Quelles logistiques pour la consommation collaborative ?
p. 113-116
Texte intégral
1Le Bon Coin, les AMAP, Etsy, Jestocke : l’essor de la consommation « collaborative » constitue l’une des révolutions contemporaines les plus marquantes. Au-delà de leur positionnement idéologique (opportunité économique, don, partage, etc.), ces pratiques collaboratives se matérialisent souvent par un échange de flux physiques. Elles supposent ainsi la mise en place de démarches logistiques, qui sont pour l’instant peu étudiées. Une recherche menée avec Valentina Carbone (ESCP-Europe) et Christine Roussat (Université Clermont Auvergne et CRET-LOG) explore les dispositifs logistiques de la consommation collaborative.
Qu’est-ce que la consommation collaborative ?
2Le terme de consommation collaborative a été popularisé par Botsman et Rogers dans leur ouvrage fondateur « What’s mine is yours ». Selon eux, ce mouvement suppose que « des individus participent à des collectifs organisés de partage, d’échange, de location, de don afin de bénéficier, à un coût, une charge, et un impact environnemental moindre, des mêmes plaisirs que la propriété ». La consommation collaborative ainsi définie regroupe une pluralité de démarches : le covoiturage, la vente et/ou location de biens à d’autres particuliers, le troc et les achats groupés. Autant d’initiatives qui requièrent souvent la mise en place d’activités logistiques ! Nous avons analysé 32 sites référencés par le blog français de la consommation collaborative (http://consocollaborative.com/) et identifié quatre grands types de logistiques (voir figure 1).
Figure 1 : Les quatre types de logistiques de la consommation collaborative

Peer-to-peer logistics, la logistique entre pairs
3Ce premier type de dispositif voit les particuliers organiser et réaliser eux-mêmes la logistique nécessaire à l’échange collaboratif : acheter un produit sur Le Bon Coin, se prêter un objet sur ShareVoisins, récupérer les clefs d’une voiture louée sur Drivy, etc. La plate-forme collaborative internet joue un pur rôle d’intermédiaire informationnel et n’intervient pas dans les flux physiques qui sont directs (C to C).
4Pour que cette prise en charge de la logistique par les pairs soit possible, la gestion des flux physiques ne doit pas être trop complexe. Faciliter et soutenir cette logistique peer-to-peer est un enjeu clef pour les plates-formes d’intermédiation. Celles-ci favorisent les échanges de proximité, en incluant une fonction de géolocalisation des acteurs. Certaines (Ebay avec Mondial Relay, par exemple) formalisent un partenariat avec un prestataire logistique auquel les pairs peuvent faire appel lorsque la logistique est plus complexe.
Business logistics, la logistique « classique » au service de la consommation collaborative
5La plate-forme qui promeut une démarche collaborative prend ici en charge de manière centralisée le pilotage des flux physiques (selon un flux indirect entre pairs, de type C to B to C). La plate-forme collaborative se positionne à la fois comme un intermédiaire informationnel (à travers une plate-forme électronique) et comme un intermédiaire physique (à travers une plate-forme logistique). La raison principale est qu’il s’agit ici d’une condition nécessaire pour permettre et soutenir les échanges entre pairs. Cela peut être lié par exemple au besoin de s’assurer que le produit correspond bien à la description qui en est faite (absence de défaut, de contrefaçon, dans le cadre du site Vestiaire Collective, etc.).
Crowd-party logistics, où la foule devient prestataire de services logistiques !
6La logistique est ici l’objet même de la démarche collaborative. La plate-forme collaborative fait appel à la foule pour réaliser des prestations de services logistiques. Celles-ci peuvent être liées au transport de marchandises, à l’instar de ce que proposent les sites Expédiez-entre-vous ou Piggybee. Elles peuvent également concerner le stockage des marchandises, comme c’est le cas pour Co-stockage ou Jestocke. La plate-forme permet aux usagers potentiels de recourir à la foule (le collectif d’individus impliqué dans la démarche collaborative) plutôt que de faire appel à un prestataire logistique. L’un des points clefs pour la plate-forme est alors de rassurer les acteurs quant aux risques que génère le partage de moyens logistiques (Costockage propose par exemple de souscrire un contrat d’assurance auprès d’Hiscox).
Crowd-driven logistics, la foule, un nouveau 4PL ?
7Comme dans le cas précédent, la logistique constitue l’objet de la démarche collaborative. L’objectif est ici de permettre à la foule de reprendre le pouvoir sur les choix logistiques liés à l’approvisionnement et à la distribution de certaines marchandises. La démarche des plates-formes (par exemple, La Ruche qui dit oui) illustre la volonté de la foule de contourner les distributeurs traditionnels pour établir un contact direct avec les producteurs (B to C). Une telle démarche requiert que la plate-forme donne à la foule le pouvoir de gouverner avec les producteurs, et les aide à prendre les décisions logistiques. Cela peut passer par une structure associative, comme dans les AMAP. Au sein d’une telle démarche, la plate-forme doit également assurer un rôle d’intermédiation physique et permettre à la foule de contribuer aux activités logistiques quotidiennes. Dans le cadre du magasin collaboratif La Louve, les membres s’engagent ainsi à travailler dans le point de vente 3 heures par mois minimum.
Quel rôle pour les prestataires de service logistique ?
8Notre recherche, dont le tableau 1 synthétise les résultats, montre que la consommation collaborative constitue simultanément une menace et une opportunité pour les PSL ! Une menace, car la foule, en réalisant des services logistiques, se substitue aux prestataires et capte un volume d’activités. Une menace surtout car les nouveaux acteurs de la consommation collaborative peuvent venir concurrencer les PSL. Ainsi, Uber, qui se focalise sur le transport de personnes, pourrait très bien à terme déployer son système de géolocalisation pour gérer des flux de marchandises. La firme californienne teste d’ailleurs des services de livraison à domicile… Mais si les menaces sont réelles, la consommation collaborative représente également, comme l’a bien compris DHL avec son site collaboratif MyWay, une opportunité pour développer de nouvelles activités. Enfin, la consommation collaborative a besoin pour fonctionner d’intermédiaires capables de gérer les flux informationnels et physiques. Les prestataires ont les compétences pour jouer ce rôle et pourraient très bien accroître leurs débouchés en aidant la foule à contourner les Supply Chains existantes dont ils sont pourtant parties prenantes !
Tableau 1 : Caractéristiques des logistiques de la consommation collaborative
| Peer to peer logistics | Business logistics | Crowd-party logistics | Crowd-driven logistics | |
| Définition synthétique | Les pairs organisent la logistique nécessaire à leur échange | La plateforme organise et réalise la logistique entre pairs | La foule propose une prestation de service logistique | La foule prend en charge la conception et le pilotage logistique |
| Rôle logistique de la plate-forme | Mettre en relation les individus et soutenir la logistique | Prendre en charge la logistique nécessaire à la collaboration | Permettre le partage et l’optimisation des ressources logistiques des individus | Fournir aux consommateurs l’infrastructure logistique pour reprendre le pouvoir sur la distribution |
| Fonction d’intermédiation de la plate-forme | Informationnelle | Physique et informationnelle | Informationnelle | Physique et informationnelle |
| Fonction clef de la plate-forme | Géolocalisation | Logistique | Assurance | Gouvernance |
| Orientation des flux | C to C | C to B to C | B/C to C to B/C | B to C |
| Nature de l’offre | Echange de produits et services de proximité | Produits nécessitant une intervention (tri, contrôle, etc.) | Transport, entreposage | Produits frais et alimentaires de proximité |
| Exemples types | Share Voisins, Kiwizz, Le Bon Coin | Vestiaire Collective, le Relais | Expediez entre vous, Costockage, Piggybee | La Ruche qui dit oui, AMAP, La Louve |
Pour en savoir plus sur cette rubrique publiée en Mars 2015 :
Acquier A., Carbone V. et Massé D. (2017), À quoi pensent les institutions ? Théorisation et institutionnalisation du champ de l’économie collaborative, Revue française de gestion, Vol. 43, n° 265, p. 25-49.
Botsman R. et Rogers R. (2010), What’s mine is yours. The rise of collaborative consumption, Harper Business, New York.
Carbone V., Rouquet A. et Roussat C. (2016), « Emporté par la foule » : quelles logistiques pour la consommation collaborative ?, Revue française de gestion, Vol. 42, n° 258, p. 105-122.
Auteur
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Aurélien Rouquet
Professeur de Logistique à NEOMA Business School. Il est Ingénieur de l’École Centrale de Lille, titulaire d’un MSc. de Cranfield University et d’un doctorat en sciences de gestion obtenu en 2007 au CRET-LOG (Aix-Marseille Université). Ancien du CEFAG, ses recherches portent sur la logistique au sens large, le pilotage et l’orchestration des Supply Chains, et les logistiques déployées par les individus durant leur consommation. Il est secrétaire général de l’AIRL-SCM et membre du CRET-LOG.
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