/1983) et, pour la France, ceux de Fourastié (1949), jusque dans les années 1990, des débats nourris et variés ont accompagné la montée des services dans l’économie, qualifiée de tertiarisation. Qu’il s’agisse de mesurer et décrire les évolutions en cours (Blades, 1987 ; Fourastié et Fourastié, 1989), de critiquer la mesure de la productivité (De Bandt, 1985), de défendre ou de discuter le passage à une économie post-industrielle (Barcet, 1987 ; Petit, 1988 ; Thurow, 1989), de s’interroger sur la qualité des emplois créés (Gadrey, 1988), ou sur la capacité des activités de services à soutenir la croissance ou à échapper aux crises (Galibert et Le Dem, 1986 ; Barcet et Bonamy, 1993), un numéro spécial de la Revue d’Économie Politique en 1986 (vol. 96, n° 5) illustrait il y a plus de trente ans cette richesse d’échanges. Au-delà des différences de perspective, les auteurs s’accordaient alors sur le fait que le tertiaire est très divers, mal connu ou mal compris et, selon la belle formule de Braibant (1982), « insaisissable ».

2Il n’en est que plus surprenant de voir que ces réflexions se soient en grande partie taries par la suite, avec la notable exception de Piketty (1998), comme si l’évidence de la montée des services dans l’économie, et la dissolution de la production industrielle dans le discours marketing du service, suffisaient en soi pour surmonter les problèmes si longtemps débattus. Ce chapitre entend s’inscrire dans cette tradition, à commencer par celle de l’étude de la place du tertiaire dans l’économie française sur le long terme, question également abordée en Sciences de Gestion dans la perspective des processus de servuction (Léo et Philippe, 1991c), en s’intéressant en particulier la sensibilité des services à la croissance. Pour répondre à cet objectif, la contribution étudiera dans un premier temps les grandes évolutions en termes d’emploi et d’activité, puis dans un second temps, elle examinera les déterminants structurels de l’emploi de services.

Un tertiaire toujours plus vaste

3Il est courant de situer les évolutions des trois secteurs de l’économie française sur le long terme, au moins depuis la Seconde Guerre mondiale. C’est ce qui sera fait dans le chapitre. La Comptabilité Nationale fournit des données pour les grandes branches de l’économie française depuis 1949. Même si ce type de statistique est peu subtil, car très agrégé, avec moins d’une dizaine de branches de services représentées, il a le mérite de pouvoir mettre en perspective les évolutions structurelles lourdes, comme on pourra le constater par la suite. La manière la plus simple de décrire la tertiarisation consiste à s’intéresser à l’emploi et à la valeur ajoutée (VA). Encore faut-il préciser à quelle catégorie d’emploi on s’intéresse et comment est mesurée la VA.

4Tout d’abord, il faut signaler que l’emploi tertiaire est envisagé ici comme emploi des branches tertiaires et non pas comme celui des cols blancs. Il s’agit donc d’une perspective de branche et non pas de poste de travail. En outre, le choix a été fait de prendre en considération l’emploi total (salarié et non salarié) en équivalent temps plein (EQTP). En premier lieu, cela évite à l’étude d’être affectée par le poids et les variations du salariat, sur longue période et selon les branches ; l’activité est saisie quelle que soit son statut. En second lieu, l’EQTP contourne l’inconvénient du poids variable du temps partiel dans l’emploi. Cette manière de mesurer l’emploi est certainement la plus cohérente avec celle de l’activité en termes de VA. Cette dernière est présentée à prix courant lorsqu’il s’agit de la répartition des activités dans l’économie française, mais à prix constant lorsqu’il s’agit d’évolution de long terme, et en particulier d’évaluer l’impact des variations d’activité sur l’emploi. Cela permet de gommer les effets de l’inflation dont le rythme a nettement changé sur la période.

Des services marchands de plus en plus prépondérants

5La figure 1 retrace la déformation de l’emploi total en France de 1949 à 2018. Sans surprise, elle illustre les évolutions bien connues comme la diminution drastique de l’emploi agricole et celle, un peu moins marquée, de l’emploi industriel. Sur ce dernier plan, même si cela ne change pas le constat global, il convient de nuancer l’impression. L’emploi intérimaire qui, sur la période, a nettement augmenté, appartient aux activités de services, alors même qu’une forte proportion des missions sont effectuées en dehors du tertiaire. Ainsi, en 2018, en moyenne annuelle, l’industrie emploie 39 % des intérimaires, pour 41 % dans le tertiaire1. La sous-traitance / externalisation vient également minorer l’emploi industriel (Postner, 1990). Elle conduit à ajouter aux services des fonctions autrefois incluses dans les entreprises industrielles (Trogan, 1984).

Fig. 1 - Emploi intérieur total dans les grands secteurs d’activité de l’économie française (EQTP)

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Source : Ensemble des figures et tableaux construits à partir des comptes nationaux de l’INSEE, base 2014.

6Du point de vue adopté dans le chapitre, ce n’est pas incohérent lorsque cela révèle des activités de service comme le gardiennage ou le transport / logistique, mais cela l’est moins lorsque la conception ou l’entretien, voire la production, sont sous-traités. À l’extrême, comme le notent Bernard et Fort (2013), ce phénomène conduit à faire apparaître en activité de commerce la production des marques de distributeur, pourtant produites par des industriels façonniers. Selon ces auteurs, les établissements qui suivent cette démarche représentaient en 2002 aux États-Unis 6,5 % de ceux du commerce de gros, avec 10,2 % de l’emploi et 5,2 % de la production. En France, la sous-traitance industrielle a doublé entre 1985 et 2003, en atteignant près de 10 % de la VA industrielle (enquête du SESSI sur le recours des entreprises manufacturières aux services en 2005). Selon une étude de la Direction Générale du Trésor, les emplois externalisés auprès des services aux entreprises, estimés à 3 % de l’emploi du secteur marchand en 1980, sont passés à 5 % en 2007 (Demmou, 2010).

7Quoiqu’il en soit, le tertiaire dans sa globalité, c’est-à-dire en incluant le commerce, représentait 80 % de l’emploi total EQTP en 2018, contre 40 % en 1949 (voir fig. 1). Son poids a donc doublé en presque 70 ans. Cette croissance est surtout due aux services marchands, qui représentent désormais 50 % de l’emploi total, contre un peu plus de 25 % en 1949. L’évolution du poids du tertiaire en VA est très proche de celle de l’emploi (voir fig. 2). Tout au plus peut-on souligner que les services marchands ont une place encore plus affirmée. Sont traditionnellement comptés dans les services principalement marchands : le commerce, les transports, l’information et la communication, l’hébergement-restauration, la finance-assurance et l’immobilier ; les activités scientifiques et techniques ; les services administratifs et de soutien ; enfin, les services rendus aux ménages. Symétriquement, les activités principalement non marchandes regroupent essentiellement les activités étatiques, les services sociaux, de sécurité sociale et de santé.

Fig. 2 - VA par branche aux prix courants : poids des grands secteurs de l’économie française

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8Les évolutions des deux regroupements suivent des évolutions sensiblement différentes comme on peut le constater sur les figures 3 et 4. L’emploi non marchand a été multiplié par 2,5 en près de soixante-dix ans. Le profil de sa croissance est plus régulier, il se rapproche de celui d’une courbe logistique, ce qui illustre un ralentissement après une croissance plus rapide jusque dans les années 1990. Cela correspond également à une croissance lente de sa VA. L’emploi des services marchands suit pour sa part un rythme plus heurté et plus rapide. L’augmentation de sa VA apparaît plus alignée sur celle de l’industrie, même si un décalage apparaît depuis la fin des années 1990, et surtout depuis la crise de 2008 (voir fig. 4). De ce fait, ils sont plus sensibles aux crises ou ralentissements, points sur lesquels nous reviendrons par la suite.

Fig. 3 - Évolution de l’emploi intérieur total en EQTP (base 100 en 1949)

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Fig. 4 - Évolution de la VA en volume (base 100 en 1949)

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Le dynamisme des services marchands rendus aux entreprises

9Au-delà de la grande diversité des activités représentées, les services marchands restent un ensemble composite sur le plan de la demande Si leur majeure partie répond surtout à la demande des entreprises, certaines activités répondent plutôt à celle des ménages. Ces différences de détermination affectent sensiblement le rythme de leur croissance. Il apparaît donc judicieux de distinguer les deux sous-catégories. Couvrir l’ensemble de la période impose toutefois des limites à la finesse de la perspective. Comme cela a été souligné précédemment, le niveau de détail est très réduit pour le début de la période.

10Compte tenu des données disponibles, les deux regroupements ont été constitués comme suit. En premier lieu, la catégorie services principalement rendus aux ménages a été créée en additionnant le commerce de détail, la réparation automobile, l’hébergement-restauration, les services immobiliers, d’une part, ainsi que les services domestiques et récréatifs, d’autre part. En second lieu, la catégorie des services rendus principalement aux entreprises a été constituée en retranchant les services précédemment évoqués à l’ensemble des services marchands. Si le résultat obtenu est très simplifié, il n’en reste pas moins éclairant et suggestif, comme on pourra le remarquer ultérieurement dans le chapitre.

11En 1949, les services rendus principalement aux entreprises représentaient 36,8 % de l’emploi des services marchands ; en 2018, ils atteignent 52,9 %. Le rythme de croissance de l’emploi de ces services apparaît trois fois plus rapide que celui des services marchands plutôt rendus aux ménages (voir fig. 5), qui connaissent une croissance même plus lente que celle des services non marchands. C’est que, pour une partie d’entre eux, ils sont progressivement grignotés par les phénomènes du self-service et de la « maladie des coûts des services », qui substitue le service rendu à soi-même (par le truchement d’un matériel) à un service extérieur. À l’inverse, les services aux entreprises se développent et accompagnent l’externalisation déjà évoquée (voir fig. 6). De 1959 à 2006, leur part en valeur a été multipliée par 2,5, et atteint désormais le quart des dépenses intermédiaires utiles à la production (Niel et Okham, 2007). Au total, il existe un double processus d’internalisation et d’externalisation de services largement connu (Monnoyer et Zuliani, 2007).

Fig. 5 - Évolution de l’emploi EQTP dans les services marchands aux entreprises et aux ménages (base 100 en 1949)

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Fig. 6 - Évolution de la VA en volume dans les services marchands aux entreprises et aux ménages (base 100 en 1949)

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12Contrairement à ce qu’une impression trop rapide tirée des éléments précédents pourrait laisser penser, en 2018, la VA en volume produite dans les services aux ménages est sensiblement supérieure à celle des services aux entreprises (voir fig. 7). Cela traduit le fait qu’en moyenne, un emploi dans les services aux entreprises est moins productif que dans les services aux ménages. Ce résultat plutôt étonnant peut provenir d’une plus grande exposition à la concurrence, qui conduirait à transmettre aux entreprises utilisatrices les gains de productivité des branches concernées. Il peut s’expliquer également par une nécessaire « montée en gamme » des services aux ménages pour faire face au self-service. Il provient, enfin, du fait que la catégorie services aux entreprises comprend tout aussi bien le gardiennage, où la VA est assez faible, que les services de conseil, où elle est nettement plus forte.

Fig. 7 - Évolution de la VA en volume par emploi (EQTP) en milliers d’euros (2014)

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13L’évolution historique particulière mérite aussi être soulignée. Les niveaux de VA par emploi ont été proches pour les deux catégories du début de la période jusqu’en 1974, où un décrochage est intervenu pour les services aux entreprises (voir fig. 7). Ce dernier a duré jusqu’au milieu des années 1980. Malgré un accroissement plus rapide de la VA par emploi, le décalage occasionné à cette occasion n’a pas été totalement récupéré depuis lors. Sans surprise toutefois, depuis les années 1970, la VA produite par emploi est plus faible dans les services non marchands (voir fig. 7). Il est cependant difficile d’en tirer des conclusions comparatives dans la mesure où elle est moins facile à définir et que, pour l’essentiel, elle reflète l’évolution de la masse salariale. La longueur limitée de ce chapitre ne permet pas de détailler plus avant les évolutions de long terme.

Variabilité du lien emploi-croissance selon les secteurs de services

14Pour étudier le lien emploi croissance, nous nous appuierons successivement sur deux dimensions : d’une part, l’évolution de l’élasticité annuelle, d’autre part, une analyse économétrique ad hoc.

Accroissement de l’élasticité de l’emploi au PIB

15Si l’on écarte une tendance autonome de long terme à leur augmentation, l’activité dans les services, et donc les emplois créés, dépendent évidemment des mouvements généraux de l’économie, autrement dit du PIB. La mesure de la sensibilité de l’emploi dans les services à la variation du PIB s’exprime par l’élasticité de l’emploi. Elle est ici calculée en rapportant simplement la variation de l’emploi à celle du PIB pour deux années consécutives. Elle peut s’interpréter comme le contenu en emploi de services d’une variation de 1 % du PIB. En complément des élasticités annuelles (voir fig. 8), il est néanmoins utile de disposer d’une référence synthétique pour l’ensemble de la période. Compte tenu de sa longueur et de la variabilité de l’élasticité ponctuelle, il a paru pertinent de fournir à la fois les élasticités médiane et moyenne, ce qui montre que leur écart reste modeste (voir tableau 1).

Fig. 8 - Évolution de l’élasticité de l’emploi dans les services au PIB en volume

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Tableau 1 - Indicateur synthétique d’élasticité de l’emploi à la croissance du PIB en volume (1949-2018)

Services marchands (ensemble)Services marchands aux ménagesServices marchands aux entreprisesServices non marchands
Médiane0,500,320,700,39
Moyenne0,610,460,790,45

Lecture : Lorsque que la PIB varie de 1 %, l’emploi dans les services marchands a, dans la moitié des années étudiées, augmenté d’au moins 0,5 %.

16L’élasticité médiane des services non marchands affiche un chiffre de près de 0,4. Dans la moitié des cas, une croissance de 1 % en volume s’est donc traduite par une variation de l’emploi supérieure à 0,4 %. Elle est sensiblement plus faible que celle des services marchands, ce qui n’a rien d’étonnant puisque, comme les premiers dépendent essentiellement des politiques publiques et de la socialisation d’une partie de la consommation, ils sont moins influencés par la conjoncture. En revanche, l’élasticité médiane des services principalement rendus aux entreprises est la plus élevée. Elle ressort à 0,7, soit presque deux fois plus, ce qui illustre leur forte sensibilité à la conjoncture. On ne peut toutefois pas prétendre que les évolutions des deux catégories d’emploi se compenseraient en général. Pas plus que qu’elles ne se suivent, l’élasticité de l’une ne varie en sens inverse de l’autre (voir fig. 8). Les deux types de services ne présentent pas non plus le même profil historique. Si, sur la période, l’élasticité moyenne des services non marchands ne semble pas avoir notablement changé, ce n’est pas le cas de celle des services marchands qui a nettement augmenté (voir les droites de tendance), illustrant la hausse du contenu en emploi de services marchands d’un point de croissance.

17Le niveau de l’élasticité, tout comme sa variabilité, augmentent pour les services marchands, du reste aussi bien dans le cas des services rendus aux entreprises qu’aux ménages (voir fig. 9), de manière toutefois plus accentuée pour les premiers. Cela provient à la fois du fait que le rythme de croissance du PIB se ralentit sur la période (voir l’Annexe), mais également du fait que les créations d’emplois deviennent plus instables dans ces secteurs. En ce sens, la flexibilité du marché du travail des services marchands s’est accentuée. Depuis la crise de 2008, la synchronisation des élasticités de l’emploi, qui paraissait jusque-là globalement établie entre les deux regroupements, semble s’être en partie perdue. La variabilité augmente nettement dans les services aux entreprises, parfois en sens inverse des services aux ménages. En bref, on constate que la sensibilité des services marchands à la conjoncture a augmenté. Sous cet angle, ils ne sont plus « hors la crise », comme cela pouvait sembler être le cas dans les années 1970.

Fig. 9 - Élasticité de l’emploi dans les services aux entreprises et aux ménages au PIB en volume

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La dépendance au secteur considéré des déterminants de l’emploi dans les services

18Après l’examen de la sensibilité de l’emploi dans les services à la conjoncture globale, il convient de s’intéresser à ses déterminants. Il s’agit à la fois de faire apparaître les principales variables à la source de l’emploi dans les services et d’en mesurer l’importance, mais aussi d’évaluer dans quelle mesure ces déterminants sont propres aux différentes catégories de services étudiés. Cette démarche s’appuie sur une analyse économétrique simple de données temporelles utilisant les moindres carrés ordinaires. Les séries sont utilisées en différence de logarithmes, ce qui contribue, d’une part, à réduire les problèmes de non-stationnarité et d’autocorrélation, autrement dit à supprimer globalement la tendance de long terme qui produirait une corrélation forte factice ; il s’agit alors d’expliquer les variations de la série, et non pas sa seule progression. Cela permet, d’autre part, d’interpréter les coefficients des variables comme des élasticités partielles, propres à chacune d’elles.

19L’analyse a testé de nombreuses variables qui se sont révélées non statistiquement significatives et n’apparaissent pas dans le tableau 2. Ainsi en est-il d’années particulières, comme de certaines des périodes qui auraient pu affecter l’emploi de façon spécifique. Une variable « récession » regroupant les trois années 1974, 1993 et 2009, à croissance négative, de même que quatre variables « périodes », pour lesquelles le rythme moyen de croissance se décale par palier (1950-1973 ; 1974-1989 ; 1990-2000 ; 2001-2018)2, ont notamment été testées, globalement sans succès. C’est également le cas du commerce extérieur sous différentes formes (importations distinctes des exportations, total du commerce extérieur), et des variables sous leur forme retardée (N-1) ou portée au carré (non-linéarité). Dans la plupart des cas, la constante n’est pas non plus significative, ce qui est attendu puisqu’il s’agit d’expliquer une succession de variations.

Tableau 2 - Déterminants de l’emploi dans différentes catégories d’activité (EQTP) Moindres carrés ordinaires (HAC3), 1951-20184 5 6

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***significatif à 1 % ; **significatif à 5 % ; *significatif à 10 % ; NS : non significatif au seuil de 10 %.7

20D’une manière générale, les variations de l’emploi suivent un trend linéaire positif sur l’ensemble de la durée étudiée. Même si son influence est extrêmement faible, il est généralement très significatif, y compris lorsqu’une indicatrice « sous-période » l’est aussi. Cela signifie que l’analyse en différence n’élimine pas la totalité de la croissance autonome de l’emploi dans les services. C’est la trace rémanente de la dérive à la hausse des variations d’emploi dans les services. Le coefficient est le plus élevé pour les services aux entreprises, ce qui correspond aux enseignements évoqués plus haut. Les deux seules sous-périodes qui jouent un certain rôle dans les analyses, et encore le plus souvent de façon exclusive, sont le début (jusqu’en 1973), ou la fin (à partir de 2001) de la durée globale, dans les deux cas, de façon négative, ce qui exprime le fait que, par rapport à l’ensemble, la variation de l’emploi y a été plus faible.

21À nouveau, le cas des services aux entreprises est spécifique, les deux sous-périodes sont significatives. Pour chaque regroupement de services, plutôt que de calculer le lien entre les variations de l’emploi temps plein et celles du PIB, il a semblé plus pertinent de décomposer l’activité en grandes catégories, pour pouvoir en mesurer l’influence particulière. Dans chaque cas, l’activité du grand secteur d’emploi étudié a été incorporée à l’analyse, avec celle de l’industrie, de la construction, des services non marchands, ainsi que des services marchands aux entreprises et aux ménages. C’est une manière de mesurer séparément l’impact des principales composantes du PIB. Il apparaît ainsi que les variations de l’emploi dans les services marchands s’expliquaient essentiellement par l’activité propre des services marchands, et plus nettement par celle des services aux ménages, ainsi que de façon plus modeste par celle de la construction. De façon contre-intuitive, ni l’activité de l’industrie, ni le commerce extérieur, n’influencent significativement l’emploi dans ces services. L’activité des services non marchands influence négativement l’emploi dans les services marchands, autrement dit, varie en sens inverse.

22On peut considérer que lorsque l’emploi dans les services marchands augmente vivement, cela correspond à une conjoncture forte, qui n’influence pas significativement l’activité des services non marchands, et inversement. De ce fait, non seulement il y a une absence de corrélation entre les deux variables, mais également une certaine opposition de phase. Il n’en est pas moins remarquable que lorsque l’activité dans les services non marchands varie de 1 %, cela se traduit par une variation inverse de l’emploi des services marchands de 0,25 %. Ce phénomène persiste lorsque l’on examine l’impact sur l’emploi dans les services aux entreprises ou aux ménages seuls, mais apparaît légèrement plus prononcé pour les services aux entreprises. Il est à noter que cet effet est surtout plus significatif dans le cas de l’emploi des services aux ménages.

23En dehors du cas de l’industrie, qui apparaît pour mémoire, les services aux entreprises sont la seule variable à expliquer examinée pour laquelle le solde du commerce extérieur influence significativement l’emploi. Son influence se révèle négative, ce qui peut sembler étonnant puisque cela traduit le fait que l’emploi augmente lorsque le solde se dégrade, et vice versa, donnant l’impression qu’une détérioration du commerce améliore l’emploi. C’est qu’il faut certainement lire le phénomène dans l’autre sens. Il traduit alors le fait que l’emploi progresse lorsque l’activité globale est forte, ce qui produit souvent en France une dégradation du solde commercial. Il faut, en outre, ne pas exagérer l’importance de cette variable dont le poids reste modéré ; il est deux fois plus faible que celui de la construction.

24Les services aux ménages se distinguent par une influence vraiment très ténue du trend sur l’emploi, du reste significatif seulement à 5 %. Les services non marchands sont la seule variable à expliquer, pour laquelle l’emploi réagit significativement à l’activité industrielle, plutôt qu’à celle de la construction et de façon inverse. Il faut probablement y voir un effet similaire à celui évoqué pour la liaison négative entre activité de services non marchands et emploi dans les services aux entreprises : lorsque l’activité dans l’industrie augmente vivement, cela correspond à une conjoncture forte, qui n’influence pas significativement la croissance de l’emploi des services non marchands et inversement. Il n’en reste pas moins remarquable que ce lien soit significatif, même si ce n’est qu’au seuil de 5 %. L’activité des services aux entreprises n’a pas d’influence significative sur l’emploi dans les services non marchands, ce qui paraît tout à fait justifié. Du reste, lorsque celle des services marchands est globalement testée, plutôt que celle des deux regroupements qui les composent, la variable ressort non significative, c’est-à-dire que l’activité des services aux entreprises efface alors l’influence de l’activité des services aux ménages.

25Au total, l’emploi temps plein dans les services est, sans surprise, d’abord lié à l’activité dans leur propre secteur, puis souvent à celle de la construction et des services aux ménages. L’influence de l’activité des services non marchands ressort parfois négativement, comme celle de l’industrie ou du solde du commerce extérieur. Enfin, malgré un calcul en variation, un trend exprimant une croissance autonome de l’emploi dans les services apparaît constamment significatif. Si l’on considère que l’activité industrielle est le marqueur par excellence des variations conjoncturelles, il est frappant de constater que cette variable est non significative pour expliquer l’évolution de l’emploi dans les services marchands.

Conclusion

26Le chapitre entendait reprendre et prolonger la tradition des travaux sur l’évolution de long terme du tertiaire, une tradition qui s’est étiolée au fil du temps. Il a examiné tout particulièrement l’évolution de l’emploi en EQTP, qu’il soit salarié ou indépendant, dans les services et celle de la VA en volume, pour la période de 1949 à 2018. Malgré une perspective très agrégée, plusieurs enseignements se dégagent du survol réalisé. En près de soixante-dix ans, l’emploi tertiaire, marchand et non-marchand, a été multiplié par plus de 2,5, leur VA en volume respectivement par 11 et près de 5. L’élasticité de l’emploi à la variation du PIB a augmenté nettement dans les services marchands, illustrant la hausse du contenu en emploi de services marchands d’un point de croissance. Elle s’est accompagnée d’une plus grande variabilité, qui traduit en même temps une plus grande flexibilité. Malgré une moins forte croissance, les services marchands rendus aux ménages ont en moyenne un plus fort contenu en VA que les services rendus aux entreprises.

27Au total, il existe un double processus d’internalisation (self-service) et d’externalisation de services. Si l’on excepte l’activité de leur propre branche, l’emploi dans les services s’explique le plus souvent par les variations de l’activité dans les services aux ménages et celle de la construction. L’influence de l’activité industrielle, comme le commerce, sont fréquemment non valides. Ainsi, malgré les processus d’externalisation, l’activité industrielle n’influence pas significativement l’emploi dans les services aux entreprises. Ce constat a priori contre-intuitif mérite d’être conforté sur des données moins agrégées. Finalement, les services marchands ne sont plus « hors la crise », mais compte tenu de leur diversité et de la masse des services rendus aux ménages, le phénomène reste modéré. En bref, si les services perdent une partie de leur originalité, ils n’en restent pas moins manifestement moins saisissables que d’autres secteurs.

Annexe

Annexe

Évolution du taux de croissance du PIB en volume (1949-2018)

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Source : INSEE, Comptabilité Nationale base 2014.

Notes de bas de page

1 Ces pourcentages suivent la place des services dans l’emploi, puisqu’en 2000, ils atteignaient respectivement 50,5 % et 31,1 %. Les effectifs d’intérimaires sont indépendants de la durée des missions.

2 1950-1973 : croissance moyenne du PIB en volume de 5,4 % ; 1974-1989 : 2,64 %, aucune année n’atteint 5 % ; 1990-2000 : 2,18 %, aucune année n’atteint 4 % ; 2001-2018 : 1,27 %, aucune année n’atteint 3 %.

3 Calculs réalisés en utilisant la correction erreur standard robuste (HAC : Heteroskedasticity Autocorrelated Consistent), procédure GRETL, Bandwidth 3 Bartlett kernel.

4 La série utilisée commence de fait en 1951 car les valeurs ajoutées en volume sont calculées au prix de l’année précédente ; la première année disponible est donc 1950. Par la suite, en utilisant des logarithmes des différences, la première donnée calculable devient l’année 1951.

5 Milliards d’euros pour la VA en volume ; milliers emplois pour les emplois EQTP.

6 L’année N-1 est significative seule, l’échantillon démarre alors à 1952.

7 Différence des logarithmes des exportations et importations. Le logarithme des différences aurait produit des impossibilités mathématiques. Cette variable ne peut donc pas être interprétée en termes de taux de variation. / La variable services marchands n’est pas testée conjointement avec les services rendus principalement aux entreprises ou aux ménages.


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